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File-moi ton pamper's !

A l'invitation de Benoît Melet j'ai écrit et soutenu cette contribution
pour le colloque de l'Association Française de “Psycho-somato-thérapie”
qui s'est tenu à Paris le 6 Fevrier 1999.

Guy Lafargue

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L'ACTE, POUR QUELS PASSAGES ?

Le titre bien ambigu qui était offert à ma méditation par mon invitant,
m'a lancé sans ménagement dans un exercice d'écriture que j'affectionne.
Entre l'acte et le passage à l'acte,
entre l'imaginaire et le corps au sein du travail analytique...
entre l'abstinence de contact et le corps à corps...

Toujours est-il que mon titre
dont je n'ai pas encore percé toute la saveur inaugurale
allait m'engager dans une belle aventure que je ne renie pas aujourd'hui.
Ce titre - File-moi ton Pamper's - s'est brutalement imposé à moi
comme signifiant.

Dans l'après-coup de cette saute psychique
il allait falloir justifier mon titre...
L'histoire ne dit pas si c'est avant le lâcher de confiture de culotte ou après,
sinon qu'avec cette question de l'acte et du passage,
on est dans la merde.

Tu touches ou tu pastouches ?
Tu te bagarres avec ta cliente ou tu lui donnes l'ordre de rester tranquille
et de te rapporter in extenso ce qui lui défile dans la tronche ?
Tu lui interdis de s'enfoncer des aiguilles dans le vagin
ou tu lui expliques comment se masturber ?
Tu lui dis de remporter à la maison le biberon
qu'elle t'a filé entre les mains en début de séance parce qu'ici on parle,
ou tu vas illico lui faire chauffer la poudre premier âge
qu'elle te déballe de son sac à main ?
Tu te bats avec elle comme un chien jusqu'à ce qu'elle craque,
qu'elle pleure un bon coup,
ou tu l'envoies chez le psychiatre le plus proche
qui lui canardera la libido à coups d'abolisants sexuels
et de neutralisateurs psychiques ?
Tu lui administres du toucher thérapeutique du bout des doigts,
du creux des bras en lui expliquant qu'il n'y a rien de libidinal là-dedans,
ou bien tu la prends à bras le corps parce qu'autrement
elle va te crever les yeux, te déchirer les mains et tout casser dans ton cabinet ?

Ce n'est pas rien ça, le mot "cabinet"!
Ça baigne dans le caca !
On prend des coups,
on en donne quelques fois,
parce que c'est de la vraie colère qu'elle a réussi à sortir de toi,
de ta torpeur de praticien,
de ta suffisance de techno,
de la tour de marbre de ta métapsychosomato.
Elle, elle n'en a rien à secouer de tes pré-requis !
Elle n'a plus rien à perdre !
Elle sort le grand jeu, l'énergie du désespoir, puissante, aveugle,
destinée à te bousiller le mental, à te bloquer la pensée,
à t'étrangler l'interprétation dans la gorge, à te renverser le savoir.
Et quand enfin t'es psychiquement nu,
dévasté jusqu'à la moelle de tes propres affects,
alors le travail peut enfin commencer.
Jusque là, t'es rien et tu peux rien pour elle.
A partir de là, tu peux commencer à dire.
A sentir et à dire ce qui est là,
ce qui se passe là qui ne s'est jamais passé auparavant,
ni pour elle, ni pour toi.
T'as été au bout de ta peur d'être possédé et détruit par une telle violence,
d'être englouti par sa charge de mort,
et t'es encore debout sur tes cannes.
Tu peux commencer à être vivant et réellement là.

Tout ce travail là ne se laisse réduire à rien d'autre qu'à sa propre crudité.
Le mot "thérapie" est invalide à représenter le truc.
Bien malin qui déterminera l'ordre de préséance des ministres de la mort :
de la psyché ou du corps,
de l'affect ou de l'émotion,
de la représentation ou de la parole.
Bien malin qui décidera si psychothérapie ou somatothérapie, ou arthérapie,
ou gestalt, bio et autres préfixes accolés au mot thérapie,
chacun avec sa petite mallette de concepts
et de restrictions à ne pas enfreindre,
de précautions à circonscrire le territoire.

La morale de cette histoire,
c'est que quand l'affect est sur le comptoir, il faut le boire.
Tout le reste est littérature.
FILE - MOI TON PAMPER'S

Racket à la pouponnière

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Depuis le dernier automne, je me suis laissé travailler par cette interpellation sur la question de l'"acte", de l'"agir corporel" dans la relation analytique telle que je la pratique. J'étais invité à cerner ce qui du récit clinique que j'ai exposé dans la revue "Les lieux du Corps" résonnait dans le cadre de votre discipline, la "Psychosomatothérapie". Quelque chose de ma pensée et de ma praxis prenait à l'évidence place et sens dans votre famille analytique, en tout cas pour le médiateur de cette invitation.

D'entrée de jeu, j'ai été déporté vers les moments de ma découverte en 1977 des travaux du psychanalyste américain Harold Searles , dont la recherche portait de façon vigoureuse sur l'expression contre-transférentielle de l'analyste dans l'échange psycho-affectif et physique avec son client au sein de la relation analytique. C'est sur cette base "explosive" que j'avais inauguré, à mon corps défendant, ma propre entrée dans l'arène thérapeutique, et que je l'ai poursuivie par la suite, de manière mieux construite, et aujourd'hui relativement bien élaborée. Et je gage que c'est sur cette question que mon article dans "Les lieux du corps" a retenu votre attention.

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Bien avant la rencontre des travaux de Searles (dans les années 80), j'avais été soumis à l'initiation corrosive de Max Pagès dont j'imagine que vous connaissez les travaux , et dont j'ai été un des collaborateurs entre 1972 et 1978 au sein du Laboratoire de Changement Social, collaboration dont cette structure des Ateliers d'Expression a d'une certaine façon été le fruit. Searles venait m' étayer dans un mode d'agir analytique que j'avais déjà engagé avec beaucoup de souffrance et d'incertitude et qui accordait à la communication affective et corporelle de l'analyste une valeur opératoire fondamentale.

Il y avait eu aussi pour moi l'enthousiasmant travail "anti-psychiatrique" de Jo Berck et de Marie Barnes : "Voyage à Travers la Folie", qui m'avait beaucoup touché et soutenu dans ma transgression des tabous liés au corps et à la communication corporelle dans le travail analytique, et des toutes-puissantes normes d'abstinence et de neutralité prescrite bienveillante où se retranche la psychanalyse fondamentaliste qui prétendait encore à cette époque régenter l'ensemble du champ analytique sous sa férule. Que reste-t-il aujourd'hui des intuitions fécondes de l'anti-psychiatrie dans les pratiques de la Santé dite mentale ?

C'est donc sur ces dimensions tout à fait fondamentales de la communication corporelle et émotionnelle, de la communication physique dans certains corps à corps sous-tendus par l'expérience affective mise en scène dans l'arène analytique que va porter pour moi le débat.

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Comme analyste, je ne me suis jamais inscrit ni identifié à une École. Ma formation de base n'est pas freudienne, elle est auto-didacte. Je veux dire par là qu'elle a été d'abord engagée : d'une part dans l'expérience vécue d'Ateliers d'Expression Créatrice au sein de l'institution psychiatrique auprès de personnalités psychotiques ; et d'autre part, une première fois, dans le passage par l'acte de répondre comme analyste à une demande qui m'était faite par une cliente d'un séminaire que j'animais avec Max Pagès. Je n'avais pas alors de formation didactique d'analyste en relation individuelle. La grande empreinte idéologique que j'assumais alors et qui reste aujourd'hui pour moi toujours puissamment active était rogerienne, la non-directivité n'étant pas à proprement parler une école mais une orientation libertaire de l'être et de l'action.

L'utilisation explicite et ferme du terme "analyste" pour désigner la nature de mon travail auprès des personnes que j'ai reçues ou reçois en travail individuel est à mes yeux parfaitement légitime. Sur ce plan, je mets en cause l'abus de l'équation verbale que les psycho-analystes opèrent en faisant comme si les termes analyse et psychanalyse étaient des mots exactement synonymes. Je demande que soit explicitement marquée l'astreinte, dans la pratique langagière quotidienne de la théorie comme de la praxis, de signifier l'orientation théorique qui marque l'appartenance à une école en y l'accolant au terme analyse. Il est bien évident, Dieu merci, que l'on peut aborder les phénomènes de l'expérience inconsciente d'un autre point de vue que celui de Freud et des praticiens qui invoquent son système de pensée comme cadre de référence pour leur propre pratique.

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Je me suis personnellement construit sur certaines identifications, en tout premier lieu à Max Pages (le passeur de Carl Rogers en France dont j'ai été l'un des collaborateur) dans son mode de fonctionnement des années 70 ( position qu'il a d'ailleurs complètement abandonnée par la suite). La question de l'implication émotionnelle directe dans les liens corporels avec les participants de nos activités était centrale, associée à une non-directivité offensive.Cela lui avait valu une exclusion de fait de la part de ses collègues de l'Association pour la Recherche et l'Intervention Psycho-sociologique (ARIP) qu'il avait créée) . Identification aussi à des corpus théoriques en tant qu'ils venaient éclairer, étayer ou donner sens à certains fragments de silence de mes propres élaborations. Essentiellement, donc, la "Person Centered Thérapy" rogérienne appréhendée par la rencontre des écrits de, ou sur, Carl Rogers (à partir de 1966 et fidèlement référée depuis) J'ai engagé ensuite une formation à la pratique psycho-sociologique de la dynamique de groupe lewinnienne/rogerienne, à la relation d'aide et à l'analyse institutionnelle (en 1970). Puis longtemps après, l'adoption de la théorie de la construction de l'expérience psychique de Winnicott (en 1979), de la théorie phantasmatique kleinienne et néo-kleinienne (vers 1982), de la théorie de l'implication agie du contre-transfert sousl'influence de ma collaboration avec Max Pagès; aujourd'hui enfin, une extension vers les problématiques des images du corps en dérive des travaux de Françoise Dolto.

Confluence de courants me semble-t-il assez bien intégrés et reliés qui me font un sac à dos bien garni pour affronter les rigueurs de l'expérience affective qui constitue le cœur du drame analytique.

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Ce que j'ai à dire sur la question de l'expression contre-transférentielle dans la communication corporelle - vous remarquerez que je ne dis pas psychosomatique mais bien corporelle - entre l'analyste et le client - c'est cela que j'entends par "L'acte" dans l'intitulé thématique de votre congrès - relève donc avant tout d'un travail d'introspection de mon engagement aventurier dans le travail analytique, dans des modalités d'action hors-les-normes, et sur un mode d'élaboration théorique qui se présente plus comme une poétique que comme une logique spéculative.

Laissant un temps les choses en suspension, j'ai attendu que se décantent mes préoccupations et de sentir les lignes de force où j'allais être entraîné. Et très progressivement mes idées se sont ordonnées autour des événements qui trament pour moi le cœur de l'expérience analytique, à savoir :

  • La question du statut spécifique de l'expérience psychique dans la dynamique relationnelle du travail analytique.
  • La place et le maniement des expériences émotionnelles.
  • La question, la plus importante à mes yeux, de l'investissement affectif sur l'ensemble des médiations offertes au client, que l'on nomme habituellement le transfert.
  • La question des facteurs opérants à l'œuvre dans le travail analytique.
  • La question enfin des dynamismes de la parole et de l'élaboration de l'expérience vécue.

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Je vais tenter d'avouer un certain nombre de choses avant de commencer, pour situer dans quel axe épistémologique j'engage ma réflexion sur les processus de changement dans le travail analytique. J'aurais ainsi plaisir à signifier aussi clairement que cela me sera possible, la singularité de ma praxis et de ma réflexion sur les processus mutatifs dans la dynamique expressionnelle. J'en poursuis lentement la théorisation comme discipline autonome dans le champ des théories du lien analytique , et en particulier en démarcation de la théorie psycho-analytique freudienne et de la théorie et de la pratique du travail émotionnel d'inspiration reichienne.

