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Benjamin BERBUDEAU

Benjamin BERBUDEAU

PETIT MANUEL
DE SABOTAGE
DE L’APPAREIL
A PENSER

Communication pour les journées d'études de l'ARAET
Genève, Novembre 1998
Matières, Matériaux, Expression, et Pensée

Guy LAFARGUE
Psychologue plasticien
Directeur des Ateliers de l'Art CRU

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Je dois dire que j' éprouve une grande satisfaction à pouvoir exprimer quelques pensées personnelles. Être invité à penser librement n'est pas chose si courante qu'on ne s'en puisse réjouir avec insistance. Bien souvent, vous le reconnaitrez je l'espère avec moi, les pensées qui se donnent en spectacle dans les livres ou dans les conférences ne sont pas toujours des pensées très libres. Ce sont beaucoup des pensées préconstruites, bien rangées dans des discours, qui s'adressent à des cortex auditifs bien élevés, dans des codes immuables, si bien que tout le monde est content et que les choses peuvent rester en l'état.

Je crois que je pense sur la pensée des choses pas très convenables. Enfin, ce n'est pas sûr. Vous me le direz.

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Pour répondre à l'invitation qui m'était faite, j'avais fait le projet de me placer dans la position de penser avace ma main, c'est à dire d'écrire selon la formule consacrée d'André BRETON "en l'absence de tout contrôle exercé par la raison", ce que je sais faire et que j'ai déjà pratiqué dans un certain nombre de mes articles cliniques et théoriques. L'obstacle appro­chant, j'ai provisoirement renoncé à me placer dans cette attitude et j'ai pris le parti, pour cette fois de glisser ma pensée dans les chaussons de la bienséance. Et pour une fois, je vais m'auto­riser à être un spectateur anonyme de ma propre pensée, incrustée sur le film que j'ai construit pour vous, dont je répondrai ensuite.

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Je commen­cerai ce court voyage à partir du précepte sur­réa­liste selon lequel il y a un en deça de la pensée qui vaut le dépla­cement, et à partir de la méthode surréa­liste de l'auto­ma­tisme psychique pratiqué inten­tion­nel­lement.

L'auto­ma­tisme psychique pur prescrit sur ordon­nance n'est pas, en effet, une position très habituelle pour des personnes civilisées. C'était pourtant la trouvaille commune et simultanée de FREUD et des SURRÉALISTES via la plume d'André BRETON que de proposer l'expérimentation d'une situation paradoxale où ça puisse penser avant que d'être pensé.

Pour FREUD l'injonction paradoxale était "Dites tout ce qui vous vient à l'esprit". Ce faisant, il trans­formait avec son maître BREUER un moment de grâce passé en compagnie d'une femme intel­li­gente en une technique qui connaîtra le succés que l'on sait : la psycho-analyse.

Pour André BRETON c'était "Écrivez tout ce qui vous vient à la main ". Pour les deux, l'esprit ou la main, la psyché ou les muscles comme vecteurs corporels obligés de l'expression des motions les plus profondes, il s'agissait de créer une situation interhumaine construite, un cadre pour déjouer la répression morale et esthé­tique sur l'expérience de l' énonciation pressentie par les deux hommes comme potentialité de trans­for­mation : du sujet pour l'un, et comme subversion sociale pour l'autre. Il s'agissait en quelque sorte d'instituer le processus de la régression comme écluse vers le signi­fiant, dans la perspective, pour l'un et l'autre de la réorga­ni­sation du système socio-mental (concept emprunté à Max PAGES).

Donner sa revanche à la Parole sur la connerie, ce qui n'était pas une mince affaire, et cela allait réserver des surprises tragiques : TAUSK, CREVEL, pour ne citer que les têtes de série.

Processus associatif pour l'un, automatisme psychique pour l'autre, il s'agissait de provoquer chez le sujet l' intention de laisser la motion pulsion­nelle la plus profonde prendre les commandes de la formu­lation expressive contre quoi elle est justement puissamment défendue. Peu importait l'organe, de la bouche ou de la main. Et ce ne sera pas une mince contra­diction, sûrement l'une des plus poétiques de FREUD, que d'avoir misé la totalité de sa fortune et de sa confiance dans l'exercice du processus associatif, et d'avoir ensuite inventé de toutes pièces la pulsion de mort pour justifier les limites du pouvoir du jeu paradoxal de la prescription du symbo­lique : Pensez librement! Comme celle d'André BRETON aura été pour finir l'enlisement du Surréalisme dans la littérature et dans l'art.

Dans les deux cas, la méthode devient la visée du sujet, se substitue à la substance de l'acte créateur fonda­men­ta­lement irréduc­tible à toute prescription. Le fonction­nement psycho­tique ne se décrète pas. Si pulsion de mort il y a, ç'en est alors le niveau où elle se repré­sente avec le plus d'éclat. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans l'invite du divan : de la fasci­nation d'un mode de fonction­nement psycho­tique proposé au client comme mirage d'un possible bonheur.

La leçon de l'épuisement surréaliste en littérature et en suicide et de l'enfermement psychanalytique en analyses inter­mi­nables ou parfois en acting suici­daires est peut-être à rechercher dans le processus narcissique lui-même sur lequel ils se fondent, processus autophagique, inhérent à la prescription du Désir.

Dans les deux situations, le psychique et l'esthétique sont sommés de fonctionner sur un mode que l'on pourrait qualifier de psychotique, c'est à dire sur un mode où les mots sont abolis en tant que message, en tant que forme et deviennent à eux-mêmes leur propre matière, leur propre objet d'inves­tis­sement… un espace/temps où les mots sont les signifiants et les signifiants les mots, où "Je" est invité à se saborder… où la différenciation entre la pensée et la psyché est abolie, et où ce qu'il y a préci­sément d'humain chez le sujet se dissout.

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Pourquoi la pratique dadaïste qui était une pratique insur­rec­tion­nelle en passant de la Suisse en France, de Zurich à Paris, est elle devenue une pratique de salon (Zurich où l'on a détruit il n'y a guerre le bistrot où Tristan TZARA est venu au monde de l'expé­rience analytique - la Dadanalyse - qui s'ouvrait comme mode d' analyse esthé­tique et politique révolu­tion­naire de la société) pour finalement se dévoyer en idéologie Stali­nienne puis en litté­rature sous la férule d'André BRETON couronné Pape du Surréa­lisme ?

Paradoxale, l' injonction associative…

Paradoxale, l' injonction de l'automatisme psychique…

Parce que dans les deux cas la prescription du désir passe outre à l'expérience du manque dans un acte délié de toute altérité. Tension délibérée vers un Désir qui ne serait pas désir du Désir de l'Autre. Qui abolit l'Autre en tant que lieu du Désir qui nous constitue comme autre. La prescription du désir détruit tout bonnement ce qui en est sa condition d'éveil et de développement : l'absence de l'autre, ou au contraire sa présence exacerbée comme fantasme.

Bien entendu, il en va de même de la prescription artis­tique, pratique e­xem­plaire de double-langage qui interdit au sujet, au moment même de la prescription, l'accès à ce qui lui est désigné comme idéalité à atteindre, accom­pagné par la solli­citude de l'arthé­ra­peute :

J'ai une fascination pour cette inter­ro­gation sur le pro­cessus d'articulation de la pensée et de la matière dans l' aventure expressive. Elle a totalement habité mon engagement dans l'expérience créatrice. Dès l'origine.

Mon propre espace de pensée est tendu en permanence par cette question de la création d'une structure pour l'expression esthétique, qui ouvre la personne à un mode d'expérience créatrice où la pensée vienne en aval de la rencontre esthésique avec la matière. Mon premier Atelier, mon premier livre portent le même nom : "Argile vivante"…matière vivante. J'ai toujours instinctivement choisi de laisser la matière dicter la forme. J'ai appelé le deuxième volet de mon Atelier d'Écriture: "Écriture/matière". Dès l'origine de mon ouverture profes­sion­nelle j'étais animé par ce parti-pris.

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La pensée qui me vient à la psyché à l'énoncé de celle de mes hôtes "Matiere, Matériau, Expression et Pensée" est donc pour moi de savoir comment résoudre dialec­ti­quement cette épineuse question du croisement de l'expé­rience créatrice dans l'invi­tation expres­sion­nelle où je me situe, et celle de son alié­nation dans l'art. Autrement dit, au niveau où nous jouons ici : comment créer de l'institution sans verser dans de la prothése ?

Je ne suis pas du tout, dans ce débat, sur les positions œcumé­niques de Jacques STITELMANN. Je comprends cet effort de concilier des positions inconci­liables, mais je n'y souscris pas. Il y a pour moi dans la question majeure de l'expé­rience créatrice des conflits irréduc­tibles entre la position analy­tique, qui est le lieu commun de notre rencontre, et la position artis­tique où tentent de la fixer un certain nombre de pratiques artho­pé­diques. C'est bien de la position de la pensée prise dans la matière ou prenant les matériaux dont il est question, c'est à dire du contrôle de l'acting créateur : par les signi­fiants ? ou par la pensée qui les occulte ? Pour ce qui me concerne, j'ai fait un choix. J'ai choisi le silence de la pensée, la renon­ciation au projet et à l'intention.

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Pensée/matière, matière première - comme on dit - pour l'appel au corps comme pensée organique - qui est poésie - contre matériau qui est matière pour la pensée et non fonda­men­ta­lement pour le corps qui est le lieu de l'expé­rience créatrice elle-même, pensée surdé­ter­minée/surdé­ter­mi­nante par les codes de la construction. Dans le thème proposé à notre réflexion, j'ai fait comme on dit chez nous, l'impasse sur les matériaux. Les matériaux, c'est déja des affec­ta­tions de la matière - "LEROY-MERLIN, magasin de Matériaux"- c'est déja de la matière déjouée par la pensée. C'est de la matière domes­tique. C'est de la matière prostituée à la pensée dominante. Les matériaux, c'est les ingré­dients de la recette : une pelle de ciment, deux pelles de sable, un demi seau d'eau, dix-sept parpaings... le projet est déjà inscrit dans les matériaux. Après, la confection dépend de l'art, du métier dans ses savoirs-faire. L'expé­rience créatrice y est canalisée dans les pré-requis de l'ani­mateur qui dirige, oriente, canalise la pulsion créatrice vers les modes de formu­la­tions qui ne risquent pas trop d'envahir la scène consciente par des matériaux incons­cients, ce qui a toujours des effets redou­tables.

Les matières, je le sais par expérience profonde depuis trente ans, sont des toboggans vers les signi­fiants à la condition de les laisser exercer leur pouvoir projectif sans aucune restriction. Ce sont les matières qui vont diriger l'acting créateur. Contrai­rement aux fantasmes et aux fabula­tions diffusés par des détrac­teurs qui n'ont jamais mis les pieds dans des Ateliers d'Expression Créatrice, la scène n'est pas envahie mais occupée par les signi­fiants qui vont y repré­senter leur propre scénario, élabo­ration créatrice où l'ani­mateur devra jouer le rôle de l'Autre, de celui en lequel se réflé­chissent les inten­sités de désir et les violences affec­tives dont il procède, sans en être détruit.

Qu'en est-il dans l'Atelier d'Expression Créatrice version Art CRU ?

L' énoncé inaugural de l' animateur pour intro­duire à l'Atelier est le suivant :

- "Vous êtes invités à vous exprimer ici, et dans les périodes fixées pour le faire, avec la matière et avec les outils qui sont mis à votre dispo­sition pour dire ce que vous avez à dire dans ce cadre. C'est ce langage-là qui est institué comme moyen privilégié pour vous exprimer. Chaque séance d'Atelier comprend un temps consacré au jeu avec la matière et un temps consacré à évoquer les effets de cette rencontre entre la matière et le désir".

Autrement dit : un temps sans restric­tions pour le faire, et un temps pour l'éla­bo­ration de la pensée de ce qui surgit des signi­fiants dans le temps du faire. Et le tour est joué.

Voilà dans sa nudité le contrat que je propose dans mon Atelier. C'est simple. Élémen­taire. Tellement élémen­taire qu'il semble que c'en est provocant, et pour certains intolé­rable, que l'ani­mateur soit tenu de ne rien faire, et le sujet tout. Tout ce qu' il peut en tout cas. Pas de consignes, pas de propo­si­tions de jeu communes à tous, pas de propo­si­tions de jeu de groupe.

Et moi, dans cette cosmo­graphie groupale, je ne suis là que pour constituer un pôle émetteur/récepteur des charges inter-trans­fé­ren­tielles déclen­chées par cet ensemble archi­tec­tural composé du cadre, des matières/langages, de ma personne et du groupe comme supports fantas­ma­tiques d'une intense activité æsthé­sique dont l'issue obligée est : plutôt la matière ou plutôt le transfert, ou bien le transfert sur la matière, ou bien des va-et-vient entre matière et transfert selon les degrés de la menace exercée par la pulsion métamor­phique sur l'écla­tement des conflic­tua­lités qui accom­pa­gnent toujours l'émer­gence des repré­sen­ta­tions d'affect, des repré­sen­tants de signi­fiants dans le champ de la perception du sujet.

En fait, comme dans une psycha­nalyse qui est créatrice, la matière de l'expé­rience, ce n'est pas la matière, c'est le jeu affectif, et ses effets de transfert. C'est ce qui des signi­fiants est appelé par l'inten­si­fi­cation æsthé­sique du jeu. C'est l' expe­rience créatrice qui est le jeu, c'est le processus et non l'objet créé, ou les aléas de sa circu­lation dans le circuit de la commu­ni­cation sociale, comme l'y inscrit symbo­li­quement le préfixe art dans l'expression "art-thérapie" et dans les pratiques qui s'y réfèrent. Et mon travail d'ani­mateur, multiple, fondé sur une absti­nence de toute forme de direction d'éva­lua­tions ou de propo­si­tions d'exer­cices, consiste à être le témoin attentif des effets de sens qui surgissent à profusion, des effets de parole sur le sujet, comme "Il" disait , "en tant que le sujet est constitué des effets du signi­fiant"); d'avoir la capacité de les sur­ligner au moment opportun, aux moments des dialogues spontanés ou institués; à être la personne privi­légiée pour que ce qui se mobilise de l'affect, ce qui du non-humain est puissamment réactivé, puisse s'expé­ri­menter sans danger dans le jeu de la symbo­li­sation créatrice et intro­duire le sujet au symbo­lique, qui est ce par quoi l'expé­rience affective, avec sa sauva­gerie et ses violences poten­tielles, s'humanise, est intro­duite justement au monde de la êrception et de la pensée.

Assomption vers le symbo­lique, donc, et humani­sation, comme le dit si bien Fran­çoise DOLTO. J'adhère.

Le mouvement va donc de l'acte vers la pensée, et non l'inverse. L'acte précède tout projet. L'Acte, c'est celui de l 'énon­ciation de la parole du sujet dans l'agir créateur, saturé des affects dont il est l'expression, et l'accueil de ses effets de sens. Et la Pensée, c'est le moment de l'abou­tis­sement de l'acte créateur, de l'acte de la formu­lation de l'affect en une repré­sen­tation créatrice, quelle qu'en soit la matière, et même si cette matière est les mots, les mots dans la bouche ou les mots dans les doigts. C'est ce par quoi une psycho-analyse est opérante lorsqu'elle réalise ses visées, quand elle est créatrice dans sa relation à l'expression psychique (qui est la circon­scription où la psycha­nalyse assigne le sujet) .

La matière du processus d'expression créatrice, c'est le sujet ; et les matières sont les langages, les médiums de la formu­lation, de la symbo­li­sation par où l'affect se détoxique et peut revenir vers la personne comme matériau pour sa construction en tant que sujet.

Voilà.

J'espère que je n'ai pas été hors-sujet.

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mardi, 18 août 2015 21:09

Miroir dis-moi ton nom

Miroir dis-moi ton nom

Spéculaire/Spectaculaire

Exposé réactualisé
au 17 Novembre 2005

Guy Lafargue

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Je me propose d’examiner dans cet article la question de l'expérience créatrice comme lieu de constitution de l'expérience subjective dans cette dimension particulière désignée comme le "Soi" et "l'Autre".

