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C'est la faute à Winnicott !

(publié par la revue de la Société Française d'Éducation et
de Rééducation psycho-motrice : "Pratiques Corporelles")

Guy Lafargue

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Si t'es un accro de mes écritures théoriques, t'auras remarqué qu'il y avait longtemps que j'avais pas trempé ma plume pour te cajoler le neurone dans le sens de la mouette [1]. Si par contre tu débarques et que t'as l'esprit à l'affût, bienvenu dans ma pensée buissonnière.

Figures toi que la semaine dernière, mon patron m'a offert une formation permanente avec une nana tout à fait spécifique qu'a bricolé un cabinet de thérapie comme j'en aurais eu besoin à certaines périodes black de mon existence de psychologue dévoyé. Un truc qu'a de la tradition chez les britishs, qui s'appelle "Play-thérapie", qu'est construit comme la caverne d'Ali Baba façon Perrault, selon les principes de mon pote WINNICOTT.

La nana en question s'appelle Vérity Jane [2]. Une dame respectable, une vraie british rigolote, inventive, instable, possédée par son sujet, bourrée d'énergie qui raconte des trucs pas possibles sur les mômes qui se sont fait ramoner leur petite fleur de lotus par de vieux salauds. Elle soigne ces mômes-là avec des peluches, des flaques d'eau, des tas de sable, des crayons de malheur, des coussins de colère, des poupées solubles, des monstres terribles en plastoche, des boîtes à lettres privées, des sanctuaires de papier et plein de zobjets en bois, en ficelle, fil de fer, caillou, coquillages, plumes et tcétéra. Tout ça m'a donné envie de te parler en détail de mon pote WINNICOTT qu'est un vrai phénomène de foire.

Zoparavant, deux choses !

1) Je voudrais te partager un petit bout de mon rêve de théoricien qui est que j'ai satisfaction profonde à permettre aux gens sans réelle culture psy (qui se vivent souvent comme des handicapés intellectuels devant l'arrogance du savoir), à tous ceux qu'ont pas nécessairement craché au bassinet d'une psychanalyse homologuéée (y'a des gens matures) ou qu'ont pas composté leur ticket à l'Université, et qui sont par ailleurs très motivés pour s'engager dans la voie dangereuse de l'expérience créatrice et de son utilisation comme via ferrata vers la pratique analytique [3]. De permettre donc à ceux-là de se munir d'un jeu de représentations claires, basiques, concernant un certains nombre de choses qu'ils vont devoir traverser pendant leur formation intellectuelle dans ma crèmerie.

Connaissances nécessaires sur ce que sont : la vie affective, les processus psychiques, la vie f(ph)antasmatique individuelle et groupale…tous processi (hé oui ! chez les latinos, ça se décline comme ça au pluriel !) qui expliquent en partie (et permettent de mieux comprendre) la façon dont nos contemporains passent de l'état de mammifère à l'état de petits humains. Une sorte de science naturelle de la vie psycho-affective que tu pourras utiliser pour comprendre ce qui se passe chez tes clients lorsque tu les places dans un cadre analytique, ce qui est le cas lorsque tu animes des Ateliers d'Expression Créatrice versus Art CRU. A cet égard, WINNICOTT a bossé pour toi et moi. Il a établi de solides accroches théoriques que je vais te récapituler dès que j'en aurai fini avec les préambules[4]. C'est bien possible que, parfois, t'auras du mal à identifier ce qui est de WINNICOTT et ce qui est de mon CRU. C'est la faute à WINNICOTT. Je fais pleinement confiance aux snippers de l'orthodoxie pour vitupérer contre le caractère subjectif de certains de mes propos et pour redresser la vérité.

2) Je tiens aussi à te donner une clé concernant la ligne directrice de ma propre pensée personnelle à moi, ligne que je poursuis avec obstination depuis lurette, qui te permettra de comprendre pourquoi je m'intéresse autant à ce type : WINNICOTT. Je considère en effet que c'est l'expérience affective qui constitue le centre de toute compréhension des processus de croissance : émotionnelle, intellectuelle, relationnelle et des mouvements de régression du sujet humain. Le corollaire de ce point de vue indiscutableest que la vie psychique est toujours travail de représentation mentale formé en aval et à partir de cette force basique de l'affectivité, comme épiphénomène du travail affectif qui est visé dans toute situation analytique. Ça, c'est la donne majeure de mon enseignement. Si tu te cales pas ça derrière les sinus, tauras du mal à décrocher de la métapsychologie de Pépé FREUD.

La vie psychique n'est pas causale. Elle n'est en aucune façon productrice de sens, mais toujours effet de sens . Cette chose très importante, radicale (radicus dont se privent les adeptes), encore plus subversive aujourd'hui, introduit une démarcation brutale d'avec les systèmes théoriques spéculatifs qui ont fait de la psyché le veau d'or du travail analytique, qui tordent le nez sur les ressources considérables de l'expérience créatrice, les ânes ! Cale toi bien ce truc là entre les sinus : la vie psychique est le fond mental constant dans lequel l'humain puise pour se représenter le lien inconscient qu'il entretient avec le monde dans sa tentative toujours entravée de devenir sujet.

Une fois ceci avoué, faudrait voir maintenant à pénétrer dans le sujet. Croyes bien que je te pousse pas à me lire. Y'a déjà plein d'autres gens respectables que je voudrais pas froisser le surmoi qu'ont écrit des choses très censées et fondamentales sur Donald WINNICOTT. Moi, c'est la pure forfanterie qui me pousse. C'est la faute à ma pulsion otodidacte compulsive à expliquer dans un vrai langage, simple, goûteux, cajoleur, ce que ce type là à fait cadeau à l'humain de base qui a envie de s'occuper de son prochain avec intelligence et sensibilité.

Une théorie pour travailler

Pardonne-moi , mais il me reste encore un truc à t'introjecter au sujet du mot "théorie". Un truc que je répète à la moindre occase, au risque de passer pour un radoteur, mais tu verras, je crois que ça en vaut la peine.

"Théorie" (en anglish "theory") est un mot qui vient du verbe grec "theorein" qui signifie "observer". Une théorie n'est ni une opinion personnelle, ni une spéculation, ni une doctrine. C'est une observation fidèle de certains phénomènes qui apparaissent et se développent dans un contexte donné, construit en vue d'explorer, puis de vérifier, la valeur de certaines hypothèses sur le fonctionnement des choses. C'est un ensemble d'observations portant sur une expérience spontanée ou construite, sur lequel l'expérimentateur/observateur (le théoricien) se livre ensuite à un travail d'élaboration, de réflexion, de corrélations, de formulation d'hypothèses en fonction d'un objectif qu'il cherche à atteindre ou dont il cherche à vérifier ou à valider la pertinence. L'expérience, remaniée par les découvertes dont elle est productrice, constitue le lieu de cette validation. C'est cela qui est désigné par le mot de praxis : ce va et vient entre création du cadre où se développe l'expérience, accompagnement de l'expérience, observations de ses effets, mise à l'épreuve, vérification ou invalidation des hypothèses constituant le cadre, ajustement ou formulation de nouvelles hypothèses et modification du cadre. C'est à peu près cela la démarche scientifique.

Ce que je tenais à te signifier par là, c'est que la théorie n'est pas la chasse gardée des intellos, ni la propriété privée des gardiens de la doctrine de la foi. Être théoricien est à la portée de toute personne engagée dans une action délibérée de recherche de son lien à la connaissance. A la connaissance comme mode d’expérience et à la connaissance comme savoir constitué. Bien entendu, cela est exigeant. Cela suppose une sorte d'éthique de base protégé du narcissisme de vitrine, fondée sur l'honnêteté du processus de pensée et sur la sincérité. Dans le champ de l'expérience créatrice, tu peux apprendre et construire un savoir par l'expérience sans être tenu d'avoir fait quinze ans de psychanalyse, ni même de connaître les théories qui se déchirent dans l'arène corporatiste. L'ouverture à l'expérience, à l'expérience vécue, est la ligne directrice de ce que tu pourras apprendre chez moi si ma démarche rentre en raisonnance profonde avec tes propres préoccupations. Le savoir qui n'est pas construit dans l'expérience ne sert à rien. L'enseignement qui substitue un savoir à l'expérience est dommageable et ne forme que des mounaques.

Dans le domaine qui nous préoccupe - celui de l'expérience créatrice comme pratique métamorphique (transformationnelle) – avec les futurs praticiens d'Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques c'est ainsi que nous procédons : création du cadre (Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques), appel d'offre, immersion des personnes dans les différents dispositifs construits pour traverser l'expérience, élaboration de la "théorie" personnelle de l'expérience vécue et des inductions du cadre, et mises en perspective "théoriques" avec les travaux de recherche faisant autorité dans le champ que nous explorons.

Ce champ s'organise autour des problématiques suivantes : théorie de la formation de la structure affective (bricolage personnel), de la formation de la vie psychique et de ses déterminants affectifs (WINNICOTT), la dynamique de la vie f(ph)antasmatique[5] (Françoise DOLTO, Mélanie KLEIN), la dynamique de la relation interpersonnelle "centrée sur la personne" (Carl ROGERS) et enfin la phénoménologie psycho-affective dans les groupes restreints (Max PAGÈS).

C'est à partir de ces auteurs (et de quelques autres dans leur sillage) dont le cadre de travail analytique croise de façon significative la dynamique de l'expérience créatrice, que je soutiens mon propre travail d'interrogation de l'expérience æsthétique dans les Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques ©. Ce champ "praxique" est celui de l'expérience créatrice, par essence lieu privilégié où viennent en permanence se mettre en tension libératrice vers la représentation les traces des évènements originaires (par définition inconscients) qui ont été source de souffrances ou de traumatismes non résolus, évènements dont l'inscription mnésique est déterminante des liens actuels qui nous relient au monde.

Bon, cette fois, c'en est fini des hors d'œuvre, on peut apporter la pièce de boucherie

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DOCTEUR DONALD
ET MISTER DOUDOU

Donald WINNICOTT était, dans l'ordre : anglais, né en 1896 [6], psychiatre de mômes, tombé dans la marmite psycho-analytique d'un élève de la dénommée Mélanie KLEIN (l'arrière grand-mère de Goldorak) dans les années 1930. Malgré cela, il est mort en bonne santé en 1971, ce qui ne prouve rien, certes, mais tout de même…quand les vivants clamsent dans leur lit avec l'odeur de leurs chaussettes aux pieds, moi, ça me fait du bonheur. On peut pas en dire autant de son copain BETTLEHEIM Bruno qui s'est éteint la mèche au dioxyde de carbone dans un sac de Supermarket en plastique biodégradable; ni celui de Jacques, dit le LACAN, qui s'était inscrit à l'amicale des obsédés du nœud ; ni celui de Pépé FREUD, addict au cigare, tenaillé par un scepticisme insondable et par les effets secondaires de son addiction à la cocaïne…

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D'abord, faut que tu saches que WINNICOTT a été un emmerdeur de psychiatres et psychanalystes intégristes, primo parce qu'il était intelligent et qu'il maîtrisait son sujet, et secundo parce qu'il faisait des psychanalyses d'enfants à quatre pattes dans ses cabinets. WINNICOTT était pédopsy et, comme le rappelait volontiers feu le pape Benoît 16 (au 16° on ne répond plus de rien), faut pas confondre pédopsy avec pédéraste. Par les temps de pédophiles qui courent, ça mérite un coup de chapeau. Puis après, dans les années 1930, allaité à la mamelle Kleinienne, il est devenu psychanalyste. Et tout en rafistolant l'armure freudienne pour la rendre compatible avec son amour des enfants, il a observé et gambergé une théorie et une pratique du travail analytique placées sous le signe du jeu et de la créativité.

