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ART CRU : Une théorie de l’affectivité

..."Imaginons que l'on découvre que l'inconscient n'existe pas,
que le refoulement est une pure illusion,
que la pulsion est effectivement un mythe.
Réalise-t-on que, dans ce cas,
ce serait notre propre manière de nous penser,
de penser notre monde, nos affects, nos espoirs, qui s'effondrerait ? "...

Piéra Aulagnier
Questions aux analystes dans
"Les destins du plaisir"

Guy Lafargue

Psychologue plasticien, Psychosociologue clinicien
psychothérapeute

 

La coïncidence veut que la préséance alphabétique épouse ici en ouverture la hiérarchie des signifiants : En tête, le "A" de Affectivité ouvre le bal, à sa légitime place dans la théorie de l'Expérience Créatrice où je t'invite.

Si tu me demandes pourquoi, je te répondrai que c'est comme la souris verte : on l'attrape par la queue, on la montre à ces messieurs-dames...C'est à dire que, quel que soit le langage et le mode de Parole saisis par le sujet, l'expérience créatrice est le lieu fondamental de résolution de tout ce qui dans la construction affective originaire s'est mis en travers de l'actualisation de tes potentialités de développement. Aucun espace analytique n'est opératoire s'il ne devient ce lieu d'un intense et soutenu travail de création - en dernier ressort de création de soi - de la part du client aussi bien que de l'analyste, dans l'exercice du langage. Travail de rattrapage, en quelque sorte, de reprise du temps et de l'amour perdus.

Primat de l'affectivité : l'affaire n'est pas gagnée d'avance. Elle contrevient à l'ordre établi qui place canoniquement en tête de la procession langagière l'appareil psychique (version moderne de l’appareil animique de Freud) avec son cortège de laquais et ses chiens de garde.

L'affect n'est pas invité à la fête de l'Esprit. Il n'est pas assez bien élevé. C'est un sauvage, un malappris, grossier, violent, imprévisible, monstrueux, meurtrier, possessif, aveugle, dyonisiaque...On le tient à l'écart, on lui met une muselière de molécules, et quand on le montre, on lui entrave les chevilles et les poignets. L'affect a mauvaise réputation. Il pue. Peut-être bien est-il le clodo de la métapsychologie, mais il a sa dignité et le sentiment des craintes qu'il inspire. C'est son aristocratie à lui.

Bienvenu dans l'enfer de la création.
Bienvenu dans le monde des Freaks

Affect :

Pour être franc, je suis incapable de te dire ce que c'est qu'un affect, de t'en indiquer un dont l'identité serait irréfutable. Sur l'émotion, je pourrais être intarissable. Sur le sentiment, pas trop de problème, quoi que...Mais sur l'affect ?...

Mon idée, c'est que c'est impossible de le définir, parce que l'affect, contrairement à ce qu'en dit Freud, est toujours inconscient, et parce que ce qu'on en saisit, n'est jamais seulement que ce qu'on peut en déduire ou en ressentir à partir de ses effets dans le champ émotionnel ou de ses effets de sens dans le langage, ou de ses effets sur le corps (les symptômes somatiques, les sentiments) ou dans la représentation psychique (les f(ph)antasmes), ou dans celui de l'æsthétique (la création) ; effets de sens qui sont, eux, toujours accessibles à la perception, qui est ce qu'ils appellent la conscience. C'est un autre point de vue. C'est le point de vue qui me permet paradoxalement de travailler avec l'affect, avec le monstre.

L'Affect, c'est le Monstre. Celui qui veut travailler avec l'Expérience Créatrice doit apprendre à travailler avec le Monstre, qui n'est effrayant que dans le phantasme (et d'abord pour l'analyste).

Freud, lui, avait un point de vue exactement inverse à celui-ci, comme quoi l'affect n'est jamais inconscient, que seules ses représentations le sont, après avoir succombé aux charmes du refoulement et avoir été enfermées à perpette dans les geôles de l'Inconscient où elles subsistent d'ailleurs, inaltérées, en tant que représentations psychiques inconscientes, constituantes de ce que les épigones de Freud après lui considèrent être le psychisme inconscient, ce pilier d’argile de la théorie psychanalytique.

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Je t'invite donc à changer de point de vue, pour quelques instants, pour quelques heures, et à regarder le monde interne de tes contemporains sous l'angle du primat de l'affectivité, et de regarder avec moi ce que ça change dans la compréhension des phénomènes de création et de leur accompagnement analytique dans le cadre des Ateliers d'Expression Créatrice.