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I : La Psychologie est
une science sans objet

Tout d'abord, je dois poser ce postulat qui a peu de chance de faire l'unanimité auprès des professionnels du psy, qui est que la psychologie est une science sans objet et que la psyché comme appareil, comme instance topique, n'existe pas. Cette entité que l'on désigne du nom de psychologie pour désigner cette chose mystérieuse ( littéralement ce phantôme) dont s'occuperaient les psychologues (la psychologie (d'une personne comme on dit), d' appareil psychique, d' appareil à penser, de psychisme sont à mes yeux des énonciations poétiques, des concepts anthropomorphiques, c'est à dire, des productions psychiques fonctionnant sur le mode de la projection identificatoire.

Ceux qui connaissent mes jeux d'insolence théorique arboreront un sourire de condescendance affectueuse ou méprisante - c'est selon - en invoquant mon coté Don Quichotte parti en guerre contre les moulins à vent de la Métapsychologie justement. Les autres attendront la suite avec circonspection.

Mon avis est que le vingtième siècle a été psychiste, et qu'ils feront tout, pendant quelque temps encore, pour que le vingt et unième le reste. Tel est le destin des religions. Il sera bien difficile de dévisser la déesse Psyché du socle langagier et de l'ordre sacerdotal où l'a scotché une psychanalyse aujourd'hui plus que centenaire, qui campe sur le fantasme d'un savoir définitivement conquis.

La métapsychologie comme fiction conceptuelle est le prototype de tous les Objets psychiques, forme résiduelle d'un moment de création réussie dans les années 1900 se substituant à la nécessité créatrice qui lui a donné naissance, dans le jeu de la croyance en ses postulats.

Ce qui est important, ce n'est pas le corpus théorique lui-même mais le mouvement de son élaboration et la fonction symboligène qu'il remplit pour le théoricien. Ce qui, à un moment donné de l'histoire de la pensée et des pratiques sociales de la désaliénation (le marxisme et la psychanalyse), était posé comme création et subversion dans le champ aliéné de la culture est devenu à son tour instrument aliéné/aliénant de la pensée créatrice dans le jeu hégémonique de la pensée unique. Le processus constituant de l'Objet, aliéné en fétichisation de l'Objet.

Je ne fais plus crédit, comme cela a pu être le cas pendant toute mon adolescence de praticien/chercheur, dans la croyance en l'existence d'un système psychique causal, signifiant-maître qui prévaudrait sur d'autres modalités d'être-au-monde, et en particulier sur celui de l'expérience affective qui est l'instance organisatrice fondamentale de la configuration des formes du Désir, comme des formes la résistance. Le point de vue psychiste, qui est un point de vue religieux, est unanimement soutenu par tous les grands courants actuels de la psychothérapie, le préfixe psycho, justement, désignant bien l'inscription idéographique de ce pur phénomène de croyance .

Le point de vue que je vais tenter de développer est que c'est l'expérience affective qui est la matière, le lieu et l'objet du travail analytique, et non d'abord l'expérience psychique qui n'est qu'une médiation parmi d'autres de sa manifestation, de son émergence et de sa résolution au sein du travail analytique. Dire cela, c'est bien entendu prendre le risque de heurter frontalement la grande doctrine du vingtième siècle, La Psychanalyse (L et P majuscules), dont tout l'appareillage théorique, dont tout l'appareil psychique justement, a été construit pour protéger les structures hégémoniques de ce système de représentation de la dure loi du vieillissement et de la mort.

En fait, je demande à mes interlocuteurs une chose extrêmement simple, propre à une attitude scientifique normale, qui est que l'on essaie un moment de changer ton point de vue, de te désaxer quelques instants du mirador qui accorde massivement à l'expérience psychique le primat sur toutes les autres instances de l'expérience organique globale qui est le point de vue aussi bien freudien - toutes tendances confondues - que reichien. Et d'examiner un moment ce que cela changerait (non seulement dans la représentation spéculative des processus à l'œuvre dans le travail affectif/psychique, mais surtout dans la conduite elle-même de la relation analytique) si l'on se mettait à considérer :

  • Que les mouvements psychiques sont de simples phénomènes informatifs adressés à la perception du sujet, c'est à dire des représentants de l'état actuel de son expérience affective :
  • Que c'est là l'unique fonction des formations psychiques.
  • Que le "psyck,", le scénario psyck - unité psychique-base - n'a de sens que dans ce moment-là de l'existence du sujet et dans l'instant de sa condensation.
  • Qu'il n'y a pas d'activité psychique inconsciente mais seulement une formation de formes mentales/psychiques en permanence accessible à la perception dès l'instant de leur figuration.
  • Que ce qu'ils appellent psychisme inconscient est une pure hypothèse, une idéation poétique, et non un fait d'observation scientifiquement irrécusable.
  • Qu'il y a bien un destin des traces d'événements psychiques antérieurs stockées dans le tissu neurologique mais qui n'existent pas comme fonction dynamique ou causale; qui ne sont que l'incrustation mnésique de formations psychiques antérieures, une masse potentielle, résiduelle, de formes inertes, constituées en une sorte de banque électronique (fonctionnant comme les micro-processeurs informatiques), virtuellement utilisables telles quelles, soit de manière récurrente dans le jeu de la répétition obsessionnelle, soit dans de nouvelles combinaisons psychiques créatrices. La liberté de création psychique est totalement aliénée à la force de détermination affective des signifiants. Plus le sujet est libre, plus ses compétences psychiques sont riches et créatrices.

Les formations psychiques sont toujours une représentation instable, une figuration éphémère ayant son sens et sa signification dans l'instant où elle est saisie comme empreinte figurative, imaginaire, de l'état d'affect où le sujet se trouve dans cet instant-là. La fonction psychique est de produire des formes mentales, constituante d'un fond mental constant sur lequel viennent trancher des configurations nouvelles, figures momentanées de la représentation, alors que dans notre culture, elle est massivement utilisée et représentée comme conservatoire des formes mortes données comme prédicats universels. Ainsi en va-t-il de toutes les métathéories qui prétendent substituer au jugement fondé sur l'expérience une perception obéissante formée à des dictats anciens vidés de toute la substance créatrice qui a été la leur au moment du doute inaugural et fécond de leur créateur à l'adresse des théories anciennes. C'est dans le processus et dans le mouvement de la création psychique , et non dans ses formes abouties que réside la puissance subversive de la vérité.

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Dans la conception que je dessine , la vie psychique est saisie en tant qu'expérience, en tant que processus actuel de figuration dans le mouvement de sa constitution, et non en tant qu'entité définissable comme "appareil". La conception topique freudienne de la vie psychique, qu'elle soit en V.O ou sous-titrée, est une conception totalement surannée.

Dans l'hypothèse que je propose à votre examen, les faits psychiques doivent être appréhendés comme des formations de compromis éphémères (épiphénoméniques) entre forces pulsionnelles et forces répressives jouées au sein de l'expérience affective du sujet en vue de sa détoxication; comme des formes produites en fonction d'un état affectif actuel; comme des manifestes de l'affect, variant au gré de l'affect lui-même et non comme des propriétés stables ou comme des forces causales dont une partie serait définitivement coupée de la perception. Toutes les inscriptions mnésiques de formes psychiques résiduelles sont condensables en fonction de leur aptitude à figurer une tension affective actuelle.

Les formations psychiques sont une des modalités qui permettent au "Je" de pouvoir connaître de façon médiate l'état de la structure, en vue de sa mobilisation dynamique.

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L'expérience psychique comme séquence scénarisée naît à la conjonction de deux phénomènes : l'un de nature affective constitué par les rapports originaires de l'individu au monde extérieur dont dépend sa survie, et l'autre de nature sensorielle/sensuelle lié aux premières perceptions. La perception elle-même est un processus de construction de formes intégrant qualités affectives et qualités sensorielles/sensuelles. "Tout objet perçu, rappelle Winnicott, est un objet conçu", c'est à dire construit de ces deux éléments syncrétiquement associés. C'est là le fonctionnement-même de l'acte poétique.

Les premières formes embryonnaires d'objets psychiques (protomentales) sont le résultat de mécanismes de syncrèse associant deux qualités hétérogènes en une forme/objet unique : l'une d'origine purement sensorielle et événementielle, l'autre simultanément liée aux premières structurations d'affect. La transformation de cette forme fugace en objet psychique stable dépend de la valence affective qui y est associée, et des adhérences sensorielles qui s'y attachent. C'est de la constitution de ces formations originaires - la pensée concrète en adhérence au réel du monde des sensations originaires - que dépendront par la suite la constitution des processus de la pensée imaginaire, puis de la pensée symbolique

C'est selon ce processus de construction subjective que se forme l'univers phantasmatique réellement originaire, univers structurellement déterminé par la configuration des premières relations d'Objet.

Le terme de Phantasme a été créé et orthographié de cette façon judicieuse, par une psychanalyste élève de Mélanie Klein - Suzan Isaac - pour désigner le socle phantasmatique de l'univers psychique, avec cette concession faite à Freud de désigner par là "le contenu primaire des processus mentaux inconscients". Pour ma part, j'associe conceptuellement les deux termes phantasme et originaire pour signifier clairement qu'il s'agit bien des premières formations protopsychiques d'inclusion, de dévoration, de morcellement, d'éviscération qui se distinguent des fantasmes originaires définis par Freud, désignant par ces termes des fantasmes de deuxième génération supposés inconscients : séduction, castration, scène primitive. Le terme originaire doit selon moi exclusivement servir à désigner les toutes premières ébauches de formes psychiques et non, comme le définissait Freud, les représentations psychiques déjà bien élaborées que le jeune enfant se fait des origines de sa conception. J'adopte donc cette signification de l'originaire, dans les modalités mêmes où la désignait également la psychanalyste Piéra Aulagnier .

Nous considérerons donc ici les objets psychiques comme des images mémorisées en tant que telles, produites dans une situation à forte valence affective qui se constituent en un stock mnésique de traces de situations vécues. Ces images possèdent pour le sujet des propriétés, des adhérences émotionnelles et affectives signifiantes, empruntées à des événements originels dont l'évocation directe est trop menaçante pour lui. Elles sont susceptibles d'être condensées lors de certains événements structurellement analogiques, c'est à dire de faire retour dans la production de scénari psychiques actuels, en particulier dans le jeu intertransférentiel, sous la forme de la projection, de la rêverie ou du rêve nocturne, ou du délire, qui sont tous des processus dans lesquels les objets psychiques, saisis dans leurs investissements d'affect, sont pris par le sujet, par le "je", comme objets de perception. Dans le spectaculaire exemple du "Petit Hans", emprunté à la mythologie freudienne, l'apparition d'un cheval dans la rue permet à l'enfant d'exprimer la détresse et l'angoisse attachées à la relation à son père, dont la représentation directe est trop dangereuse pour lui. Le cheval est devenu objet psychique, condensation de l'affect, de terreur, et simultanément issue de secours langagière à l'emprise affective par où l'enfant conserve un pouvoir de dire la chose irreprésentable en tant que telle.

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Les formations psychiques, toutes les formations psychiques, n'ont pas fondamentalement pour but la réalisation de désir, qui n'est qu'un aspect mineur de ce processus. Elles ont pour fonction, dès le début de l'existence, et tout au long de celle-ci, de compenser le déficit instinctuel dont 'évolution biologique a marqué l'être humain. La fonction de la formation des formes et scénari psychiques est de permettre au sujet humain de rendre homogène à sa propre expérience certains éléments hétérogènes de son environnement externe et interne donnés comme stimulis et excitations au même titre que les stimulis et excitations en provenance des objets de la réalité (Piéra Aulagnier le dit de la fonction de la pensée 15).

Cette conception épiphénoménique et informative à l'usage du "Je" prive de leurs significations culturelles un certain nombre de termes ou de formules médiatiques établies dans le langage courant et dans le langage professionnel comme de parler de la douleur psychologique ou de la souffrance psychique, de parler de psycho-pathologie, voire même de parler de psycho-thérapie, comme si ces formes, ces images, étaient douées d'une matérialité, d'une consistance organique et dotées d'un pouvoir autonome sur la destinée humaine.