WINNICOTT, c'était pas un homme préoccupé de chefferie. C'était un homme de terrain, une sorte de poête dans le monde grégaire des psy : inventif, libre, critique, rebelle aux hégémonies intellectuelles du temps. Il ne cultivait pas l'ésotérisme dans les carrés mondains. Ce n'était pas un de ces ronds de cuir de la pensée qui ne connaissent les choses de l'expérience que par ouïe lire. Curieux, généreux, confiant dans l'orientation créatrice profonde des zêtres humains. Empêcheur de conceptualiser en ronron, il prenait à l'évidence un profond plaisir à construire une pensée claire et incisive à partir des enseignements de l'expérience clinique dont il modelait la matière au gré de ses intuitions. Un homme qui faisait confiance dans l'expérience. Il était grave, profond et plein d'humour pour parler du jeu analytique, et d'une simplicité exemplaire pour analyser les tragédies à l'œuvre dans l'espace thérapeutique.

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LE BÉBÉ N'EXISTE PAS

De l'indifférenciation primordiale
à la perception du monde

Un beau jour de purée de pois (pea soup), alors qu'il s'adressait au parterre éclairé de la Société British de Psychanalyse, il dit cette phrase absurde comme quoi "le bébé n'existe pas". Il veut dire par là que ce qui existe, c'est un nourrissonmère, un truc homogène, inséparable, incompréhensible autrement que comme cette chose affective protoplasmique qu'il appelle une "dyade". Ça veut dire concrètement que pour le nouveau né, ce qui existe au début, c'est pas une mère et lui, c'est un monde sensationnel bouche/sein, sans discontinuité. La bouche et le sein sont un même objet/lieu/matière. Les psychanalystes de salon appellent ça "l'Objet a"…prononcer "petit a"). Cale toi bien ça dans le cortex préfrontal, parce que cette expérience là est à la source de tout ce qui va t'arriver de divin et d'infernal par la suite, dans ta tentative de devenir.

Au début, pour le nouveau-né, le monde tel que nous le percevons n'est pas encore constitué, sinon sous la forme indifférenciée d'évènements sensoriels/sensuels/ émotionnels/affectifs. Il n'y a pas de perception, pas d'écart par où commence à se former l'idée d'un autre. L'idée de Mémélanie [7] qu'il y a un "Moi" dès l'origine est du bidon. En particuliers, le bébé ne perçoit pas une mère à l'extérieur, pas plus qu'il n'est capable d'identifier des évènements internes. Sa Majesté Bébé existe dans une continuité d'être bouche/sein (et dans toutes les extensions de ce mode primordial de satisfaction vitale). Il réagit à tous les stimuli internes et externes sur un mode instinctif (sur un mode affectif pur) sans en distinguerer une provenance.

Le problème qu'il a à résoudre est de passer de cet état symbiotique, quasiment hallucinatoire, de totale dépendance à l'Objet, à l'état de sujet relié à l'Objet (interdépendant).

Pour pouvoir faire ce passage, cette transition de la symbiose à l'individuation, le petit mammifère humain va devoir travailler à transformer ces expériences hallucinatoires (protopsychiques) en représentations psychiques organisées et en activité de penser. Le jour où t'as pigé ça, t'as compris l'essentiel de ce qui a conditionné ton destin jusqu'au trognon. C'est ce passage de la sensation au symbole que WINNICOTT a appelé les " phénomènes transitionnels". Transition du Réel [8] (le monde des sensations et affects originaires) vers le Symbolique (la pensée en mots) via l'Imaginaire (la pensée en images).

La boîte à outils conceptuels

Les anglais ont un atout linguistique qui plaide en leur faveur : pour signifier le caractère actuel (actionnel) de la réalité désignée par un mot, ils le déclinent au participe présent en y ajoutant le suffixe "ing". Par exemple le mot "play", qui désigne à la fois le verbe "jouer" ("to play") et le nominatif "jeu", se transforme en "playing" (le jeu) qui signifie l'acte, la participation présente, le processus lui-même de jouer, dans sa dimension d'actualité vécue. La transformation de "jouer" (to play) en "jouant" (playing) vient surligner le caractère d'actualité dynamique à l'œuvre dans ce dont il est question : ainsi en va t'il de :

"expériencing" pour désigner le processus de ce que moi je traduis par "expérienciation"; et des autres termes forgés par WINNICOTT : " holding" (le portage du bébé), "handling"(les manipulations du corps pendant les soins physiques), "object-présenting" (pour désigner le don du sein, puis de tout ce que la mère apporte au bébé). La langue française utilise aussi cette forme grammaticale ("étudiant") où la redécouvre lorsqu'elle parle de l' "analysant" pour désigner l'acteur du travail analytique.

Y'a un autre truc linguistique qu'on partage avec les britishs selon que ça t'arrange l'inconscient : sur un même mot/concept dans l'une des deux langues, t'as deux mots dans l'autre qui désignent des nuances qualitatives parfois tranchées. Par exemple :

- Les anglais ont deux mots "play" et "game" pour le même unique mot français "jeu" (play = jeu spontané, game = jeu à règles), " care" et cure" pour le mot "soin" (cure = soin médical, "care" = attention portée à la personne, au sens de "prendre soin").

- A partir du verbe "créer" (to create) et du même nom dans les deux langue "création", les français possèdent deux adjectifs "créateur" et "créatif" alors que les anglais - me semble t'il - n'en ont qu'un, le mot "créative" qui se substantifie en " créativity", que l'on retrouve également en français ramené de façon ambiguë au mot "créativité".

Tu te demande bien où je veux en venir ? J'y viens.

En définissant l'Art CRU (Expression Créatrice Analytique) comme praxisd 'évolution de la personne et comme "modèle" proposé à l'identification, dans le cadre d'une formation de praticiens, j'ai nécessité éthique à définir avec clarté le champ conceptuel singulier conquis à partir de trente années d'expérienciation de ce cadre spécifique posé dans la Charte des Ateliers d'Art CRU.

Ce cadre et les dispositifs qu'il met en jeu, est entièrement différent de celui de disciplines voisines : essentiellement celui de la psycho-analyse freudienne, de ses variantes orthodoxes ou dissidentes, de ses dérives (la psychanalyse appliquée); et celui des courants comportementalistes, syncrétiques, fondés sur les manipulations arthopédiques du jeu (game) . Ses effets en portent la marque singulière et constituent un champ théorique singulier.

La "créativité" est un de ces concepts-valise revendiqué pour justifier toutes les dérives de la psychanalyse appliquée, de la psychiatrie comportementale et de certaines (pas toutes) méthodes d' "arthérapie créative" qui n'ont pour autre visée que de masquer le caractère syncrétique et comportementaliste de ces pratiques de la résistance à l'expérience créatrice. Ceci ne s'applique pas à mon pote WINNICOTT

L'activité créatrice primaire

Peut-être tu comprends mieux maintenant où je voulais en venir avec ma gymnastique linguistique : à préciser mon point de vue singulier comme quoi le mot français "créativité" repose sur des sables mouvants et qu'il n'est pas en mesure de rendre compte de ce que WINNICOOT et ses traducteurs français nomment (à tord) "la créativité" (le "creating").

"Être créatif" n'est pas nécessairement être "créateur" au sens Winnicottien (en tous cas, pas au mien). A preuve cette immense étendue de désolation esthétique que l'on a appelé "l'Art contemporain" (des années 1960 aux années 1990…art ex-contemporain qui traîne encore aujourd'hui ses casseroles). Cet art consumériste surmédiatisé et mercantile, lorsqu'il fait preuve de beaucoup de créativité, demeure bien souvent totalement dénué de ce travail intérieur de l'expérience créatrice. A preuve du contraire, la vitalité de l'extraordinaire aventure de l'Art BRUT conduite par le peintre Jean DUBUFFET, dont la marque majeure reste une fabuleuse inventivité, une totale et permanente singularité, et une incapacité aussi totale à assimiler le monde et à développer un Soi intégré dans le jeu de la création. Ceci s'applique bien évidemment à beaucoup d'artistes culturels, géniaux ou non, dont l'œuvre échoue à réaliser cette intégration du Moi dont l'expérience créatrice est le vecteur essentiel. Aussi, je propose de recourir à l'équivalent tonique de ce que serait le terme "creating" signifié dans son acception dynamique par le terme français "expérience créatrice", pour désigner ce dont il est question lorsque nous parlons des processus créateurs tels qu'ils se développent dans l'Atelier d'Expression Créatrice. De même je remplacerai systématiquement ici la traduction de "pulsion créative" par "pulsion créatrice" (je l'ai personnellement nommée " pulsion métamorphique". Je prétends ainsi marquer une fidélité sans faille à WINNICOTT (manière de pas fricoter avec les tentations syncrétiques de l'arthopédie).

Ceci dit, WINNICOTT utilise deux termes pour désigner cette zone particulière de l'expérience somato-psychique concernant le travail de la création subjective. Il utilise les termes d'activité créatrice primaire pour désigner la capacité de l'organisme du petit humain d'ouvrir dans sa propre expérience intérieure un monde de représentations des liens qu'il construit avec son environnement, et, en particulier, au début, avec le sein, puis avec sa mère comme personne entière et séparée, enfin avec l'environnement et l'expérience culturelle.

Pour WINNICOTT, l'expérience créatrice primaire est le processus lui-même du travail de construction psycho-affectif inhérent à la séparation réussie, c'est à dire à son acceptation constructive sans angoisse majeure invalidante.

La fondation de ce processus nous est donnée par cet évènement extraordinaire dont personne ne conteste la légitimité, qui est que, de manière ordinaire, quand le nourrisson se réveille en proie au besoin de recevoir de la nourriture, la mère est là qui lui donne le sein. Si bien que lorsque cette opération se renouvelle de façon satisfaisante, le bébé commence à former un sentiment comme quoi la tension orale (où toute l'énergie se concentre) donne forme au sein nourricier. Le bébé crée le sein là où existe un sein qui est trouvé. Cela tient évidemment à ce que le nouveau-né vient au monde sans aucune référence préconstruite. Il ne peut pas interpréter le monde tant qu'il n'a pas appris le code affectif qui le lie aux réponses de l'environnement. Il ne peut seulement qu'être traversé de sensations inconnues qui vont progressivement se constituer en un capital affectif associé à des formations psychiques encore inorganisées que l'on appelle phantasmes, de nature hallucinatoire. L'expérience psychique originaire (phantasme) est chaotique, insensée. Elle est le pur reflet des expériences somato-affectives pour lesquelles n'est pas encore constitué un logiciel organisateur de perception. Et la mère est là, à la place justement où le nouveau-né a exactement besoin qu'elle soit, porteuse, contenante (elle réactive le sentiment foetal par sa tendresse) et donc détoxicante des angoisses de mort originaires.

Pour expliquer ce processus, WINNICOTT nous dit que très tôt dans son développement " le petit enfant, dans un certain environnement fourni par la mère, est capable de concevoir l'idée de quelque chose qui rencontrerait le besoin croissant suscité par la tension instinctuelle ".