La conception que j'expose ici est importante en ce sens qu'elle tente d'établir le partage entre deux orientations de la pratique expressionnelle commune à tous les courants de recherche occupés des médiations créatrices: l'une centrée sur le développement de la personne, l'autre centrée sur l'Art (la littérature). Et à voir dans quelle mesure l'antinomie entre les deux mondes peut être ou non résolue.

Cette question fait partie des points sensibles du travail d'élaboration théorique de la discipline nommée "Expression Créatrice Analytique" dont nous transmettons ici la pratique et les concepts opératoires en particulier autour de cette tension permanente que nous avons avec des disciplines connexes dans le débat entre :

  • la visée de l'Art, centrée sur le "donner à voir", le "donné à entendre" et sur les institutions commerciales et culturelles qui en gouvernent le cours;
  • et la visée de développement de la personne radicalement marquée par le jeu ouvert et vivant de l'Analyse, occupée de l'expérience des processus affectifs, émotionnels, mnésiques, æsthétiques, psychiques qui gouvernent l'expérience créatrice et le jeu avec les langages/matières.

Le spectacle est l'institution qui surdétermine le jeu des acteurs de la situation artistique. L'exposition (la représentation scénique) en est le vecteur central.

La parole signifiante (représentation de l'éprouvé dans les mots) est l'institution qui surdétermine les acteurs de la situation expérientielle créatrice. Le regard et l'écoute analytiques en sont le vecteur central.

Le concept de "spectacularité" nous servira à désigner les phénomènes liés à l'institution du champ artistique et des médiations scéniques.

Le concept de spécularité nous servira à désigner les phénomènes et processus occupés de la formation du Soi (et des images de soi et du corps, conscientes et inconscientes) tels qu'on les appréhende dans l'expérience créatrice centrée sur l'expression de la personne.

Le point d'orgue de nos interrogations au sujet de ces deux directions de pratique porte sur l'expérience du regard dans sa double dimension :

  • Du "regarder" et du "voir" (mais aussi du "toucher" comme connaissance);
  • Du regard de l'autre sur soi (réel et supposé) et de l'"être-vu".
  • De l'intentionnalité qui gouverne ces échanges affectifs/émotionnels où le regard et le contact définissent un espace intermédiaire de jeu entre les protagonistes.
  • De la façon dont, en dernier ressort, notre rapport à l'autre et notre sentiment d'existence se fondent et s'articulent au sein de ce jeu du regard, de l'écoute et du contact. Ils sont co-extensifs (extensions du même).

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Le narcissisme

Cette réflexion s’aventure sur des sentiers exotiques. assiette impalpable, subtile, où se joue le destin de la formation de la personne comme "sujet" (le "je" comme forme manifeste du Soi), et du narcissisme comme espace interne où se tisse le sentiment de soi consubstantiel au sentiment de l'Autre.

Le narcissisme est le concept, le mot choisi pour désigner ce mouvement particulier de l'expérience subjective occupée du sentiment actuel de "l'être" (" being") qui est le point focal d'un certain nombre d'enjeux affectifs et imaginaires obligés de soi et de l'autre en miroir, tous investissements nécessaires à la constitution de l’espace scénique où Ça se représente, et à la constitution du Sujet. C'est bien de l'histoire du lien originaire comme scène d'élaboration de notre identité et de notre humanité qu'il s'agit, et de nos modes de présence au monde tels qu'ils se sont engagés : Dans la synergie ? Dans la conflictualité ? Dans une dialectique créatrice ouverte ?…

Et donc, dans mon propos, il s’agit bien ici de tenter d’éclairer cette dynamique particulière créée parla médiation scénique instaurée comme langage pour le travail de l'Expression Créatrice. Placer sous le projecteur de la pensée ce qu’il en est du rapport entre le processus spéculaire : regard de soi sur soi, et la construction spectaculaire comme mise-en-représentation sous/pour le regard de l'Autre sur soi dans la construction de l'image de soi ; et pour finir du sentiment d'exister.

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Expérience du corps
Conscience de soi
Sentiment d'exister

La conviction inaugurale qui sous tend ma réflexion est que pour conserver un lien au monde vivant et satisfaisant, il est nécessaire à chaque être humain d'éprouver de façon significative le sentiment d'exister, le sentiment d'être, d'être soi et d'être relié de façon réelle aux autres. L'avers de ce sentiment est le sentiment de la solitude ou le sentiment de la mort.

Mon autre conviction est que l'expérience créatrice est par excellence le lieu pour donner corps à ce sentiment et à lui donner les conditions de ce que Rogers appelle une "vie pleine".

Ce sentiment vital et ses avatars s'instaure dans les tous premiers mois de l'existence néo-natale, dans la qualité subjectivement éprouvée que les soins maternels apportent au nouveau-né ce dont il a impérieuse nécessité : satisfaction, des besoins organiques, affectifs et émotionnels, soutien inconditionnel des pulsions vitales à la croissance et à l'autonomie.

Dans ce travail d'échange les facteurs les plus structurants résident dans la confluence des trois modalités du lien symbiotique originaire :

  • la qualité du portage et du contact dans la satisfaction orale et les soins corporels
  • le contact visuel de regard à regard par où le nouveau-né déchiffre les signes génétiques de la communication affective et émotionnelle et par où il est introduit au monde du langage scopique,
  • l'enveloppement sonore de la voix maternelle qui introduit le nouveau-né au monde des signifiants, et l'ouvre au monde symbolique des mots et de la signification.

Comment se construit ce sentiment de nous-même comme existant (qui est le narcissisme originaire où il n'y a pas encore de sujet) dont nous faisons parfois l'expérience, dans des moments singuliers de l'expérience créatrice ?

Comment s'établit de manière sûre cet éprouvé particulier de la densité, de la consistance et de la permanence de l'être qu 'on appelle le Soi ?

Ces prémisses une fois posés nous allons venir maintenant aux Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques et à la question des médiations scéniques comme espace "métamorphique".

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Comment s'emboîtent les strates successives constituantes de l'image de Soi dans les éprouvés somatiques/affectifs/émotionnels liés aux soins corporels premiers, dans l'échange de regards entre la mère et le bébé et dans les premières rencontres du jeune enfant avec son image dans le miroir ? (relire Winnicott et Dolto)

Quels jeux et quels écarts s'instaurent entre le voir et le regarder ?

Entre le regarder et l'être-vu ?

Entre le jouer pour soi , qui se développe dans le champ du narcissisme primaire, et le jouer pour l'autre qui est au fondement de la compulsion artistique ?

Toutes ces questions sont importantes pour comprendre comment, dans l'expérience créatrice telle qu’elle est instituée dans le cadre des Ateliers d’Expression Créatrice Analytiques (Art CRU), opère la formation de la forme comme représentation du Soi et comment y joue la fonction du regard :

  • regard du sujet sur sa production et sur soi en relation avec sa production,
  • regard de l'Autre sur la production du sujet et sur le lien du sujet avec sa production,
  • regard du sujet du regard de l'Autre sur lui et sur sa production.

Dans ces trois directions du spéculaire et du spectaculaire, où il est question du reflet, de la réflection des signifiants dans le jeu de la formation des formes et de leur mise en situation scopique sous le regard, le sien propre, et celui (réel et fantasmé) du regard et de la parole réfléchis en miroir par l'Autre, se développent tous effets attendus ou subis qui marquent l'expérience créatrice aussi bien dans son inscription analytique/thérapeutique que dans son inscription artistique.

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L'expérience créatrice :
Le spéculaire et la fonction miroir
dans la construction de l'image du corps

Dans l'expérience ouverte par les “Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques", nous rencontrons une large palette de modes de regards :

  • regard du sujet sur ses objets
  • regard du sujet sur lui-même en élaboration de sa propre production,
  • regard de l'animateur sur la production et sur le sujet, et sur la façon dont cette attention est reçue/attendue/fantasmée,
  • regard sur l'objet créé comme représentation/reflet d'un fragment de son expérience affective,
  • regard virtuel des tiers...

Au centre de cette structure particulière créée par la présence du/des regards se joue une partie de la problématique des processus de construction de l'identité dans le jeu avec/du miroir.

L'image spéculaire est le fruit imaginaire de la liaison qui s'établit dans l'expérience subjective entre l'éprouvé affectif impensable et la perception de la forme "objective" que le sujet rencontre dans un miroir, que ce miroir soit constitué de verre, d'argile ou du regard inaugural de l' Autre/la mère et de ses métamorphes.

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Sur la valeur structurante de cet événement, quatre théoriciens ont évoqué l'importance de cette question: Henry WALLON, Jacques LACAN, Françoise DOLTO et Donald WINNICOTT.

En 1931 WALLON, découvre que, contrairement aux singes que leur image dans le miroir rend furieux, les bébés ne réagissent pas à la leur, en tout cas jusqu'au quatrième mois de leur existence. Après ça, ils commencent à se prendre pour un autre bébé, puis à se sourire, puis à pressentir quelque chose de bizarre dans la présence simultanée de leur génitrice sur le miroir et derrière/autour/à coté d'eux, et leur parlant de ce qui se passe ou d’autre chose.

Entre apparence (le perçu visuel/somatique) et expérience (l'éprouvé somato/affectif) il y a pour le bébé un conflit d'images à résoudre. Les deux plans de représentation (virtuelle et réelle) n'appartiennent pas encore à une perception intégrée des effets de temps et d'espace. Pour le bébé, il y a tout à coup deux là où dans l'expérience subjective il y a un. Un des éléments de la dyade subjective se scinde, se dédouble, apparaît comme un duplicata, immédiatement reconnu : la mère, dans le même temps où l'autre/soi va progressivement se dégager comme image de Soi externalisée, comme représentation corporelle externalisée...comme “Moi“, c'est à dire comme la somme des éléments figurables de ce corps-là (représentation mentale objective) qui vont s'inscrire dans ma mémoire en une image spéculaire, c’est à dire comme image scopique du corps et comme objet, décontextualisés des éprouvés inconscients, des affects.

Vers 10 mois, bébé se reconnaît dans le miroir, mais quand on prononce son prénom, il se montre avec le doigts pointé sur l'image dans le miroir, et pas sur son nombril comme toi et moi. Et il travaille à résoudre ce dilemme de l'existence d'un sentiment affectif du soi corporéisé, incarné, éprouvant, inscrit dans l'espace/temps du lien physique à la mère ; et d'une trace mnésique, une image construite de son propre corps, mémorisée en une représentation formée à partir de l'image renvoyée par le miroir, image virtuelle/réelle qui échappe à toute prise, qui va dfoànner une' superfricie au Moi, un espace de développement de cette entité d'éléments figurables qu'on appelle le Moi.

Ce travail va aboutir à la formation d'une image issue du contact avec le miroir une image spéculaire, comme on dit, qui va recouvrir/remanier l'expérience du Moi. WALLON appelle ça "l'épreuve du miroir", et il va en faire le pilier de la théorie du passage du spéculaire à l'imaginaire . WALLON décrit la façon dont se constituent les images psychiques du corps comme connotant la mise en place du Moi. Formation du Moi et image spéculaire du corps sont co-extensifs l'un à l'autre.

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Quelques années plus tard, en 1936, Jacques LACAN qui connaissait les travaux de Wallon les reprendra (sans citer ses sources). Il remanie la théorie du miroir dont il va faire le centre de son système d'étagères psychiques fondé sur les trois catégories du Réel (le monde des sensations originaires), de l'Imaginaire (le monde des images de sensations) et du Symbolique (le monde des images de mots).

Treize ans plus tard, en 1949, le même LACAN comprend "le stade du miroir" comme le moment déterminant de la condensation de l'instance qu'il appellera le "Je" comme effet d'une identification du sujet à l'image spéculaire (prendre l'image pour le soi), phénomène de "transformation produite chez le sujet quand il assume une image". Lacan nous dit ensuite que " l' assomption jubilatoire de son image spéculaire" va constituer "la matrice symbolique où le "je" se précipite en une forme primordiale" ( Ecrits 1, p 94). Cette image spéculaire d'un autre/soi va constituer "la souche des identifications secondaires": "Le point important est que cette forme situe l'instance du Moi, dès avant sa détermination sociale, dans une ligne de fiction à jamais irréductible pour le seul individu ". Cette forme totale du corps qui lui est donnée dans une extériorité symbolise la permanence mentale du "je" (pour le Soi ?).

Pour résumer, les choses se passent comme si dans sa rencontre avec l'autre/spéculaire (externe à soi à assimiler comme "moi"), le bébé se construisait une image de son corps, en quelque sorte une figuration corporéisée de soi, à la fois indemne d' introjects (étranger, vide) et saturée des émois liés à la mise en place progressive de sa position de sujet, c'est à dire de centre de sa propre expérience.

Cette entité corporelle/virtuelle narcissique, le "je" est ce par quoi le sujet va décoller de l'adhérence au Réel (oralité/analité), et le Symbolique, ce qui va constituer le mode de représentation privilégié de l'être-sujet, la condition de la formation du désir et de l'accès à la parole et à la génitalité . C'est au cours de ce travail avec l'image réfléchie dans le miroir, baptisé par LACAN "stade du miroir", que le bébé devient un enfant doué d'une capacité d'articuler son désir et celui de l'autre, sa "désirance" comme le dira plus tard Françoise DOLTO.

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Pour Françoise Dolto, le stade du miroir, c'est une sorte de luxe psychique qui se déclenche au moment de l'autonomisation motrice progressive du bébé (que Dolto appelle la "castration anale" comme réalisation de l'autonomie motrice) et qui renvoie à la construction narcissique primaire (amour de Soi) grâce à l'intégration subjective d'une image visuelle d'un corps entier réfléchi dans le miroir, qui donne au bébé, entre trois et dix mois une perception de son propre corps tel qu'il serait vu par un autre, sauf que cet autre c'est lui, internalisant l'image de ce regard à lui extérieur sur ce corps/sien comme regard de l'Autre/la-mère sur lui, c'est à dire de l'image de Soi en tant qu'autre réfléchie dans son propre regard, processus complexe, si tu vois ce que je veux dire, dont étaient exemptés les bébés quand y'avait pas de miroirs dans les chaumière.

Donc, DOLTO, reprend à son compte le stade du miroir, en y ajoutant des bémols de clinicienne plus préoccupée de la thérapie des enfants que des méandres narcissiques secondaires (amour du Moi) de la théorie lacanienne. Elle dit en particulier qu'on a un peu exagéré la question du spéculaire. Dans "L'image inconsciente du corps", elle écrit ceci : " Il ne suffit pas qu'il y ait réellement un miroir plan. A rien ne sert si le sujet est confronté en fait au manque de miroir de son être dans l'autre. C'est cela qui est important " (p148). Ce qui veut dire en clair que l'Image de Soi ( le narcissisme primordial de DOLTO) se construit dans l'ensemble des communications fonctionnelles érotisées depuis la naissance et même avant probablement : "L'image du corps s'est donc élaborée comme un réseau de sécurité langagière avec la mère". En ceci, elle est beaucoup plus proche de Winnicott que de Lacan.

DOLTO souligne que cette image est constituée en quelque sorte de morceaux épars, de fragments d'expérience, qui vont, dans la rencontre avec le reflet dans le miroir, trouver l'occasion de se constituer en un ensemble homogène, "l'image du corps" justement.

Cette rencontre remplit une double fonction :

  • de vecteur à la communication sur le visible qui relie les corps entre eux dans l'imaginaire,
  • et de blessure, "le trou symbolique" dit DOLTO, où l'image, en quelque sorte finie, vient occuper le devant de la scène du Moi au détriment du sentiment du Soi, de l'autre image, inconsciente justement, encore engluée dans les adhérences archaïques fœtales/orales/anales.

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Les choses sont plus simples avec WINNICOTT qui, sur ce sujet, ramonait volontiers les moustaches à LACAN. WINNICOTT disait à qui voulait bien l'entendre que le stade du miroir de Monsieur LACAN prenait ses racines dans le lien de regard originaire entre le bébé et la mère, étendant à la communication visuelle les autres modalités d'expérience affective et sensuelles originaires, comme le fait d'ailleurs après lui Françoise DOLTO.

Donc, avec l'unification du Moi, symbolisée plus que produite à mon sens, par la rencontre avec l'Image virtuelle dans le miroir, l'important c'est qu'au moment où l'enfant abandonne l'exclusive de l’érotisme oral/anal (l'érotisme prégénital) il est déjà prêt pour s'aventurer dans l'univers de l'autre et du sexe, le sien, le pénis présent/absent.