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Ce que je constate c'est que la notion d'affect suscite une grande méfiance chez les éminences de la psychanalyse : une grande gène chez Freud, nous dit Julia Kristéva (in "Mélanie Klein",Fayard Ed.), un grand mépris chez Jacques Lacan (le "frotti-frotta affectif" comme il dit quelque part). Seul André Green, dans "Le discours vivant", lui a consenti quelques 346 pages bien chargées, même s'il reste dans l'expectative de l'oeuf et de la poule, et quelque peu empêtré quant à son utilisation dynamique dans la cure analytique.

Le mot affect est absent du "Dictionnaire de la Psychanalyse" d'Elizabeth Roudinesco. Il n'a pas de place spécifique dans "l'abécédaire de l'expression" . Il n'y figure, ce qui n'est pas un mince paradoxe, qu' à la remorque du chapitre consacré à la "pulsion", et sous la suspicion de n'être qu'une "idéologie affective ou organiciste en vue d'opérer une mainmise du concept sur le Réel" (pièce rapportée de chez Hégel p.253 par Jean Broustra).

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La notion d'affect reste donc, dans le vocabulaire de la psychiatrie et de la psychanalyse contemporaines - Jean Broustra en est un porte-parole fidèle - une notion, floue, irrécupérable, vaguement associée au système de la décharge émotionnelle, lorsqu'elle n'est pas purement et simplement assimilée à l'émotion. "Il convient de conserver au terme d'affect une définition assez précise qui ne se confonde pas à l'évidence avec affectif, au sens psychologique du ressenti des sentiments ou des émotions'" (Broustra : "abécédaire" p201)...Et pour palier à ce brouillard, Jean Broustra nous renvoie à la très orthodoxe définition du "Vocabulaire de la psychanalyse de Laplanche et Pontalis. C'est ça que je veux dire quand j'affirme que les psychanalystes ont du mal à penser les phénomènes en dehors du cadre de pensée déjà formulé de la spéculation et du
pathos psychanalytiques, et non à partir de l'expérience directe, innocente, telle qu'ils peuvent en avoir l'expérience dans le cadre de leur action , ici, dans l'enceinte de l'Atelier.

Pour préciser tout de même la chose, il nous envoie ensuite chez André Green, autre autorité consensuelle de l'institution psychanalytique. Puis chez Piéra Aulagnier, Deleuze, Guatarri, pour finalement dire que l'affect ne renvoie pas à des scénarii culturels mais "constitue un réservoir inépuisable de formes langagières qui s'efforcent vers de possibles représentations" (p.202). L'affect, un réservoir !

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Structure affective ≠ Système émotionnel

Il me semble tout à fait important de bien signifier que le système émotionnel° est un "système" physiologique homogène distinct de celui de la structure affective, qui possède une fonction régulatrice et immunitaire fondamentale, même si par ailleurs, comme l'ensemble des systèmes neuro-hormonaux dirigeant les émotions et donc les comportements les plus sensibles, il est structuré par les conditionnements affectifs originaires. A moins que ce ne soit l'inverse, au début de sa formation en tous cas. C'est à dire que la mise en place de l'organisation affective est étroitement dépendante de l'interprétation génétiquement établie des signaux relatifs aux premières expériences sensationnelles, pathiques et émotionnelles, satisfaisantes, frustrantes ou traumatiques, vécues par le nouveau-né (l'espace de l'Originaire° selon Piéra Aulagnier).

Tu remarqueras que pour désigner la chose, j'utilise le termes de structure affective, alors que pour les émotions, j'utilise le terme de système émotionnel. Ça nous rapproche de ce dont il est question : l'affectivité n'est pas un système, elle est une organisation, une structure, c'est à dire la façon dont un système, un équipement fonctionnel quelconque de l'organisme, est agencé en vue de promouvoir l'accomplissement de son programme génétique et de préserver son intégrité. Cette structure se met en place à l'aube de l'existence, en lien avec les premières expériences péri-natales.

Ce qui distingue réellement dans sa constitution originaire le champ affectif de l'événement émotif, c'est que dans les résonances émotives du nouveau-né produites par une configuration d'événements donnée, se mémorise la trace des douleurs ou satisfactions éprouvées dans leurs intensités maximales. L'affect est, dans son processus de formation, cet amalgame syncrétique d'émotions aigües, de sentiments et d'éprouvés douloureux angoissants qui configurent ensuite de façon stable le mode de relation/réaction à l'environnement ; qui structure en particulier les patterns émotionnels qui vont constituer les signifiants ( ce que Jacques Lacan appelle le Réel et Piéra Aulaginer l'Originaire). Ce sont les intensités d'excitations douloureuses ou satisfaisantes, pathogènes ou érogènes, qui configurent les structures affectives natives en patterns attractifs ou répulsifs stables.

L'affectivité n'est donc pas une fonction, ni une entité substanciale, c'est une structure.