De ce "paradoxe" du "trouvé/créé", qui est fondamentalement acte de création, découle l'instauration de ce que WINNICOTT appelle le sentiment d'omnipotence, c'est à dire un processus d'illusionnement selon lequel le nourrisson expérimente que le désir crée et contrôle l'Objet de la satisfaction. " L'adaptation de la mère aux besoins du petit enfant donne à celui-ci l'illusion qu'une réalité extérieure existe qui correspond à sa propre capacité de créer ". WINNICOTT ajoute que subjectivement, " Il n'y a pas d'échange entre la mère et l'enfant. Psychologiquement, l'enfant prend au sein ce qui est partie de lui-même, et la mère donne du lait à un enfant qui est partie d'elle-même ". Il ajoute que cette expérience de l'omnipotence est nécessaire au nourrisson pour installer dans son expérience subjective un sentiment stable de la fiabilité de l'Objet (l'Objet = le sein = la mère).

Après l'installation du premier grand marqueur affectif qu'est l 'expérience de la naissance, se met en place ce second marqueur affectif qui doit permettre au nourrisson de se préparer à découvrir que le sein/bouche est un Objet instable, volatile, que l'Objet/mère a une vie indépendante, et qu'il va commencer à se ressentir lui-même comme être séparé.

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A la différence de l'expérience créatrice primaire, qui est un processus psycho-affectif structurant, maturant, la créativity (l'expérience créatrice) est un concept servant chez WINNICOTT à désigner une disposition générale des organismes humains : " Il s'agit d'un mode créateur de perception qui donne à l'individu le sentiment que la vie vaut la peine d'être vécue".

Une des fonctions de la créativity est de "permettre à l'individu l'approche de la réalité extérieure", de passer de l'expérience subjective totale à l'expérience subjective/objective partielle. Cette fonction "est inhérente au fait de vivre". C'est cela qui intéresse fondamentalement WINNICOTT, ce travail qui permet de passer d'une totale subjectivité à la perception partiellement objective du monde. Ce qui s'oppose à la créativité, " c'est une relation de complaisance soumise enversla réalité extérieure : le monde et tous ses éléments sont alors reconnus, mais seulementcomme étant ce à quoi il faut s'ajuster et s'adapter. La soumission entraîne chez l'individuunsentiment de futilité associé à l'idée que rien n'a d'importance ". A cet endroit de sa réflexion WINNICOTT ouvre une question particulièrement intéressante pour nous concernant le processus de la perception. Il dit littéralement ceci sous forme de constat que : "Ce qui est objectivement perçu est, jusqu'à un certainpoint, subjectivement construit". En clair cela veut dire que ce que nous croyons être objectif dans notre rencontre avec la réalité est jusqu'à un certain point fondé sur une construction subjective, sur une illusion, maximale au départ de l'existence.

Pour conclure sur ces variations, je résumerai quelques autres incisions de la pensée de WINNICOTT sur la créativity en soulignant en particuliers celles-ci qui s'adressent plutôt à ses collègues, comme quoi les psychanalystes se sont trompés en abordant la question de la créativity sur son versant anamnétique, c'est à dire de la reconstruction historique poursuivie comme but. Il note, avec beaucoup de délicatesse, que FREUD, entraînant ses disciples à sa suite, se fourvoyait lorsqu'il axait son investigation sur l'œuvre d'artistes célèbres et sur l'anecdotique reconstitution de leur histoire infantile. Ce faisant, affirme WINNICOTT, c'est le processus lui-même de l'expérience créatrice qui est perverti, et sa fonction primaire d'intégration du Moi qui est manquée, parfois de façon tragique par les artistes. WINNICOTT pense et exprime clairement l'opinion selon laquelle la quête artistique est une impasse pour la constitution du sentiment de soi.

Processus de maturation : le Moi
La tendance innée à l'intégration du Moi

Ce que WINNICOTT appelle le Moi n'est pas une entité concrète. Selon moi, le Moi est un phénomène lié à la construction de ce processus qu'on appelle la perception : "être conscient de…". Le "Moi" est à proprement parler une expérience de rassemblement d'éléments hétérogènes d'évènement vécus, éprouvés/ressentis et progressivement intégrés en une unité dont se dégage et s'éprouve le sentiment d'être (" le narcissisme primaire ou primordial"). Le Moi est une qualité du sentiment d'être rapportée aux évènement vécus qui permet au bébé de commencer à se différencier d'un non-moi, de s'éprouver dans un continuum d'être hors de l'emprise de l'@utre/le sein/la mère. L'expérience du moi a trait à la conscience/perception d'un ensemble d'éprouvés et de représentés dans la réalité ou dans l'imaginaire.

A la théorie des psycho-analystes qui postulent que le Moi est en place dès le début de l'existence (Mélanie KLEIN) et qu'il a une fonction défensive contre les pulsions destructives, WINNICOTT oppose une thèse comme quoi le Moi n'est pas encore constitué à la naissance, qu'il est l'aboutissement d'un travail de maturation affective. Le Moi se forme progressivement comme instance intégratrice. Et il énonce ce paradoxe que " le début, c'est le moment où le Moi commence" [9]. Avant, il n'y a que le chaos. Il ajoute que la formation du Moi est tributaire de la qualité des soins maternels par où seulement le bébé peut devenir une personne distincte. C'est ce processus que WINNICOTT appelle "la personnalisation", par lequel le nouveau né devient une personne.

Comme Carl ROGERS, WINNICOTT a une vision positive du développement humain, appuyé sur un concept de la santé mentale corollaire d'un développement affectif normal. Mais il assortit cette orientation normale vers la santé d'une condition : que la relation dyadique entre la mère et l'enfant soit d'une bonne qualité. Le développement de l'intégration du bébé dépend de la qualité "suffisamment bonne" des soins corporels apportés par la mère. Dans le cas inverse, le bébé est plongé dans des expériences affectives qui peuvent compromettre gravement son processus de maturation et de développement. " La santé correspond à la maturité" nous dit WINNICOTT. Si l'on considère que le Moi est l'aboutissement de la capacité du bébé d'agréger l'expérience disparate en une unité subjective, et que cette unité résulte effectivement d'une interdépendance satisfaisante de la mère et du nouveau né, tout manquement pathologique de la mère au soutien du bébé compromettra le processus de sa maturation et provoquera une désagrégation du sentiment d'être une unité ("la dépersonnalisation"), inaugurant la mise en place de défenses puissantes contre les éprouvés "impensables" d'une "non-intégration" des fragments affectifs. WINNICOTT explique que dans cette situation de carence des soins maternels, le bébé recours à un mode de protection par la "désintégration".

Lorsque l'organisme du nouveau né ne rencontre pas des soins adéquats, il est traversé par des angoisses brutes, "inimaginables", sans signification. Inimaginables parce que le bébé ne dispose pas encore de la fonction imageante (imaginaire). Tout se passe alors comme si la programmation génétique de la dynamique pulsionnelle est invalidée par l'environnement et que l'organisme déclenche des signaux de détresse , manifeste d'une angoisse de mort. Contre ce sentiment originaire, le seul recours que l'organisme a à sa disposition pour se défendre est la "désintégration", c'est à dire la régression par désagrégation et dispersion des éléments constitutifs de l'expérience néo-natale.

WINNICOTT écrit ceci :

" Le terme de désintégration est utilisé pour décrire une défense qui est la production active du chaos pour se protéger contre la non-intégration en l'absence du soutien du Moi maternel, c'est à dire contre l'angoisse archaïque ou inimaginable qui résulte d'une carence dans la manière de porter le nourrisson au stade de la dépendance absolue ". WINNICOTT ajoute que " la production du chaos a l'avantage d'être produite par l'enfant et donc de ne pas dépendre de l'environnement. Il est dans la sphère de l'omnipotence du nourrisson. En termes de psychanalyse, il est analysable, alors que les angoisses inimaginables ne le sont pas." Bien que cela ne soit pas à ma connaissance indiqué, ce dont il est question dans ces angoisses inimaginables (littéralement qui ne peuvent pas être représentées en "images", qui ne peuvent donc pas être élaborées) ce sont des éprouvés de l'imminence de la mort.

La théorie du " self "
Le Soi et le faux Soi

Ce n'est pas très commode de comprendre la théorie du "self" et du faux self" telle que WINNICOTT l'enseigne. J'ai du mal à distinguer chez lui le concept du Soi de celui du Moi. Il m'est plus facile de comprendre le fonctionnement du faux-self que celui du self. C'est d'ailleurs dans cet ordre qu'il aborde ces deux concepts. Globalement, le faux self, négation du Soi, se met en place et se développe chez le nourrisson et le jeune enfant pour faire face à la carence des soins maternels. Dans la position de totale dépendance où il se trouve, le bébé qui fait l'expérience réitérée de l'arbitraire maternel dans les réponses que donne sa mère à la satisfaction pulsionnelle de ses besoins vitaux renonce à s'exprimer spontanément et développe un comportement mimétique de soumission et de passivité. Il s'identifie à cet Objet défaillant et instable. En quelque sorte, il s'adapte à sa mère pour tenter de conjurer les effets affectifs destructeurs de sa défaillance excessive pour protéger son vrai "self".

Cette pensée est très importante car elle est porteuse de la confiance selon laquelle non seulement le vrai self continue d'exister sous l'organisation défensive, mais encore qu'il est acteur (désespéré) dans cette stratégie de survie, recours de dernière instance pour être sujet. C'est même cela qui est porteur de l'espoir "thérapeutique", comme quoi la désincarcération du faux-self est possible si le sujet "as if " ("comme si") a la chance de pouvoir rencontrer et utiliser un cadre suffisamment contenant (holding) et symboliquement nourricier pour entreprendre cette aventure. A la condition qu'un cadre de cette nature puisse être "trouvé". Si nous sommes capables de concevoir un cadre analytique qui permette au sujet de régresser, c'est à dire de revenir dans l'état originaire contemporain des expériences pathogènes, ce sont les conditions du paradoxe inaugural du "trouvé/créé" qui pourront être réamorcées et donner lieu à tout le travail de représentation de l'impensable originaire et de son élaboration.

L'idée majeure et très simple de WINNICOTT est que le nouveau né développe un vrai "self" lorsqu'il est en mesure de donner libre cours à sa spontanéité, c'est à dire, au fond, aux comportements originaires tels qu'ils se développent dans leur confrontation à l'environnement néo natal, et de manière essentielle au comportement de soutien de la mère. C'est cette adaptation optimale de la mère au début de la vie du nouveau né qui va instauré en lui un sentiment de confiance dans l'expérience, et un sentiment d'omnipotence nécessaire pour qu'il puisse s'engager sans réticence majeure dans son travail de détachement de la mère vers l'autonomie. Le vrai "self" se développe lorsque "le bébé commence à exister et non à réagir".