Ces images ne sont que des configurations psychiques, provisoires, dont certaines, qui présentent une forte valeur affective pour le théoricien, sont engrammées dans les ensembles neurologiques néo-corticaux à la manière dont les données informatiques sont saisies sur le disque dur d'un ordinateur.

Les formes psychiques ne souffrent pas, ne sauraient être pathologiques, ne sauraient être soignées. Cette croyance est insensée. L'image n'est jamais que la forme terminale, synthétique, d'un ensemble de déterminations dont la liaison se joue au niveau de la structure affective.

C'est le sujet qui souffre, c'est l'expérience affective de la personne qui s'exprime par la douleur morale. C'est dans l'expérience affective que se développent les forces dépressives, les sentiments de persécutions, les motions destructives.

De tout ce théâtre de la dramaturgie humaine, l'activité psychique rend compte dans sa propre iconographie. Source des mythologies, des religions et de la pulsion épistémologique elle-même. Les métathéories sont des productions psychiques devenues objets psychiques identificatoires pour les identifiants.

Le délire n'est pas une distorsion, ni une pathologie du fonctionnement psychique, mais une configuration psychique circonstancielle actuelle qui signale et témoigne des ruptures affectives qui se produisent lors de l'expérience de l'effondrement des défenses compensatoires que la personne a mises en place pour se protéger.

Le mot psycho-pathologie est une aberration. La notion de troubles psychiques est un non-sens. Elle n'est tenable que dans le langage aliéné de la psychiatrie et dans la croyance culturelle qui exemptent ses serviteurs de payer leur dette envers le Sujet. Elle n'est entretenue que parce qu'elle est rentable pour la pharmacopé psychiatrique. La molécule est le veau d'or des pratiques de la santé abusivement dite mentale, puisqu'on confie à la molécule qui travaille sur le tissu neuro-hormonal, le soin de réduire les désordres psychiques, partie visible de l'iceberg, qui sont si angoissants pour l'environnement social, par où le Sujet, justement conservait encore quelque force insurrectionnelle de désir.

Le trouble, la souffrance, le pathologique sont affectifs. Ils concernent le "Je" et non des fonctions partielles. Ils touchent l'organisme dans sa globalité et non dans la plus périphérique de ses fonctions qu'est la fonction imageante appelée psychisme. Mais le psychisme n'existe pas en tant que tel. Il n'existe ainsi que dans le langage. Psyché est un mythe.

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Quelles sont, quelles seraient les conséquences de ce changement de point de vue dans les pratiques analytiques, aussi bien dans le champ du travail thérapeutique que dans celui de la formation, voire, dans celui de l'éducation ? Certains se souviendront ici de l'épineuse question que posait Piéra Aulagnier à ses collègues freudiens dans son livre sur "Les destins du plaisir" : "Imaginons - dit-elle - que l'on découvre que l'inconscient n'existe pas, que le refoulement est une pure illusion, que la pulsion est effectivement un mythe. Réalise-t-on que, dans ce cas, ce serait notre propre manière de nous penser, de penser notre monde, nos affects, nos espoirs, qui s'effondrerait". Elle aurait pu ajouter "et les postulats qui brident notre action au sein de la cure".

Cette conception bouleverserait la vitrine psychothérapeutique, non seulement parce qu'elle obligerait à représenter la névrose et la psychose autrement que comme des troubles internes à l'organisation psychique, mais encore et surtout parce qu'elle les obligerait à reconsidérer celles des stratégies de la conduite analytique qui sont fondées sur l'articulation de la fonction Parole aux seuls processus psychiques, élus comme médiation exclusive dans la dynamique de la cure. Dans cette dérobade hypocrisique, les psys s'exemptent du commerce affectif intertransférentiel et des tragédies analytiques dont il serait le théâtre.

Cela obligerait en particulier à reconsidérer la question du repli de l'aventure analytique/langagière sur la seule production psychique (processus associatif et travail sur le rêve et les lapsus) en ouvrant largement l'espace analytique à l'expression émotionnelle et affective intertransférentielle qui sont les aires effectives où travaillent les processus de changement significatif de l'expérience du sujet. Une vraie révolution. Les trompettes de Jéricho contre les murailles de l'exemption psychanalytique...

Cela introduirait à un mode d'utilisation de la fonction psychique, dans le travail associatif comme dans le rêve, non comme stratégie mémomnésique destinée à nourrir le travail interprétatif, mais comme une expérience créatrice langagière à part entière, au même titre que d'autres ressources langagières æsthétiques : dessin, modelage, écriture, danse, marionnettes... dans l'espace de séance pour y élaborer le drame inscrit dans la relation intertransférentielle. Au même titre que l'expression émotionnelle et affective directe qui est dans tout travail analytique le terme dernier de l'expression lorsque le travail langagier est opérant. Cela obligerait les analystes de toutes confessions à devenir créateurs dans le jeu et dans l'action, c'est à dire ailleurs que dans leurs propres flottements associatifs, contre quoi les sauvegardent une pseudo-éthique de l'interdit de la communication corporelle/émotionnelle et affective.

Cela confèrerait de façon axiale au processus créateur la fonction centrale de lieu de représentation de l'impensable affectif pour tout cet univers inaccessible à la perception. Mon hypothèse est que c'est dans le processus créateur, dans le mouvement lui-même de l'expérience créatrice, quelles que soient les médiations utilisées pour ce faire, qu'opère la fonction Parole. Dans l'acte de création lui-même réside la puissance mutative de la situation analytique dont le praticien devra accueillir, contenir et nourrir les effets psychiques, émotionnels et affectifs, dont il devra ensuite conduire l'élaboration. La Parole est création.

Cela ouvrirait l'espace analytique des séances au libre déploiement du jeu, de l'expérience de l'expression émotionnelle et affective dans le jeu de la représentation médiatisée ou directe, expériences redoutables, seules capables de produire le changement significatif attendu du travail analytique. Les analystes, à quelque référence méta qu'ils appartiennent y seraient obligés à renoncer à leurs armures théoriques et à leurs prothèses techniques pour y suivre bon gré, mal gré leurs clients en enfer, et d'y déjouer au retour la tentation mortelle d'Orphée.

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II : Le périphérique émotionnel
dissoudre le bébé dans l'eau du bain

Le débat sur le statut de l'expérience émotionnelle dans le travail analytique est un lieu de grande confusion, notamment parce qu'il est bien difficile d'en isoler des manifestations clairement distinguables des manifestations affectives elles-mêmes.

Entre émotion et affect, ni la psychanalyse freudienne, ni la bio-énergie reichienne ne sont parvenues à clarifier réellement le débat. Il suffit pour s'en convaincre de lire l'ouvrage de Max Pagès consacré à ce sujet : "Trace et sens". Il y développe une sorte de conception œcuménique entre systèmes affectif, fantasmatique et émotionnel qu'il essaie, au fond, de rendre sinon compatibles entre eux, en tous cas quant à leurs potentialités opératoires, sous les termes d'analyse dialectique dans lequel le "système émotionnel", signifiant-maître de son inscription théorico-technique, recouvre à la fois le champ émotionnel et le champ affectif.

Mon sentiment est que chaque école thérapeutique tient sur ces définitions un langage et une stratégie visant à conforter des positions techniques subjectivement adoptées par ses membres, et spéculativement confortées dans une théorisation globale de leurs choix subjectifs pour l'action.
En définitive, sur ces questions de la liberté qu'il se donne ou non quant à l'acceptation, ou à la sollicitation, ou au développement spontané des manifestations affectives et émotionnelles dans l'espace/temps de la séance, chaque thérapeute a sa propre économie psycho-affective qui est engagée.

Chaque thérapeute adhère ou secrète la théorie de l'action qui lui assure une certaine indemnité dans l'exercice périlleux de son art. Il serait certainement plus clair d'avoir le courage de dire :

  • qu'il y a bien ce lien originel entre le désir (coupable) de la transgression analytique, la façon dont il affectionne, dont il a compétence éprouvée à travailler d'une certaine façon, et le cadre conceptuel et théorique d'école que l'on se choisit, ou celui que l'on crée à son propre usage, ce qui a été le cas de tous les fondateurs d' École;
  • qu'il y a bien cette nécessité et cette collusion à se constituer une armature idéïque qui résolve dans l'imaginaire la question subsidiaire de la transgression.

C'est sur cette base fantasmatique que se constitue en définitive l'École comme entité objectivante là ou en réalité il n'y a que collusion signifiante des enjeux inconscients des identifiants.

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Pour en revenir à ce point visant à clarifier la question de savoir ce qu'il en est de la place respective de l'émotionnel et de l'affectif , il est très clair pour moi que ces deux champs interdépendants constituent des fonctions spécifiques, distinctes, de l'expérience du sujet . Mais plutôt que de m'engager comme le fait Max Pagès dans des spéculations théoriques visant, me semble-t-il, à conforter les options méthodologiques qu'il engage dans la conduite dirigée du travail émotionnel sur lequel il a définitivement pris parti, je vais essayer de décrire comment dans ma pratique de la conduite d'Ateliers d'Expression Créatrice ou du travail analytique individuel je rencontre l'expérience émotionnelle et affective des personnes, et la façon dont je les accueille et les accompagne, et la façon dont elles sont élaborées.

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Praxis des Ateliers d'Expression Créatrice Analytique
( AECA) et dynamique émotionnelle

Dès l'origine de la constitution de ma praxis, le cadre des AECA a été un cadre groupal, aussi bien dans les premières expérimentations que j'en ai faites dans ma charge auprès des étudiants de psychologie de l'Université de Bordeaux, que dans celui de l'institution psychiatrique où j'ai mis en place les premiers Ateliers thérapeutiques de ce type, que dans celui de la Formation d'animateurs/thérapeutes qui est mon lieu central d'expérience depuis 1975.

Lorsque j'ouvre un Atelier, je présente le cadre et le dispositif dans lequel va se développer l'aventure créatrice analytique. Le terme analytique ne préjuge pas de la nature de contrat : thérapie, formation, analyse de l'institution ou autre. Il désigne la structure générale de mon invitation et du dispositif concret qui articulent dynamiquement expression et parole.

Et je fais l'introduction suivante :

" Vous êtes invités à vous exprimer au moyen de ce langage-là qui est mis à votre disposition. Selon le cas, l'argile, la peinture, les composites durs, le papier, l'écriture ou le tissu, ou plusieurs de ces médiations créatrices simultanément.
Chaque séance (d'une demie journée) est partagée en deux temps :

  • un temps consacré au libre jeu avec la médiation instaurée comme langage pendant lequel vous avez l'entière initiative de la formulation.
  • un temps, en fin de chaque séance, au cours duquel chaque personne qui en éprouve le besoin, ou qui en a le désir, est invitée à dire ce qu'il en a été de l'expérience intérieure qui a accompagné le jeu créateur, tant au plan de l'activité psychique déclenchée par les mouvements de l'expression, qu'au plan des émotions qui traversent l'expérience, qu'à celui des émergences affectives qui s'y produisent. Il est également possible, au cours de ce temps de parole d'évoquer les objets créés".

Et puis je donne le signal comme quoi, dès cet instant, l'aire de jeu est ouverte, et je me retire, pour toute la durée du fonctionnement de l'Atelier, de toute induction délibérée en termes de direction de quelqu'aspect que ce soit du jeu créateur. Renoncement à exercer une influence, pas d'exercices techniques , pas de suggestions thématiques, pas d'incitation à des productions groupales, pas d'évaluations esthétiques ou morales, pas de correction, pas d'intrusion interprétative.
Dès cet instant, se mettent en place les modes de détermination de l'initiative de chaque personne sur laquelle entreront en synergie ou en conflit les aspects phantasmatiques propres à chacun.

Ce cadre, tel qu'il est posé là, est l'inducteur majeur et extrêmement puissant d'activation affective pour chaque personne, et par contre-coup de la surface groupale elle-même qui fonctionne pour chacun comme une instance phantasmatique archaïque. C'est sur le socle affectif inconscient que vont se développer l'ensemble des processus æsthétiques, émotionnels et psychiques avec lesquels je vais avoir à travailler.