Pourquoi l'affect est-il victime d'un tel ostracisme, d'une telle ségrégation dans le champ théorique dont il convient de rappeler ici qu'il est encore entièrement dominé par l'idéologie psychanalytique, Lacannienne de surcroît.

La réponse est assez simple. C'est parce que tu n'as aucune prise sur l'affect, que c'est l'affect qui a une prise sur toi. Ce sont les affects qui organisent les structures de la perception, celles de l'activité de représentation et de l'action. Le monde de la pensée est entièrement placé sous la dépendance et le contrôle de l'affect.

C'est pas tenable, tu comprends, de pas pouvoir contrôler omnipotentiellement le monde des phénomènes affectifs par la pensée? Qu'il y ait une instance qui surdétermine entièrement tout ce que tu es capable de te représenter, de penser, de décider ; sur laquelle tu n'aies aucune prise autre qu'illusoire, cela est impensable aux présumés-sachants ! Et pourtant !

Une autre chose bien pénible est que l'affect, le process où il s’origine, échappe à toute saisie directe de la perception, puisque c'est lui qui l'organise.

En réalité, ce qu'ils appellent l'affect n'est pas l'affect. Ne sont accessibles à la perception que les représentations des éprouvés, parfois des agirs suscités par l'affect. L'affect est impensable, hétérogène à la perception. Ce qui ne le rend pas pour autant inexprimable. Et la seule façon de pouvoir commencer à le penser, c'est de le laisser exercer son pouvoir de formation du désir dans la relation intertransférentielle, désir étalonné à l'aune du programme génétique et des obstacles à son actualisation qui gouvernent notre destinée d'êtres vivants.

Les affects ne sont pas ce qu'on appelle les "vécus". Les vécus sont des ressentis formulables. Tout ressenti est formulable. Tous les éprouvés ne sont pas ressentis.

Le changement qui opère dans l'espace analytique ne fonctionne que quand ça parle, c'est à dire quand le verbe est noué à l'affect, et non au moi et au discours. C'est cela que veut dire Mélanie Klein lorsqu'elle insiste pour que soient analysées simultanément l'angoisse la plus profonde et les résistances massées contre sa formulation.

L'affect ne se médiatise pas, il se donne dans une totalisation expressive ou se dérobe. Il est le mouvement d’une force que recouvre le mot "investissement".

L'affect est indemne de toute influence de la part des instances supposées du moi et du surmoi. Il est a contrario ce qui en détermine les modalités repérables.

L'affect n'est pas réductible en soi par la parole en tant que déclinaison de la pensée, mais par l'expérience de l'expression, c'est à dire par la parole en tant qu'elle est expression organismique, expression du corps délié des influences du Moi.

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L'affectivité comme structure est à proprement parler le continent Inconscient. Pas l'inconscient construit de la psychanalyse, constitué des supposés matériaux psychiques refoulés, des contenus de représentation dérobés, mais bien l'inconscient des forces originaires, structurales/structurantes de l’expérience vécue, origine de toute représentation, les signifiants justement, qui, nous dit de façon pertinente Jacques Lacan dans un de ses exposés (livre XI, "l'inconscient et la répétition) : "qui organisent de façon inaugurale les rapports humains, en donnent les structures, et les modèlent".

L'affect est un mode structuré, codé, de facture du lien au monde, établi au moment de la mise-au-monde, et qui se développe comme modalité de l' être-au-monde. Ça a l'air d'une comptine, mais c'est bien de ça dont il s'agit..

L'affect est un manifeste de l'état de la structure de l'expérience de l'être-au-monde et des effets de conscience dont cela s'accompagne. Il connote la perception non-médiate de tout ce qui émerge comme sentiment de la réalisation vitale ou de la menace de mort. Il s'agit d'un codage stable des premiers mode de réaction vitale du nouveau-né aux actions et échanges avec l'environnement néo-natal. Du mode d'investissement des Objets, dont dépend sa survie, qui lui sert d'organe analytique des évènements qui affecteront par la suite son champ vital, et qui structureront ses modes de décision comportementale.

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Pour finir, s'il faut désigner ce que je me représente être concrètement des affects, ces états fondamentaux d'êtraumonde, cela recouvrirait ce que le sens commun appelle le bien-être et le mal-être dans leurs intensités. En termes plus spécialisés on pourra classer comme affects : l'indifférenciation objectale (la symbiose), les états persécutifs, dont la culpabilité (états paranoïdes), les éprouvés d'abandon (la dépression anaclitique), la confusion objectale (dissolution fusionnelle), l'angoisse de dévoration, le morcellement, la destructivité, les éprouvés de proximité de la mort (angoisse)...états dont on remarquera au passage qu'ils recouvrent les phantasmes originaires kleiniens. Tous mouvements marqués par les débats entre amour et haine.