" La mère suffisamment bonne répond à l'omnipotence du nourrisson et, dans une certain mesure, elle lui donne une signification, et ce, maintes et maintes fois. Par l'intermédiaire de la force que donne au moi faible du nourrisson l'accomplissement de ses expressions d'omnipotence, un vrai "self" commence à prendre vie ." …" A partir de ce moment là, le nourrisson commence à croire en la réalité extérieure qui apparaît et se comporte comme par magie"…"A partir de là, le nourrisson peut progressivement renoncer à l'omnipotence"…"La mère qui n'est pas suffisamment bonne n'est pas capable de rendre effective l'omnipotence du nourrisson et elle ne cesse donc de lui faire défaut au lieu de répondre à son geste. A la place, elle y substitue le sien propre, qui n'aura de sens que par la soumission du nourrisson. Cette soumission de sa part est le premier stade du faux "self" et elle relève de l'inaptitude de la mère à ressentir les besoin du nourrisson".…"Une partie essentielle de ma théorie repose sur l'idée que le vrai "self" ne devient réalité que s'il résulte de la réussite répétée de la mère lorsqu'elle répond au geste spontané ou a l'hallucination sensorielle du nourrisson"."Le vrai "self" est spontané, et les évènements se sont accordés à cettespontanéité. Le petit enfant peut commencer à jouir de l'illusion de la création et ducontrôle omnipotents. Par la suite, et peu à peu, il devient capable de reconnaîtrel'élément illusoire, le fait de jouer et d'imaginer. C'est là que réside le fondement du symbolequi, tout d'abord, est à la fois spontanéité ou hallucination de l'enfant, et aussi objet externe crééet, en fin de compte, investi"… " Dans le cas où l'adaptation de la mère aux hallucinations spontanées et aux pulsions spontanées du nourrisson est déficiente, n'est pas suffisamment bonne, le processus qui aboutit à la capacité d'utiliser des symboles ne débute pas (où il se rompt, ce qui entraîne un repli correspondant de la part du nourrisson vis à vis des acquis de l'expérience ".

"Le vrai "self" est la position théorique d'où provient le geste spontané et l'idée personnelle

Le vrai self provient de la vie des tissus corporels et du libre jeu des fonction du corps. Il est étroitement lié à l'idée du processus primaire…Le geste spontané est le vrai "self" en action. Seul le vrai self peut être créateur, et seul le vrai "self" peut être ressenti comme réel…Le vrai "self"' ne fait guère plus que rassembler dans ses détails l'expérience liée au fait de vivre ".

La transitionnalité
Les phénomènes transitionnels

De Télérama à Marie Claire en passant par "l'Humanité dimanche" et "Doudou sans frontière", le concept d'objet transitionnel est devenu un phénomène de foire. Si tu parles de bébémaman, il est de bon ton de faire état de la Chose. Bien entendu cette absorption sociologique du mot dans les savoirs médiatiques ne garantie pas du tout que l'on parle de la chose élaborée par WINNICOTT. Ce concept est soumis, depuis quelques années, à une utilisation syncrétique, abusive et inflationniste, qui a surtout pour effet une érosion théorique destinée à le vider de son potentiel subversif quant à la redéfinition d'un cadre analytique impliquant de la part du thérapeute un travail dans la communication symbiotique intertransférentielle. Comment le petit mammifère humain s'y prend-il pour réussir cette performance ordinaire ?

Le premier objet possédé

Comment le bébé passe t-il du sein (objet/moi) à l'objet possédé (le doudou) ? Comment d'effectuent les expériences progressives de passage/transfert du sein/bouche au non-sein, à la succion des doigts puis à l'investissement d'objet ?Comment se forment " la première possession et l'aire intermédiaire qui se situe entre le subjectif et ce qui est objectivement perçu" , moment où un objet de la réalité est associé à la mémoire de la mère satisfaisante ("suffisamment bonne") ?

L'aire intermédiaire d'expérience

Cet espace conceptuel "se situe entre le pouce et l'ours en peluche, entre l'érotisme oral et la véritable relation d'objet, entre l'activité créatrice primaire et la projection de ce qui a été introjecté ", en une zone de l'expérience vécue (un espace/temps concrètement occupé par l'activité de jouer) qui n'est ni franchement située à l'intérieur, ni franchement extérieure. Entre soi et non-soi. C'est un mode d'expérience (expériencing), un processus en cours de déroulement dont la visée dynamique est d'instaurer un espace interne où se représentent les objets externes comme condition de possible détachement/décollement de la sensation. Au début, le monde est ressenti/vécu au travers de sensations, d'émotions et d'affects. L'expérience vécue à l'origine est celle d'un continuum mère/nourrisson dans lequel l'objet et le sujet sont indifférenciés. A la fin du processus d'individuation, le monde existe à l'extérieur du sujet, qui est devenu capable de le percevoir comme extérieur aux sensations qu'il lui procure.

Comment le petit mammifère humain s'y prend-il pour réussir cette performance ordinaire qui va organiser et domestiquer sa capacité de penser le monde de telle manière qu'il surmonte les challenges affectifs entre l'épreuve violente de la naissance, le moment où il s'attache indéfectiblement au sein et le moment où il peut considérer sa mère comme une personne entière extérieure à ses besoins et à son désir ? Comment le bébé passe-t'il de l'objet/moi/sein indifférencié à l'objet possédé (le doudou) puis abandonné ?L'apport singulier et fondamental de Winnicott à la théorie du développement de lavie psychique (la psychogenèse) est d'avoir inventé la notion de transitionnalité et de la phénoménologie qui s'y attache.

L'aire des phénomènes transitionnels est cet espace/temps intermédiaire entre :

  • d'une part, le moment où le nourrisson est assigné au jeu des pulsions primaires, en particulier lorsqu'il est soumis au jeu de la sensualité orale (siège privilégié de l'érotisation primaire), à celui des sensations liées au portage (holding) et à l'ensemble des manipulations (handling) liées aux soins corporels,
  • et d'autre part, le moment où il est devenu capable de maîtriser le langage verbal,c'est à dire la pensée et la représentation de mot.

La "transitionnalité" c'est un ensemble de comportements liés aux tendances maturantes innées du bébé vers l'autonomisation, qui aboutissent à la formation d'une image interne stable de la mère en son absence et dissout ou neutralise les états d'angoisse . Dans cette négociation, l'image "transitionnelle" se constitue en représentant d'un ensemble de sensations coalescentes à la mère et au bébé, et ce, grâce à la médiation d'un objet, l'objet transitionnel, sorte d'interface affecté des qualités sensibles communes à la mère et au nourrisson, en particulier tactiles, olfactives et gustatives. La mère est représentée au travers d'une relation affective empreinte sur des sensations partielles incorporées à l'objet élu. Cet objet est donc pour le nourrisson un passeur de l'état où il est confondu avec le sein à un état où il est affectivement relié au sein par des images buco/tactiles/olfactives/sonores/visuelles incarnées dans l'objet nommé pour cette raison transitionnel. Cette image fonctionne parce que là où se cristallise une angoisse des perte, elle réinstaure un état de sécurité émotionnelle. L'objet

transitionnel est le premier objet affectif réellement extérieur. Il est contemporain d'un possible détachement du corps de la mère. Il ouvre un espace interstitiel entre elle et lui qui va favoriser le jeu de l'organisation psychique comme représentant de la relation charnelle en voie de désintégration. Ce truc là est une vraie merveille créée par le Dieu pour se faire pardonner toutes les saloperies qu'il a placé sur le chemin de la créature.

Image , donc, coalescente de la naissance à la vie psychique, à la formation des premières images psychiques dynamiques (dynamiques par rapport au processus de formation des phantasmes originaires, eux-mêmes syncrèse [10] d'images passives). Au terme du processus transitionnel, l'image de la mère va fonctionner comme représentation de la mère en son absence. C'est le processus de formation du symbole et de l'Imaginaire qui est ainsi mis en mouvement, et qui va conduire le jeune enfant (que l'on ne peut plus considérer alors comme un bébé) du statut dyadique à l'individuation.

Ce processus s'engage très tôt, à partir des décalages, des défaillances, des absences, des séparations avec la mère. Tout ce travail du désillusionnement et de l'acceptation de la séparation va conduire câlin-caca le petit enfant à détartrer sesadhérences mammifères pour accéder bientôt à l'ordre humain du langage et de la relation à la Loi ordinaire qui est de renoncer à la jouissance originaire (foetale/orale) comme mode exclusif de relation à l'Objet, dans le jeu de son élargissements aux modalités ultérieures de jouissance (anale/génitale/oedipienne). Ça veut pas dire que tu te coupes les couilles (la "castration" comme ils disent) mais que tu investis l'énergie originaire acquise pour toujours, dans les autres zones qu'ont pas encore été domestiquées. La conquête de chaque nouvelle modalité de maîtrise des organes de la satisfaction pulsionnelle (l'érogénéisation) supposant la renonciation à la fixation exclusive sur l'une ou l'autre de ses modalités antérieures. En gros, c'est comme quand tu construis une bicoque : tu construis d'abord les fondations, puis ton appart'. Quand t'es pas trop fauché tu aménages un grenier, et tu installes le Toi. Enfin, le Moi, qu'est l'instance abstraite (le logiciel) qui organise la gestion de l'ensemble. C'est u peu tordu comme métaphore !

On pourrait résumer les choses de la façon suivante : La transitionnalité est cette période fondatrice de l'individuation et de la subjectivité où le nourrisson humain passe du statut de mammifère au statut d'enfant humain en passant successivement par les étapes suivantes:

  • Symbiose / indifférenciation du Sujet et de l'Objet (érotisme[11] foetal).
  • Confusion du Soi et de l'Objet.
  • Sensation/sensualité originaire (érotisme oral). Imago.
  • illusionnement primaire.
  • Expérience de l'omnipotence. Construction des fondements de la subjectivité.
  • Premières expérience de désillusionnement et transfert affectif de la sensualité originaire lié à la satisfaction tactile/orale/ olfactive sur un objet chargé des qualités sensuelles du corps maternel et de celui du bébé, désillusionnement dont la fonction est transitionnelle.
  • Jouissance d'Objet. Début du symbole.
  • Première possession "non-moi". Transfert des propriétés de l'image transitionnelle sur une image interne stable (image psycho-affective) de la pérennité de la mère, d'un continuum d'être de la mère en son absence.
  • Poursuite du travail du désillusionnement en appui sur l'espace potentiel etl'aire intermédiaire de jeu.
  • Installation de l'image interne de l'Objet.
  • Abandon/oubli de l'objet transitionnel.
  • Développement de l'érotisme musculaire et du jeu symbolique.
  • Capacité à jouer seul en présence de la mère.
  • Accession à la parole, à l'autonomie motrice (analité), à la créativité et au jeu partagé.
  • Accession à la génitalité et à l'érotisation œdipienne où se boucle le cycle par un retour vers l'Objet. C'est au cours de cette phase de développement que le père émergera comme fonction structurante d'étayage de la séparation dans le processus de renonciation affective à la jouissance de l'Objet maternel (la césure œdipienne) et dans l'orientation libidinale de l'enfant vers le monde intellectuel et social (l'école).

C'est ce processus, ce mouvement de constitution du travail psychique à son avènement, qui constitue pour Winnicott l'expérience créatrice primaire qui est au fondement de l'expérience culturelle. La façon dont l'enfant aura réussi cette épreuve de passage constituera pour lui la matrice de sa relation créatrice ou soumise au monde.

Du Sein(bol) au Symbole :
L'aire intermédiaire d'expérience
et l'espace potentiel

WINNICOTT examine les expériences primitives liées à la communication symbiotique entre la mère et le bébé qui ouvrent entre eux deux un espace interstitiel favorable à la formation et au maniement des premiers symboles, "l'aire intermédiaire d'expérience", encore définie comme "espace potentiel", qui va progressivement conduire le nourrisson du statut d' être biologique indifférencié au sein de " la dyade mère/nourrisson" à celui de petit humain. L'aire intermédiaire d'expérience " se situe entre le pouce et l'ours en peluche, entre l'érotisme oral et la véritable relation d'objet, entre l'activité créatrice primaire et la projection de ce qui a été introjecté ".