Je pense qu'il ressort clairement de ces énoncés que je considère les processus aussi bien psychiques, qu'émotionnels comme des effets venant en aval des manifestations affectives déclenchées par la conjonction des attentes de la personne, de la structure du cadre, de mon mode et de mon style de présence, et des composants groupaux; comme des épiphénomènes de ce qui est mobilisé et mis en fermentation au plan de la structure affective. Il en va de même du processus de formation des formes qui vient en aval des autres plans, comme représentation manifeste de la structure affective (présenciation).

Qu'en est-il de la dimension émotionnelle dans ce cadre-là ?

Le premier mode émotionnel que je mettrais en évidence est précisément celui qui ne se donne pas à voir de la manière spectaculaire et hystérisée où on la rencontre dans les cadres où elle est directement sollicitée par les animateurs/analystes (comme dans la bio-énergie ou la gestalt-thérapie des années 70/80 que j'ai personnellement expérimentées), par l'utilisation de jeux corporels construits et standardisés, de stimulations émotionnelles provoquées ou d'exercices imaginaires ou physiques, ou respiratoires (exercices de gestalt, de rebirth etc...). Je défends pour ma part avec vigueur le point de vue que j'ai également rencontré chez Winnicott selon lequel, pour qu'il y ait thérapie, il est nécessaire que le jeu soit réellement spontané.

Dès l'instant où l'invitation à la spontanéité est ouverte, la personne prend contact avec les matières mises à sa disposition pour s'engager dans le travail de représentation qui est instauré ici par l'invitation à l'agir créateur expressif, et ce sont les patterns émotionnels eux-mêmes qui prennent la direction des processus de contact et de condensation des désirs de figuration æsthétique. Les émotions qui se manifestent sont directement corporelles, des émotions d'organes si je puis dire ainsi, essentiellement fondées sur les affects sous-jacents de répulsion ou d'attraction déclenchés à la fois par la matière elle-même et par les investissement affectifs immédiats co-extensifs au cadre lui-même et à ses composants, dont l'animateur constitue rapidement, voire immédiatement la figure centrale.

Le champ émotionnel s'inaugure doublement autour de la sensualité et des pressentiments de la mise en travail affectif déclenchés par la rencontre avec le cadre qui est éprouvée de façon non-médiate sans nécessairement être ressentie et perçue.

Je donnerai en exemple de ce processus ce qui est arrivé hier dans un Atelier d'Expression de Dessin auquel participait pour la première fois Brillante.

Pendant la séance d'Atelier, Brillante découvre les pastels aquarellables et elle entre dans une fascination évidente pour cette matière particulière. Elle y a d'vidence chez elle une intense jouissance exprimée. Et puis, elle ornemente son dessin de petits noeuds de bolduc, ces fils de rafia synthétiques scintillants et multicolores dont on se sert pour conclure l'emballage des cadeaux, qu'elle colle dans le ciel de son tableau. Elle ne sait pas encore pourquoi, mais il y a une détermination très forte à faire les choses ainsi.
Lorsqu'elle en parle dans le temps de parole, elle s'exprime avec beaucoup de difficulté, très émue de cette nécessité où elle s'est trouvée prise de faire les choses de cette façon. Pendant qu'elle parle elle ne cesse, pour bien nous faire comprendre ce qui lui est arrivé, de frapper de son index droit la paume de sa main gauche avec une très grande force, comme pour nous faire sentir ce qu'elle n'arrive pas à expliquer la chose avec ses mots. Et je dis "jouissance de doigts ?". Elle se met alors à parler des petits nœuds de bolduc et sans crier gare, elle a un accès de sanglot immédiatement comprimé et retenu. Après quelques moments de silence, elle nous dit sans transition que son fils lui a fait un cadeau sans avoir pris le soin de le placer dans un emballage, et qu'elle était en train d'éprouver maintenant une grande souffrance. Elle nous dit qu'elle avait pensé et cru sur le moment que c'était sans importance, et que là, son expression avec la douceur des pastels l'avait ramenée loin en arrière dans son enfance, dans une souffrance affective aiguë liée aux cadeaux mal faits, non réellement donnés.

C'est une toute petite chose cela, qui prêtera à sourire, mais je vous assure que c'est pour Brillante le point de départ possible d'une profonde révolution. Et bien entendu, probablement qu'un thérapeute émotionnel aurait profité de ce moment sensible de la parole de Brillante pour lui faire remarquer qu'elle bloquait son émotion, ou l'aurait aidée à pleurer, ce qui aurait été facile. Personnellement, je n'ai surtout pas touché à son mouvement de maîtrise, manifesté par elle comme nécessaire, comme défense utile dans cet instant-là. Je pense que l'ayant ainsi respectée, Brillante a pu sentir de façon significative que le cadre, moi-même et le groupe l'autorisions sans la menacer de façon intrusive à être présente à ses mouvements affectifs actuels sans être manipulée ni agressée dans ses défenses.

Deux ordres d'émotions sont actifs dans cet exemple :

  • l'un intime et largement inconscient qui se développe pendant le travail créateur, dans lequel le sujet est profondément absorbé par le mouvement de la formulation, et dont nous prenons connaissance si la personne accepte d'en parler pendant le temps de parole;
  • et l'émotion liée à la prise de parole pendant laquelle la personne, en en parlant, est assaillie par des effets de transfert qui mettent à jour de façon parfois brutale des séquences de l'histoire personnelle, des souvenirs de blessures narcissiques, de deuils non faits, des états affectifs parfois violents retrouvés ici, et qui donnent lieu à communication, après avoir donné lieu à représentation.

C'est dans ce mouvement de va-et-vient entre affect, représentation et communication, entre expression médiatisée et aveu dans la parole, qu'un autre plan d'expérience émotionnelle surgit parfois, dans un véritable travail de décharge cathartique, de détente par l'expression émotionnelle complète, qui constitue généralement ce que l'on appelle une ab-réaction, c'est à dire la libération d'une stase affective enkystée dans l'expérience du sujet qui peut enfin accéder à la résolution émotionnelle qui lui avait été interdite au moment originel du trauma affectif.

Lorsque de telles expériences, régulières et fréquentes dans les Ateliers d'Expression Créatrice, se produisent, je n'interviens pas particulièrement, ni pour pousser l'émotion à son terme, ni pour atténuer les douleurs affectives qui la trament. Simplement, si j'en ressens la nécessité, je dis à la personne qu'elle peut à la fois parler et pleurer, ou je lui dis qu'elle n'a pas à redouter de pleurer. Je marque mon soutien au processus essentiel de santé affective manifesté dans l'expérience émotionnelle. Cela suffit presque toujours à soulager la personne de la honte et de la culpabilité inhérentes au fait non de pleurer mais d'éprouver l'affect interdit, et à accepter d'être là, transparente, dans cet état de fragilité et de vulnérabilité. Les personnes qui vivent cette expérience profonde sortent toujours de ce moment avec un sentiment de gratitude, de confiance et de force retrouvée.
Une autre modalité d'émergence émotionnelle se manifeste, de façon régulière et fréquente, lorsque la personne découvre tout d'un coup qu'elle a abordé sans le voir venir, tout un pan de son histoire personnelle, un moment critique ou dramatique, de sa relation à l'un ou l'autre des membres de sa famille. Et l'on voit éclater de puissantes émotions, par exemple de chagrins liés à des gestes non accomplis envers la mère ou envers le père. Ou bien remontent à la surface avec brutalité des représentations de personnages disparus après des séparations dont on croyait avoir neutralisé la charge affective. Ou des deuils non réellement accomplis que l'on croyait terminés depuis longtemps. Ou bien des scènes de séduction ou de violence incestueuse, enfouies et jamais réévoquées auparavant. Ce que l'on appelle des insights, des retours de mémoire, provoquent dans l'instant de leur condensation et de la prise de conscience qui en est faite, une montée émotionnelle difficilement répressible. Et c'est vrai qu'il est bien difficile dans ces moments-là de savoir à quel plan d'expression de la personne, émotionnel ou affectif nous sommes confrontés. Et je dois dire, que dans ces instants, je ne me pose pas ce genre de question. Je suis simplement attentif à manifester à la personne mon attention à l'expérience qu'elle est en train de traverser, ma disponibilité à l'aider si elle en éprouve la nécessité, à lui permettre de se sentir autorisée à être, à éprouver pleinement cet état, et souvent lorsque la personne me donne le signe qu'elle accepte ma proximité d'écoute et d'attention, je m'accroupis, les bras et les mains posés à plat sur le bord de sa table, et je reste là en silence. Et la plupart du temps, cette co-présence libère complètement la personne. Et lorsque l'expression de l'émotion est écoulée, elle me parle généralement de ce qu'elle vient de vivre là, des événements douloureux qui ont fait effraction dans sa création de façon totalement imprévisible.

Il n'y a besoin là d'aucun autre travail que d'accueil et d'accompagnement latéral. Et lorsque moi-même je parle au cours de ces entretiens impromptus, c'est explicitement dans une tension d'écoute de type rogérien, centrée sur la personne, "non-directive". Bien entendu, ce sont là des moments extrêmement émouvants pour moi-même comme pour le groupe, qui est toujours très attentif. Et je dis souvent aux étudiants en formation qu'il n'y a rien là que de simplement humain, dans cette conduite-là qui est mise en jeu par l'animateur, mais qui pourrait l'être tout autant par d'autres membres du groupe.

Parfois, l'émergence émotionnelle prend des intensités difficilement soutenables au sujet lui-même , ou à moi-même (et par répercussion au groupe) provoquant une importante élévation de l'angoisse. J'ai appris avec le temps et avec le renouvellement des expériences que cela se passait ainsi lorsque le sujet passait du plan de l'expression émotionnelle au plan de l'expression affective, c'est à dire lorsque quelque chose de l'expérience primale ne pouvait plus se jouer dans le champ de la représentation. Ou bien qu'à la suite d'une rupture des défenses, se produit une décompensation au cours de laquelle justement, des éléments affectifs purs envahissent la totalité du champ, sous la forme de conduites de régressions symbiotiques ou haïques, parfois sous la forme d'une sorte de psychoragie dans laquelle des éléments clivés de l'expérience font brutalement retour comme objets persécutifs.

De tels événements appellent une intervention de l'animateur qui change de plan. Ils appellent à un nécessaire contact de parole rapproché ou un contact corporel visant à permettre à la personne de percevoir et de symboliser une présence physique contenante. Dans ces cas-là, on peut avoir la certitude que la personne est engagée dans une projection transférentielle dont elle a donné des signes clairs au cours de son travail d'expression, et que ces éléments sont perçus de façon souvent explicite, parfois implicite dans le champ contre-transférentiel.

Dans ces situations paroxystiques, je viens directement au contact de la personne. Si cela est possible, en contact verbal. Je lui parle de ce qui est en train de se passer, des positions phantasmatiques où nous nous trouvons mutuellement. Parfois cela suffit à dissoudre le clivage, à réarmer la perception. Parfois, cela ne suffit pas, et je la prends alors dans mes bras. Je la prends contre moi, l'autorisant ainsi à traverser en sécurité symbolique relative cette expérience de régression affective lorsqu'elle est acceptée, et qui est toujours ressentie comme très dangereuse; ou bien je me bats parfois avec elle lorsque les éléments de destructivité s'expriment et s'imposent, dans une lutte et dans un travail de décharge d'une grande violence. Ces corps à corps s'achèvent la plupart du temps par une décharge émotionnelle, pour s'ouvrir enfin dans une parole reconstituante du Moi. Une Parole où ce qui est là est nommé à l'@utre.

Le développement de ces processus est le signe de la désagrégation du Moi, soit que l'un des éléments constitutifs du cadre ait fait violence ou effraction dans l'organisation défensive du sujet, soit que le sujet accepte le mouvement de la régression et tente le tout pour le tout d'une demande analytique impossible à engager d'une autre façon, c'est à dire procédant d'une identification fusionnelle à l'animateur. Tel a été le cas des trois personnes dont j'ai conduit le travail analytique, pour lesquelles le surinvestissement transférentiel a été le déclencheur de la demande de thérapie.