Tous ces états sont, jusqu'à un certain seuil, des états normaux, ordinaires, inhérents à la constitution du Soi au travers des épreuves de satisfaction et de frustration originelles. L'organisme nouveau né est équipé pour intégrer ces fluctuations affectives et pour y trouver la parade et pour en construire progressivement la trame dialectique.

La dyade mère/nourrisson est fonctionnellement, génétiquement programmée, pour permettre l'évolution satisfaisante de ces états affectifs. Ce n' est que lorsque les intensités propres de ces états subjectifs, dues au dépassement de certains seuils d'adaptabilité du sujet, que ces états pathiques deviennent excessifs, pathogènes, pathologiques (états de carence, ou de violence exercée contre le bébé, ou subjectivement ressentis par lui comme tels), que se mettent en place des modes de défense visant à protéger l'expérience subjective du sujet de la destruction, ceux précisément que la psychiatrie organiciste va interpréter comme des maladies mentales et qu' elle va traiter par les molécules et les agressions comportementales.

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Les deux déterminants fondamentaux du codage originel de l'êtraumonde que l'on appelle l'"affect" sont : le plaisir, en tant qu'effet de la satisfaction des besoins vitaux ; et la douleur en tant que marque d'une menace contre l'intégrité de l'organisme.

Les affects "hédoniques" ont pour effet d'ouvrir l'organisme aux échanges avec l'environnement sur les bases de la confiance et du libre échange; les affects "pathiques" (nociceptifs) ont pour effet de les rétrécir, voire de les éviter ou de les empêcher.

Cette organisation inaugurale, est ce qui forme les signifiants originaires. Elle possède une stabilité structurelle dont la fonction est d'assurer la meilleure expression pulsionnelle possible du sujet (ou la plus économique) dans son lien à son environnement. Elle donne à l'expression libidinale sa texture et sa forme. Elle organise les rituels de l'accomplissement des pulsions vitales.

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L'affect n'est ni un signal, ni un processus de décharge, mais ce qui donne au signal conditionnel et à la décharge de la tension leur direction, leur adéquation avec le système d'

En tant que structure, l'affect n'est saisissable qu'au travers du jeu des représentations, quelle qu'en soit la nature: représentations somatiques (symptômes), représentations psychiques, représentations de mots, et ce par où elle nous intéresse ici, dans le jeu de la création °, de l'expression créatrice °

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Affectivité

De la compréhension de la nature, de la genèse et des modes de manifestation de ce que nous appelons l'affectivité dépend en grande partie la compréhension des dynamismes sous-jacents à la vie psychique ; et par contrecoup la compréhension des déterminations de nos options techniques dans le domaine de la pratique créatrice analytique : thérapeutique ou développementale.

En tant qu' elle est structure de l'expérience de l'être-au-monde, l'affectivité ne peut se penser elle-même. Elle ne peut être appréhendée qu'au travers de ses effets de langage (représentations) ou de décharge émotionnelle : catharsis°, ab-réaction°.

L'Affectivité comme ensemble des dispositions structurales, originaires, établit entre l'expérience actuelle ("expériencing") et la perception, une contiguïté infranchissable qui est à l'origine de l'illusion de l'existence d'une instance psychique clivée dont la psychanalyse a rentabilisé et pérennisé la croyance sous le vocable d'"Inconscient", de cet inconscient hypothétique produit du refoulement des représentations psychiques.

C'est dans les moments cruciaux des premières manipulations du nouveau-né que s'instaure une qualité affective qui va s'établir soit selon des modalités hostiles et persécutives, soit selon des modalités d'ouverture et de confiance dans la réalité externe, et/où dans une alternance entre les deux modes. Dans l'un ou l'autre cas, la surface corporelle s'organise soit sur un versant paranoïde, soit sur un versant érogène.

Lorsqu'un besoin primaire n'a pas été suffisamment satisfait, ou a été nié, une "fixation affective" se produit et l'accès à la phase suivante de développement est elle-même surdéterminée par cet affect. Ainsi se met en place le prototype des processus de transfert° : de l'organisation foetale à l'oralité/nasalité ; puis de l'oralité à l'analité et enfin à la génitalité, l'organisme accumule un certain nombre d'expériences affectives dont certaines favorisent la croissance et dont d'autres entravent son libre développement. Dans chaque expérience nouvelle, l'organisme a tendance à redéployer le système d'adaptation antérieur, même si celui-ci est devenu totalement inadapté à la situation actuelle, comme dans l'expérience névrotique. Le libre développement est celui qui réalise la donne génétique dont est équipé le sujet.