Le spectaculaire

Je ne m'intéresserai ici au spectaculaire, ni du point de vue de la socialité (qui est le point de vue du versus comportementaliste des théories de l’arthérapie, ni du point de vue du producteur/spectateur culturel, ni du point de vue de l'objet scénarisé, mais bien du point de vue du sujet créateur de la scène, de la fonction active, initiatrice, du donner-à-voir, qui est celle qui nous concerne en tant qu'animateurs d'Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques confrontés et associés concrètement et ph(f)antasmatiquement au travail de la narcissisation primaire et de la formation de l’être-sujet.Le spectaculaire et l'Art

C'est une question très importante pour nous que de comprendre et de définir ce qu'est l' œuvre artistique par rapport à l'objet créé dans une visée d'expression de soi. Mon point de vue est que l' objet artistique n'est pas défini par les caractéristiques formelles de l'objet, mais essentiellement par le besoin/désir du regard de l'autre à soutenir le sujet (l'artiste) dans le sentiment de l'être (où il est défaillant), dont il attend qu’il le constitue en un objet pour le regard de l'autre. C'est le regard du spectateur qui confère son statut artistique à un objet créé quelles qu'en soient les qualités : que ce regard virtuel attendu soit celui des tiers futurs spectateurs, ou ce même regard virtuel internalisé dans l'espace psycho-affectif du créateur. L'Art ne définit pas les qualités esthétiques de l'objet mais bien son statut affectif pour le sujet projeté dans la pensée de l'Autre.

Coalescence et distance à l'objet
dans le processus expressif créateur

Que se passe-t-il dans cette intime relation qui s'engage entre le sujet et la matière dans l'Atelier d'Expression Créatrice Analytique, dont l'aboutissement est l'affermissement, voire la constitution du sujet au travers du jeu de la création de l'objet

La surface de projection créatrice
comme miroir

La condition fondamentale de déclenchement du processus créateur expressif est la confrontation du sujet à une convocation du désir dans un espace vide où la seule activité instituée possible soit celle du libre jeu avec un ou plusieurs langages/matières de création .

La condition fondamentale pour que l'espace vide soit opérant non d'une répétition mimétique mais d'un processus créateur est que cet espace soit inscrit dans un cadre construit favorisant l'investissement affectif des matières/langages et leur désintrication des adhérences narcissiques dans une métacommunication (une parole réfléchissante sur les processus). Cette méta-communication au sein du groupe prend comme objet d’analyse les effets subjectifs (affectifs, psychiques et émotionnels et mnésiques) de l'engagement du sujet dans un travail de parole prise dans sa double fonction d'évocation des expériences vécues dans le temps de la création et de prolongement de l'expression dans la représentation de mots.

C'est dans ce libre jeu de la parole entre matière et verbe qu'opère le desserrement des signifiants et le possible surgissement de pans entiers de l'histoire du sujet et leur intégration progressive au champ de la conscience. S'il y a écart interlangagier c'est justement entre les mouvements incontrôlés de la production ph(f)antasmatique dans les matières/langages, et le temps de l'énonciation des effets sensibles qui l'accompagnent, qui en surgissent, qui s'y expérimentent, que se condensent les effets de sens : ab-réaction, insight, remémoration. Et, pour certains, comme pour les personnes dites psychotiques, qui sont restées fixées dans un espace d’occlusion narcissique, s'ouvrent des voies de passage du Réel vers l'Imaginaire et, dans le meilleur des cas, lorsque l’échange intertransférentiel est bien arrimé, vers le Symbolique.

mardi, 18 août 2015 20:49

Médiations / Formation

Médiations / Formation

Du tout cru au pas tout cuit

Guy Lafargue

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La formation des soignants
au maniement des médiations créatrices

dans l'exercice du soin

Article paru dans la revue SANTÉ MENTALE

Guy Lafargue a une formation initiale de psychologue clinicien et de psycho-sociologue. Il est titulaire du certificat français et européen de psychothérapie. De 1973 à 1982, il a été l'élève et le collaborateur du Professeur Max PAGÈS dans le cadre du Laboratoire de Changement Social de l'Université Paris 7. Dans le même temps, il a travaillé dans l'Atelier Thérapeutique d'Expression du CHS Charles Perrens à Bordeaux. Il a créé et dirige depuis 1984 les Ateliers de l'Art CRU, Institut de formation permanente consacré aux médiations créatrices dans les pratiques du soin psycho-affectif, de l'éducation et de la lutte contre les exclusions. Il est lui-même créateur et artiste et il a développé une importante collection d'œuvres d'Art d'urgence regroupée dans sa collection de L' ART CRU MUSEUM.

Soins psychiatriques
médiations créatrices
et formation

Paradoxe ou contradiction : l’expérience créatrice est largement reconnue comme médiation thérapeutique privilégiée auprès des personnes faisant l’objet de mesures de soin spécialisé en psychiatrie, en pédopsychiatrie, addictologie, suicidologie, et toutes institutions travaillant dans la lutte contre la ségrégation des personnes en rupture provisoire ou prolongée de lien social.  Paradoxalement elle est de moins en moins représentée, voire totalement ignorée ou invalidée dans le fonctionnement concret de nombreux services de soin. Le renforcement des thérapies comportementales et de la chimiothérapie y est pour quelque chose. Mais aussi la réforme en cours de la formation permanente où se joue le théâtre idéologique et les luttes de pouvoir institutionnelles pour le contrôle de ses finalités, de ses contenus et des conditions de son organisation.

Clarification des enjeux de la formation

Toute réflexion sur les perspectives et sur les méthodes de formation des praticiens du soin psycho-affectif à la pratique des thérapies médiatisées en établissement psychiatrique suppose la clarification préalable du champ et de la terminologie que nous employons. Notamment par rapport à ce qui, en miroir de la médiation, est défini comme la finalité et le lieu focal de l'acte thérapeutique, c'est à dire le processus de désaliénation de la personne.

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Dominique Roriguez - Collection de l'Art Cru Museum

La nature et la qualité de la formation convoquée dépendent :

  • des orientations théorico-techniques de l'Institut de formation ;
  • de la valence qualitative et du niveau d'exigence que le formateur attribue au terme thérapeutique ;
  • de la façon dont chacun situe et se représente la (les) médiation(s) les matières, langages, création, expérience créatrice, expression, art, culture en regard de l'acte thérapeutique ;
  • de la place que le formateur et les utilisateurs accordent, dans ce cadre là, à la formation au dialogue analytique qui constitue l'essence de tout projet authentiquement thérapeutique ;
  • du degré de motivation et de la liberté de choix de leur formation par les utilisateurs (en majorité des infirmiers, des psychologues, des animateurs et des artistes pour la plupart autodidactes).

Institution et représentation
idéologique du soin

L'orientation idéologique des prescripteurs de la formation conditionne donc en grande partie le choix de l'organisme de formation par les DRH. L'opérativité d'un programme de formation pour les futurs praticiens dépendra largement de la cohérence existant entre la demande théorico-technique des prescripteurs de la formation et l'offre technique et théorique du centre de formation, selon qu'ils se situent dans une vision humaniste (centrée sur le développement du sujet) ou dans un projet plus ou moins étroitement adaptatif associé à une chimiothérapie prévalente.

Dans les pratiques actuelles du soin psychia-trique, on peut distinguer quelques grandes initiatives et modèles de pratiques profilées ou présumées "thérapeutiques" utilisant les médiations créatrices et, partant, les orientations pédagogiques des instituts de formation cohérents avec ces orientations.

La cerise culturelle

Les premières grandes expériences de mobilisation de l'art dans les établissements psychiatriques datent de la deuxième moitié du vingtième siècle. Elles sont essentiellement dues à quelques psychiatres éclairés fascinés par les productions créatrices des aliénés (Réja, Ferdière, Prinzhorn), puis, par contagion, à la traque gourmande des surréalistes, aux adeptes de la psychopathologie de l'expression, de l’Art Brut, Elles ont donné lieu à la création d'institutions : la Maison des artistes de Gugging, la superbe Association Aloïse de Roger Gentis, les Ateliers Thérapeutiques d'Expression Créatrice dans le service du Docteur Broustra à Libourne, l’extrraordinaire Atelier du Non-Faire de Christian Sabas à Maison Blanche…entreprises qui ont accompagné la réforme de la psychiatrie de secteur.

C'est surtout dans le cours des bouleversements introduits après Mai 1968 que quelques jeunes psychiatres comme Roger Gentis, Jean Broustra, Jean Pierre Klein, commenceront à penser le soin en prenant en considération l'expérience artistique comme possible outil thérapeutique ou comme faire-valoir culturel. C'est dans ce mouvement qualitatif que l'idée d'organiser les soins en misant à part entière sur l'expérience créatrice comme espace/temps thérapeutique s'est ancrée chez ces psychiatres marqués par la psychothérapie institutionnelle, l'anti-psychiatrie anglaise et par la psychanalyse lacanienne (même s’ils s’en défendent).

Le courant institutionnel

Cette orientation historique se réfère explicitement à la théorie et à la pratique de la psychothérapie institutionnelle créée par François Tosquelles et Jean Oury.   La formation en est essentiellement clinique et elle est dispensée par les psychiatres et les équipes de soin qui s’y réfèrent. Dans cette dynamique, les “activités” d’expression créatrice ou les clubs artistiques sont considérés en eux-mêmes comme des facteurs structurants de la communication interhumaine et peuvent donner lieu à un travail analytique institutionnel.

Le courant psychanalytique

s'inscrit dans ce qu'il convient d'appeler à la suite de Freud la psychanalyse appliquée, qui, comme son nom l'indique vise à appliquer la pensée et la doctrine psychanalytiques à un domaine de la culture - en l'occurrence celui de l'art (hétérogène à sa pratique spécifique qui est la dialectique entre parole et travail psychique associatif) - les éléments des théories et des règles de la cure psychanalytique. Les instituts de formation qui travaillent selon cette conception sont en général des Instituts d'Université au sein desquels la représentation de la doctrine psychanalytique est prévalente. Les enseignements théoriques et pratiques y sont donnés par des psychanalystes et des psychothérapeutes.

Le courant comportementaliste

Un certain nombre de pratiques arthopédiques sont fondées sur la prescription artistique.  Elles reposent sur la gestion instrumentale de l’injonction et de la communication artistiques, sur les effets attendus/induits de socialisation des "patients", de réparation narcissique des “ malades mentaux” artistes désignés. Elles donnent parfois lieu à exploitation des productions (devenues œuvres) en séance de synthèse.

Cette orientation repose sur une certaine esthétique du Beau, sur les concepts de comportement créatif, de créativité, sur la lénifiante théorie de la sublimation et sur la présomption spectaculaire et artistique : apprentissage assimilation de techniques artistiques, affichage domestique, exposition de groupes de patients, participation à des manifestations culturelles "spécialisées", vente des œuvres…tous aménagements qui dépouillent l'acte artistique de ses dimensions de subversion et d'authenticité.

Ce mode de pratique d'ateliers d'art en psychiatrie instrumentalise largement le rapport entre l'intervenant (auto-proclamé ou certifié art-thérapeute lorsqu'il est détenteur d’un diplôme privé ou d’un D.U.), et le sujet, dans un rapport de guidance artistique. Généralement, parce que ce n'est pas la plupart du temps leur formation de base, ces animateurs d’activité artistique refusent toute pratique analytique en prise sur l'expérience créatrice telle qu'elle est subjectivement vécue par le patient, renvoyé, en cas de difficultés affectives importantes apparues dans l’atelier, au psychiatre ou à des psychothérapeutes professionnels.

Globalement, cette orientation est souvent représentée par des psychiatres suridentifiés à l’art, rebelles à l’institution et par des artistes confirmés ou présumés qui trouvent à valoriser dans le cadre des institutions psychiatriques une quête artistique personnelle éconduite dans le monde artistique ; ou par des soignants autodidactes ou formés dans des instituts de formation à l'art-thérapie versus artistique.

Les instituts de formation qui pratiquent ces orientations comportementales, créés et dirigés par psychiatres excentriques ou par des artistes sous allégeance psychiatrique, exigent généralement en premier lieu comme condition de recrutement des candidats à la formation un dossier artistique personnel. Ils considèrent l’art comme bagage obligé à l'exercice du métier thérapeutique et dispensent en conséquence des connaissances en psychiatrie et en psychopathologie, des cours d'histoire de l'art, procédures de classification, quantification, question-naires de validation. Certains instituts demandent explicitement que les candidats fassent une psychothérapie personnelle, quelque fois une art-thérapie, avec des praticiens diplômés de leur institut..

Les "Ateliers Thérapeutiques
d'Expression Créatrice "

Ce courant , dont j'ai créé le modèle, est référé aux recherches contemporaines sur la dynamique des groupes, la psychothérapie existentielle " centrée sur la personne" de Carl Rogers et à la lecture psycho-analytique des travaux de Winnicott, Harold Searles, Daniel Stern, Françoise Dolto, Mélanie Klein, Frances Tustin et des néo-kleiniens.

J'ai été le créateur de cette appellation et de cette pratique vers 1975. C'est à ce titre que j'ai été convoqué par les docteurs Michel Demangeat et Jean Broustra, instituants du premier hôpital psychiatrique de jour de la région Aquitaine. Ce type d'Atelier que j'avais inventé dans le cadre de ma collaboration avec le Professeur Max Pagès, et introduit à la faculté de psychologie de Bordeaux a été pour la première fois institutionnalisé en 1972 dans le cadre de cet hôpital de jour où je l’ai développé en synergie avec le Dr Jean Broustra.

Cette création institutionnelle d'unités coordonnées d'Ateliers Thérapeutiques d'Expression Créatrice s'est ensuite développée à son initiative au CHS Charles Perrens de Bordeaux, dans le service du Pr Marc Blanc. J'ai moi-même été instituant inaugural et animateur/thérapeute dans ces services sous sa direction entre 1972 et 1982, jusqu'au départ de Jean Broustra dans l'unité psychiatrique de l'hôpital Garderose de Libourne dont il a été nommé médecin-chef.

Dynamique de la formation qualifiante
aux Ateliers d'Art CRU

Cette création institutionnelle ouverte par notre Institut de formation a été élaborée dans un va et vient entre nos recherches cliniques au sein de l'hôpital et notre expérimentation de la formation au sein de notre institut. Notre tension idéologique était dès le départ ouverte à la psychothérapie existentielle, à la psychanalyse, à la dynamique analytique de groupe, à l'esthétique du pédagogue Arno Stern , au psychodrame morénien et aux recherches avancées du théâtre d'avant garde des années 1970.

Nous sommes partis de cette considération que les personnels qui veulent légitimement se former à la discipline expressionnelle pour pouvoir ensuite la mettre en œuvre auprès des utilisateurs du soin doivent accepter de traverser pour eux-mêmes les expériences d'implication personnelle dans l’expérience créatrice dont ils auront ensuite à construire le cadre pour les usagers. Ils doivent nécessairement les expérimenter de façon significative dans les dispositifs modélisés de leur formation.

MANIFESTE POUR UNE ÉTHIQUE
PARTAGÉE DE LA FORMATION

Le changement significatif des stratégies de formation des établissements est contemporain de la nouvelle loi sur la formation permanente. Depuis la mise en œuvre de la réforme, le volume d'inscriptions des personnels des établissements de santé mentale aux formations qualifiantes à l'animation d'ateliers thérapeutiques médiatisés a diminué chez nous de 8O%. Parallèlement, le nombre des inscriptions aux ateliers expérientiels de sensibilisation aux médiations créatrices (qui ne sont pas des formations qualifiantes) restent à peu près stables. La consultation d'instituts beaucoup mieux "placés" que le notre vis à vis des secteurs psychiatriques fait état du même mouvement. Les raisons de cette désaffection sont lisibles à même les appels d'offres rédigés et adressés par les directions des ressources humaines des établissements aux instituts de formation.