Cette aire intermédiaire d'expérience est à proprement parler un espace/temps concret occupé par l'activité spontanée du bébé qui commence à jouer, c'est à dire à ouvrir un commerce avec lui-même, avec ses propres sensations, ses tensions corporelles, émotionnelles et affectives, avec ses activités fantasmatiques; une sorte d'activité expérientielle au sein d'un espace/temps concrètement occupé par le "playing" de son propre organisme. Dans cette exploration, les évènements ne sont ni situés à l'intérieur, ni à l'extérieur, mais dans un éprouvé immédiat qui va constituer le socle affectif où commencera de se structurer sa relation au monde et sa compétence subjective. C'estun mode d'expérience (expériencing), un processus en cours de déroulement dont la visée dynamique est d'instaurer un espace interne où se représenteront les objets externes comme condition du possible détachement/décollement de la sensation. Cet espace interne est à proprement la capacité de penser, c'est à dire de jouer avec des symboles :

  • symboles de la Chose corporelle (sensations originaires, hallucinations)
  • symboles imaginaires (début des images psychiques concrètes)
  • symboles abstraits (les mots comme représentant des images concrètes et des images originaires).

Dans ce monde de ressenti/vécu, l'expérience est celle d'un continuum mère/nourrisson qui se scinde progressivement, dans lequel, à la fin du processus, le monde existe à l'extérieur du sujet, qui est devenu capable d'être en communication avec lui.

De la relation d'Objet
à l'utilisation de l'Objet

C'est un passage de la théorie de WINNICOTT qu'est pas très commode à assimiler. De quoi s'agit t'il ? Je vais essayer de t'expliquer ce que je comprends moi-même de ce passage d'un état où le nouveau né est en confusion avec l'Objet à un état où il est capable de l'utiliser, c'est à dire de s'en servir comme quelque chose appartenant à la réalité extérieure, c'est à dire de jouer. En fait c'était pas si difficile que ça.

Playing / Jouer

D'abord, j'ai besoin incoercible de te fourguer mon point de vue perso que voici, dont tu manqueras pas de t'apercevoir que c'est l'illustration authentique du fameux paradoxe du "trouvé/créé" de WINNICOTT: L'activité de jouer est une activité instinctive orientée vers les apprentissages maturants affectifs/cognitifs et langagiers. Elle est co-extensive aux dynamismes créateurs. Elle vise à la construction du monde interne des représentations, et à la dotation de l'organisme en équipements d'analyse et de synthèse destinés à lui assurer son développement optimal et son intégrité. Le jeu spontané est le lieu géométrique de la formation de la personnalité intégrée. C'est un mode d'expérience d'ouverture au monde aussi bien qu'aux potentialités créatrices internes. Par le Jeu, l'enfant s'approprie tout ce qui s'offre à son expérience comme problématique. Tout obstacle rencontré dans le cours de son éveil psychique et intellectuel devient stimulation et provocation à la pensée réflexive. L'organisme vivant cherche à résoudre chaque tension qui obstrue sa capacité à percevoir du sens. Cette tension vers la connaissance concerne tous les domaines de l'activité humaine. Les chapitres 3 et 4 de son livre "JEU ET RÉALITÉ" sont des outils extrêmement précieux pour tous ceux qui cherchent à comprendre la théorie du cadre mettant en œuvre l'expérience créatrice comme aire intermédiaire de jeu. Le langage en est suffisamment clair pour que je te laisse te débrouiller tout seul. Mon sentiment est que j'en ai assez fait avec les concepts clé pour que tu te déplaces dans le reste par tes propres moyens.

L'aire de jeu analytique

Une des choses probablement la plus intéressante élaborée par Winnicott dans sa tentative de relier et de mettre en synergie l'expérience de jouer ("playing") et l'espace du soin analytique, réside selon moi dans les conditions spécifiques de la construction du cadre analytique et des attitudes de l'animateur/analyste visant à permettre une réelle et profonde spontanéité de la part de son client (et de lui-même), ouvertes par la proposition du "playing".

De nouveau, sur ce plan, Winnicott développe une position singulière en regard de la position des psychanalystes d'enfants qui utilisent le jeu de manière, comme j'aime à le dire, pré-textuelle (c'est à dire comme prétexte et non comme texte), c'est à dire essentiellement orientée vers la production de matériaux interprétables par l'analyste, au détriment de l'acte créateur lui-même et de la dynamique créatrice qu'elle entraîne. Winnicott soutient le point de vue des dynamismes processuels du Libre Jeu, de l'authentique spontanéité. Il accorde à l'expérience de Jouer (playing) une valeur intrinsèque. Il soutient même la position comme quoi "Il ne faut jamais oublier que jouerest une thérapie en soi".

Et, à mon sens, la partie la plus subversive des thèses de Winnicott porte sur la nécessité, pour qu'il y ait psychothérapie, de créer les conditions d'une réelle spontanéité. " Jouer doit être un acte spontané, et non l'expression d'une soumission ou d'un acquiescement , s'il doit y avoir psychothérapie". De mon point de vue, il y a là une démarcation claire, décisive et irréductiblement conflictuelle entre la conception non-directive de l'animation des Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques dans le modèle que j'élabore moi-même, d'avec certains modèles arthopédiques et comportementalistes qui se développent sous le nom d' "art-thérapie".

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Agonie primitive
Crainte de l'effondrement

Un des trucs les plus géniaux que Donald a bricolés concerne un des processus majeurs à l'œuvre dans toute expérience analytique authentique, et particulièrement actif dans l'expérience créatrice, qui est l'émergence d'une "crainte d'effondrement". WINNICOTT postule sur la base de ses expériences cliniques que la crainte de l'effondrement , traversée à certains moments critiques de notre existence, est la réactivation d'un effondrement qui a déjà eu lieu dans la préhistoire mnésique ou dans l'histoire du sujet.

Qu'est ce que cette "agonie primitive" théorisé par WINNICOTT?

La façon dont je formulerai personnellement la chose est que l'évènement "agonique" originaire est l'expérience néo natale de traversée de l'imminence de la mort (à proprement parler l'angoisse), c'est à dire d'une douleur affective intense vécue par le nouveau né avant qu'ait pu se constituer une surface subjective stable (psychique) de l'existence d'un autre, d'un tiers, contenant fiable (détoxiquant) des états d'angoisse. Y'a pas de logiciel pour convertir/interpréter une douleur qui a franchi son seuil de tolérance biologique et sa capacité d'élaboration hallucinatoire (phantasmatique) pour la transformer une information (un in'form). Cela produit une "affectation" pure - un affect a-représentatif - sans accroche représentative ; un éprouvé organismique, non-médiat, de la proximité de la mort, pour lequel il n'y a pas encore de sujet percevant, pas de capacité de construire une représentation qui introduise du sens, qui s'estompe lorsque le sentiment s'atténue et disparaît grâce aux soins de l'environnement maternel. mais qui inscrit une trace blanche, irréductible autrement que par sa résurrection et son traitement dans le cadre analytique au sein duquel ce n'est pas l'expérience de la mort qui est présente, mais l'ombre de son fantôme.

C'est dire ici que le premier mode de subjectivité du nouveau-né est de nature hallucinatoire, c'est à dire qu'il ressent/éprouve des états sans discernement d'une origine externe ou interne. Il n'a pas encore de perception. C'est je crois une des trouvailles majeures de WINNICOTT d'avoir posé cette loi fondamentale de la construction subjective comme quoi ce qui est perçu est en réalité construit.

Créativity primaire et expérience culturelle

Winnicott souligne avec vigueur que " l'expérience culturelle n'a pas trouvé sa place véritable dans la théorie qu'utilisent les psychanalystes pour travailler et pour penser"(Ch.4). Et il indique, un peu plus loin la nécessité, pour les psychothérapeutes, de conduire " une étude séparée de la créativité en tant qu'elle est une particularité de la vie et de l'existence dans son ensemble".

Une fois encore, Winnicott échappe à deux pièges réducteurs étroitement culturels:

- celui de la créativité conçue comme compétence ou capacité, qui est le point de vue véhiculé par la pseudo culture consumériste, aussi bien par les établissements de l'art officiel que par l'idéologie comportementaliste de l'arthopédie, dont se servent les praticiens qui manœuvrent les participants au moyen de situations de jeux arthopédiques au gré de leur désir propre et de leur charisme projetés sur le groupe avec des exercices dits "de créativité" stéréotypés et standardisés .

- celui de l'expérience créatrice confondue avec le processus culturel de l'art, qui a conduit aux assimilations syncrétiques des pratiques de l' art-thérapie.

Winnicott pense et exprime clairement que la quête artistique est une impasse pour la constitution du sentiment de soi.

Pour Winnicott, la créativity primaire est une disposition et un processus lié aux tendances maturatives de l'organisme humain. C'est " la coloration de toute une attitude face à la réalité extérieure."..." La créativité est quelque chose d'universel. Elle est inhérente au fait de vivre"..."Elle est ce qui permet l'approche de la réalité extérieure". .."Elle suppose un état de bonne santé"..."Elle est présente en chaque être humain" . En fait, pour Winnicott, la créativité, c' est la pulsion créatrice sous-jacente à l'exercice du jeu : " La pulsion créative peut être envisagée en elle-même" Et il note, avec beaucoup de délicatesse, que FREUD se fourvoyait, en entraînant ses disciples à sa suite , lorsqu'il axait son investigation sur l'œuvre d'artistes célèbres et sur l'anecdotique reconstitution de leur histoire infantile.

La créativité est donc, pour Winnicott une force centrale active à l'intérieur du Jeu. Elle est essentiellement " reliée à la qualité et à la quantité de l'apport offert par l'environnement lors des premières phases de la vie que connaît tout bébé"...Elle est ce par quoi "l'individu va pouvoir faire face au choc immense de la perte de l'omnipotence". Et c'est dans les modalités de déroulement des expériences transitionnelles et de la créativité primaire, condition de développement de base du processus de l'individuation et du développement de la fonction psychique de représentation, que se mettra en place la structure de l'expérience future du sujet dans son rapport au monde, et dans l'élaboration du patrimoine culturel.

Au fond, son intuition la plus géniale pour nous aider à comprendre la question de l'expérience créatrice repose sur cette idée que c'est de la façon dont le nourrisson aura vécu et résolu ou non ce passage de la relation symbiotique à la capacité de se représenter le monde et de jouer que dépendra sa capacité créatrice au cours de sa vie adulte. Comme t'as réussi avec ton doudou, comme tu seras équipé avec tes contemporains.

Jouer et apprendre

L'hypothèse fondamentale dont je me propose de nourrir cet article est la suivante :

Jouer est un acte instinctif orienté vers les apprentissages maturants affectifs/cognitifs et langagiers. Il est constituant des dynamismes créateurs. Il vise à la construction du monde interne des représentations, et à la dotation de l'organisme en équipements d'analyse et de synthèse destinés à lui assurer son développement optimal et son intégration.