Ce que nous rencontrons de l'expérience affective, ce sont ses effets de structure en tant qu'ils se représentent dans le corps, dans le comportement, dans le langage et dans la relation entre les corps, celui des amants, celui du client et celui de l'analyste lorsqu'ils ne peuvent pas s'exprimer dans l'imaginaire et le symbolique....le revers des signifiants retournés dans la parole de l'@utre, pour paraphraser les dits du prophète.

Le Réel est le monde de l'affect.

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L'affectivité n'est pas un nouveau concept instrumental destiné à remplacer l'obsolète appareilà-penser - mais bien une structure, une organisation originelle des expériences douloureuses ou satisfaisantes en patterns stables, qui est ce qui définit son mode d'ouverture au monde, à partir desquelles le sujet recrute de nouveaux espaces internes, par déplacement transférentiel sur des objets homomorphiques de certaines qualités de l'expérience acquise avec les Objets Originaires.

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L'affect n'est donc pas, et ne peut pas être considéré comme une nouvelle entité substanciale qui pourrait combler le vide laissé par Psyché. C'est pour cette raison qu' il ne peut être directement rencontré comme objet de connaissance et ne peut être déduit qu'au travers de ses effets de sens et de langage.

Attribuer à l'affectivité la qualification d'inconscient est pure redondance, car les effets de conscience sont eux-mêmes soumis à la structure. La structure n'est pas un Objet, mais la matrice de la constitution des Objets (des objets affectifs).

La structure, qui configure la perception, ne se peut percevoir elle-même, sinon dans les miroitement langagiers à l'adresse du "Je" qui est son représentant virtuel. C'est pour cela que, en démarque du solde lacanien, je dis que l'inconscient est structuré dans le langage (et non “comme” un langage selon sa formule), et que c'est justement cela qui nous permet de travailler comme analystes, d'être centrés sur le langage comme image, comme représentant de l'affect, et à son impact sur le jeu de nos signifiants d'analyste (d'animateurs d'Ateliers d'Expression), sur notre propre structure affective par où ils forment parole ("L'inconscient, c'est la parole de l'autre" nous répète inlassablement Lacan).

Travailler avec l'expérience affective n'est donc pas une mince affaire, puisque nous n'avons pas d' Objet à nous mettre sous la dent, mais seulement du Sujet, de la structure, et qui plus est de la structure stable, des signifiants rigides s'opposant dans leur principe même à toute entreprise transformationnelle externe, offrant une résistivité automatique à toute tentative transformationnelle hétérogène à son propre projet (la "résistivité" est la propriété d'un muscle qui se contracte de manière réflexe lorsqu'on exerce sur lui un étirement passif). Il va donc falloir s'y prendre autrement, par un autre biais. Et ce biais, c'est le travail de la symbolisation, le travail du langage : L'inconscient - la structure affective - est manifeste dans le langage. A nous de savoir en tirer parti.

C'est ce point de vue qui fonde mon choix déterminé de travailler comme analyste dans les dimensions de la communication corporelle archaïque aussi bien que dans d'autres modalités : en réalité celles qui sont là, dont je n'exclue aucune à priori : émotionnelle (c'est le corps qui représente), psychique (c'est l'imaginaire qui représente), æsthétique (c'est la pulsion créatrice qui représente), les mots enfin (c'est dans le symbolique que ça se représente), voire institutionnelle (c'est dans le jeu crisique des valeurs qui trament l'organisation que ça se représente).

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Dans le cadre que j'instaure, l'itinéraire langagier, offert de manière explicite ou virtuelle, est déterminé par le sujet, et non par les structures langagières assignées par l'animateur/analyste. J'ai choisi une fois pour toutes de ne pas infléchir de quelque façon technique que ce soit la spontanéité du sujet. C'est dans le libre jeu de la décision, dans les processus d'élaboration de l'acte que se représente la structure, par quoi le jeu est significativement opérant de changement.

Tout ce qui s' actualise dans la relation analytique doit être considéré comme représentation, y compris dans la dimension la plus archaïque de toutes, le transfert, c'est à dire l'attachement originaire à l'Objet et les défenses érigées contre son éprouvé, qui est la forme manifeste la plus profonde de la structure affective.

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Affectivité et mémoire

La compréhension de l'organisation affective passe par une théorie de la mémoire et du codage des informations dans les ensembles neuro-hormonaux et dans leur prolongateurs périphériques, les machines musculaires.

Nous savons au jour d'hui que l'image de la mémoire comme "réservoir de souvenirs" (qui est d'une certaine façon celle de la psychologie académique et de la psychanalyse) est inadéquate à décrire les processus mnésiques.