Les appels d'offre :
une pratique de la double contrainte

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Dominique Rodriguez - Collection de l’Art Cru Muséum

La pratique des appels d'offre tend à se généraliser. Elle remplace progressivement l'ancien système de formation fondé sur la demande des salariés en réponse aux propositions des instituts. Il apparaît à l'usage que les appels d’offre sont construits selon un modèle standardisé. Désormais, après enquête globale sur les besoins et les demandes de formation, les acteurs du soin sont convoqués à des sessions internes à l'établissement. Ces sessions sont entièrement formatées par les directions des ressources humaines (DRH) sur des critères essentiellement économiques et idéologiques. Elles sont construites sans aucune consultation du formateur sur l'opérativité des modèles décidés et des propositions faîtes. Nous ignorons dans quelle mesure le choix des orientations théorico-techniques des acteurs du soin est pris en compte. La DRH fixe un objectif apparemment ouvert, proposant la mise en place d'une formation attendue comme qualifiante aux activités de médiations; ou, dans le meilleur des cas, à la mise en place d'ateliers thérapeutiques. Et dans le même temps, elle obture les finalités et les méthodes des formations proposées.

Les causes économiques de cette politique d'obturation sont clairement nommées dans un certain nombre d'appels d'offre de la façon suivante (je cite l'un d'entre eux à titre d'exemple) :

" Contexte de l'action de formation :
La mise en place d'un nombre important d'ateliers thérapeutiques demande aux soignants de se former à de nouvelles techniques. Le nombre de demandes de formation est en constante augmentation au niveau de l'enquête sur les besoins. Les formations sont souvent réalisées à titre individuel avec un organisme extérieur et génèrent un coût de formation ne permettant pas à tous les agents qui le demandent de pouvoir en bénéficier. Il paraît important de prendre en compte ces demandes et de les proposer en formation collective au sein de l'établissement, générant ainsi un coût moindre. "

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Yseult Houssais - Collection de l'Art Cru Museum

Les causes idéologiques de cette désaffection programmée sont lisibles dans la partie des offres de formation consacrée à la rubrique "objectifs de la formation". Ce chapitre fixe les "objectifs spécifiques de l'action de formation" qui sont circonscrits aux opérations suivantes : "apporter des éléments d'informations sur les médiations", "acquérir des éléments d'informations sur les différents supports", "élaborer des stratégies de mise en place d'un atelier dans un dispositif existant ", "partager un discours théorique et clinique". C'est à dire que dans de nombreux projets, les objectifs assignés aux formateurs sont essentiellement d'ordre cognitif/didactique et rarement d'ordre expérientiel et analytique, objectifs qui constituent le véritable vecteur d'un processus de formation.

Vient ensuite le chapitre des "contraintes pédagogiques et organisationnelles" qui définit unilatéralement ce que le formateur doit enseigner et la façon dont il doit l'enseigner (" Méthode pédagogique : Exploiter le vécu professionnel des soignants pour définir une méthode d'élaboration des activités prenant en compte le projet thérapeutique", "alternance d'apports théoriques, de réflexions à partir de cas cliniques, mise en œuvre du projet collectif", "se mettre en situation de création à travers des séances de dessin et de peinture sur un thème") . Il impose également le nombre de personnes à former (jusqu'à 15), le cadre temporel de l'action (uniformément fixé à 5 jours : 2x 2 jours + un jour consacré à l'évaluation, répartis sur deux années budgétaires. Les espaces proposés pour conduire les actions sont ceux du centre de formation de l’établissement, qui ne sont ni prévus ni équipés pour la création du cadre des ateliers, chaque atelier expérientiel étant construit en fonction des médiations proposées.

Enfin, dans la plupart des appels d'offre, le paiement des actes de formation est défini unilatéralement ou cadré dans une fourchette qui dépasse rarement 50% du prix de journée des Instituts de formation. Pour finir, quel que soit le projet proposé, une demande de rémunération normale calculée sur le prix de journée de l’Institut, aboutit régulièrement au rejet de l’offre.

Au terme de ce processus essentiellement défini par des contraintes et des restrictions, vaporisé dans la durée, dispensé dans des équipements standardisées pour des cours infirmiers, sans aucun marqueur théorique ni

technique identifiable autre que celui des "activités artistiques", pour "apprendre à faire des dessins sur un thème" avec des formateurs qui acceptent de telles conditions…il est explicitement attendu des personnels soignants qu'ils puissent “animer des ateliers thérapeutiques dans le cadre des services". Ceci est un non-sens. Comment peut-on penser qu'en une semaine, une qualification de thérapeute utilisant les médiations créatrices puisse être acquise, assimilée et transférée ? Rien de leur formation de base n’a préparé des infirmiers D.E. à exercer un tel rôle de thérapeute. Au cours de leurs études, les psychologues, n’ont pas davantage été initiés au travail analytique au sein d’Ateliers thérapeutiques. Même les cursus artistiques homologués demandent cinq années de formation. La formation d'animateurs thérapeutes est aussi exigeante que la formation d'un infirmier, d'un psychologue ou d'un artiste. Le soin affectif et psychologique serait-il si anecdotique et insignifiant que l'on puisse imaginer que des soignants pourront y être initiés en une semaine ? L’effet pervers direct de ce système de double contrainte est d’invalider toute formation des compétences thérapeutiques des soignants à la mise en place d’ateliers thérapeutiques médiatisés.

En outre, la généralisation de la prescription de formations en intra, lorsqu'elle n'est pas l'émanation directe du groupe professionnel concerné, génère de puissants mécanismes de défense, de déni, de résistance à la formation et de forclusion des résistances institutionnelles au changement, développés par les soignants dans le cadre de leur communauté professionnelle. La convivialité professionnelle invalide par avance tout processus de formation impliquant profondément le sujet, la personne; elle aliène par avance le potentiel de remise en cause naturellement engagé par toute expérience vivante de la formation.

Lorsqu’il est ainsi posé sous la forme d’un diktat, sans possible dialogue avec les instituts, l’appel d’offre a pour évidente fonction d’assurer et de renforcer le contrôle idéologique de la direction sur les orientations idéologiques des prestataires de formation. Invoquer les lois du marché et miser sur la concurrence pour organiser la politique de formation du personnel psychiatrique aux activités de soin psychologique et affectif est une conduite indigente. La généralisation de cette pratique conduit à la disqualification et à la disparition des formations qualifiantes garanties par une éthique professionnelle des Instituts de formation, et, à plus ou moins brève échéance, à la disparition d'un certain nombre d'entre eux.

En fixant unilatéralement le cadre technique, les contenus méthodologiques et les finalités de la formation, les DRH modifient sans état d'âme les règles éthiques régissant le cadre et les principes opératoires des processus de formation . Elles privent ainsi les soignants d'une possibilité d'accéder à une réelle compétence personnelle dans la pratique thérapeutique médiatisée et privent les usagers d’une réelle qualité de soin.

Tout projet de formation qui organise une sous-qualification des soignants à l’animation d’ateliers thérapeutiques médiatisés discrédite par avance le potentiel réellement thérapeutique des ateliers d'expression créatrice pour les usagers du soin, et disqualifie à court terme leur développement au sein des établissements.

Les personnels concernés doivent offrir aux bénéficiaires du soin des garanties de compétence éprouvée dans la discipline à laquelle ils se forment. Sans cette garantie, le projet thérapeutique sera inopérant, voire toxique.

Tout processus de qualification présente des exigences auxquelles seuls des professionnels de la formation peuvent répondre. Bien évidemment, la contrepartie pour les formateurs est d’avoir une connaissance significative de la réalité du soin psychiatrique et de la dynamique institutionnelle des institutions thérapeutiques et des processus thérapeutiques. Ils devront en outre pouvoir justifier pour eux mêmes d’une

formation approfondie à la conduite de groupes analytiques.

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Chris Besser - Collection art cru museum

Charte de qualité et
éthique de
la formation
dans le cadre des formations
internes aux établissements

A chaque appel d'offre reçu par notre institut de formation, nous adressons une charte définissant ce que nous estimons être les conditions de possibilité de la réalisation d'une formation au sein de l'établissement. Cette charte pourrait constituer une base professionnelle de réflexion pour les instituts de formation et pour l’ensemble des acteurs de la formation. Ce document a pour mission d’éclairer les DRH des établissements demandeurs de programmes de formation interne sur les conditions requises pour préparer leurs personnels à exercer de façon compétente et responsable des fonctions d’animation d’Ateliers Thérapeutiques Médiatisés auxquelles leurs formations initiales ne les ont pas préparés.

Afin que les soignants en formation au sein de l'établissement puissent offrir aux

bénéficiaires du soin des garanties de compétence éprouvée dans la pratique à laquelle ils se forment, l'établissement demandeur s'engage à prendre en considération un certain nombre de règles méthodologiques et déontologiques, et à mettre à la disposition des formateurs délégués par le centre de formation les conditions matérielles requises pour la réalisation des objectifs fixés.

Règles déontologiques
Conception et mise en œuvre
des cadres et dispositifs

La formation est pensée de manière à permettre aux soignants de pouvoir construire des cadres et des dispositifs favorisant l'expression créatrice de la personne en situation groupale, de pouvoir en assumer les lois et les règles dans la durée de leur mission, et de pouvoir en accompagner et travailler les effets structurants pour les bénéficiaires du soin.

Création et soin apporté aux personnes
en grande souffrance affective

La procédure de recrutement des personnes engagées dans la formation devra en présenter les pré-requis aux personnes intéressées. La pratique de l'animation d'Ateliers Thérapeutiques Médiatisés suppose en effet :

  • Une rencontre significative des principaux modules d'expression créatrice (argile, peinture, écriture, danse, marionnettes, théâtre).
  • Une formation pratique à la dynamique de groupe d’expression créatrice.
  • Une formation à l'écoute active non-directive inspirée des travaux de Carl Rogers;
  • Un enseignement de la psychanalyse dynamique sur la thérapie et le jeu (Winnicott, Mélanie Klein)
  • Une formation culturelle centrée sur l'art singulier (Art Brut, psychopathologie de l’expression).

Une formation expérientielle

Les personnels qui veulent légitimement se former à ces disciplines doivent accepter de traverser pour eux-mêmes des expériences significatives d'implication personnelle dans l’expérience créatrice dont ils mettront en œuvre les cadres avec les usagers du soin. et de les expérimenter au préalable dans les dispositifs de formation.

Une formation didactique

Le Centre de formation est compétent en matière de choix des stratégies pédagogiques et des outils expérientiels et didactiques mis en œuvre auprès des personnes en formation.

Fonctionnalité des lieux de formation

L' établissement demandeur s'engage à mettre en place des dispositifs d'espace et d'organisation technique d'Ateliers modélisables qui soient construits selon des règles rigoureuses liées à la nature des langages de création. Le centre de formation communique son évaluation technique des plans aux responsables du service de formation de l'établissement, en particuliers pour les Ateliers d'Expression Picturale, d'Argile, pour l'Atelier d'Expression Polyvalent (Contage, Papier, Tissu, Écriture). Les lieux choisis pour la pratique institutionnelle de ces espaces de soin doivent être finalisés autour de ces modes d'utilisation. Des espaces de réservation et de protection des productions des patients (des stagiaires en formation) doivent être prévus.

Règle de la temporalité
de la formation

L'engagement d'un processus significatif de formation fiable dans le domaine de l'animation d'activités de thérapies médiatisées (Ateliers d'Expression Créatrice à visée thérapeutique) demande un minimum d'engagement expérientiel et didactique dont la durée, (un minimum de 250h), les rythmes et la fréquence doivent être décidés en accord avec le centre de formation qui a en ce domaine compétence d'expertise.

Audit préalable
La maîtrise des "dommages" collatéraux
au plan institutionnel

Notre expérience dans le domaine des interventions intra-établissement nous a enseigné que tout dispositif de formation sérieux engagé par des personnels d'un même établissement avait des effets secondaires prévisibles qui devaient être analysés au moment de la demande de formation.

Le fait de vivre un processus de formation entre collègues d'un même établissement met en conflit le désir d'authenticité et de liberté intérieure minimale nécessaire pour profiter de façon optimale du processus formateur. La formation interne suppose donc que cette décision soit prise à la suite d'un audit mutuel du centre de formation et des personnes et/ou services concernés, et non de façon unilatérale (ou autoritairement) par les responsables administratifs de l'établissement ou du service. Le non respect de cette règle déontologique expose les lieux institutionnels à des effets collatéraux de mise à jour des conflictualités latentes déplacées au sein du groupe de formation.

Règle de constitution
des groupes de formation

Enfin, dans le cadre d'une décision d'engagement d'un processus de formation sera également prise en considération la règle de la création de groupes de même niveau hiérarchique, pouvant réunir des praticiens de plusieurs disciplines (infirmiers, psychologues, psycho-motriciens, orthophonistes, éducateurs spécialisés...).

Règle de confidentialité

Les membres du groupe de formation aussi bien que les instances administratives ou médicales de l'établissement s'obligent au stricte respect de la confidentialité des événements survenus et propos tenus au sein du groupe de formation.

Article publié par la revue SANTÉ MENTALE N°111
Octobre 2006 "Des médiations pour quoi faire ?"

Procédures de validation

Le Centre de formation est seul compétent des procédures d'évaluation et de validation interne de la formation dont les actes restent confidentiels.

Toute procédure externe de contrôle à l’initiative de l’établissement sera précisée préalablement dans ses buts et dans sa forme. Elle ne pourra porter sur les éléments de l’expérience personnelle des participants soumis à une confidentialité rigoureuse. Les conclusions de ces contrôles seront communiquées au responsable du centre de formation, et seront susceptible de donner lieu à une clarification avec l’ensemble des intéressés.

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Philippe Aïni - collection privée

Une certaine idée du thérapeutique

Au terme de cette courte réflexion, c’est sur ce que représente le mot thérapeutique pour les acteurs du soin et pour les décideurs institutionnels qu’il faut se déterminer. Soit, ils l’entendent comme activités occupationnelles, soient ils le pensent réellement comme un espace de soin psychologique et affectif. 

L’expérience créatrice n’est pas une médiation, mais le cœur d’un processus de tranformation de l’expérience immédiate du lien au monde vivant. L’expérience créatrice est lieu d’être.

Guy Lafargue

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Catherine Laporte - Collection de l'Art Cru Muséum

mardi, 18 août 2015 20:29

Le thérapeutique

Les Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques (ATECA)
et la question du thérapeutique

Éléments de réflexion

guy lafargue portrait 1

Guy Lafargue

Psychologue clinicien, psychosociologue
Dr en Sciences de l'Éducation
Psychothérapeute CFEP

ATELIERS D' EXPRESSION
CRÉATRICE ANALYTIQUES

34 Rue Chantecrit - 33300 Bordeaux - France
Tel :0033/ (0)5.56.39.34.21 ou 0033/ (0)9.60 46 11 46
Courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Site internet : www.art-cru.com

Au sortir de cette session sur l'écoute active non-directive, j'aimerais vous entretenir d'un sujet particulièrement sensible, habituellement posé et culturellement installé autour de la question du "thérapeutique", question posées par l’inscription du signifiant « thérapeutique » dans la dynamique "métamorphique" des Ateliers d'Expression Créatrice.

Personnellement j'ai définitivement renoncé au mot "thérapie" pour désigner mon accompagnement de l'expérience créatrice dans ma pratique du soin analytique.

Le mot "thérapeutique" est devenu un mot-valise où l'on rencontre tous les syncrétismes imaginables, entre le biologisme agressif (le psychisme est soluble dans la molécule) et les dérives comportementales (rééducation des comportements inappropriés). Il est ici nécessaire de rappeler que ce terme appartient foncièrement à la terminologie médicale. Il recouvre des représentations très marquées par le discours culturel de la psychiatrie et par celui des psychothérapies et de la psychanalyse.

Pour ce qui nous concerne, à l'entrée dans cette arène, nous retiendrons que le mot et l'action thérapeutiques consistent à soigner (au sens médical de ce terme) quelque chose chez le sujet qui est désigné comme une maladie, comme de la pathologie, avec les moyens de la médecine ; en particulier ceux de la médecine psychiatrique qui accorde de moins en moins de place au soin analytique apporté à la personne en grande souffrance affective, au profit des traitement biologiques et comportementaux.

Or les Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques ne sont ni des structures inféodées au médical, ni ne relèvent à proprement parler des pratiques de psychothérapie.