"Instinctif" signifie que les conduites de jeu sont génétiquement inscrites dans l'organisme humain, comme elle le sont pour celui des animaux. A ce titre, le jeu est une activité structurale/structurante, et le moyen fondamental d'appropriation aussi bien du monde potentiel des compétences biologiques, affectives, émotionnelles et psychiques que des forces à l'œuvre dans l'environnement.

La fonction/jeu est constituante de toutes les opérations d'apprentissage significatif. L' inhibition de cette fonction, son altération souvent systématique dans le cadre scolaire, sont profondément préjudiciables à la construction d'un sujet sain c'est à dire créateur.

Primordial dans le processus d'intégration de la personnalité du jeune enfant, le jeu change de qualité lorsque cette intégration est normalement acquise. L'expérience créatrice æsthétique (créating) est pour la personnalité adulte la forme mature du jeu de l'enfant (playing)

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Parti de préoccupations sur la question du Jeu et de la formation humaine de l'enfant (son humanisation pour reprendre les termes de Françoise DOLTO) , j'ai choisi d'orienter mon travail de réflexion dans deux directions :

  1. La première direction explore la problématique de l'apprentissage significatif en pédagogie, de la relation enseigner/apprendre.
  2. La seconde direction traite de la Psychothérapie comme Jeu et de l'espace psychothérapeutique considéré comme une aire intermédiaire de création entre le thérapeute et le sujet, dans la référence théorique aux travaux de Donald Winnicott.

Faites vos jeux ...
Les jeux sont faits

Le problème est donc double :

  • Il concerne d'une part la compréhension des processus de formation de la connaissance comme jeu.
  • Il concerne d'autre part la gestion du groupe/classe et de l'Institution éducative scolaire comme cadre et dispositifs organisés pour permettre à des êtres en développement de devenir autonomes et créateurs, de favoriser la réalisation de leurs potentialités physiques, intellectuelles, affectives et morales, de leur offrir des voies d'accès à l'appropriation significative des outils technologiques, économiques, politiques, philosophiques et artistiques de notre culture. Significatif, cela veut dire que le sujet sera capable, au terme du processus de socialisation scolaire, de désirer et de jouir, de maîtriser le fonctionnement des outils culturels et d'exercer un contrôle éthique sur les visées et les processus de la Culture.

CARL ROGERS, dans son livre "Le développement de la personne" (Dunod Ed.) soutenait ce point de vue comme quoi toute connaissance qui n'a pas un rapport significatif avec quelque chose qui est éprouvé par l'enfant comme un intérêt, ou comme un obstacle à sa croissance, ou comme un problème qui le concerne directement dans ses investissements du monde réel, physique, affectif ou social, est un matériau inerte, inassimilable, dommageable à sa curiosité spontanée pour la connaissance, et source de confusion de par les conditionnements répressifs/normatifs qui constituent le fondement même du gavage pédagogique.

Or jouer, c'est apprendre. Le jeu est le lieu géométrique de la formation de la personnalité intégrée. C'est un mode d'expérience d'ouverture au monde aussi bien qu'aux potentialités créatrices internes. Par le Jeu, l'enfant s'approprie tout ce qui s'offre à son expérience comme problématique. Tout obstacle rencontré dans le cours de son éveil intellectuel devient stimulation et provocation à la pensée réflexive. L'organisme vivant cherche à résoudre chaque tension qui obstrue sa capacité à percevoir du sens. Cette tension vers la connaissance concerne tous les domaines de l'enseignement.

Et, dans ce processus de rencontre entre la structure de personnalité en formation et l'inconnu qui se présente à son élaboration, quand l'enfant ne joue pas, quand il n'est pas sollicité dans ses dynamismes créateurs, quelle que soit la discipline enseignée, aussi sophistiquée soit-elle, et bien il s'emmerde. Et quand l'enfant s'emmerde, et que ça dure, et que c'est institutionnalisé en programmes et méthodes pédagogiques, et que ça se passe dans le 16ème arrondissement ou dans la banlieue parisienne ou marseillaise, cela provoque un processus de désinvestissement et de destruction de la pulsion à la connaissance, épistémophilique comme on dit. Et alors, l'enfant, celui vers lequel nous retournons tous aux épreuves cruciales de notre vie, il commence à vouloir se venger, et il a raison ! C'est un réflexe de survie que cette violence contre l'instituant. Le drame étant que l'enfant ne sait pas que sa rébellion va être méprisée et détruite.

Ce qui de nos pulsions créatrices est nié et invalidé se retourne en énergie de destruction. S'il y a quelque chose que nous ont appris FREUD et Mélanie KLEIN, et qui se vérifie auprès des adolescents des banlieues dites à risques, c'est bien cela.

La pulsion créatrice et le Jeu sont une seule et même chose.

L'espace analytique / thérapeutique

J'approfondirai la question de l'ouverture des espaces analytiques et psycho-thérapeutiques à l'expérience créatrice, dans des dimensions psycho-affectives où le jeu soit instauré pour sa valeur maturative intrinsèque. et non plus, seulement, comme cela est le cas dans lespsychothérapies classiques d'enfants d'inspiration psychanalytique, pré-textuelle au travailde l'interprétation. Je me centrerai sur cette forme particulière de jeu qu'est l'expérience créatrice (médiatisée) et me réfèrerai explicitement à l'ouvrage de Donald WINNICOTT :"JEU ET RÉALITÉ".

Dans son ouvrage fondamental "JEUX et RÉALITÉ", écrit en 1971, WINNICOTT reprend et développe sa formulation inaugurale de 1951 sur la Créativity et le Jeu, dont il a tiré les prémisses dans son expérience thérapeutique auprès de nourrissons et de jeunes enfants. Il examine en particulier les expériences primitives liées à la communication symbiotique entre la mère et le bébé qui ouvrent entre eux deux un espace interstitiel favorable à la formation et au maniement des premiers symboles, "l'aire intermédiaire d'expérience" définie comme "espace potentiel", qui va progressivement conduire le nourrisson du statut d' être biologique indifférencié au sein de "la dyade mère/nourrisson" à celui de petit humain.

Ce sont des conditions mêmes du processus de l'humanisation au travers de ce jeu inaugural de création et de déploiement du langage, de ses avatars et de ses modes de restauration dans le jeu psycho-thérapeutique dont WINNICOTT a traité de façon singulière, et apporté ses contributions les plus originales dans le champ des psycho-analyses.

Ce qui nous intéressera ici, c'est la création d'un mode opératoire fondé sur la transposition analogique des modalités d'une relation primitive mère nourrisson "suffisamment bonne" ("just good enough") au cadre analytique et à la constitution d'un modèle de relation analytique/thérapeutique qui concerne aussi les adultes , sur les modes d'échanges psycho-affectifs décrits par Donald WINNICOTT autour des concepts suivants : " Présentation d'Objet" ("Object-présenting"), "Portage"("holding") , "maniements" lors des soins corporels ("handling") ; définissant la création d'un "environnement facilitant" pour la mise en oeuvre d'un certain nombre de processus allant de l'expérience symbiotique à l'individuation, via les "phénomènes transitionnels".

Je tenterai d' esquisser l'ébauche d'un cadre technique analytique/ thérapeutique pour le déploiement analytique du Jeu intertranférentiel qui tente de généraliser les hypothèses de WINNICOTT relatives à la thérapie des jeunes enfants, à la thérapie des adultes, et notamment à la thérapie des personnalités "de bordure" (j'ai créé ce terme pour en place du terme "états-limite") et des personnalités présentant des défenses psychotiques. WINNICOTT soutenant la thèse selon laquelle la psychose n'est pas le résultat d'un effondrement du Moi, mais bien une organisation défensive contre des expériences d' "agonies primitives".

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L' EXPÉRIENCE ANALYTIQUE
AUX RISQUES DU JEU SPONTANÉ

J'avais été très frappé de la façon dont CARL ROGERS attirait l'attention des pédagogues sur la valeur des enseignements, observations et conclusions des recherches conduite dans le domaine de la psychothérapie comme source de connaissances d'un grande richesse pour la compréhension des lois qui gouvernent la croissance normale des êtres humains, et de leur application au domaine de la pédagogie et de l'enseignement. Mon observation personnelle confirme tout à fait ce point de vue

La psychothérapie est un modèle, en ce sens que le travail qui s'y réalise repose sur la construction d' un savoir progressivement élaboré au sein d'une expérience affective singulière, dans un mouvement de communication, et de mobilisation des ressources émotionnelles, affectives, psychiques, intellectuelles les plus profondes des deux personnes engagées dans ce travail, et sur la rencontre des obstacles, de même nature, qui entravent le libre mouvement de la personne dans la réalisation de Soi. La connaissance repose ici sur l'expérience de la mise en jeu des forces internes des deux partenaires au sein d'un cadre qui favorise le travail de leur révélation, de leur reconnaissance, de leur nomination, de leur appropriation et de leur détoxication par la parole analytique.

Simplement, dans l'Éducation cognitive du jeune enfant et de l'adulte, les forces vers la rencontre desquelles va se tendre l'intelligence sont externes pour partie, même si dans leur domestication, un certain nombre de forces internes opèrent.

Il était pour moi très excitant, dans ce travail sur le Jeu de tenter le pontage entre les deux domaines de l'enseignement et de la psychothérapie. Chacun en tirera les enseignements qu'il peut

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Le sujet exploré maintenant est donc celui de l'articulation de l'expérience créatrice du Jeu sur la scène psycho-thérapeutique. J'ai hésité à laisser cette partie de ma réflexion dans la présente édition de ce livre, pour finalement considérer qu'elle lui est organiquement attachée, voir fondamentalement inspirée par elle. J'espère que le lecteur principalement préoccupé d'éducation y trouvera matière à méditation.

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J'examinerai la question de l'ouverture des espaces analytiques à l'expérience créatrice, dans des dimensions psycho-affectives où le Jeu soit instauré pour sa valeur maturative intrinsèque et non plus, seulement, comme cela est le cas dans les psychothérapies classiques d'enfants d'inspiration psychanalytique, pré-textuelle au travail de l'interprétation. Je me centrerai sur cette forme particulière de jeu qu'est l'expérience créatrice (médiatisée) et me réfèrerai explicitement à l'ouvrage de Donald Winnicott : "JEU ET RÉALITÉ".

Je formulerai à nouveau mon hypothèse centrale comme quoi:

L'activité de jouer est une activité instinctive orientée vers les apprentissages maturants affectifs/cognitifs et langagiers. Elle est co-extensive aux dynamismes créateurs. Elle vise à la construction du monde interne des représentations, et à la dotation de l'organisme en équipements d'analyse et de synthèse destinés à lui assurer son développement optimal et son intégrité.

Je poursuis, depuis une vingtaine d'année un travail personnel d'élaboration autour de la question du Jeu, à partir des outils que j'ai construits, dans un premier temps au sein des Ateliers Thérapeutiques d'Expression que nous avons créés avec le Dr Jean BROUSTRA à l'hôpital psychiatrique de Bordeaux (entre 1972 à 1984) puis dans mon Institut de formation des "Ateliers de l'Art CRU" auprès d'éducateurs spécialisés, d'infirmiers psychiatriques, de thérapeutes et de travailleurs sociaux engagés dans la lutte contre l'exclusion. Cet outil, c'est l'Atelier d'Expression Créatrice. Sa structure et les modalités d'engagement analytique qui y sont instaurées sont fondées sur des principes analogiques à ceux dont Winnicott a forgé la théorie, en particulier autour des concepts de "L'espace potentiel", de "L'aire intermédiaire d'expérience", et des "Phénomènes transitionnels".