Cette conception analogique de la mémoire est liée à la représentation topique de la métapsychologie freudienne, conçue comme une dynamique des fluides. L'activité neurologique fonctionne sur un mode numérique. La disquette informatique est l'analogon du neurone; la fibre optique l'analogon de la fibre nerveuse. Le logiciel, l'analogon de la structure. L'inscription, provisoire ou durable, d'une information dans le système nerveux, résulte d'un codage particulier des acides aminés et des enzymes constituants du noyau neuronique, et de la modulation des agents neuro-transmetteurs. Ces ensembles bio-chimiques et bio-électriques sont directement soumis aux conditionnements hédoniques ou nociceptifs (renforcement positif et négatif).

Il ressort de ces éléments un certain nombre de choses importantes pour notre propos :

  • La première, c'est que la remémoration n'est pas un processus psychique, mais "un processus neurologique lié au travail de synthèse de l'ensemble des colonnes cellulaires concernées par une unité mnésique" (Delacour J. (1978), Neurobiologie de l'apprentissage, Paris, Masson. Delacour J. (1987),Apprentissage et mémoire, Paris, Masson.) ; elle opère à partir d'un moteur de recherche dans une banque de données électrobioniques dont elle effectue la synthèse sous la forme d'une représentation mentale accessible à la perception.
  • La deuxième, c'est que le mécanisme improprement appelé refoulement (en réalité inhibition de la synthèse) n'est pas non plus un processus psychique comme le postulent les psychanalystes ("Le refoulement peut être considéré comme un processus psychique universel en tant qu'il serait à l'origine de la constitution de l'inconscient comme domaine séparé du reste du psychisme" in Vocabulaire de la psychanalyse, Laplanche et Pontalis, 10° ed. p.392.), mais un processus biochimique. Cette opération est liée au verrouillage biochimique réflexe du travail de synthèse des ensembles cellulaires concernés par une information exogène ou endogène menaçante pour l'organisme, inhibition imposée par un conditionnement nociceptif. (Delacour, Op.cit.)
  • La troisième, c'est que la théorie du conditionnement de base des unités et ensembles cellulaires responsables du jeu des représentations s'applique à l'enregistrement des expériences globales, et tout particulièrement à celui des expériences originaires vécues par le nourrisson ; qu'elle s'applique également aux ensembles comportementaux complexes que le sujet traverse par la suite sous le non d'éducation.
  • La quatrième, enfin, c'est que le système pulsionnel lui-même est "affectable" par voie de conditionnement, en particulier lors des premiers échanges néo-nataux.

Le lecteur attentif aura compris, au terme de ces énoncés, que je dessine une théorie dans laquelle pulsion et affect existent de manière coalescente. Pas plus qu'il n'existe de pulsion pure, il ne se peut isoler d'affect. Ce qui existe, c'est un alliage compact de l'énergie pulsionnelle orientée, tant au niveau de l'intensité que de la qualité, par des expériences affectives déterminantes, à quoi il convient, en dernier ressort, d'ajouter les remaniements introduits par l'élaboration imaginaire que le sujet impose à l'expérience des fonctions corporelles. La notion de "MOTION PULSIONNELLE", créée par Freud, est tout à fait appropriée pour désigner ce qu'il en est, dans l'expérience, de cette fusion de l'affect, de la pulsion et de l'élaboration psychique des fonctions instinctuelles.

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L'affect serait donc selon moi une émotion chronicisée, stable, résultant d'un conditionnement positif ou négatif de la chaîne émotionnelle.

L'affectivité résulterait de la cristallisation stable d'automatismes émotionnels conditionnés dans une chaîne comportementale donnée.

Le développement de manifestations affectives aux lieux et place de réactions émotionnelles appropriées constitue à proprement parler la névrose...

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Investissement affectif

Qu'est-ce que l'investissement affectif ?

Au sens économique, l'investissement, c'est le placement de son capital d'argent ou de pouvoir dans quelque chose qui rapporte des intérêts ou qui assure la pérennité des possessions.

Si l'on accepte cette métaphore, l'investissement affectif, c'est le placement de son capital d'amour ou de haine sur une personne ou une entité substitutive du premier Objet d'amour.

C'est une capacité plastique de l'individu à recréer sur de nouveaux Objets une attache adhésive ou destructive de même qualité émotionnelle que sur ses Objets d'attachement originels. C'est aussi la définition du transfert. Transfert et affect sont indissociables.

Le transfert est une forme affective, la réactivation dans le lien actuel de la structure originaire du lien. L'affect originaire ne se représente pas, il s'active ou se désactive. Il donne ensuite naissance à des formes qui en sont le signe plus ou moins altéré. Mais c'est dans le jeu de son expression directe que le travail thérapeutique opère, par passage d'un illusoire du Moi à un éprouvé tangible du Soi°.