C'est donc sous ces trois formes que l'expérience émotionnelle se manifeste dans mes Ateliers d'Expression Créatrice :

  • comme investissement de zones corporelles érogènes dans une activité ludique ouverte par l'investissement affectif puissant de la matière langagière proposée comme médiation pour la représentation,
  • comme vecteur d'un travail de régression.
  • comme moment cathartique de l'expression,

Ce n'est que dans la deuxième dimension que je suis susceptible d'engager avec la personne un échange corporel émotionnel - une communication émotive, pour reprendre les termes de Max Pagès - visant à permettre de soutenir une symbolisation qui sera réverbérée ensuite vers le jeu de la représentation, dès que la personne aura pleinement traversé cette expérience.

Dans cette structure de travail, l'expression émotionnelle est donc acceptée et soutenue comme un des moments résolutoires lié au jeu de la représentation créatrice qui est l'expérience centrale instaurée pour la parole.

Ce que mon expérience m'a appris c'est que pour certaines personnes, c'est l'inhibition de l'expression émotionnelle qui est la souffrance à traiter. Et dans ces cas-là, il me parait particulièrement important pour l'animateur, quel que soit le cadre défini de la rencontre (thérapie ou formation), de ne pas provoquer à la confrontation directe de stases émotionnelles, de ne pas en accélérer la fermentation de manière artéfactuelle, de ne pas en restreindre le libre développement. C'est là pour moi la garantie que le processus émotionnel pourra jouer librement, et sans risque provoqué de décompensation, et exercer ses fonctions régulatrices naturelles.

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Pour moi, tel que je le rencontre dans ma pratique, le système émotionnel est un système de régulation archaïque à double fonction :

  • d'une part une fonction d'alerte-à-l'Objet, c'est à dire que l'émotion, placée sous le contrôle des constellations affectives a pour fonction l'analyse instinctive immédiate des configurations d'évènements qui surgissent de l'environnement en liaison avec la survie de l'individu, et de disposer le corps, l'organisme plutôt, à avoir une réponse réflexe adaptée à la nature du signal (érogène ou pathogène);
  • d'autre part, le processus émotionnel dans sa séquence expressive comporte l'écoulement et l'élimination des charges d' angoisse déclenchées par le surgissement d'affect. L'angoisse est le mode de perception de l'affect. L'angoisse est le mode de perception de la présence de la mort.

Le jeu émotionnel dans la communication analytique
en thérapie individuelle ouverte à l'expression affective
et à la communication inter-transférentielle

Lorsque j'examine le champ émotionnel spécifique au travail analytique individuel que j'ai conduit, je me sens dans l'incapacité de discerner avec netteté une sphère émotionnelle spécifique, en regard des phénomènes dynamiques que je viens d'évoquer, sinon peut-être - et cela me traverse l'esprit en cet instant-même - sur le plan de ce que l'on appelle les émotions sexuelles qui est un plan particulièrement crucial, problématique et crisique dans le processus de changement structurant et dynamique de la personne. En tous cas, c'est ce dont j'ai été le témoin dans les analyses que j'ai conduites.

Cela me frappe à l'instant où vient de s'ouvrir cette pensée dans ma réflexion : dans la dynamique expressionnelle qui structure l'invitation à l'expérience analytique, quels que soient les modes langagiers fixés par le cadre analytique à l'analysant - psychiques pour les psychanalystes freudiens, émotionnels pour les dissidents/dérivationnistes reichiens, esthésiques/æsthétiques pour ce qui me concerne - il vient inéluctablement un moment dans l'expérience du sujet où se manifestent avec vigueur des motions pulsionnelles érotisées variant dans leurs visées Objectales selon les niveaux de régression atteints. Certains moments de l'expérience expressive portent au devant des éprouvés du sujet des émotions érotiques éveillées par, et adressées à l'analyste dans le champ du transfert. C'est à dire qu'à certains moments de la séance, le sujet est aux prises ou en proie à des intensités parfois insoutenables de désirs, déployés sur les zones érogènes correspondantes aux plans de régressions atteints par le sujet. Et corrélativement, le sujet réactualise dans ces moments-là les modes de défense infantiles qui avaient été les siens face au caractère excessif des stimuli érotisés, vécus par lui comme des instances persécutives. Je vais donner quelques exemples de telles séquences.

Nathäalie des Limbes, que j'ai soignée dans mon Atelier à l'hôpital psychiatrique, vient maintenant depuis quelques mois dans mon atelier personnel pour y travailler l'argile. Ce jour-là, elle réalise un modelage assez volumineux qui représente un couple. L'homme et la femme sont reliés au niveau des genoux, leurs jambes étant dans le prolongement l'une de l'autre. L'homme est en position assise, son sexe est en érection, bien droit, bien proportionné. La femme est allongée sur le dos, sa main gauche posée sur le sein. A un moment, j'ai dû sortir de l'Atelier pour quelques minutes. Nathäalie commençait le modelage de l'autre main de la fermme.
Lorsque je revins, une dizaine de minutes plus tard, Nathäalie était en train de basculer dans un état de crise auquel j'avais souvent été confronté avec elle, qui se manifestait par une perte de conscience, un affaissement au sol, une rigidification de toute la musculature, les yeux révulsés, des contractures spasmodiques des mains, toutes manifestations que les spécialistes reconnaîtront sans hésitation comme de pures manifestations hystériques à la Charcot. Je savais maintenant travailler et accompagner ces épisodes avec Nathäalie.
Jusque-là, je n'avais jamais été présent au moment du déclenchement de la crise. Lorsque cet état se produisait dans le magasin où elle avait trouvé un emploi, cela déclenchait toujours un branle-bas de combat et de spectaculaires manœuvres de maîtrise et d'évacuation dans la grande théâtralité des secours urbains. Lorsque cela se produisait chez moi, je prenais Nathäalie dans mes bras, au sol, et la tenais fermement contre moi, jusqu'à que la crise tétanique aille à son terme, que la rigidité cède d'elle-même et que la conscience revienne. Elle se réveillait alors, ne se souvenant de rien, généralement épuisée. je lui parlais et lui expliquais ce qui venait de se passer, et l'installais pour dormir.
Ce jour-là, j'eus la chance d'arriver juste avant qu'elle n'ait franchi le seuil de dissolution de la conscience. Je suis frappé par l'état de sidération dans lequel elle commence à se trouver, je lui parle, lui prends les mains, le visage. Et elle reprend présence. J'attends sans impatience. Et elle me dit au bout d'un moment que pendant qu'elle était en train de lisser le sexe d'argile de la femme dont elle avait placé la main droite sur la vulve, elle avait eu un orgasme.

Et tout d'un coup, j'ai compris, de manière fulgurante, plusieurs choses tout à fait extraordinaires pour moi : d'une part, je découvrais qu'une représentation concrète pouvait être affectivement investie aussi puissamment qu'un être réel. C'est à dire qu'un objet psychique pouvait acquérir une densité hallucinatoire et déclencher un processus orgastique généralisé. Je découvrais dans la foulée que la crise hystérique faisait fonction d'expression orgastique : un Objet Psychique devenait hallucination, c'est à dire qu'il était pris par le "je" comme un Objet de la réalité. A un moment donné, l'intensité de l'affect sexuel franchit un seuil de douleur érogène à partir duquel la réalité psychique ne joue plus comme forme mais comme fond. Le "je" confuse la réalité au Réel.

Je découvrais que dans le processus hystérique, quelque chose de la pulsion originaire n'avait pas pu se constituer dans l'Imaginaire, malgré le développement normal dans le jeu des mots; que le sujet maîtrisait les mots mais ne maîtrisait pas les signifiants des mots qui prenaient l'entier contrôle des éprouvés.

Je découvrais que la culpabilité et la honte constituaient le verrou de la structure hystérique, et que pour pouvoir travailler dans ce plan il fallait accepter de rencontrer les motions pulsionnelles dans le champ corporel; traiter des émois sexuels interdits de représentation par leur possible mise en représentation. Enfin, je découvrais que la fonction du retrait hystérique dans la transe opérait comme défense corporelle contre les émois sexuels dont je pouvais être investi dans le transfert. L'internement psychiatrique de Nathäalie à l'âge de 16 ans s'était inauguralement inscrit de cette façon comme rupture d'avec une ordinaire violence incestueuse paternelle.

A la suite de ces événements, j'expliquais à Nathäalie que son lien avec moi représentait pour elle la dangereuse situation d'amour sexuel avec son père, et que ses crises avaient pour fonction de la protéger et de nous protéger tous les deux de ces désirs mortels. Et que le même mécanisme jouait chaque fois que dans sa vie quotidienne elle rencontrait des hommes qui éveillaient en elle une émotion sexuelle. A partir de ce jour, Nathaälie n'eut pratiquement plus de crise de ce type.

La puissance destructive/constructive des émois sexuels dans la relation de transfert chez Nathaälie me semble avoir constitué le cœur du drame analytique tout au long de son développement comme celui des processus de maturation dans l'espace de séance, et le lieu princeps du travail de changement.

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Avec Érynie, le travail se développe d'une toute autre façon. Dans l'intense relation de transfert symbiotique qui s'est ouverte dès l'origine de la formation de son lien phantasmatique à moi, c'est en particulier la sphère de la bouche qui est le siège de phénomènes esthésiques hallucinatoires angoissants et douloureux. Angoissants, parce que s'y exprime avec violence le désir du sein violemment dénié dans les tentatives de mordre, de déchirer, d'arracher. Elle me dit en lei-motif dans ces moments-là : "arrache ma bouche". Le désir/besoin du sein dans le double mouvement de s'en emparer et de le détruire. Rage et fureur se déversent, et, pour la protéger, pour me protéger de ses dangereuses attaques, je la neutralise de tout mon poids de corps et de toute la force de mes bras. Lutte corps à corps visant explicitement à empêcher; contact ayant implicitement pour effet profond de réaliser une relation fusionnelle acceptante des éléments haïques, des mouvements de rage et de fureur. Les intensités des mouvements affectifs archaïques dans une corporéité d'adulte sexué. Qui va décider si nous sommes dans le champ émotionnel ou dans le champ affectif ?

En tous cas, nous sommes dans un espace de sauvagerie et de peur, de non-humanité, dont moi je n'ai plus peur, à l'intérieur duquel je préserve ma capacité de nommer les choses qui sont là. Et lorsqu' Érynie est parvenue sans dommages corporels autres que parfois quelques bleus, aux limites de sa véhémence, la violence cède d'un seul coup. Et avec elle, la peur. Elle dit "Je veux aller dans ton ventre"" ou bien elle dit "Je veux le titou". Je peux la prendre/tenir dans mes bras en lui donnant à téter le biberon qu'elle a amené, ou la paume de ma main juste à la cassure du poignet là où elle est la plus tendre; ou bien elle prend mon pouce qu'elle engouffre, et, avec l'autre main peluche le lobe de mon oreille. Parfois elle tête le sien, avec une avidité phénoménale.

Et puis les choses s'apaisent. Et puis vient un moment d'une qualité agressive différente, un moment où la libido, écoulée dans la relation phantasmatique orale (où il s'agit bien, me semble-t-il, d'une communication émotionnelle archaïque) - désaffectée de la douleur persécutive orale - se remobilise et se réoriente vers son corps génitalisé de femme adulte, effectue un frayage, une sorte de passage explicite de l'investissement oral à l'investissement génital. L'agression marque alors ici l'intense réprobation de ces éprouvés sexuels génitalisés coupables à mon égard. Et je lui dis que ce qui se passe maintenant est de nature différente et normal. Je lui explique que les intensités de la pulsion orale ayant pu être reconnues acceptées et apaisées, la pulsion sexuelle suit maintenant sa pente naturelle pour s'investir librement sur son lieu privilégié d'expression : la sphère génitale, provoquant un nouveau cycle de résistance et de violence auquel je m'oppose par la parole cette fois en expliquant que lorsque dans notre lien archaïque la demande de satisfaction orale a été symbolisée et admise, il est normal que les forces pulsionnelles investissent son corps féminin car elle n'est pas un bébé mais une femme. Je lui parle réellement ainsi. Et elle m'écoute et tente d'intégrer ces phénomènes.