  Dans son ouvrage fondamental "JEUX et RÉALITÉ", écrit en 1971, Winnicott reprend et développe sa formulation de 1951 sur la Créativité et le Jeu, dont il a tiré les prémisses dans son expérience thérapeutique auprès de nourrissons et de jeunes enfants. Il examine en particulier les expériences primitives liées à la communication symbiotique entre la mère et le bébé qui ouvrent entre eux deux un espace interstitiel favorable à la formation et au maniement des premiers symboles, "l'aire intermédiaire d'expérience" définie comme "espace potentiel", qui va progressivement conduire le nourrisson du statut d' être biologique indifférencié au sein de "la dyade mère/nourrisson" à celui de petit humain.

Ce sont des conditions mêmes du processus de l'humanisation au travers de ce jeu inaugural de création et de déploiement du langage, de ses avatars et de ses modes de restauration dans le jeu psycho-thérapeutique dont Winnicott a traité de façon singulière, et apporté ses contribution les plus originales dans le champ des psycho-analyses.

Ce qui nous intéressera ici, c'est la transposition analogique des modalités d'une relation primitive mère nourrisson "suffisamment bonne" ("just good enough") au cadre analytique et à la constitution d'un modèle de relation analytique/thérapeutique qui concerne aussi les adultes :

  • fondé sur les modes d'échanges psycho-affectifs décrits par Donald Winnicott autour des concepts suivants : "Présentation d'Objet" ("Object-présenting"), portage ("holding") , "maniements" lors des soins corporels ("handling") ,
  • définissant la création d'un "environnement facilitant" pour la mise en œuvre d'un certain nombre de processus allant de l'expérience symbiotique à l'individuation, via les "phénomènes transitionnels".

Ce dernier concept est soumis, depuis quelques années, à une utilisation syncrétique, abusive et inflationniste, qui a surtout pour effet une érosion théorique destinée à le vider de son potentiel subversif pour la redéfinition d'un cadre analytique impliquant de la part du thérapeute un travail dans la communication symbiotique contre-transferentielle.

Je tenterai d' esquisser l'ébauche d'un cadre technique analytique/ thérapeutique pour le déploiement analytique du Jeu transférentiel/contre-tranférentiel qui tente de généraliser les hypothèses de Winnicott, relatives à la thérapie des jeunes enfants, à la thérapie des adultes, et notamment à la thérapie des personnalités "de bordure" (j'ai créé ce terme pour pallier la dysharmonie du terme "états-limite") et des personnalités présentant des défenses psychotiques. Winnicott soutenant la thèse selon laquelle la psychose n'est pas le résultat d'un effondrement du Moi, mais bien une organisation défensive contre des expériences d' "agonies primitives".

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Trois ou quatre Choses fondamentales
créées par Donald Winnicott

Un des mérites incontestables de Winnicott tient à ce qu'il a déplacé l'axe du regard des analystes/thérapeutes de la zone oedipienne où l'avait calée FREUD, vers les moments de la formation du Moi, à partir des relations inaugurales au monde, c'est à dire à partir de la mise en place d' un socle d'expériences heureuses ou douloureuses fondées sur les premiers modes de satisfaction ou de détresse des nouveaux-nés.

1) La différenciation d'un inconscient non psychique

Selon Winnicott, il y a un inconscient originaire, distinct de l'inconscient désigné par FREUD comme étant en aval du refoulement ( et j' ajouterais, de mon propre chef, distinct de celui imaginé par LACAN, à savoir , a - psychique et a-langagier). Selon Winnicott le nourrisson n'est pas encore en mesure de rassembler, d'organiser et d'intégrer les expériences qui surviennent dans cette période en une représentation maîtrisable, opération qui dépend de la mise en place d'une "aire de contrôle omnipotent" fondée sur un paradoxe, fondateur de la subjectivité, comme quoi le sein existe à l'endroit et au moment où le bébé en a le besoin. De ce mouvement syncrétique originaire de conjonction entre l'éprouvé de son besoin et la présence du premier Objet à l'endroit où il est attendu, va naître et se déployer un sentiment illusoire de créer l'Objet (qui est en réalité trouvé) et permettre au bébé de faire une expérience de toute puissance qui va lui assurer les conditions de base du développement narcissique au sein de la dyade mère nourrisson.

Dans cet intervalle entre l'état inorganisé, fragmentaire et immature, du Moi , et le moment où le bébé est devenu capable d'appréhender du sens, se met en place la structure affective, qui est le socle par définition impensable ("unthinkable") à partir de quoi se forme le pensable, en ce sens que l'acte de penser se réfère à la maîtrise symbolique, c'est à dire au libre jeu avec la représentation de mots. De ce premier enseignement de Winnicott, je formulerai pour ma part ce théorème comme quoi la structure peut penser ses Objets, mais elle ne peut se penser elle-même. Là réside l'évidence fondatrice d'une expérience échappant à la perception consciente.

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2) La sphère de la "transitionnalité"

La deuxième création conceptuelle, singulière et fondamentale de Winnicott nommée "transitionnalité" concerne la théorie de la genèse de la vie psychique entre l'hallucination et la pensée en mots.

L'aire des phénomènes transitionnels est cet espace/temps intermédiaire entre:

  • d'une part, le moment où le nourrisson est assigné au jeu des pulsions primaires, en particulier lorsqu'il est soumis au jeu de la sensualité orale (siège privilégié de l'érotisation primaire), à celui des sensations liées au portage (holding) et à l'ensemble des manipulations (handling) liées aux soins corporels et au contact de peau à peau,
  • et d'autre part, le moment où il est devenu capable de maîtriser la représentation de mot.

La "transitionnalité" c'est un ensemble de mouvements liés aux tendances maturantes innées du bébé vers l'autonomisation, qui aboutissent à la formation d'une image interne stable de la mère en son absence. Dans cette négociation, l'image se constitue en représentant d'un ensemble de sensations coalescentes à la mère et au bébé, et ce, grâce à la médiation d'un objet, l'objet transitionnel, sorte d'interface chargé des qualités sensibles communes à la mère et au nourrisson, en particulier contact de peau (doudou) olfactives et gustatives, où la mère est représentée au travers d'une relation affectivement investie déplacée sur des sensations partielles incorporées à l'objet dit "transitionnel" . Image , donc, constituante de la naissance à la vie psychique, à la formation des premières images psychiques dynamiques ( dynamiques par rapport au processus de formation des phantasmes originaires, eux-mêmes syncrèse d'images passives). Au terme du processus transitionnel, l'image de la mère va fonctionner comme représentation de la mère en son absence. C'est le processus de formation de l'Imaginaire qui est ainsi mis en mouvement, et qui va conduire le jeune enfant (que l'on ne peut plus considérer alors comme un bébé) du statut dyadique à l'individuation.

Ce processus s'engage à partir des écarts, des absences, des séparations avec la mère. Le travail de désillusionnement et de l'acceptation de la séparation va conduire le petit enfant au seuil de la problématique oedipienne via l'accession à l'ordre humain du langage et de la relation à la loi.

On pourrait résumer les choses de la façon suivante:

La transitionnalité est cette période fondatrice où le nourrisson humain passe du statut de bébé au statut d'enfant en passant successivement par les étapes suivantes:

Sensation/sensualité primaire -----> Illusionnement primaire => transfert affectif des sensations et de la sensualité lié à la satisfaction orale/olfactive sur un objet halluciné chargé des qualités sensuelles du corps maternel ---> transfert des propriétés de l'image transitionnelle sur une image interne stable de la pérennité de la mère, d'un continuum d'être de la mère en son absence => Travail du désillusionnement en appui sur l'espace potentiel abandon/oubli de l'objet transitionnel ---> Développement de l'érotisme musculaire et du jeu symbolique ---> Accession à l'autonomie motrice, à la parole, à l'expérience créatrice et au jeu.

C'est ce processus, ce mouvement de constitution du travail psychique à son avènement, qui constituent pour Winnicott la créativité primaire et qui est au fondement de l'expérience culturelle.

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4) Jouer.

Une des choses probablement la plus intéressante élaborée par Winnicott dans sa tentative de relier et de mettre en synergie l'expérience de Jouer ("playing") et l'espace du soin analytique, réside selon moi dans les conditions spécifiques de la construction du cadre analytique et des attitudes de l'analyste/thérapeute visant à permettre une réelle et profonde spontanéité de la part de son client (et de lui-même) , ouvertes par la proposition du "playing".

De nouveau, sur ce plan, Winnicott développe une position singulière en regard de la position des psychanalystes d'enfants qui utilisent le jeu de manière, comme j'aime à le dire, pré-textuelle, c'est à dire essentiellement orientée vers la production de matériaux interprétables par l'analyste, au détriment de l'acte créateur lui-même et de la dynamique créatrice qu'elle entraîne. Winnicott soutient le point de vue des dynamismes processuels du Jeu Libre. Il accorde à l'expérience de Jouer (playing) une valeur intrinsèque. Il soutient même la position comme quoi "Il ne faut jamais oublier que jouer est une thérapie en soi".

Et, à mon sens, la partie la plus subversive des thèses de Winnicott porte sur la nécessité, pour qu'il y ait psychothérapie, de créer les conditions d'une réelle spontanéité. " Jouer doit être un acte spontané, et non l'expression d'une soumission ou d'un acquiescement , s'il doit y avoir psychothérapie".

De mon point de vue, il y a là une démarcation claire, décisive, et irréductiblement conflictuelle entre la conception non-directive de l'animation des Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques dans le modèle que j'élabore moi-même, d'avec les modèles arthopédiques et comportementalistes qui se développent sous le nom d' "art-thérapie".

J'espère avoir suffisamment excité la curiosité du lecteur qui ne connaîtrait pas encore la contribution capitale de Winnicott, et le désir de le relire pour les autres, à la définition de structures psychothérapeutiques ouvertes à l'expression créatrice, à la communication contre-transferentielle et au Libre Jeu.

Il me reste maintenant à décrire les modalités de création d'un cadre de profil Winnicottien pour la psychothérapie ou pour la formation thérapeutique des praticiens d'Ateliers d'Expression à visée thérapeutique.

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Les Ateliers d'Expression
Créatrice Analytiques

J'ai progressivement créé et développé à partir de 1973, sous le nom d'Atelier d'Expression Polyvalent, un outil singulier pour le travail analytique. Cette structure est née de la confrontation confluente entre :

  • d'une part ma formation de base à la méthode de "la dynamique de groupe" et à la conduite" non-directive" Rogerienne dans la relation d'aide individuelle et dans l'animation des groupes restreints;
  • d'autre part, la traversée vitale que j'ai faite de l'engagement dans des expériences successives de création ayant joué pour moi une évidente fonction thérapeutique et analytique;
  • Enfin, ma collision avec Max PAGÈS, qui a été mon référent institutionnel tout au long de ma formation psycho-sociologique, et dont j'ai ensuite été un des collaborateurs au sein du Laboratoire de Changement Social (Université Paris-Dauphine). C'est dans notre invention commune d'un séminaire (pour moi, une sorte d'objet transitionnel qui m'a conduit à l'autonomie professionnelle) où lui apportait sa compétence éprouvée d'animateur/analyste hors-normes, et où moi j'apportais ma liberté créatrice et ma capacité d'ouvrir des espaces d'expression non verbale dans l'expérience de la dynamique des groupes.