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Expérience affective et expérience créatrice

L'expérience créatrice est l'épreuve bouleversante offerte au sujet humain pour déposer et dissoudre les charges affectives destructrices qui entravent ou menacent son développement, et pour restaurer un fonctionnement affectif positif libre.

Comment le fait de se placer en état de création provoque-t-il ces bouleversements? Quel est-il cet état magique qui déclenche un tel flux de jouissance que les digues dressées contre le libre exercice pulsionnel se desserrent progressivement, parfois brutalement, pour perdre toute raison d'être ? Que se passe-t-il dans l'expérience créatrice de tellement évident du côté de la satisfaction affective profonde pour que la personne qui a commencé à pénétrer dans cet état d'intense æsthésie qui caractérise l'expérience créatrice accepte d'être envahie par ces fragments inconnus, angoissants et douloureux, de sa préhistoire de sujet ?

La réponse en est extrêmement simple : ce qui fonde cette détermination audacieuse, c'est que, dès l'instant où est surmontée la résistance liée au pressentiment de la violence intérieure que le sujet devra affronter, le travail de décharge affective commence. Et le sujet ressent cela immédiatement, et avec une telle acuité, qu'il comprend instinctivement qu'un processus régulateur fiable se met en mouvement. Toute personne qui crée, même en position psychiquement défendue, peut témoigner que lorsqu'elle est "à l'oeuvre", elle est dans une qualité de présence au réel (au réel de sa propre expérience) qu'elle n'atteint que rarement dans la réalité, et qui lui donne la qualité de satisfaction "actuelle" que lui procurerait une pleine satisfaction charnelle amoureuse. A mon sens, il s'agit d'une satisfaction pleinement érotisée dans les zones de l'expérience originaire où le sujet est resté en attente de satisfaction, qui a pour effet immédiat de réouvrir le jeu libidinal. Ceci rend totalement caduque la théorie freudienne de la sublimation.

Seul un afflux libidinal significatif est susceptible d'ébranler en profondeur et de desserrer l'organisation rigide des signifiants puis de réorganiser le jeu affectif sur de nouvelles bases plus satisfaisantes pour le sujet.

Le déclenchement des processus thérapeutiques, de toute dynamique analytique/ thérapeutique, est co-extensif, coalescent, à la déstabilisation profonde des signifiants originaires sous la double poussée de la charge libidinale et de l'angoisse qui y est associée.

Surinvestissement transférentiel et réactivation de l'Eros archaïque sont une seule et même expérience, seule susceptible de défaire le verrou de l'organisation défensive primaire.

La question de l'affect ne peut être traitée séparément de celle de la relation et du lien originaires réactivés dans le transfert. C'est la répétition des jeux d'affect au sein de la séance et non les contenus psychiques induits qui va être surlignée dans le cours du travail analytique et faire l'objet du travail de la translaboration. La possibilité pour le sujet d'affronter dans le surinvestissement transférentiel, les affects sexuels liés à l'organisation prégénitale et que cela soit nommé, surligné par l'analyste autant de fois que cela sera nécessaire pour venir faire forme maîtrisable et perception, est directement producteur d'effets de détoxication et de remaniement tonique de la structure affective.

La personne qui crée est placée dans l'état paradoxal de ressentir simultanément la mise à jour et le déploiement de sa souffrance affective comme un intense soulagement.

Il n'y a pas d'autre réponse à ces interrogations. Et il n'y a pas d'autre possibilité de validation de cette analyse que d'aller s'y exposer soi-même.

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Expression affective et travail analytique

Dans les Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques, l'expression affective médiatisée dans les langages de la création est le ressort fondamental du travail transformationnel (mutagène) de la personne. La très problématique question est celle de la distinction que nous établissons entre processus primaires et processus secondaires, quels que soient les plans de l'expérience sexualisée affectivement engagés dans la relation thérapeutique : symbiotiques ou oedipiens.

Il ne s'agit, bien entendu, en aucun cas de satisfaire aux pulsions primaires, pulsions sexuelles incestueuses ou impulsions destructives du client, mais d'autoriser le libre jeu des manifestations affectives dans l'expérience créatrice expressive, dans le travail de la formulation langagière. Je suis absolument convaincu et déterminé sur ce point, que, sans le déploiement complet de ce jeu affectif médiatisé, qui inclue la satisfaction affective mutuelle du client et du thérapeute, aucune ouverture maturante n'est possible pour le client.