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Nous allons pendant ces prochains mois clarifier ensemble ce qui, dans la mise en place d'Ateliers d'Expression Créatrice, spécifie le cadre du soin analytique apporté à la personne par rapport à d'autres espaces comme celui de l'éducation créatrice (Arno Stern), ou comme celui du développement de la personne tels que nous les pratiquons ordinairement ici, ou dans le cadre de la formation de praticiens d'Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques qui est le cas de figure où nous nous trouvons ensemble.

Vous remarquerez que ces orientations de l'action : éducation, développement personnel, formation ou thérapie sont ce qui définit les finalités et le cadre de notre action.

Quel que soit le cas de figure, de toutes façons, le territoire de notre engagement comme praticiens d'AECA n'est pas inscrit dans le champ de la maladie (à plus forte raison de la maladie présumée mentale), mais de la dynamique des processus de création en situation de groupe, dans un cadre et dans des dispositifs construits dans cette intention.

En adoptant les termes de "soin analytique donné à la personne," de "prendre soin de la personne", notre problématique change fondamentalement d'axe. Nous ne sommes pas préoccupés des signes cliniques, des symptômes, ni d'un savoir universitaire estampillé, ni de trouver des stratégies curatives, mais bien de créer des conditions qui favorisent chez la personne en souffrance la mise en mouvement de dynamismes psycho-affectifs potentiels dont elle est porteuse au travers du jeu de création. Nous sommes préoccupés de savoir utiliser de façoncréatrice les mouvements affectifs tels qu'ils se condensent et se développent dans le jeu créateur, dans le langage.

L'idée et la praxis du soin analytique impliquent deux choses :

La première procède de l'assomption du mot "soin" pour désigner une forme d'acte centré sur la croissance affective et émotionnelle de la personne dans le jeu avec les langages, quelque que soient les contextes institutionnels où nous mettrons en place un cadre d'Ateliers. Cet acte consiste dans la conduite d'une institution qui est l'Atelier, et dans un acte de présence (de co-pésence) c'est à dire d'accompagnement latéral du jeu de l'expérience créatrice et de soutien du travail d'élaboration des raisonnances de l'expérience traversée.

Cependant, nous ne sommes pas dispensés de réfléchir et de nous préparer à travailler dans des situations d'Atelier avec des personnes en état de grande souffrance affective, souvent invalidant, au point où certaines d'entre elles nécessitent un accompagnement institutionnel dans des structures conçues pour répondre à cette demande : de psychothérapie individuelle ou de groupe. C'est dans cette perspective que certains d'entre vous seront peut-être amenés à travailler dans des structures dont la vocation est réellement thérapeutique et à savoir comment inscrire dans ce cadre-là des Ateliers d'Expression Créatrice "à visée thérapeutique".

Nous serons donc amenés à clarifier dans cette deuxième partie de notre parcours de formation :

  • ce que thérapeutique signifie en termes de contrats passés avec les clients de l'institution,
  • de comprendre ce qui, dans la conduite du travail de l'Atelier et des temps de parole inscrit le thérapeutique au centre du lien.
  • A clarifier enfin les modalités de création d'un Atelier dans un tel contexte selon que nous privilégierons l'optique développementale ou l'optique analytique/thérapeutique.

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Dans un groupe de développement personnel, ce sont les personnes elles-mêmes qui conduisent le travail analytique d'élaboration de l'expérience vécue. L'animateur y joue un rôle de soutien de l'élaboration spontanée.

Dans la perspective que j'ouvre, l'inscription du thérapeutique se signifie fondamentalement dans le contrat qui nous lie au sujet. Elle se marque par l'engagement d'un travail de co-élaboration entre le client et le thérapeute dans lequel l'analyste/thérapeute apporte une contribution personnelle "analytique" à la clarification des signifiants apportés par le sujet et de ses propres signifiants.

Dans un groupe de personnes inscrites dans la visée thérapeutique, l'animateur apporte des matériaux de sa propre perception des événements affectifs survenus dans le cadre des séances, en particulier de ce qui émerge dans le champ intertransférentiel concernant ses propres investissements affectifs de la relation entre lui et le sujet. Dans ce cas de figure, la relation intersubjective entre les deux protagonistes devient l'objet du travail de co-élaboration.

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mardi, 18 août 2015 20:09

L'archaïque, la régression

L'archaïque, la régression

Cet article a été écrit dans le cadre des journées d’étude
et de confrontation clinique des Ateliers de l’Art CRU

Guy Lafargue

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Dès mon entrée dans la lice analytique, je me suis immédiatement engagé dans la création de cadres et dans des modes de communication qui favorisaient à l'évidence un travail structurant de la régression de la part des participants à mes Ateliers. L'inauguration de ces Ateliers par le module "Argile vivante" m'y a introduit de plain-pied.

Dans mon travail d'animateur/thérapeute en psychiatrie, c'est la rencontre elle-même avec la psychose qui a été le révélateur de ma compétence symbiotique dans le jeu de l'expression.

Enfin, dans les relations analytiques/thérapeutiques individuelles que j'ai engagées au cours de mon existence, consécutivement à notre engagement intertransférentiel mutuel au sein des Ateliers, cette dimension du travail dans la régression révélait chez moi un charisme évident qui allait avoir sur le destin de ma pensée et de mon élaboration théorique un impact direct,

Voici comment Jean Broustra, qui a été le témoin privilégié de mon initiation à ce mode de mise en tension de l'expérience inconsciente, présente la chose dans sa pré­face à mon livre "De l'affect à la représentation : l'art CRU". Il écrit ceci :

" La pas­sion per­son­nelle de l'au­teur vise ce qui se­rait la meilleure élu­ci­da­tion pos­sible de l'ar­chaï­que infantile. C'est-à-dire les traces (po­sons pro­vi­soi­re­ment ce terme va­gue) lais­sées au pro­fond de nous-même par nos pre­miers in­ves­tis­se­ments, dès le mo­ment où nous sommes bio­lo­gi­que­ment vi­vants. Guy LA­FAR­GUE est à l'af­fût de tout ce qui a sus­ci­té des re­cherches dans cette pé­riode nom­mée pé­ri na­tale. Cet in­té­rêt s'ap­puie évi­dem­ment sur l'­hy­po­thèse qu'il s'a­git d'une zone à haut ris­que qui se­rait la ma­trice, soit de la créa­tion (et de ses ris­ques), soit de la mal­a­die men­tale " .

Je com­prends pas très bien ce que ça dit, mais j'en ai une in­tui­tion globale. Pour moi, ça veut dire que si, dans ta pra­ti­que de thé­ra­peute, tu optes pour le libre Jeu de la ré­gres­sion (moi j'ap­pelle ça "théra­pie sym­bio­ti­que"), si tu prends le par­ti du su­jet contre ce­lui de l'Eglise, alors, tu t' en­gages dans des ma­ré­cages fer­tiles et dan­ge­reux. Tu peux plus fonc­tion­ner comme un tech­no. T'es obli­gé d'im­pro­vi­ser à CRU. Et là, tu croises tous les mou­ve­ments, tous les mor­ceaux de fo­lie que t'as pas pur­gés. Et c'est ton client qui conduit la marche. Et je peux te dire qu'à cer­tains mo­ments, il est étroit le rai­dillon qui sé­pare la pa­roi de la créa­tion de l'a­bîme de la folie. Il te faut une sa­cré dose de confiance dans les éner­gies du dés­es­poir pour pas­ser.

Jean Broustra met le doigt sur un truc sen­sible. Je pense même, après-coup, que c'est ce tropisme pour l'expérience affective et ma capacité empathique à jouer avec qui a attiré et fixé Jean Broustra dans mes eaux territoriales.

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La ré­gres­sion ne dois pas être appréhendée comme un état, comme cela est souvent le cas mais comme un mou­ve­ment et une quali­té de l'ex­pé­rience es­sen­tiel­le­ment mar­qués par l'ouverture au surgissement d'une zone de l'ex­pé­rience, vécue jus­que là voi­lée au Su­jet, par des sur­struc­tures opaci­fiantes (des pré­ser­va­tifs, si tu vois c'que j'­veux dire), et par une ex­ten­sion de la perception directe, non-médiate à ce plan jusque là dérobé à la conscience du sujet.

Le terme de ré­gres­sion sert à dé­sig­ner ce mo­ment du dé­voi­le­ment ma­ni­feste de l'ar­chaï­que dans l'ex­pé­rience actuelle du su­jet, et secondairement dans la perception qu'en ont les autres su­jets.

Ce mou­ve­ment, ce pas­sage, ce glis­se­ment d'un plan à un autre de l'ex­pé­rience, se pro­duit lors­que sont ré­u­nies deux condi­tions :

  • d'une part l'ac­ti­va­tion li­bi­di­nale des champs d'ex­pé­rience sou­mis à l'in­hi­bi­tion ou à l'a­nes­thé­sie
  • et d'autre part le desserrement des si­gni­fiants ori­gi­naires dont le Moi est le mi­rage.

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Mon ex­pé­rience de la créa­tion, de la thé­ra­pie et de l'a­ni­ma­tion, me montre de ma­nière ir­ré­fu­table qu'il existe des gens adap­tés qui vivent ré­el­le­ment dans la sphère ar­chaï­que, qui n'ont pas rom­pu les amarres avec leur ex­pé­rience ori­gi­naire, et qui n'en sont pas pour autant psy­cho­ti­ques. Et que pour ceux qui le sont, la psy­chose est suscep­tible de se ré­soudre de l'ap­pri­voi­se­ment de l'o­ri­gi­naire et de son in­tro­duc­tion créa­trice dans le cir­cuit des échanges hu­mains, au tra­vers de l'art par exemple. Il y a un conti­nuum (la plu­part du temps dé­truit) que l'on peut ré­ta­blir entre l'o­ri­gi­naire et le Soi. C'est lors­que ce continuum est rom­pu que se dé­ve­loppe la souf­france af­fec­tive et que s'or­ga­ni­sent les dé­fenses né­vro­ti­ques ou psy­cho­ti­ques dres­sées contre elle.

Lors­que l'ex­pres­sion de ce conti­nuum entre l'ex­pé­rience ori­gi­naire et le Soi qui l'en­globe est en­tra­vée, l'o­ri­gi­naire se met en ten­sion ré­so­lu­toire. L'Ar­chaï­que cherche de fa­çon per­ma­nente à éli­mi­ner les stases dou­lou­reuses nées de son im­mo­bi­li­sa­tion, et à retro­u­ver un libre fonc­tion­ne­ment; qui n'est pas re­tour au re­pos, mais mou­ve­ment fluent vers le libre Jeu des fonc­tions in­stinc­tuelles.

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Mon ob­ser­va­tion cli­ni­que me conduit à dé­fi­nir deux mo­da­li­tés de la ré­gres­sion

  • l'une qui s'ouvre comme une po­ten­tia­li­té "es­thé­si­que", dy­na­mi­que et struc­tu­rante de ren­contre et d'ap­pro­pria­tion par le su­jet des zones de son ex­pé­rience ori­gi­naire dont il se trou­vait cou­pé, et de l'im­mense ré­ser­voir éner­gé­ti­que qui y fer­mente.
  • l'autre qui se dé­ve­loppe comme une dé­fense af­fec­tive.

La Ré­gres­sion Af­fec­tive

La ré­gres­sion af­fec­tive doit être cons­i­dé­rée comme une dé­fense ou­verte par le su­jet pour lut­ter contre l'an­goisse dé­pres­sive ou pa­ra­noïde. Elle se ma­ni­feste par des ré­ac­tions vi­sant à morceler et à disper­ser les af­fects (dé­fenses sky­zoïdes et auto­des­truc­tives dé­fi­nies par Mé­la­nie Klein) qui per­met­tent au su­jet de ne pas res­sen­tir consciemment ce qu'il éprouve affectivement.

Le pro­ces­sus psy­cho-af­fec­tif qui sup­porte un tel tra­vail d'"an-es­thé­sie" cons­iste en un ef­fon­dre­ment des in­ves­tis­se­ments objec­taux com­pen­sa­toires et leur re­trait sur des po­si­tions ar­chaï­ques ayant joué une fonc­tion pro­tec­trice ef­fi­cace. Le trans­fert af­fec­tif en cons­ti­tue le pro­to­type. Dans ce cas de fi­gure, le su­jet se re­plie sur des po­si­tions dites "nar­cis­si­ques", dans un en deçà des points de fi­xa­tion de la li­bi­do à par­tir des­quels le su­jet a été mis en dif­fi­cul­té si­gni­fi­ca­tive.

L'é­cla­te­ment bru­tal des formes com­pen­sa­toires et le tra­vail de dis­per­sion schy­zoïde des af­fects sont par­ti­cu­liè­re­ment éprou­vants et angois­sants pour le thé­ra­peute, ou pour l'a­ni­ma­teur, en par­ti­cu­lier lorsqu'ils se dé­clen­chent chez une per­sonne bien so­cia­li­sée.

La Ré­gres­sion Cri­ti­que

Cette mo­da­li­té de la ré­gres­sion se pro­duit gé­né­ra­le­ment lors­que le su­jet a at­teint un ni­veau de souf­france af­fec­tive in­sup­por­table, et qu'il est af­fron­té de ma­nière si­gni­fi­ca­tive aux an­goisses les plus archaïques, no­tam­ment à l'an­goisse de mort, qui est, à mon avis, le véri­table ca­ta­ly­seur d'une de­mande de soin et de tra­vail ana­ly­ti­que (ce qui est pré­ci­sé­ment et vio­lem­ment dé­nié dans la ré­gres­sion af­fec­tive où le su­jet n'ac­cepte pas le face à face avec la mort, ce qui le met beaucoup plus sû­re­ment en dan­ger).

Dans le tra­vail de la ré­gres­sion "cri­ti­que" (cri­si­que), le su­jet ac­cepte, gé­né­ra­le­ment grâce au concours d'un tiers, ami ou thé­ra­peute, de ren­trer plei­ne­ment dans une ex­pé­rience de res­sen­ti des éprou­vés in­cons­cients, ce que j'ap­pelle, dans la pleine si­gni­fi­ca­tion de ce terme, "es­thé­tie"(pro­non­cer: ès­tés­sie). L'es­thé­tie, c'est l'ou­ver­ture de la percep­tion à l'ex­pé­rience an­té­rieu­re­ment inter­dite de re­pré­sen­ta­tion. Tu peux très bien te fi­gu­rer ce­ci si tu ac­ceptes de com­prendre que ce que l'on dé­signe ha­bi­tuel­le­ment par "res­sen­ti" (le sen­ti­ment) c'est le libre jeu de la per­cep­tion des éprou­vés af­fec­tifs ori­gi­naires qui en­tra­vent le libre fonc­tion­ne­ment de ton in­tel­li­gence; aus­si bien, d'ailleurs, les éprou­vés de jouis­sance que ceux qui sont do­mi­nés par l'ex­pé­rience de la souf­france.

Une des ca­rac­té­ris­ti­ques ma­jeures qui te per­met de dis­cer­ner le cas de fi­gure où tu te trouves entre dé­fense et ou­ver­ture, c'est que la ré­gres­sion cri­ti­que ne s'ac­com­pagne pas d'un ré­trécis­se­ment ou d'une abo­li­tion du Moi, mais au contraire de sa pleine ex­pan­sion vers les zones ob­scures de l'ex­pé­rience. Le Moi se dé­centre des leurres, et tu peux y ap­puyer ta pa­role ana­ly­ti­que de fa­çon confiante. L'es­pace thé­ra­peu­ti­que ap­pa­raît alors comme le lieu où le dé­ploie­ment de l'o­ri­gi­naire est auto­ri­sé, conte­nu et éla­bo­ra­teur de sens. Si tu peux of­frir cet ap­pui en t'ai­gui­sant du co­té de la Pa­role, c'est tant mieux; mais si les in­ten­si­tés af­fec­tives réé­vo­quées dans le trans­fert l'e­xi­gent, il te fau­dra alors al­ler du co­té du corps et du "main­tien cor­po­rel", sous peine de dé­clen­cher une over­dose d'an­goisse que le Moi de ton client ne se­ra pas en me­sure de conte­nir et qui le pré­ci­pi­te­ra dans la Fo­lie. C'est comme ça que l'on doit com­prendre cer­tains échecs du trai­te­ment ana­ly­ti­que qui en­voient val­din­guer les clients parce que l'a­na­lyste, in­hi­bé dans ses mou­ve­ments d'a­mour et de haine, a été in­ca­pable à un mo­ment fé­cond du travail analytique de dé­vis­ser les fesses de son trône. On ap­pel­le­ra ça "psy­chose de trans­fert". Ces psy­choses là, sont des ef­fets de la ré­sis­tance de l'analyste à sor­tir de sa po­si­tion de toute puis­sance et à al­ler exer­cer son non-sa­voir du co­té du corps.