Le cycle du travail est donc le suivant :
Surinvestissement transférentiel inaugural > Régression affective > Déploiement de la pulsion orale > Déni et destructivité de l'Objet désiré > Survie de l'Objet et contention de la violence > Cédation de la résistance > Expression émotionnelle libre > écoulement de la libido orale > Génitalisation de la pulsion dans les mêmes intensités > Intense culpabilité > Tentative de déni par l'agression physique > Acceptation de la génitalité > masturbation > Parole > Expression verbalisée et affectueuse de gratitude et de sentiments profonds d'amour : "Toi je t'aime beaucoup" > Paix intérieure et préparation des prochaines tempêtes affectives.

Dans les dix années qu'a duré ce travail analytique, cela n'a jamais donné lieu de la part d'Érynie à la moindre tentative de séduction sexuelle, bien au contraire. Dans ces moments de confusion symbiotique des pulsions orales/génitales, lorsqu'elle se trouvait au plus profond de certains désirs/terreurs, elle pouvait dire avec une grande angoisse : "Et toi, ton ventre, il va pas éclater ?" me demandant symboliquement si j'allais moi aussi être englouti dans la déchirure orgastique. Et moi, chaque fois, je répondais "Mon ventre à moi reste bien entier" où quelque chose allant dans le sens d'une hét-érogénéité signifiante . Je ne me suis jamais moi-même livré à la moindre séduction sexuelle vers elle.
Et après avoir bouclé chacune des séances par une "sieste" profonde d'une vingtaine de minutes où je la laisse seule dans mon cabinet, où elle dort profondément, la séance terminée, Érynie repart construite, détendue.

Une saison en enfer
L'expérience affective dans
le travail relationnel analytique

Ma position comme analyste est sans doute difficilement modélisable. En effet, c'est la nécessité où je me trouvais à l'aube de mes premiers engagements professionnels qui m'a placé dans cette position insoutenable de conclure ces espèces de faux contrats avec des personnes hantées par des phantasmes de mort et de meurtre. Bien évidemment, cela ne s'est pas fait sans mon consentement, sans mon désir. Mais, globalement, je dois avouer que j'ai été pris au piège que j'avais moi-même tissé dans la plus parfaite inconscience, et bien obligé dans un premier temps de survivre à cette monstruosité qui consiste à aliéner la totalité de son expérience psycho-affective et cognitive à cet autre qui va exercer sur vous pendant des années la puissance totalitaire et corrosive de ses souffrances. Enfin, c'est ce qui m'est arrivé à moi, à quoi non seulement j'ai survécu, mais qui m'a donné ce qu'il y a de plus singulier, de plus vivant, de plus solide, de plus généreux et de plus confiant dans mon humanité et dans celle des personnes que j'ai ainsi aidées.

J'ai inauguré mon métier d'analyste/thérapeute en relation individuelle à l'âge de trente ans, en 1972, à la suite d'un Atelier expérimental d'Expression co-animé avec Max Pagès, le premier que j'ai moi-même organisé dans le cadre du Laboratoire de Changement Social. Probablement que j'y avais également été préparé par l'expérience préalable d'animateur/thérapeute auprès de personnalités psychotiques en hôpital psychiatrique de jour .

Ayant assez prématurément infléchi ma vie professionnelle dans le champ de la formation, j'ai conduit peu de relations thérapeutiques. Seulement trois de façon complète, ainsi qu'un petit nombre de liens analytiques, ou de ce qu'on appelle une thérapie de soutien, dans le cadre de mon travail à l'hôpital psychiatrique, en aval de cette période et aujourd'hui encore..

Ma première cliente, Ombre, était une femme 47 ans, de 17 ans mon aînée. Elle avait fait, comme on dit, une dépression nerveuse et connu un début d'hospitalisation en clinique psychiatrique. Elle exerçait normalement jusqu'à cette période un métier d'enseignante en pédagogie, et avait eu une vie sociale et familiale normale. Tout au long de son travail personnel avec moi, je l'ai encouragée et soutenue dans son utilisation intense des médiations créatrices, qu'elle a développée largement en appui identificatoire avec ma propre expression artistique.

Mon deuxième engagement comme thérapeute s'est fait cinq ans plus tard, à partir de mon Atelier créé à l'Asile Psychiatrique de Bordeaux, avec une jeune femme de 26 ans, Nathäalie des Limbes, internée depuis l'âge de 16 ans, présentant une structure qualifiée par les psychiatres de psychose hystérique. Avec elle, l'utilisation des médiations créatrices s'est ouverte davantage dans un plan langagier analytique que dans une identification esthétique à mon propre jeu de création. comme ce fut le cas pour Ombre.

Mon troisième engagement comme analyste s'est fait avec cette femme, Érynie, de même âge que moi, ayant une vie familiale et sociale normale, exerçant normalement son métier dans le domaine du soin psychiatrique. Et, si c'est bien dans l'Atelier d'Argile que la demande de travail s'est engagée, ma tentative d'introduire ensuite des médiations créatrices et de disposer un espace intermédiaire de représentation a été littéralement explosée par une puissante relation de transfert, dès les premiers instants de la mise en place de notre cadre analytique.

Dans le temps, ces trois engagements se sont chevauchés ou succédés entre 1972 et 2002. Ce furent, pour la première et pour la troisième, des thérapies d'une durée de 10 et de 14 ans. Je n'ai donc pas, comme thérapeute, d'expérience addictive portant sur un grand nombre de clients. Mais j'estime que les relations intensives, soutenues et complexes que j'ai vécues dans des modalités d'implication contre-transférentielle radicale me permettent de dire un certain nombre de choses assurées; de faire état des connaissances que j'ai conquises sur les processus affectifs/émotionnels opérant dans le type de relation analytique que j'ai été mis en demeure d'inventer, où la question de la corporéité concrète et de la communication corporelle constituent un base intangible de la dynamique de maturation de la personne. C'est sur cette question me semble-t-il que je suis attendu, parce que c'est précisément sur elle que porte les tabous les plus retors et les résistances les plus puissantes des doctrines analytiques culturellement établies, en particulier de la psychanalyse
L'investissement affectif

Au sens économique, l'investissement, c'est le placement de son capital d'argent (de pouvoir) dans quelque chose qui rapporte des intérêts ou qui assure la pérennité des possessions.

Qu'est-ce que l'investissement affectif ?
Si l'on accepte cette métaphore, l'investissement affectif, c'est le placement de son capital d'amour sur une personne ou une entité substitutive du premier Objet d'amour.
C'est une capacité plastique de l'individu à recréer sur de nouveaux Objets une attache adhésive ou destructive de même qualité émotionnelle que sur ses Objets d'attachement originels. C'est aussi la définition du transfert.

Pour moi, le travail thérapeutique procède de la possibilité d'ouvrir un champ de libre jeu entre la force et la forme.
Qu'il y ait un jeu de forces - affectives ? pulsionnelles ? - qui traverse le champ de la relation analytique, je poserai la chose comme un postulat d'évidence, et cela nous suffira (je me garderai bien de m'aventurer dans les zones bourbeuses de la notion d'énergie, concept-valise dont je me suis toujours passé).

Je poserai également comme postulat que l'acte, l'actiomatique dont il est question dans le travail analytique, est l'acte de représenter.

Qu'est-ce que représenter en regard d'agir ?
Qu'est-ce qui spécifie le passage par l'acte de représenter par rapport au passage à l'acte ?

Je me souviens que c'est dans un article ou dans un propos de Guy Tonella remontant aux années 1975 que j'ai pour la première fois rencontré l'expression "passage par l'acte". Je me souviens que cette formule avait eu sur moi une grande raisonnance. Cela m'avait marqué de découvrir ce concept parce que j'avais eu la sensation qu'il exprimait de façon lumineuse ce dont il était question dans mon aire de jeu de l'Atelier d'Expression, dans lequel justement l'invitation qui est ouverte est de faire, c'est à dire d'agir au travers de matières langagières. Invitation à l'acte médiatisé donc. La différence est extrêmement importante.
Le passage à l'acte, c'est ce qui se produit quand justement ça ne peut pas se représenter, quand ça ne peut pas symboliser. Le passage à l'acte : séduction, violence, auto-destruction ... se produit lorsque le sujet ne peut plus recourir à une quelconque possibilité de représenter la chose pour lui-même ou pour l'autre dans le langage.
Ou bien ça se produit quand ça déconne dans la parole ou dans les agirs de l'analyste. Le passage à l'acte suicidaire ou la décompensation psychotique du client comme contrecoups des actings incohérents de l'analyste en infraction avec son éthique constituante : genre "sauter la cliente" (entre nous, c'est bien ça le fantasme constituant de la règle d'abstinence).

Représenter, c'est jouir de l'existence d'une aire intermédiaire de jeu instituée pour la figuration, pour la symbolisation de ce qui se joue dans l'expérience affective inconsciente du sujet. Et la scène analytique, c'est cet espace/temps où nous offrons au sujet un champ pour le développement de ce jeu. Et c'est ce qui aura été institué comme scène et comme libertés originelles dans le champ des agirs qui constituera pour le sujet la loi internalisée fixant les bornes de ses modes de représentation et les aires de transgression qu'il pourra affronter avec confiance.

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Les langages d'expression de l'affect

Si vous êtes d'accord sur le fait que l'affectivité, c'est la structure de l'expérience de l'être-au-monde, et que par nature la structure n'est pas accessible à la perception, vous admettrez sans difficulté que la structure ne peut être appréhendée qu'au travers de ses effets de langage.

L'inconscient - la structure affective - est manifeste dans le langage. La question de l'Inconscient psychique n'est plus une question d'actualité, elle est devenue une question ethnographique. Ce qui est d'actualité , c'est la question organique des rapport du langage et de la Parole. C'est ce point de vue qui fonde mon choix déterminé de travailler comme analyste dans les dimensions de la communication corporelle archaïque aussi bien que dans d'autres modalités : en réalité celles qui sont là, dont je n'exclus aucune à priori : émotionnelle (c'est le corps qui représente), psychique (c'est l'imaginaire qui représente), æsthétique (c'est dans la formulation créatrice que Ça se représente), les mots enfin (c'est dans le symbolique que Ça se représente).

Dans le cadre que j'instaure, l'itinéraire langagier, offert de manière explicite ou virtuelle par le cadre, est ensuite déterminé par le sujet. J'ai choisi une fois pour toutes de ne pas infléchir de quelque façon technique que ce soit la spontanéité du sujet. C'est dans le libre jeu de la décision, dans les processus d'élaboration de l'acte que se représente la structure, par quoi le jeu est opératoire de changement. Tout ce qui s'actualise dans la relation analytique doit être considéré comme représentation, y compris dans la dimension la plus archaïque de toutes, le transfert, c'est à dire l'attachement originaire à l'Objet, qui est la forme manifeste de la structure affective.

Le transfert est une forme affective. Le transfert est la formation d'un attachement qui a les qualités inaugurées lors des premières relations d'Objet.

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Champ émotionnel
et champ affectif

Le système émotionnel est génétiquement déterminé, mais sa configuration dépend à l'origine de la qualité des actions de l'environnement, de la façon dont il est "affecté".
Le système émotionnel est un système global d'analyse de signaux élémentaires qui permet au sujet de disposer l'organisme de façon immédiate à adopter la conduite de préservation optimale de l'intégrité corporelle (mouvement agressif/défensif face au danger potentiel) ou de son développement créateur (mouvement oblatif/attractif face à la satisfaction pulsionnelle potentielle).

Là où l'émotion est occupée de l'imminence, l'affect est occupé de l'expérience. L'émotion est une disposition de l'organisme face à des stimulis, l'affect est une organisation stable des patterns de comportement.
Le système affectif est structuré par les expériences originaires esthésiquement vécues, dans lesquelles sont intégrées (et structurantes) les expériences émotionnelles primitives.

Dans la période de développement originaire, l'émotion et l'affect sont co-extensifs l'un à l'autre. Les premières expériences émotives du nouveau-né sont marquées d'intensité maximale. Et, de la qualité des expériences satisfaisantes ou douloureuses concomitantes dépendront les systèmes d'alarme, d'alerte-à-'Objet.