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Je ne pense pas que l'expression vienne de l' affect. L'affect n'est ni un centre d'énergie, ni un épicentre tectonique. C'est un point virtuel . Le processus expressionnel vient de la motion pulsionnelle comme force orientée vers l'état de santé affective et émotionnelle. Pour parodier ce que Freud dit de l'inconscient psychique (du refoulé), je dirai que le sujet de l'affect "cherche à secouer la pression qu'il subit, à se frayer un chemin vers la conscience où à se décharger dans une action réelle" (in "Principe de plaisir et transfert affectif" Essais de psychanalyse). C'est cette pulsion à la décharge affective nociceptive, toxique, dans l'action créatrice que nous allons utiliser de façon explicite, délibérée, dans l'Atelier d'Expression Créatrice Analytique ©.

Lorsque je parle d'expression affective, c'est une manière de ne pas perdre de vue et de prendre en compte l'infrastructure qui détermine la forme et l'intensité pulsionnelles attachées aux manifestations instinctuelles. C'est peut-être cela que je comprends comme étant la notion Lacanienne de "signifiant".

Dans le contrat thérapeutique , il s'agit de travailler avec le sujet à ce qu'il commence à élaborer une possible pensée de sa structure, observée dans la répétition insistante des effets d'affect au cours des séances successives. A ce moment-là, la désignation/description par l'analyste des répétitions comme signe du travail de l'affect prend valeur d'interprétation : non des contenus de l'expression, mais de la structure qui les engendre, et des événements qui en sont à l'origine, conservés intacts dans la mémoire organique et qui viennent immanquablement faire retour : le symptôme vient prendre valeur de signe aux yeux du sujet lui-même. La culpabilité y perd son pouvoir toxique et pour finir se dissout. C'est cela pour moi la détoxication de l'affect.

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Dans sa pratique de la cure, la psychanalyse circonscrit l'aire de l'expression affective à deux modes de représentation : représentation psychique et représentation de mot, c'est à dire l'aire du pensable, à l'exclusion de tout autre mode voué à la géhenne de la résistance. D'une certaine façon, les psychanalystes qui écrivent tiennent l'impensable pour inexprimable (la fameuse amnésie infantile).

Moi, je place l'expression affective multimédiate en position de signifiant-maître. J'ouvre la rencontre analytique à une pluralité de médiations langagières, par où l'exprimé dans la forme æsthétique ouvre au pensable. C'est bien là la marque singulière de ce que j'appelle l'Expression Créatrice Analytique © comme praxis d'ART CRU, où j'offre au client la possibilité d'engager la charge énergétique de l'affect en associant des couleurs, des formes, des odeurs, des papiers, du papier journal, du papier-chiotte, de la ficelle, des tampax, de la colle à tapisserie gluante et légèrement opalescente, des tissus, des mouvements, des sons, des mots, des sentiments, des naissances, des éclats de rire, des sanglots, des funérailles, des parades amoureuses et des danses de Mort, des corps à corps, des rites et des aveux, des explosions de souffrance et d'intenses plongées dans la jubilation.

C'est ce point de vue qui fonde mon choix déterminé de travailler comme analyste dans les dimensions de la communication corporelle archaïque aussi bien que dans d'autres modalités : en réalité celles qui sont là, dont je n'exclue aucune à priori : émotionnelle (c'est le corps qui représente), psychique (c'est l'imaginaire qui représente), æsthétique (c'est la pulsion métamorphique° qui représente), les mots enfin (c'est dans le symbolique que ça se représente).

Dans le lieu que j'instaure, l'itinéraire langagier, offert de manière explicite ou virtuelle par le cadre, est fondamentalement déterminé par le sujet. J'ai choisi une fois pour toutes de ne pas infléchir de quelque façon technique que ce soit la spontanéité du sujet. C'est dans les processus d'élaboration de l'acte et dans le libre jeu de la décision créatrice, que se représente la structure affective, par quoi le jeu est opératoire de changement. Tout ce qui s'actualise dans la relation analytique doit être considéré comme représentation, y compris dans la dimension la plus archaïque de toutes, le transfert, c'est à dire l'attachement originaire à l'Objet, qui est la forme manifeste de la structure affective.

La thérapie expressionnelle ne fonde pas son opérativité sur l'effraction de l'inconscient affectif mais sur l'ouverture de la perception du sujet à ses effets de sens dans le langage, liés à l'abaissement de sa peur et de sa défensivité vis à vis des motions æsthétiques qui se développent de manière irrépressible dans l'expérience authentique de la création.

 

"Si le regard désinvestissait la scène extérieure
pour se tourner exclusivement vers la scène originaire,
il ne pourrait qu'y contempler, sidéré,
ces images de la chose corporelle,
cette force engendrant une image du monde
devenue reflet d'un espace corporel,
déchiré par des affects qui sont à chaque instant,
et totalement, amour ou haine,
action fusionnelle ou action destructive”...

Piéra Aulagnier
"La violence de l'interprétation"

 

Guy LAFARGUE
art-cru.com
Article revisité le 5 Mai 2018