La Régres­sion æsthétique

Je vou­drais te cau­ser main­te­nant d'un truc très par­ti­cu­lier qui se pro­duit quel­ques fois dans mes Ate­liers d'Ex­pres­sion Créa­trice, et qui af­fecte aus­si le do­maine de l'Art. Il s'a­git d'une ex­pé­rience pa­ra­do­xale de plon­gée dans un état de ré­gres­sion pro­fonde, non an­gois­sé, au cours du­quel le su­jet tra­verse, dans un état de pleine cons­cience in­connu de lui, une ex­pé­rience nar­cis­si­que qu'il a du mal à quit­ter lorsque vient le terme de la séance ou de la ses­sion.

Le libre accès à ces " états de ré­a­li­té non ordinaire" (pour re­prendre les termes de Carlos CASTANE­DA) se pro­duit lors­que le su­jet a fait l'ex­pé­rience signi­fi­ca­tive de l'im­mer­sion to­tale dans le jeu de la for­mu­la­tion. Cette qua­li­té d'ex­pé­rience ré­gres­sive se ma­ni­feste sous la forme d'une intense jouis­sance as­so­ciée à une ex­pé­rience d'indifféren­cia­tion de nature sym­bio­ti­que entre le Soi et la forme hallucinée dans l'œuvre, qui vient faire mé­ta­phore du corps ma­ter­nel.

Ces sortes d'ex­pé­riences bou­le­ver­sent la per­sonne et in­au­gu­rent en elle une trans­for­ma­tion ra­di­cale de sa re­la­tion au Ré­el. Elles cons­ti­tuent gé­né­ra­le­ment le point de dé­part d'une re­con­struc­tion pro­fonde de la per­son­na­li­té qui né­ces­site bien en­ten­du l'ex­ten­sion du cadre de l'A­te­lier vers un cadre thé­ra­peu­ti­que et ana­ly­ti­que. La di­men­sion pa­ra­do­xale tient dans ce qui se dé­plie alors comme libre accès au sentiment des souf­frances af­fec­tives in­hi­bées. Celles-ci se dé­ploient à peu prés sans res­tric­tion, et elles pro­vo­quent, dans l'es­pace/temps de la thé­ra­pie, des tur­bu­lences émo­tion­nelles et cor­po­relles aux­quelles le thé­ra­peute doit faire face si­mul­ta­né­ment : en en per­met­tant l'ex­pres­sion; et en pro­té­geant le su­jet et lui même de la vio­lence que ce­la déclenche de fa­çon in­coer­cible. Les écrits cli­ni­ques de psy­cha­na­lystes font peu état de ces sortes d'é­vè­ne­ments qui se produisent nécessairement dans leurs séances, ni de leurs at­ti­tudes en réponse.

Ce type de ré­gres­sion nar­cis­si­que où le su­jet et l'ob­jet vien­nent se re-­é­prou­ver dans l'es­pace ori­gi­naire, se pro­duit soit par l'é­ta­blis­se­ment d'un trans­fert sym­bio­ti­que mu­tuel entre le client et le thé­ra­peute, soit entre le su­jet et son œuvre. Je pense que la quête ar­tis­ti­que, sou­vent af­fron­tée à la ten­ta­tion du re­trait des in­ves­tis­se­ments d'Ob­jet, s'oriente vers l'in­ves­tis­se­ment ima­gi­naire de l'œuvre ou du sys­tème social de l'art, et vers la sub­li­ma­tion, qui cou­pent l'ar­tiste de toute possi­bi­li­té ré­el­le­ment créa­trice pour l'as­si­gner à ré­si­dence dans la répé­ti­tion du même. Ce que l'ar­tiste re­doute par des­sus tout, c'est le pres­sen­ti­ment de la perte ir­ré­mé­diable où le plon­ge­rait une authentique tra­ver­sée de l'ex­pé­rience créa­trice et de la ré­gres­sion que ce­la sup­pose.

L'art an­ta­go­niste à la créa­tion?

Je pense qu'il en va de même avec la quête où est en­ga­gée le thé­ra­peute, et peut-être plus en­core le thé­ra­peute/théo­ri­cien. Si tu prends la no­tion de sub­li­ma­tion au pied de la lettre freu­dienne, comme dé­tour­ne­ment des pul­sions se­xuelles sur des ob­jets non sexuels, tu peux te de­man­der à la lec­ture des textes sa­crés s'ils ne pren­nent pas leur propre ap­pa­reil psy­chi­que pour un sub­sti­tut de gon­zesse. Quand tu en­tends Pa­pi Lacan s'as­tur­ber sur son au­di­toire qua­tri­pat­tant et démon­trer ses cons­truc­tions, t'es parfois sai­si de ver­tige.

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En fait, on retro­uve la même aber­ra­tion mé­tho­do­lo­gi­que gé­niale chez André Breton et chez Pé­pé Freud sous la forme d'une in­jonc­tion contra­dic­toire:

  • dans l'in­vi­ta­tion sur­réa­liste, on te pro­pose exac­te­ment de li­bé­rer ton é­cri­ture, ou tout autre mode lan­ga­gier, du contrôle de ta pen­sée, comme pro­cé­dé ré­gres­sif des­ti­né à pro­duire de la tex­ture ar­tis­ti­que. Tu ob­tiens ça par bran­che­ment idéal d'un tuyau entre le Dé­sir et l'organe langagier ad hoc, d'où se­rait idéalement ab­sente toute dictature de ton Moi;
  • Dans l'in­jonc­tion psy­cha­na­ly­ti­que, il te dit de dire li­bre­ment tout ce qui te tra­verse la tronche pen­dant le temps de la séance, de faire re­lache du co­té de la cen­sure et de rê­ver cons­cien­cieu­se­ment.

L'in­jonc­tion, dans l'un et l'autre cas est pa­ra­do­xale. Elle t'in­vite ou­ver­te­ment à la ré­gres­sion. On as­signe à la vo­lon­té le pro­jet de se dis­soudre dans un pur agir lan­ga­gier, idéa­le­ment dé­bran­ché de la mai­trise du cons­cient, ou plu­tot di­rec­te­ment bran­ché sur le Dé­sir.

Au­tre­ment dit on te de­mande d'être hal­lu­ci­né, psy­cho­ti­que, pen­dant une de­mi-heure (c'est la dose de mon ana­lyste... LA­CAN, il pous­sait le vice pa­raît-il jus­qu'à faire des séances de 10 mi­nutes, ou de rien du tout...et tou­jours au prix fort. On est bien loin de Pé­pé qui se col­ti­nait six séances d'une heure et de­mie par se­maine avec cha­que patient). Et bien le pa­ra­doxe, c'est que ça marche. Mais à mon avis, ça marche seu­le­ment si le tra­vail de la ré­gres­sion pré­lude l'en­trée en séance. Ça n'est pos­sible que si ton client a lais­sé son Moi dans l'antichambre. Ce sur quoi ni le thé­ra­peute, ni l'i­ni­tia­teur ne peu­vent rien, c'est sur la cris­tal­li­sa­tion d'un trans­fert dy­na­mi­que entre toi et ton client.

C'est ça le grand truc: le trans­fert est le mou­ve­ment lui-même de la ré­gres­sion. Et quand ce­lui-ci est en­ga­gé, ton client est prêt à pas­ser au micro-onde.

Au fond, dans l'ex­pé­rience psy­cha­na­ly­ti­que comme dans l'ex­pé­rience sur­réa­liste de l'é­cri­ture auto­ma­ti­que, ça marche seu­le­ment si l'in­jonc­tion est re­çue comme une cor­res­pon­dance du Dé­sir. Mais il y faut du Dé­sir, et donc du trans­fert, et donc de la ré­gres­sion…préalables. Ça marche si le dé­sir de l'ex­pres­sion y est pris dans un champ émo­tion­nel et affectif puis­sant.

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mardi, 18 août 2015 20:05

La dynamique de groupe

La dynamique des groupes restreints

Petite analyse
Octobre 2007

Guy Lafargue

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Le mouvement de la « dynamique de groupe » trouve ses origines dans les travaux de la psychologie américaine, et notamment de Kurt Lewin qui a initié la méthode de traitement des conflits dans les groupes restreints. A partir des années 1965 à 1980, un grand mouvement culturel est né et s'est développé sous le nom de « dynamique de groupe » dans les universités françaises sous l’influence directe de la psychologie lewinienne, et sous l’impulsion des recherches sur le processus psychothérapique initié par Carl Rogers dans les situations de groupe.

L’essentiel de ce mouvement met en avant le traitement des conflits affectifs en situation de petits groupes. Les travaux qui tendent à montrer que le groupe a une influence inconsciente déterminante sur le sujet humain sont ceux de Kurt Lewin « La dynamique des groupes restreints » Max Pagès « La vie affective des groupes ». et de Didier Anzieu « Le groupe et l’inconscient ».

Pour ces auteurs, dans des perspectives complémentaires, le groupe est considéré comme le lieu de mobilisation f(ph)antasmatique inconsciente qui peut exercer sur la personne des effets d’inhibition ou de facilitation de la production imaginaire. Le groupe n’est pas une juxtaposition d’individus, il est structuré dans l’expérience inconsciente de l’individu comme un phantasme. (Bion, Balint : théorie des groupes comme moteur du travail analytique et traitement des conflits dans les institutions).

Dans tout groupe de formation, on doit prendre en considération et favoriser les aspects catalyseurs liés aux projections affectives individuelles sur le groupe. Le groupe comme imago maternelle archaïque : cela va constituer un point fécond de l'analyse des groupes restreints et d’appui technique de l’animation visant à rendre ces projections de l’imago maternelle actives et productrices de sens.

Projections affectives sur le groupe : Le groupe est aussi potentiellement perçu comme destructeur/persécuteur sur le plan de l’identité. Impression de se dissolution de l'identité.

Groupe = danger .

Analyse de la conflictualité . Pagès : tout conflit groupal est la représentation d’un conflit individuel entre la partie clivé et projeté sur les autres et la partie reconnue. . Ex : institutions : conflits : ce conflit projeté sur le « mauvais » est toujours la représentation clivé d’un conflit intrapsychique.

On projette sur l’autre la partie clivée en soi. La dynamique de groupe favorise la résolution des adhérences archaïques, la dissolution de la psyché archaïque dont chacun est porteur, fait travailler les gens sur la séparation et la perte.

Utilisation des ressources de maturation lié à un groupe d’expression.

Le dialogue analytique (hétérogène aux modalités techniques de la psychanalyse ) consiste en la clarification de la perception des éléments présents dans l’expérience immédiate : verbalisation de l’expression : double champ de parole qui se fait en groupe : groupe comme résonateur, comme lieu de dépôts de ces parties clivés inconscientes, et comme miroir. Chacun travaille pour l’autre, car lorsque chacun est en processus de résolution : bouleversement des autres (" contagion symbolisante" : Guy Lafargue)

La création est un espace de symbolisation des tensions affectives des gens : met en représentation ce qui est sous-jacent dans la vie des personnes, quand ils sont ensemble. Se négocie pendant le temps de création.

Processus de développement de la symbolisation. Lorsque les conflits émergent ils sont traités soit dans le jeu, soit dans le moment du temps de parole (où on va être amener à énoncer les choses : travail d’élucidation, de clarification de ce qui se passe pour chaque personne).

L’animateur est le pivot et le garant de ce que ça va symboliser plutôt que passer à l’acte. L’animateur est le garant de l’ordre symbolique, de la loi en appui sur les outils de l’expression : méthode claire.

Monstration : sortir de la position pointilliste pour reconstituer le lien entre toutes ces séquences : considérer la gestalt, l’ensemble du processus ; alors que dans la semaine on est centré sur chacun des moments de l’émergence. A la fin on prend la totalité de ces moments et on essaie d’observer le processus d’ensemble. Autre fonction secondaire : ménager la transition avec le départ : reprise avec la réalité : se détacher de l’univers fantasmatique.

L’Art CRU n’est pas orthopédique.

L’expérience ne part pas de la périphérie mais du centre, des racines ; mises à nu des vieilles choses : c’est ce que la chose inconsciente et dont le sujet pressent qu'il va pouvoir tirer bénéfice. L’inconscient vient bousculer le moi, les valeurs… Le moi se masse contre cette possibilité d’être dissout. Travail de deuil : résolution de vieilles histoires qui n'ont sont jamais été résolues. Résistances, défenses.

Théorie du groupe : le travail de la révélation prend sa valeur dans le mouvement de l’énonciation. Tant que les objets de la révélation intérieure ne sont pas mis au jour, énoncés, le processus de transformation ne condense pas. C'est à cet endroit de l'énonciation qu’ont lieu les phénomènes de catharsis. Le dire est l’action.

Le groupe représente l'affectivité originaire, basique, du lien à la mère phantasmatique..

D’où difficulté à reconnaître le groupe. Résistance. Les ateliers d’expression font travailler les choses résiduelles qui sont encore en souffrance. La douleur affective va être vécue devant les autres : solidarité émotionnelle dans les groupes.

Nous sommes poreux. C'est une chance parfois difficile à assumer.

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mardi, 18 août 2015 19:12

Du nouveau dans la psycho

Du nouveau dans la psycho

Collège des psychologues cliniciens du Château PICON
Centre hospitalier psychiatrique Charles Perrens de Bordeaux

10 et 11 Décembre 2010

EXPÉRIENCE ANALYTIQUE
RELATION CRÉATRICE
RELATION ANALYTIQUE
EXPÉRIENCE CRÉATRICE
dans l'institution de soin

Guy Lafargue

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Propos sur une praxis

Avertissement
Texte intégral [1]
Petite anamnèse à l’ancienne

N’exerçant plus mon métier de psychologue au Château PICON [2] depuis belle lurette, je ne sais pas à ce jour, en tant que psychologue mésolithique[3], à quelle discrimination positive, ni à quel intercesseur occulte, je dois d’être présent au milieu de ma communauté professionnelle naturelle comme novateur présumé (“du nouveau dans la psycho ?”). Toujours est-il que, dans un premier temps, j’ai reçu une invitation du collèges des psychologues cliniciens de l'hôpital Charles Perrens, à répondre à la question posée, et que dans un deuxième temps, le projet que j’ai proposé en retour a reçu l’aval du comité scientifique de la manifestation. Dans l’état d’isolement intellectuel et d’ostracisme institutionnel où je me suis trouvé déporté tout au long de ma carrière singulière, cette invitation m’a été précieuse. La vieille histoire que je vais vous raconter a peut-être atteint la fin de la période d'incubation, et il me plaît de penser que sa nouveauté ne fera pas de doute.

Pour introduire mon propos, je dois vous faire un aveu : je ne me sens pas très bien placé pour répondre à la question inaugurale posée par les organisateurs de ces rencontres professionnelles : “Y a t-il du nouveau dans la pratique et la théorie de la psychologie à l'Hôpital ? “ puisque, comme je viens de l'indiquer, je n’exerce plus mon métier de psychologue/thérapeute dans l’enceinte du Château PICON depuis 1982, ni ne l’ai plus exercé depuis dans le contexte institutionnel de la psychiatrie. Pourtant, la vignette clinique posthume que je vais vous présenter dans la deuxième partie de cet article n’a, à mon avis, rien perdu de son acuité sinon subversive (?) en tous cas novatrice. Je vous en fais juge.