Le système émotionnel est placé en inter-dépendance du système affectif dont il influence pourtant au départ la structuration, et dont il conditionne l'intégration. Cela va en particulier se marquer de façon définitive dans les patterns émotionnels du comportement érotique, c'est à dire dans la construction de l'érogénéité au niveau des orifices : orale, olfactive, anale, génitale. Les émotions sont la voie naturelle de la dissolution des affects.

Ce qui distingue réellement dans leur constitution originaire le champ affectif de l'événement émotif, c'est que dans la résonance émotive produite par une configuration d'événements donnée, se mémorise la trace des douleurs ou satisfactions éprouvées dans leurs intensités maximales. L'affect est cet amalgame syncrétique d'émotions, de sentiments et d'éprouvés qui configure ensuite de façon stable le mode de relation à l'environnement que l'on appelle l'être-au-monde. Ce sont les intensités d'excitations douloureuses ou satisfaisantes, pathogènes ou érogènes, qui cristallisent les structures affectives en un pattern (un schème stable).

L'affect n'est donc pas, et ne peut pas être considéré comme une nouvelle entité substancielle qui pourrait combler le vide laissé par Psyché. L'affect est une organisation de l'expérience. C'est pour cela qu'il ne peut être rencontré comme objet de connaissance, qu'il ne peut être déduit qu'au travers de ses effets de langage. Appliquer à l'affect le qualificatif d'inconscient est en soi une redondance, car les effets de conscience sont eux-même soumis à la structure. La structure n'est pas un Objet, mais la matrice de la constitution de l'Objet (des objets affectifs). La structure, qui configure la perception, ne se peut percevoir elle-même, sinon dans ses effets de langage. C'est pour cela que je dis que l'inconscient est structuré dans le langage, et que c'est justement cela qui nous permet de travailler comme analystes, d'être attentifs aux effets de structure, d'être centrés sur le langage comme image de l'affect.

Travailler de façon non-médiate avec l'expérience affective n'est donc pas une mince affaire, puisque nous n'avons pas d'Objet à nous mettre sous la dent, mais seulement du Sujet, de la structure. Et qui plus est de la structure stable, des signifiants rigides s'opposant à toute tentative de modification, offrant à tout projet hétérogène d'assouplissement une résistivité réflexe (la résistivité est la propriété du muscle de se rétracter lorsqu'on procède à un étirement de sa masse).

Alors, qu'est ce que j'entends par expérience affective qui se distingue significativement de l'expérience émotionnelle ? Ce sont les effets de structure en tant qu'ils se représentent dans le corps, dans le langage et dans la relation entre les corps du thérapeute et du client lorsqu'ils ne peuvent pas s'exprimer dans l'imaginaire et le symbolique. Le Réel est le monde de l'affectif.

Je crois que c'est une des choses que j'ai définitivement adoptée du système de Jacques Lacan que son découpage de l'expérience humaine dans les trois plans :

  • du Réel c'est à dire le monde des sensations et de la sensualité primordiales baignées dans la communication émotionnelle originaire et dans les événements affectifs qui constituent cet ensemble que Lacan appelle les signifiants;
  • de l'Imaginaire qui est à proprement parler le monde psychique, c'est à dire le monde des représentations associées à l'ensemble des dispositifs sensoriels (somesthésique, tactle, olfactif, auditif... et non seulement monde scopique);
  • du Symbolique, c'est à dire de la représentation de mots, qui est l'abstraction de la représentation d'image, qui est elle-même abstraction psychique de la représentation de Chose, c'est à dire de l'éprouvé de la Chose, la Chose elle-même échappant définitivement à toute emprise.

Je considère le travail analytique comme une aire de jeu où s'instaure un espace de symbolisation de l'ensemble des plans (sans restriction) où le sujet se trouve en souffrance. Où le thérapeute/analyste développe sa capacité de parler (comme y invitait Françoise Dolto) le langage de la zone érogène/affective du sujet phantasmatiquement présente dans la séance (in "L'image inconsciente du corps"). Et bien évidemment, c'est d'abord dans la dimension des attaques corporelles et des attractivités fusionnelles que s'exprime de façon privilégiée l'expérience affective qui est là, réactivée dans le transfert. Les jeux de la haine et de l'amour. De la haine en premier comme l'a si bien décrit Mélanie Klein. De la haine, pas seulement dans les productions de l'Imaginaire, mais bien, dans certaines situations où la régression n'est pas interdite par le cadre analytique, comme décharge effective et comme défense contre les pulsions avides et contre les éprouvés d'amour ressentis comme extrêmement dangereux dans le transfert, parce qu'ils placent le client dans une position de totale dépendance et redoutable à l'analyste.

Et il est clair que si la qualité et l'intensité transférentielles, ou bien les inductions de l'analyste, de façon délibérée ou inconsciente, ont ouvert ces espaces affectifs primordiaux et que celui-ci n'agisse pas contre-transférentiellement par des communications émotionnelles/corporelles justes, adaptées, contenantes des intenses décharges que ces éprouvés déclenchent, lui-même et son patient sont en danger de mort, en danger de passage-à-l'acte de l'un ou de l'autre. Certains acting suicidaires de personnes en analyse doivent être compris comme des défenses contre l'émergence de sentiments haïques meurtriers trop intensément culpabilisants, totalement insupportables.

Je suis persuadé qu'une étude étiologique des suicides d'analystes ou des attentats sur leur personne, aussi bien que des acting suicidaires ou meurtriers d'analysants mettrait à jour des émergences affectives déniées et non contenues par l'analyste dans le langage des images-de-corps de leur clients engagés dans les replis affectifs ultimes où les porte le travail du transfert. Là se trouve également, selon moi, l'origine des analyses interminables, dans l'incapacité des analystes/thérapeutes à suivre leur client dans ces zones que leur propre analyse n'a pas atteintes, et vis à vis desquelles ils conservent une position défensive.

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En ce point de ma réflexion, c'est donc bien de la question de tout ce qui dans la relation analytique a trait à la communication émotionnelle et aux échanges corporels qui vient au devant de la scène. Je me suis longuement exprimé sur cette question dans un certain nombre d'articles publiés dans le tome II de ce travail (articles cliniques) pour ne pas le reprendre ici, et pour y renvoyer le lecteur.

Pour l'essentiel je voudrais simplement remettre sur le métier une question qui, je crois, me démarque de façon tranchée d'un certain nombre de pratiques thérapeutiques à inclination corporelle/somatique.

En clair, je pense qu'il y a dans les théories de la praxis analytique trois positions dominantes par rapport à cette question de l'engagement de la corporéité du thérapeute dans la relation analytique :

- La première est la position des psycho-analystes orthodoxes freudiens qui agissent des dispositifs construits pour établir et maintenir l'expérience de la Parole du sujet dans les contours de l'espace psychique et du travail du verbe, posés en signifiants-maître de la cure; et pour ramener tout ce qui serait tenté d'aller se manifester vers l'expression langagière et signifiante du corps et vers la communication physique thérapeute/client à un travail d'interprétation en termes de résistances. Il y a des dérogations formelles à ces exclusions pour ce qui concerne la psycho-analyse des enfants et celle des personnes nosographiées psychotiques pour laquelle les thérapeutes sont bien obligés d'assumer les actings de corps de leurs patients qui sont partie intégrante de leur langage. Mais c'est bien le système psychique en tant que tel qui est prévalent et visé par la psycho-analyse.

- La seconde est la position des doctrines d'inspiration Reichienne dans lesquelles les thérapeutes prennent le corps lui-même comme théâtre du travail thérapeutique, où le sujet est invité à se livrer ou à se soumettre à un certain nombre de manipulations émotionnelles et corporelles, individuelles et groupales, dirigées par les thérapeutes et structurées sous la forme d'exercices. La visée explicite en est le rétablissement d'un fonctionnement émotionnel/sexuel libre.

- La troisième voie serait à mon sens représentée par les approches qui ont fait, dans les années 75 la litière de la "psychologie humaniste" et du mouvement du "potentiel humain" intégrant des méthodologies orhopédiques dans lesquelles les processus de travail du client sont dirigés par les thérapeutes sur la base d'injonctions, d'exercices de communication émotionnelle ou imaginaire, de propositions de jeu corporels ou psychiques, toutes techniques qui placent le processus de direction du thérapeute en position centrale pour le travail de changement du client : chaque leader d'école en sélectionnant un certain nombre conformes à son projet et à son éthique particulière.

Tel me semble être le cas de figure d'une des formes les plus construites et les mieux soutenues au plan de l'élaboration théorique : le psychodrame émotionnel de Max Pagès qui intègre et systématise un certain nombre d'emprunts techniques à la bio-énergie contemporaine, à la gestalt-thérapie, au psychodrame morénien et analytique, à la dynamique de groupe...greffes et agrégation dont le dénominateur commun est me semble-t-il de situer le travail thérapeutique dans le champ de l'imaginaire relationnel et des problématiques œdipiennes et incestueuses qui trament la plupart des analyses de cas dont il se sert pour illustrer la théorie de sa démarche.

Ce choix de Max Pagès, d'opter pour un mode d'animation charismatique/ technique très directif s'est fait par le renoncement à l'approche non-directive offensive qu'il pratiquait dans la période où j'ai moi-même travaillé avec lui, me paraît une régression.

Dans son ouvrage "Thérapie et complexité" (p38) il écrit ceci : "Je me suis souvent demandé ce que j'ai perdu, et les participants avec moi, de l'acquis considérable des méthodes de groupe, en faisant ce choix méthodologique". Ce qui est perdu, me semble-t-il, c'est l'espace du vide, de la béance par où s'éprouvent les couches les plus profondes de l'expérience affective. Ce qui est gagné, c'est la circonscription d'un territoire relativement sécure pour le thérapeute, qui lui permet en tout cas de travailler avec des structures de personnalité qui souffrent, certes, mais pas au point de rendre inopérant tout le processus d'emprise que le thérapeute développe dans son jeu, et où les processus de formulation du client sont alignés sur les infrastructures inconscientes du jeu transférentiel du thérapeute structurées dans son dispositif et dans ses modes d'action. Ce protocole a été élaboré par Pagès en dérivation de son travail de chercheur universitaire auprès d'une clientèle culturelle avertie mobilisée par ces stages résidentiels , c'est à dire à un public ne présentant pas de troubles profonds de la personnalité, et ce au prix de l'abandon de l'approche "centrée sur la personne" dont il a été en partie à son corps défendant, l'initiateur. En tout cas, en ce qui me concerne.

Ce qui est privilégié par Max Pagès, c'est le travail du transfert et du contre-transfert émotionnels guidés par l'analyste, dont la libre expression favorise le dégagement des automatismes de répétition névrotiques, en permettant à la personne de "transformer le système de satisfaction qui passe d' une prédominance des satisfactions névrotiques imaginaires et conflictuelles, à la prédominance des satisfactions fondées sur la possibilité d' exprimer ses émotions" ("Trace et sens" p 210). C'est bien le système émotionnel en tant que tel qui est visé par Max Pagès. Toute sa méthodologie de direction du jeu émotionnel est construite autour de cette dimension.

L'influence très importante qu'a eu Max Pagès sur le mouvement français de la psychothérapie contemporaine (les thérapeutes du baby-boom en instance de retraite) tenait à mon avis à la position subversive qu'il prenait dans les années 70/80 et qu'il a progressivement désinvestie à partir de l'acmé de son livre sur "Le travail amoureux".