J'ai, dans un premier temps, appliqué cette structure dont nous avions expérimenté le prototype ensemble, dans l'Hôpital psychiatrique de jour où j'ai débuté mon expérience professionnelle, puis à l'asile psychiatrique de Bordeaux. Dans un second temps, au travers de l'Institut de Formation que j'ai créé - les Ateliers de l'ART CRU - j'ai inventé un certain nombre d'extensions fondées sur les même principes de base de la non-directivité, dans des Ateliers centrés sur un seul médiateur: l'argile, la peinture (en appui dissident sur le modèle de l'Atelier d'Education Créatrice inventé par Arno Stern), le papier, le tissu, la sculpture, l'écriture, le corps; où au travers d'Ateliers expérientiels et didactiques comme celui que j'anime pour les thérapeutes sur les concepts opératoires de Winnicott. Cette structure est la suivante :

L'Atelier d'Expression Polyvalent
comme espace potentiel

Cet Atelier est une sorte de jouet sophistiqué à l'intérieur duquel les participants trouvent tout ce qui est nécessaire pour s'engager dans le paradoxe du trouvé/créé Winnicottien, c'est à dire pour se livrer à une expérience créatrice personnelle au sein d'un groupe restreint où ils sont invités à "jouer librement". C'est un espace riche en médiateurs d'expression, à "manœuvrer", à modifier ; c'est un lieu de déplacement, d'errance ou de promenade dans un monde d'objets et de médiateurs expressionnels en attente d'investissement et de sens ; c'est un lieu où la créativité s'engage des variations de pressions ouvertes par l'animateur.

La "loi" qui régit l'activité est celle du "libre jeu".

L'animateur/analyste n'y exerce pas d'injonctions, ni de direction magistrale autoritaire. Il est là : dans sa singularité de personne, dans son statut d'instituant du lieu, de garant du cadre physique et temporel ; et dans son rôle d'animateur/analyste entrant dans des interactions de toutes natures (psychiques, émotionnelles, physiques et analytiques) avec les participants.

L'animateur/analyste inaugure l'activité (atelier intensif, ou séances régulières étalées dans le temps) en décrivant le cadre (le contenant) de l'expérience ; en définissant quels objets et quels langages sont privilégiés ("objects presenting"). En annonçant que l'ensemble du cadre (contenant, médias expressionnels) a pour visée de favoriser une activité d'investissement du jeu de création, sur les effets affectifs, émotionnels, psychiques duquel les participants seront invités à donner communication, dans le second temps d'élaboration verbale de l'expérience vécue qui ponctue chaque séance.

Dans ce dispositif, les participants sont donc placés dans une situation favorisant le développement d'un processus associatif aesthétique (de æsthésie, Étym. = sensible), invités à l'énonciation manifeste dans un "travail" de mise en représentation ludique, corporelle, verbale ou esthétique, des ressentis/pensés/pulsés. L'invitation est celle d'un "agir-dans-la-représentation" (playing) qui s'engage dans l'élaboration psychique des conflits affectifs, des phantasmes originaires et des expériences mnésiques "impensables" ("unthinkable").

La démarche proposée dans ce dispositif "potentiel" est donc au sens littéral du terme, "psycho-dynamique" : en ce sens qu'elle vise à mettre en effervescence, en tension productive , la fonction d'élaboration psychique des affects et des mnésies originaires. Elle réalise ceci au moyen du libre jeu de l'expression ludique et créatrice, dans un espace conçu à la fois pour favoriser et accueillir les effectuations psychiques, affectives et émotionnelles ; et pour engager une métacommunication profonde à leur sujet. Il peut être désigné du terme de transitionnel en ce sens que la production s'y inaugure du jeu des projections et introjections communes au Sujet et à l'Objet instigateur du lien, l'animateur/analyste.

Ce dispositif psycho dynamique peut être ajusté à trois objectifs connexes, ce que personnellement je désigne comme étant le cadre : l'évolution personnelle, la psychothérapie, la formation au travail analytique/ thérapeutique :

  • Dans une visée d'évolution personnelle, l'expérience est axée de façon privilégiée sur la sollicitation centrale de l'impulsion aesthétique et de son expression dans les langages de création proposés. Le temps de parole y est aménagé comme temps de régulation de l'expérience vécue. Aucun travail centré sur l'élaboration des signifiants affectifs n'est poursuivi intentionnellement par l'animateur, comme cela est le cas dans le cadre thérapeutique. L'analyse susceptible de s'y produire est incidente aux effets de surgissement, et entre dans le champ de ce que nous appellerons la translaboration qui est un mouvement d'intégration spontanée des éléments de sens révélés par l'engagement du sujet dans le jeu de la Parole aesthétique et/ou symbolique.
  • Dans une visée thérapeutique, c'est à dire lorsque la demande du sujet est une demande de soin et de « traitement » des causes de sa souffrance, le travail de la mise en œuvre (de l'effectuation créatrice) est explicitement centré sur l'articulation de l'intention productive à l'expérience non consciente dans le but de son émergence, de son élaboration psychique et de son appropriation par le sujet. La régulation y est instituée et appliquée de façon rigoureuse. L'intention analytique vis à vis des signifiants affectifs y est organisatrice du champ. Et la part de construction de l'analyste et son intégration par le client y est déterminante, et productrice de ce que nous appellerons ici le travail de la perlaboration.
  • Dans une visée de formation (à l'animation d'Ateliers d'Expression à visée thérapeutique par exemple) l'enjeu paradoxal proposé aux apprentis est de se soumettre à l'expérience d'un engagement personnel dans le processus d'expression individuel et groupal avec l'objectif de constituer un capital d'observations "in vivo" qui seront élaborées en un savoir immédiat sur l'expérience actuelle, puis référées à des savoirs constitués limitrophes. Dans ces groupes, la fécondité du paradoxe tient à ce que les participants ne peuvent réellement détourner les visées didactiques de l'expérience à leur profit thérapeutique privé ; et que l'efficience formative de l'expérience proposée amène malgré tout ceux d'entre eux dont la demande implicite n'est pas de formation mais de thérapie, d'en prendre la mesure et de se donner les moyens de la satisfaire par ailleurs. Dans ces cas où la demande de formation est une forme de résistance à la formulation d'une demande de thérapie personnelle, l'expérience m'a montré que ce dispositif d'évolution était particulièrement opérant.

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Depuis 1985 j'ai mis au point un dispositif de séminaire de formation et de recherche directement centré sur l'expérimentation des concepts opératoires de Winnicott. J'y applique un dispositif à trois entrées :

  • expérimentation d'une aire de jeu spontané multimédia (Atelier d'expression polyvalent),
  • traitement des données psychiques affectives et émotionnelles de l'expérience vécue en séance de régulation (translaboration),
  • expérimentation d'un dispositif de confrontation entre les élaborations tirées de l'expérience vécue et les élaborations faites par Winnicott, dont l'œuvre est "exposée" dans l'Atelier à la manière d'une exposition artistique.

L'expérience montre que ce dispositif est particulièrement opérant pour saisir de façon non médiate le bien-fondé et la finesse de tous ces concepts cliniques : holding, handling, object-presenting, fear of breakdown, objet transitionnel, aire intermédiaire d'expérience, créativité, playing/game, paradoxe, self/faux-self, illusion /désillusionnement ... etc.

L'objectif de ce va-et-vient entre : expérience vécue / élaboration théorique / référence aux concepts-clés de Winnicott / retour à l'expérience immédiate, restant de permettre aux praticiens concernés par cette pensée vigoureuse de Winnicott de pouvoir en effectuer le transfert éclairé dans leur propre situation de travail.

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Le moment est venu de conclure.

Le Jeu est le dénominateur commun qui relie mes deux modes fondamentaux d'expérience : le travail analytique/thérapeutique et la formation des adultes dans le domaine de l' Æsthétique Appliquée aux préoccupations des praticiens du Soin , de l'Éducation, du Travail Social et de la thérapie individuelle ou en groupe.


[1] cherches pas, chez moi, la métaphore me vient comme une érection dès que j'empare le clavier. Tu verras, tu t'y feras ! Tu remarqueras vite qu'entre signe et signifiant, entre sinus et sens, le signification n'est pas toujours la bienvenue, et que quand je pense, je suis pas toujours…. Comme disait Descartes, le sens c'est, la margarine sur le cholestérol…si tu vois c'que j'veux dire).

[2] Vérity J GAVIN est anglaise, play-thérapeute, exerce en Avignon / Email : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
http://www.therapie-jeu-creativite.com/therapie-jeu-creativite.html

[3] Quand j'écris le mot "analytique" il est clair que tu dois entendre "élaboration de l'expérience vécue dans la parole", et éradiquer de ta conscience cette confusion entretenue depuis Freud par les psychanalystes entre les termes "analytique" et "psychanalytique", Le terme "analytique" appartient au vocabulaire général des sciences qui se préoccupent de la croissance et du changement dynamique de la personne, et non au domaine réservé et circonscrit des pratiques qui existent dans le champ, dont la pratique psychanalytique.

[4] En écriture, c'est comme dans la relation érotique, faut pas se précipiter sur l'Objet. Faut d'abord préliminer les interstices du désir.

[5] Cette écriture tordue veut dire qu'il y a deux qualités de phénomènes psychiques que tu peux considérer comme des productions affectives pures :

  • Les "phantasmes" qui désignent des phénomènes psychiques archaïques, originaires, d'avant la pensée, qui sont des " hallucinations" primordiales, en prise directe avec les angoisses originaires.
  • Et des "fantasmes" qu'on appellera "primaires", qui sont des scénarios structurés par le môme - autour des questions existentielles qui le préoccupent, de comment on fait les bébés, de se marier avec maman, de la quiquette - et structurés par toi quand tu dragues la femme de ma vie. WINNICOTT distingue le symbole (objet externe décollé de l'affect qui permet de jouer) et le fantasme (objet interne collé à l'affect) (voir ci-après).

[6] A l'instant, ya un truc qui vient me sauter à la gueule : on est en 2013 et je te raconte des trucs qui se sont passés y'a plus d'un siècle ! C'est bidonnant !

[7] Mélanie KLEIN

[8] Je te causerai un jour, à ma façon, de papi Lacan, qu'a introduit cette petite révolution anecdotique dans la psychanalyse de balancer le "Ça-Moi-Surmoi" de pépé Freud à la poubelle (Lacan était un homme contemporain de la modernité : Impressionnisme, Cubisme, Surréalisme) et de les remplacer par le Réel/Imaginaire/Symbolique…

[9] Les éléments de réflexion de ce chapitre sont tirés du livre "Les processus de maturation de l'enfant"(ch.1)

[10] Syncrétisme, syncrèse = processus de constitution d'une image construite par assemblage de sensations hétérogènes et de pensées éparses, sans aucun lien de continuité naturelle entre elles. La pensée syncrétique est contemporaine de la formation de l'expérience psychique (l'expérience poétique)

[11] Le terme érotisme expliqué comme jouissance, et celui d'érotisation comme processus et lieu du corps investi par la jouissance, manque à dire son soubassement qui est d'ordre affectif. La jouissance et la souffrance sont fondamentalement des affects, c'est à dire la trace stable d'une inscription émotionnelle originaire.