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Mon expérience de psychologue/thérapeute instituant un cadre analytique/thérapeutique singulier s’est développée en plusieurs étapes institutionnelles et modes d’expérience analytique :

1° ) Une étape universitaire qui couvre la période qui va de l’automne 1968 au printemps 1976. Au cours de cette période, j’ai simultanément ouvert plusieurs chantiers :

  • A l’automne 1968, j’ai commencé à enseigner la psychosociologie clinique à la Faculté de psychologie de Bordeaux et à l’École d’Éducateurs spécialisés de Bordeaux dans les domaines de la dynamique de groupe, analyse institutionnelle, formation à l’écoute analytique rogérienne. J’ai ensuite posé, dans ce cadre, avec mes étudiants, les bases de ce que j’appellerai plus tard l’Expression Créatrice Analytique ©, fruit de la conjugaison de la “dynamique de groupes” d’inspiration pagessienne, de la “thérapie centrée sur la personne” d’inspiration rogérienne et de l’Expression Créatrice inspirée du cadre créé par le pédagogue Arno STERN.
  • Dans la même période, je m’engageais dans l’apprentissage de la psychosociologie clinique d’inspiration rogérienne, sous la direction du Professeur Max PAGES (le passeur français de Carl ROGERS), puis en collaboration étroite avec lui dans le cadre du Laboratoire de Changement Social (LCS/Paris/Dauphine). Nos recherches solidaires portaient de façon aiguë sur la question du travail analytique de groupe, du travail émotionnel, de la psychothérapie existentielle rogérienne et de leurs ouvertures aux langages de la création.
  • Enfin, je faisais à titre personnel, entre 1966 et 1972, une immersion assez radicale dans la pratique intensive de l’expérience créatrice dans l’écriture surréaliste, et au sein d’Ateliers d’expression spontanée de peinture et de modelage, sans direction artistique. Je commençais un travail d’élaboration praxique d’un modèle singulier de travail analytique/ thérapeutique. J’y fus puissamment suscité dans cette période fastueuse du festival SIGMA de Bordeaux, par la rencontre des recherches électro-acoustiques de Pierre HENRY, John CAGE, STOCKHAUSEN…; et théâtrales : ARRABAL, LIVING THÉÂTRE, BRED AND PUPPET, Sylvano BUSSOTTI ; et des metteurs en scène : GROTOWSKY, BOB WILSON, ROY HART…un peu plus tard Carlotta IKEDA et le théâtre BUTHO, sous la direction desquels j’ai travaillé en Atelier. Superbe et décisive chance !

2°) Un engagement clinique en institution de soin psychiatrique (1972 à 1982)

Au printemps 1972, au titre de ma fonction, cette année là, de président de l’AGEC (Association Girondine d’Éducation Créatrice “arnosternienne”) - j’ai reçu invitation du Dr Michel DEMANGEAT, dont la fillette fréquentait notre Atelier d'Expression, à venir expérimenter avec notre équipe de l’AGEC nos dispositifs expressionnels dans le cadre de la création du premier Hôpital de jour de la région Aquitaine. Le Dr Jean BROUSTRA, son jeune et fringuant collaborateur (il avait alors 33 ans et brillait encore des brûlots de la rébellion universitaire de 1968), fût notre initiateur enthousiaste et le superviseur attentif de notre implantation centrale dans ces dispositifs de soin. Il fut mon passeur dans le monde de la psychose dans lequel il a tout de suite été évident pour moi que la qualité de ma relation affective et de ma singularité analytique trouvaient dans ce terreau un lieu de haute familiarité.

Cette création institutionnelle d'unités coordonnées d'Ateliers Thérapeutiques d'Expression Créatrice s'est ensuite développée à l’initiative de Jean BROUSTRA, tout d’abord au Château Picon dans le service du Professeur Marc Blanc, puis dans l'unité psychiatrique de l'hôpital Garderose de Libourne dont il fut nommé médecin-chef en 1975. J'ai donc été créateur inaugural de ces dispositifs d’Ateliers Thérapeutiques d’Expression Créatrice (ATEC) à l’Hôpital de jour Wilson en 1972, puis ensuite, en 1975, à l’invitation institutionnelle de Jean BROUSTRA, je me suis joint à l’équipe qu’il avait formée au Centre Psychothérapique Charles Perrens dont il conserva la supervision après avoir été nommé médecin-chef à Libourne. J’y exerçai ma fonction de psychologue au titre d’animateur/thérapeute dans un Atelier d’Expression que je nommai “CORPS ET PAROLE”.

C’est en 1975 que j’ai été nommé psychologue attaché aux Ateliers Thérapeutiques d’Expression créés par le Docteur Jean BROUSTRA au centre Carreire dans le service du Professeur Marc BLANC. J’y ai exercé la fonction de thérapeute jusqu’en 1982. Ces Ateliers explicitement dits "d'expression" constituaient un ensemble coordonné de 5 unités d’Ateliers thérapeutiques médiatisés à vocation intersectorielle. C’est dans ce cadre que j’ai conduit le travail thérapeutique de Nathaälie des Limbes, une patiente située par ses médecins dans le cadre de la psychose hystérique dont j'ai exposerai la vignette clinique en deuxième partie de cet article.

L’expérience s’est terminée pour moi le jour où le Professeur BOURGEOIS, successeur du Professeur BLANC, fit irruption en cours de séance dans mon Atelier, accompagné d’un menuisier de l’Hôpital et, sans aucune explication, fit prendre ostensiblement les mesures de mon Atelier en vue de le transformer en bureaux. J’avais eu maintes preuves de ce que ces Ateliers suscitaient sinon une hostilité, en tout cas une grande ambivalence de la part du corps médical. Leur mode de fonctionnement autonome, l’éthique de la réservation des productions des participants sur le lieu des Ateliers, leur non communication aux équipes et aux médecins, les difficiles communications avec les services…mirent un terme à mon expérience. Je démissionnai de mon poste et créai mon Centre de Formation Permanente des Ateliers de l’Art CRU dans le projet résolu de former le plus grand nombre possible de personnes à la pratique de cette discipline.

Dans cette époque turbulente Jean BROUSTRA était un adepte effervescent de ce cadre de soin que j’ai créé et développé par la suite sous les noms d’ “Art CRU” ou d’ “Expression Créatrice Analytique”©. En 1975, à mon initiative, il s’associera avec moi et quelques autres dans le cadre de l’IRAE, Institut de Recherche/Animation Expression, pour y développer un outil de recherche et de formation. Une collaboration intellectuelle, clinique et andragogique fructueuse se poursuivra jusqu’en 1998, date à laquelle se produisit une fracture idéographique majeure et définitive qui séparera assez brutalement nos trajectoires. Moi-même je radicaliserai la praxis expressionnelle comme praxis autonome dans le champ des pratiques analytiques, là où Jean BROUSTRA répudiant toute référence au CRU et à notre amitié professionnelle, tentera sans y réussir de déployer et d’asseoir l’emprise de la psychanalyse sur notre commune institution.

3°) La création d’un institut de formation d’animateurs/thérapeutes en Ateliers d’Expression Créatrice Analytique.

A la suite de ce décrochage raisonné de l’Hôpital, j’ai activé ma formation psychosociologique et j’ai mis en place un Institut de formation qui prit le nom d’ATELIERS DE L’ART CRU, nom qui est toujours le sien malgré les tempêtes idéologiques et socio-économiques qui ont secoué le secteur de la formation permanente et notre institution. Entre 1983 et 2010 nous avons accueilli avec mon équipe de formateurs près d’un millier de travailleurs de la Santé et de l’Éducation de toute la France dans le cadre de la formation intensive de longue durée d’animateurs/thérapeutes. Plusieurs centaines d’Ateliers d’Expression Créatrices sont nés de ce magnifique travail, en particulier dans les hôpitaux de jour, les CATTP, les IME, les consultations d’addictologie et dans un certain nombre d’hôpitaux psychiatriques pour lesquels la référence cardinale à la psychothérapie institutionnelle n’est pas devenue lettre morte. A cette place privilégiée, je suis depuis de longues années témoin de la parole des soignants (infirmiers psychologues, psychomotriciens, soignants…en détresse institutionnelle…) sur ce qui se passe vraiment au sein des institutions psychiatriques. Je les rencontre dans mon espace de formation à la pratique des médiations créatrices dans le cadre du soin “analytique”.

Autrement dit, je connais intimement la souffrance des soignants dans leurs contextes institutionnels totalement surdéterminés par les injonctions économiques (la rentabilité des actes, l’astreinte à la mesure de la prétendue “qualité”) et par la surrépression idéologique (primat de la molécule, du comportementalisme, de la sismothérapie) tous actes qui exercent leur emprise brutale sur la détresse des citoyens ordinaires convoqués à la renonciation de la subjectivité.

4°) L’engagement comme analyste dans des thérapies individuelles.

A partir de 1973, mon exposition intensive à la dynamique de groupes d’expression créatrice analytiques dans le cadre du Laboratoire de Changement Social et de la Faculté de Psychologie de Bordeaux, puis dans le cadre de l’IRAE, puis dans celui de mes Ateliers en psychiatrie, m’a placé en position d’expérience significative d’un mode de travail analytique individuel dans lequel j’ai instauré l’expérience créatrice comme lieu de Parole. Les langages de la création et le verbe. Mes découvertes à partir de 1980 de Donald WINNICOTT, de Harold SEARLES, de Françoise DOLTO, de Mélanie KLEIN et de quelques uns de leurs élèves contemporains, m’ont conforté dans les prises de risque auquel me soumettaient mes positions déviantes.

5°) La création de l’ART CRU MUSEUM.

Depuis 1984, j’ai ouvert, enrichi et conservé une collection didactique d’objets créés/abandonnés/trouvés/confiés au détour de mes Ateliers ou au hasard de mes rencontres artistiques ou analytiques. Musée des tragédies humaines ordinaires, l’expression affective CRU qui imprègne ces actes esthésiques constituent une voie extraordinaire pour le travail de la résilience.

le pere de jumelles

Naissance de l'ART CRU MUSEUM - Le père de jumelles - Guy Lafargue - 1984 - art-cru.com/museum

Ya t-il du nouveau dans la pratique
et lathéorie de lapsychologie à l'Hôpital ?

Je suppose qu’à cet exercice de la réponse, les autres intervenants de ce colloque développeront un point de vue intra-institutionnel. De facto, le mien restera extra-institutionnel, non seulement parce que je n’exerce plus depuis longtemps dans l’enceinte psychiatrique, non seulement parce que mon point de vue est décalé, voire antinomique, avec celui de l’idéologie psychiatrique qui surdétermine les représentations professionnelles de l’exercice de la psychologie, mais surtout parce que je n’accorde aucun crédit à “La” psychologie : ni comme point focal d’une pratique (une pratique de quoi ?), ni comme théorie (en existe t-il une ?).

Je fonde ma pensée personnelle de la théorie sur la racine étymologique du verbe grec “theorein” qui signifie “observer”. La théorie, pour moi, c’est la somme organisée des phénomènes que nous observons dans la réalité de notre action telle que nous la développons . En aucune façon, la théorie ne saurait constituer un appareil conceptuel organisant l’action, mais bien l’inverse, à savoir que l’art - je veux dire la praxis - est constituant de la pensée et lieu de construction de la théorie.

Et donc, paradoxalement, si je n'accorde aucune faveur au psycho-centrisme flamboyant qui inonde tous les discours sur la prétendue science psychologique, j'ai construit une théorie de la vie psychique qui met en synergie les observations que j'ai conduites pendant quarante années d'expérience clinique articulant la question de l'expérience créatrice et du soin analytique. C'est cette théorie, résolument nouvelle, dont je vais essayer de rendre compte ici.

Quelle est-elle donc cette “théorie” de la psychologie qui s’invoque ici ?

La question inaugurale, telle qu’elle est posée sous-entend que la vie psychique (la psyché, ou pire encore, l’appareil à penser - comme il est convenu d’évoquer ces manifestations neurologiques – est pour nous psychologues, à la fois notre territoire professionnel assigné et notre objet privilégié. Une question préalable s’impose donc avant même d’en explorer le lieu d’exercice, de savoir avec quelle théorie de la psychologie nous travaillons, et quelle contribution nous apportons à une théorie de la psychologie qui ne soit pas surdéterminée par la reddition aux diktats de la pratique psychiatrique : médicale et institutionnelle ; ni aux postulats fossiles d’une psychanalyse intégriste qui n’a pas encore rendu l’âme . Et en premier lieu à leur postulat syncrétique commun de l’existence de la maladie mentale qui est le chou gras de la pharmacopée.

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La psychologiecomme science des faits psychiques est-elle apte à rendre compte des lignes de force d’une action visant à rétablir les personnes en grande souffrance affective dans le jeu ordinaire de l’humanité ? Sans équivoque, ma réponse est non. Certes, la connaissance des processus psychiquespris dans une approche globale de la dynamique de la vie affective est nécessaire à l’exercice de notre métier, mais seulement en tant queconnaissance, justement, et non comme savoir organisé (pure illusion) qui constituerait un pré requis pour l’action. Pour moi, la connaissance est et ne peut procéder que d'un enseignement de l’expérience. La théorie vient ici en aval de l’action, de l’art analytique/thérapeutique.

J’interroge de façon radicale la légitimité du concept de psychologie pour désigner l’objet de notre pratique professionnelle, quels que soient les lieux où nous l’exerçons. Si ce concept se justifie pour désigner la science des phénomènes psychiques, non seulement il ne nous est d’aucune utilité pour travailler avec la personne en souffrance affective invalidante, mais il constitue en outre un écran à la saisie non médiate des processus affectifs tels qu’ils se jouent dans la dynamique analytique du lien thérapeutique à partir desquels seulement les phénomènes psychiques prennent forme et prennent sens.

La psychologie , sur laquelle reposent toutes les croyances du 20° siècle est une science sans objet.Les faits psychiques ne jouent dans le destin humainaucune force causale. Ils n’offrent aucune prise au travail de transformation de la personne.Le psychisme comme objet n’a d’existence que conceptuelle.

La réalité désignée par ce concept ne correspond à aucune réalité que nous puissions appréhender de manière technique, sur laquelle nous puissions agir dans ce qui se désigne du terme de pratique. Il n’y a pas de maladie à proprement parler “mentale”. La souffrance dite “ psychique” est un leurre neuroleptique. La causalité psychique est un concept idéologique élevé au rang de croyance inventée par les psycho-analystes. La pensée d'un soin psychique procède d’une autosuggestion .

La souffranceest de nature affective, et certaines de ses manifestations sensibles en sont psychiques . Primat absolu de l’affect sur la représentation. La vie psychique, dans cette représentation épistémologique, a essentiellement une fonction informative sur les distorsions infligées au dispositif instinctuel lui-même.

Et donc, pour parodier l’expression de Maud MANNONI dans son propos sur “La théorie comme fiction”, ma théorie de la psychologie est que la psychologie est une science-fiction.

Dans ma représentation, je postule bien l’existence d’une fonction de représentation : la fonction psychique, créatrice des formes f(ph)antasmatiques[4], imaginaires et symboliques (représentations d'éprouvés affectifs archaïques, représentations imaginaires/fantasmatiques et représentations de mots)est essentiellement une fonction decomposition de formes mentales orientées (des "in’forms")visant à renseignerl'organismedu sujet humain sur son état de réalisation ou de carence, ou de détériorationdu potentiel d'accomplissement de son destin d'être humain.

Cette pensée, résolument novatrice, est pour l'instant une incongruité culturelle totale.

Le "travail" psychique, c'est le travail de transformation de l'expérienceaffective actuelle (structurée/structurante) en une représentation mentaleémergente, structurée par un signifiant, perceptible comme signe, c'est-à-dire en une image/objet psychiquesignifiante dans le jeu de la perception .

Cette "image/représentation" (représentante de l'affect) a deux fonctions :

  • La première qui est de re-présenter, c'est à dire de rééditer au présent une motion mnésique/affective ancienne en vue de son traitement par le sujet, par le "Je".
  • La seconde, qui s'inscrit dans la première, est, pour reprendre au pied de la lettre la formulation de Piéra Aulagnier, " de rendre homogène à l'expérience du sujet ce qui lui esthétérogène"[5] aussi bien dans le champ événementiel que dans le champ de la subjectivité.

Formation de formes/images représentant une motion affective ou pulsionnelle. Contrairement au concept de "flux mental constant"[6] qui “irrigue” le système perceptuel, le travail de la production psychique est essentiellement et constamment émergent. La fonction psychique - fonction de conversion de l’affect en représentation - est structurante de ce flux mental chaotique qui anime en permanence l'expérience humaine.