- Un quatrième point de vue est posé depuis quelques années par des travaux comme celui de Pascal Prayez de formation psychanalytique ("Le toucher en psychothérapie") , directement influencé par Max Pagès, qui considère le toucher comme une modalité technique auxiliaire et provisoire, dans un processus fondamentalement psychothérapeutique d'obédience freudienne; qui reste centré sur la production psychique comme médiateur analytique central et qui s'adresse en fait, si j'en crois les exemples cliniques qu'il développe dans son livre, à des personnes dont les amarres psychiques et dont l'organisation symbolique sont malgré tout bien arrimées.
Dans cette dernière option de compromis entre une psychanalyse prévalente et l'adoption de touchers techniques neutralisés - le nominatif est élu au détriment du verbe - c'est au fond du même compromis dont il est question : compromis avec une culpabilité normative puissante, non reconnue ou déniée dans la formulation théorique. J'ai conviction que c'est cette culpabilité, déplacée et neutralisée dans le corpus théorique, qui est déterminante des choix méthodologiques et des formulations qui tentent d'en fonder les prédicats au sein d'une normalité surmoïque. Cet inconscient épistémologique est construit comme pâture à l'attention du corpus professionnel solidaire et de la conjuration du jugement culturel ou moral, comme quoi dans aucun de ces cas de figure il n'existe de transgressibilité sexuelle, ou de risque de cette nature, comme si le tabou portait sur le contact entre thérapeute et client, alors qu'il porte essentiellement sur la reconnaissance du caractère fantasmatique de la représentation des relations de contact qui, elles, restent quasi-intactes chez les praticiens.

On retrouve clairement cela exprimé aussi bien par Freud que dans les derniers ouvrages de Max Pagès, ce souci d'établir dans la conscience de l'Autre (le corpus surmoïque des professionnels de l'analyse) l'image bienséante comme quoi, dans la relation analytique, il n'y aurait pas de tentation sexuelle (voir à ce sujet les rêves de fellation de Freud avec sa cliente Irma travestis en rêves de diagnostic angoissé et de notoriété). Il faut que les praticiens qui sont bon gré, mal gré, aux prises avec la confrontation violente ou tendre des corps, subie ou provoquée dans le lien analytique, ne soient pas épistémologiquement suspectables de transgressivité incestueuse. C'est sur ce point que porte le tabou, et non sur les passage-à-l'acte des analystes (qui sont des choses qui semble-t-il arrivent, hélas, et qui ont les résultats catastrophiques que nous savons). C'est dans l'imaginaire des psychanalystes qu'elle existe cette question, et qu'elle vient faire retour dans la théorie ou dans une pseudo-éthique sous la forme de la prohibition du contact et de la communication corporelle.

Il est donc tout à fait important de comprendre de quelle confusion, de quel malentendu il s'agit au sujet de l'acte, des agirs corporels et de la communication émotionnelle corps à corps qui se produit nécessairement à un moment ou à un autre lorsque certaines manifestations affectives s'expriment dans le cours de la séance.

Sur ce point, l'élaboration théorique de Max Pagès est précieuse. Ce malentendu c'est la confusion qui est faite entre représentation de désir et satisfaction instinctuelle, entre expression émotionnelle et libération pulsionnelle, entre processus secondaires et processus primaires. J'ai souvent abordé moi-même ce thème dans mes écrits théoriques depuis 1969 . La raison en est simple : cette question, à l'aube du troisième millénaire, reste plus que jamais sulfureuse. Elle suscite toujours la confrontation avec les tables de la loi freudienne : "Tu ne toucheras pas".

La décharge affective qui entraîne généralement client et analyste dans des confrontations physiques n'a pas fonction de consommation instinctuelle mais bien de défaire les verrouillages phantasmatiques de la représentation pulsionnelle. Au terme de ces combats régressifs, mon expérience, significative sur ce plan, me montre à chaque fois que le sujet a une réelle lucidité sur ce qu'il en est de son désir dans le transfert. Et une réelle lucidité sur les sentiments qu'il peut m'exprimer. Et, bien entendu, nous nous en tenons là.

C'est bien de la confusion entre expression pulsionnelle et représentation imaginaire de la pulsion dans le transfert dont il est question dans la précaution éthique (contraphobique) de l'interdit de toucher. Les thérapeutes disent-ils tout de ce qui se passe dans ce plan avec leurs clients et de la façon dont ils reçoivent et réagissent à ces actings corporels ?

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En 1989, dans la conférence intitulée "Les mains pour le dire" que je prononçais au congrès annuel des psychomotriciens organisé par la revue "Thérapie Psycho-Motrice" , je disais ceci :

  • "L'interdit posé par la règle d'abstinence de contact physique est fondé sur un fantasme non-analysé qui s'articule aux deux extrémités de la chaîne phantasmatique:
  • d'une part le phantasme symbiotique qui génère une angoisse de dé-différenciation si le thérapeute s'y laissait entraîner, et qui constitue dans son fondement une angoisse de décompensation,
  • et d'autre part, le fantasme de l'inceste qui crée chez le thérapeute l'angoisse d'une érotisation primaire génitale de la relation, et la crainte ambivalente pour lui-même d'un passage à l'acte pulsionnel.

Curieusement, ces deux f(ph)antasmes entérinent et reproduisent une des modalités défensive majeure que le client oppose au mouvement thérapeutique, dans laquelle la génitalisation intervient comme défense contre la régression orale, et dans laquelle la régression orale est mise en place contre l'accès aux exigences des pulsions sexuelles génitalisées ".

C'est sur cette crête de la fascination du passage-à-l'acte que se joue la question de la crédibilité de l'espace analytique. Il n'y a aucun doute en moi à ce sujet. Il n'y a pas d'efficience analytique s'il n'y a pas résolution de cet enjeu-là du transfert dans lequel se joue précisément pour le client la régression qui le conduit dans l'actualité des processus primaires non résolus de son expérience infantile.

C'est le métier de l'analyste que d'affronter ça sans que ses propres adhérences phantasmatiques le précipitent dans la confusion. Toucher le client quand cela est nécessaire, accepter les corps à corps exigés par le travail de la régression, s'appuyer dans ces moments-là sur les mouvements contre-transférentiels sans y être englouti, c'est là, à certains moments féconds de la relation analytique, que s'exprime pleinement et de façon critique le métier de thérapeute, phases incontournables qui, si elles sont conduites par l'analyste de manière non-défensive sont le lieu même de l'opérativité analytique, le lieu d'un travail de changement effectif de la personne.

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L'Opérat analytique

Lorsque je regarde l'ensemble des articles cliniques et théoriques que j'ai écrits depuis trente ans, le thème le plus stable qui traverse mes préoccupations retourne toujours à la question suivante : Quels sont les facteurs opérants à l'œuvre dans le travail analytique ? C'est là pour moi la question princeps.

En me mettant au travail pour vos rencontres, c'est à nouveau cette préoccupation qui me porte et vient lier l'ensemble de ma réflexion.

Globalement, je ne sais si vous serez d'accord avec moi, mais depuis Freud, à qui nous pouvons accorder la qualité de fondateur de la science psychologique et psychothérapeutique moderne, parmi les chercheurs/théoriciens du monde analytique, nous trouvons deux tensions heuristiques fondamentales :

  • L'une qui, de façon prévalente organise son champ en un mouvement explicatif de l'ensemble des phénomènes, mécanismes, processus à l'œuvre dans le travail de construction de la subjectivité et de ses manifestations dans l'espace analytique. La métapsychologie psychanalytique en est la représentation la plus aboutie.
  • L'autre qui organise son champ autour de l'étude des structures de la communication analytique et des processus de changement significatif de l'expérience de l'être-au-monde qui y opèrent. Son objet d'étude est la dynamique des interactions qui favorisent le processus de changement. Tel est l'attitude fondamentale de Carl Rogers.

A bien des égards, ces deux modes d'appréhension des phénomènes structurant l'espace analytique se posent sur un plan de conflictualité, en tous cas pour ce qui concerne les préceptes dirigeant l'action des thérapeutes dans la conduite de la cure.

Ces attitudes épistémologiques et les constructions théoriques qui en sont le fruit viennent en étayage des choix subjectifs de l'action que l'on pose en tant que praticien.
Dire cela n'est pas dire qu'il n'y a pas de vérité, mais que dans le domaine de la dynamique transformationnelle de la personne, la recherche de la vérité des choses n'est pas désintéressée du point de vue de l'économie psycho-affective autour de laquelle nous ordonnons nos représentations de l'action.
Dire ceci est une façon de dire que l'exercice scientifique, dans le domaine qui nous occupe est une illusion. Nous défendons les théories qui nous mettent à l'abri des persécutions contre-transférentielles, en particulier des théories de l'action analytique. Nous ne les voyons pas, ces surdéterminations psycho-affectives, parce que nous les avons déplacées sur le cadre et les dispositifs de notre travail, et sur l'identification surmoïque aux métathéories de référence qui sont les nôtres.

Pour ce qui me concerne, j'estime que l'objet scientifique dont il est question dans l'espace analytique/thérapeutique est constitué de l'étude des facteurs opérants des changements significatifs de la personne dans l'ensemble des institutions internes qui construisent le cadre analytique et dans la qualité et la structure de la communication interhumaine et des interactions qui s'y nouent.

L'institution analytique est l'objet scientifique assigné à la recherche dans le domaine de la thérapie. Ce point de vue établi, je vais essayer de dire ce que je crois être fondamentalement opèrant de la transformation dynamique de mes clients dans l'espace thérapeutique que je soutiens, dans lequel la confrontation corporelle intertransférentielle constitue le socle analytique de notre travail.
L'essentiel de tout processus analytique opérant réside à chaque fois dans l'ouverture d'un champ d'expérience entièrement nouveau pour le client comme pour le thérapeute, et dans la qualité de disponibilité et d'ouverture à l'expérience que l'un et l'autre auront la capacité de soutenir vis à vis des effets de sens produits par cette communication singulière, irréductible à toutes les autres : expériences que chacun d'eux à déjà connu à la fois comme être humain, et, pour le thérapeute, comme acteur d'un rôle éprouvé par l'expérience. La configuration interhumaine qui relie ces deux êtres est unique et exceptionnelle.

De quoi cette opérativité de la communication analytique tient-elle son pouvoir, sa singularité, son unicité et son irréductibilité à toute autre communication déjà connue ?
Cela tient, je crois, à la tension soutenue du thérapeute, en tous cas dans le cadre de ses échanges avec son client, à renoncer à exercer quelqu'emprise ou restriction que ce soit sur le travail de la représentation auquel il est convoqué comme catalyseur et convié comme témoin. Il joue ai sein de ce cadre sa propre partition contre-transférentielle dans les langages de représentation qui sont les siens. Par "emprise", j'entends l'exercice d'influences techniques délibérées ou perverses visant à resserrer l'expression de la personne dans les mailles du désir du thérapeute et de ses codes langagiers ou de la fourche caudine de ses modes d'induction du jeu du client.

La relation analytique est une relation entre deux personnes qui prennent pour projet commun de travailler à la résolution des souffrances affectives du client en utilisant comme médiation l'histoire singulière de leur lien, de sa construction subjective dans le jeu de la représentation, et de son élaboration dans la parole.
La relation analytique ne procède pas d'un agencement technique mais d'une rencontre existencielle entre deux personnes dont l'une se reconnaît la capacité et le désir d'accompagner une autre personne invalidée par sa souffrance affective.

La relation analytique tient son pouvoir d'ébranlement des signifiants affectifs et de leur détoxication de ce qu'elle est libre d'assujettissement à quelque code que ce soit. C'est l'ouverture de cette béance dans les processus d'assujettissement, et rien d'autre, qui est le déclencheur de cette régression vitale, structurante, que l'on appelle psychothérapie ou analyse.

La seule règle intangible sur laquelle les deux protagonistes établissent un accord originel, fondateur du cadre lui-même, est qu'ils se donnent comme aire d'expérimentation la mise en représentation de l'expérience vécue au sein de cette sorte de laboratoire intime de la salle de travail analytique. Le client est invité à s'y exprimer dans le jeu de la représentation : psychique, émotionnelle, ludique, créatrice... Cette expérienciation donne lieu à un travail d'élaboration de l'expérience vécue dans la Parole qui consiste au fond à construire ensemble un savoir tiré de l'observation de cette expérience, construit par les deux partenaires. Et la fonction spécifique de l'analyste consiste en l'accueil et l'accompagnement contenant de ces mouvements; et dans la mise en tension élaborante de tous ces matériaux apportés par le jeu inter-transférentiel. C'est bien de l'acte de représentation dont il est question dans le travail analytique et non de l'acte de satisfaction primaire des besoins affectifs ou sexuels du client par le thérapeute.

C'est ce travail de la représentation que j'appelle l'expérience créatrice

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Première écriture de cet article achevé le 5 Février 1999
Revisitée le 5 Mars 2006