C'est le processus de construction/fixation de la forme psychique (condensation émergente) en un souvenir (trace stable) qui est constituante de la temporalité par laquelle s'instaure un écart lisible dans le jeu de la perception entre la mémoire résiduelle et l'organisation actuelle de la perception.

La loi totalitaire de l'organisation de la vie mentale (souvenirs, hallucinations, rêves, fantaisies, fantasmes) est celle du primat absolu de l'affect. L'affect conditionne le processus par lequel certains matériaux sont sélectionnés dans le chaos permanent de l'activité mentale pour se condenser en objets psychiques constitués. A un moment donné, une fixation affective signifiante cerne, circonscrit un flux de matériaux mnésiques (sensoriels/émotionnels) instables et fluents, les condense et les organise en une forme psychique, en une “image” : fantaisie, fantasme ou souvenir . Je nomme "enformement" la mobilisation dynamique de ce processus dans l'expérience créatrice.

Dans le rêve ou dans la vie psychique diurne, le psychique (condensation de formes surdéterminées par l'affect) est toujours en aval de l'affect. C'est de l'intensité affective attachée aux formations psychiques constituant le scénario imaginaire, onirique, que dépend sa possible constitution en une trace mémorable au moment du réveil.

La production psychique fonctionne comme sous-produit de la fermentationd'une condensation imaginaire où viennent s'enformer les tensions affectives (libidinales) actuelles du sujet. Tout le temps.

Et donc, inévitablement, mon métier de psychologue est centré sur l’expérience affective de mes clients, sur les médiations susceptibles de l’enformer et d’en tirer avec eux parti analytique . Dans cette perspective, la phénoménologie psychique devient un des auxiliaires de création mobilisables parmi d’autres : la phénoménologie émotionnelle et la phénoménologie des langages du corps et de l’expérience créatrice qui est mon référent princeps.

Si science il y a à invoquer ici, ce serait donc celle de l’affect.

Je suis “affectologue”.

Je n’avais jamais osé publier la Chose de cette façon inaugurale. C’est fait.

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L’EXPRESSION CRÉATRICE ANALYTIQUE ©
COMME PRAXIS THÉRAPEUTIQUE
DANS L’INSTITUTION DE SOIN

Depuis quelques années, le débat sur le titre de psychothérapeute est le creuset d’un affrontement que je qualifierai d’inter-ethnique entre les professionnels de la psychothérapie (psychologues ou non) détenteurs d’une formation spécifique au métier de psycho-thérapeute validée par une École analytique reconnue au sein de la profession, et les candidats à l’affichage du titre s’estimant fondés par leurs diplômes universitaires à revendiquer le statut alors qu’ils n’ont pas nécessairement acquis une formation qualifiante au métier.

La question incidente concerne la place que l’institution psychiatrique accorde aux psychologues cliniciens dans les pratiques du soin affectif. Pour ce qui me concerne, je pose comme règle princeps pour notre profession que l’exercice du travail analytique/thérapeutique auprès des personnes hospitalisées en psychiatrie relève de plein droit de notre prérogative de psychologues, sous réserve que nous ayons traversé une formation significative à l’exercice du métier d’analyste/thérapeute ( qui ne saurait non plus se réduire au seul fait d’avoir fait soi-même une psychothérapie). Cela nous autorise - de plein droit - à créer des espaces de soin analytique dans le cadre de l’institution psychiatrique, et ce, quel que soit le référentiel d’École auquel nous nous rattachons : Freudien, Kleinienne, Jungien, Adlérien, Reichien, Lacanien, Morénien, Winnicottien, Rogérien, Pagessien….

Le jeu de la création et de l'analyse

Il me faut donc maintenant définir le cadre praxique que j’ai construit, qui a constitué mon armature théorique dans la mise en place des Ateliers thérapeutiques d'Expression dans le service du Docteur BLANC. Ce cadre me semble aujourd’hui identifiable comme un des modèles du travail analytique/thérapeutique, alternatif aux modèles nourris de la pensée fondatrice freudienne et de ses dérivées. J’ai nommé ce cadre tantôt “ EXPRESSION CRÉATRICE ANALYTIQUE”©, tantôt “ART CRU” selon le contexte de mes interventions : thérapie, formation, développement personnel.

Dans ma pratique analytique, j'ai placé au centre de la dynamique métamorphique le jeu de création. La dynamique métamorphique, c'est ce travail de passage d'un être potentiel en devenir à un être actuel, inscrit dans la réalité, quels que soient les accidents affectifs auxquels a été exposée sa personne.

La métamorphe est ce travail de réalisation, d'actualisation des potentialités humaines, essentiellement de notre potentiel de santé affective et des capacités de résilience inscrites dans notre dot individuelle biologique, affective, psychique et sociale.

Les pensées que j'ai élaborées pour ces rencontres sont l'aboutissement de quarante années d'engagement soutenu, en premier temps dans l’enceinte psychiatrique dont j’ai fait fructifier les dividendes extraordinaires, puis dans les champs de la formation de praticiens d'Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques ©, et dans celui de l'analyse individuelle de personnes en grande souffrance affective. Dans cet itinéraire, j'ai progressivement expérimenté, compris, élaboré et soutenu dans mon action professionnelle, cette idée majeure selon laquelle l'expérience créatrice est l'épicentre tectonique du travail de la constitution du sujet.

Épicentre tectonique, cela signifie concrètement pour moi le centre de fermentation des matièresaffectives qui gouvernent inéluctablement notre histoire singulière, et leur élaboration en une palette de représentations assimilables dans le jeu de la création.

L'expérience créatrice est la modalité fondamentale de l'action par laquelle l'être humain peut se signifier en tant qu'humain . Il ne peut se construire comme sujet, c'est à dire comme auteur de ses actes (comme sujet du verbe), comme fondateur de son humanité, que dans cette modalité de l’expérience. Ceci est essentiellement vrai pour les utilisateurs des soins en psychiatrie.

Le "devenir sujet" est le travail qui nous incombe en tant qu'être humain. C'est à dire en tant qu'auteur désirant/consentant du travail d'actualisation de nos potentialités. Cela suppose de la part de la personne de résoudre de manière frontale, un certain nombre de souffrances affectives. Parallaxe[7] des disciplines psychocentriques et des théories psychistes qui en surdéterminent de façon massive le jeu. Cela concerne au premier chef la personne en situation de soin psychiatrique.

Qu’est ce que "Art CRU" ?

Pour moi, dès l’instant de sa révélation, ce concept fut une pierre précieuse de la pensée.

Très tôt, lors de mes confrontations directes avec mes interlocuteurs, j’ai remarqué que cette expression d’Art CRU fonctionnait quelque peu de manière hallucinatoire. Spontanément, lorsqu’ils sont confrontés pour la première fois à l’alliance de mots Art CRU, les gens imbibent automatiquement à voix haute sur le mot Art dans sa détermination la plus conventionnelle et culturelle qui soit. Souvent d’ailleurs avec l’arrière pensée de me prendre en flagrant délit de contradiction. Bien entendu cette expression n’a rien à faire, à tous points de vue, avec l’expérience artistique. Définitivement, j’ai décidé que l’Art CRU dérogerait à être un mouvement artistique.

L’Art CRU comme cadre institué

L’expression Art CRU désigne un cadre expérientiel/analytique institué pour le déclenchement et le développement de l'expérience créatrice en tant qu'elle est de manière fondamentale le lieu d'être où se constitue le sujet.

Art CRUcommeexpérience à proprement parler æsthétique, c’est à dire profondément ouverte à la pensée sensible.

Si Art CRU est un cadre construit, sa structure n’est pas pour autant figée en une institution cernée par des règles intangibles. Il s’agit bien d’un cadre, certes, mais d’un cadre à structureflexible (pour reprendre et honorer l’expression du Professeur Max PAGÈS, mon passeur dans le travail analytique), dont le jeu harmonique d’élaboration se poursuit tout au long de l’expérience créatrice elle même. L’institution elle-même est un fruitlieu de création. L’Expérience en est le mode opérant, son lieu d’être.

J’utilise explicitement le terme expérience dans la raisonnance anglo-saxonne, winnicottienne, resserrée autour du termeexperiencing, c’est à dire comme processus de l’acte (acting) dans son développement signifiant. C’est à dire de l’acte en cours comme précipité, comme condensation…du Désir. Le Désir étant ici ce qui du vide donne lieu à la création d’un mouvement et d’une forme. En ce sens, je suis foncièrement expériencialiste. Merci à mes maîtres en pensée : Frédérick NIETSZCHE, Carl ROGERS, Donald WINNICOTT et Ronald LAING.

Pour moi, donc, quatre déterminations fondamentales imprègnent et irriguent mon expression professionnelle et personnelle : l’expérience, la création, l’analyse, la relation, quatre concepts expérientiels qui fondent la structure kaléidoscopique du titre que j’ai finalement donné à mon exposé :

- L’Expérience est le lieu opératoire de tout processus de transformation dynamique de la personne. Aucune transformation significative satisfaisante de la personne ne peut procéder d’une démarche intellectuelle (enseignement), ni de l’identification mimétique à une école de pensée (même et peut être surtout lorsqu'elle est métapsychologique), ni d’une idéologie des apprentissages comportementaux et du renforcement conditionnel. Encore moins du traitement des symptômes produits par la souffrance affective au moyen des molécules neuro-psycholeptiques ou des prescriptions arthopédiques.

- L'analyse : Le marqueur instituant de ce cadre expérientiel est donné par le terme "analytique".

L’expérience analytique est la "matière" et la finalité de la rencontre professionnelle entre l'analyste et la personne en demande de résolution de ses souffrances affectives invalidantes .

J'ai choisi une fois pour toutes d'inscrire le terme "analyse" dans la filière étymologique.

Le mot analyse renvoie au mot grec analuein qui veut littéralement dire résoudre. Cela décentre de façon significative l'induction freudienne qui circonscrit le travail analytique à celui de la mobilisation anamnétique par le procédé des associations psychiques. Et en vieux français, résoudre est porteur du mot souldre qui signifie : payer le solde. Pour ce qui nous concerne, en lacanien simplifié : traiter le contentieux que nous entretenons avec les figures affectives originaires, avec les imagos.

La dimension créatrice de la relation analytique - et la dimension créatrice dans l'expérience analytique - sont la condition nécessaire et suffisante d’actualisation du travail métamorphique. La dimension Créatrice s’oppose radicalement ici à la dimension instrumentale qui gouverne largement le discours institutionnel de la psychiatrie (Tosquelles, Oury, Gentis…au secours!).

La relation qui s’instaure entre les deux partenaires du travail analytique constitue l’objet de la communication analytique. De toute communication analytique. Elle est à la fois produit de la relation affective entre deux subjectivités et productrice d'une matière affective singulière et de ses efflorescences psychiques. Elle constitue une scène privilégiée des mouvements émotionnels, et ce, quel que soit le contrat passé entre analyste et analysant : formation, thérapie ou éducation.

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EXPRESSION CRÉATRICE ANALYTIQUE

L'expérience analytique est par nature expérience créatrice. Lorsque tel n'est pas le cas, la personne stagne dans un système de complaisance mutuellement, solidairement et inconsciemment entretenue entre la personne de l'analyste, le système idéologique de l'analyse et celui de la personne elle-même; ou bien elle se replie sur des positions affectives étriquées, défendues et auto destructrices, (on appelle cela de façon un peu fataliste des analyses interminables). Ce qui se passe ou ne se passe pas dans la relation analytique n'est que le produit objectif et le reflet du cadre qui la génère.

La relation analytique n’est analytique, c'est à dire résolutoire, qu’en tant qu’elle est créatrice.

La créativité n’est en aucune façon une fonction de l’organisme humain. J’ai définitivement banni de mon répertoire les mots créativité et créatif qui appartiennent au vocabulaire du comportementalisme arthopédique. Il s’agit d’un pur concept idéologique qui donne à croire qu’il y aurait une zone fonctionnelle du cerveau en charge des comportements dits créatifs, ce qui est une aberration. Seule l’expérience est ou n’est pas créatrice, créateur étant ce qui advient lorsque rien n’est encore formé au lieu du Désir de l’@utre. Surtout pas une pédagogie, et encore moins une thérapeutique.

Lorsque je parle d'expérience créatrice dans le cadre d'une relation analytique, je veux exactement dire par là l'engagement d' un travail d'expression dans les matières / langages de la création (sans exclusive) et son rebondissement dans un travail d'élaboration de l'expérience vécue de cette relation telle qu'elle se développe dans ses dimensions affectives, émotionnelles et psychiques. Cela concerne aussi bien l’analysant que l'analyste.

L'Expression Créatrice Analytique en tant que discipline n'est en aucune façon un "traitementpsychique” (psychothérapeutique) tel que cela est clairement signifié dans le cadre de la psycho-analyse. Dans mon mode de travail, l'expérience psychique n'est en aucune façon encouragée comme mode privilégié d'expression, à plus forte raison comme mode exclusif comme cela est le cas dans la cure psycho-analytique. Elle y a une place au même titre que les autres médiations créatrices dont elle n'est qu'une des facettes.

Dans ce cadre construit autour des médiations langagières que j'ai appelé Ateliers d'Art CRU, le jeu relationnel entre analysant et analyste constitue la matière même de la co-élaboration des fondations affectives de la souffrance qui conduit le sujet à entreprendre un tel travail . Il est la condition de possibilité de dissoudre/résoudre (analuein) le jeu de la répétition du même. Comme dans les autres cadres analytiques, en particulier celui de la psycho-analyse, la relation intertransférentielle en constitue l'en-jeu dynamique, le théâtre et la matière.

Dans cette relation, j'engage entièrement ma subjectivité au sein d'une libre communication affective/émotionnelle et langagière dans le jeu créateur avec les matières et dans celui de la parole. Cette direction du travail analytique est hétérogène à celle des variations freudiennes, et elle est en opposition avec un certain nombre de ses pré-requis. Elle est totalement conflictuelle avec les techniques du comportementalisme arthopédique.

Le cadre inaugural de l’Atelier
d’Expression Créatrice Analytique

Cinq règles basiques définissent le mode de structuration de l’expérience de l’Atelier d’Expression Créatrice Analytique par le praticien :

  1. L’ énonciation inaugurale de l’invitation à centrer l’expérience créatrice sur la formulation (sur la mise-en-forme) de ce qu’ éprouve, ressent, conçoit (manuellement et imaginairement)le sujetdans la situation singulière de l’atelier, en prise sur ce qui surgit de ses sentiments, de ses émotions, des évocations imaginaires liées à son histoire propre, des résurgences mnésiques; et sur ce qui émerge à partir des communications engagées avec les autres participants de l’atelier et avec l’animateur.
  2. L’absence totale de direction de la productiondu sujet, et l’abstinence de toute intervention à visée d’enseignement technique, de toute suggestion, de toute correction formelle, d’injonction, d’évaluation esthétique ou morale .
    C’est dans l’affrontement direct, non médiat, de la matière que le sujet va se mesurer à ses lois intrinsèques, aux problèmes prétendus techniques surgissant de sa manipulation, et aux réticences à l’évocation de certaines formes particulièrement impliquantes pour lui. Lorsque j’interviens pour étayer le travail d’un participant, sous certaines conditions que j’évoque longuement dans mes récits, c’est toujours dans un processus de communication qui se joue à un autre plan que celui de l’aide technique, qui est celui de la relation intertransférentielle.
  3. L’abstinence d’interprétations des contenus latents des productions. Ce qui n’exclut pas de ma part certaines interventions verbales (parfois plastiques) apportées dans le cours du travail de création, lorsque, d’une façon ou d’une autre sollicité par la personne, il m’arrive de faire description purement narrative d’éléments posturaux ou émotionnels évoqués dans/par l’objet, énonciations qui fonctionnent à la manière de la reformulation rogerienne, comme surlignage empathique… des sortes de ponctuations telles que : “Il semble qu’il est très en colère” à propos d’un petit personnage dont le visage est crispé, les poings serrés... ou bien, à propos d’un couple tendrement enlacé : “ Il semble que ces deux-là s’aiment beaucoup”, interventions qui ouvrent la plupart du temps à un court dialogue autour de ou en prise sur l’objet.
  4. La possible mise à disposition des personnes et du groupe, dans certaines situations intertransférentielles, de mon propre champassociatiftraduit dans le langage de création qui est institué dans l’atelier. Le lecteur trouvera nombre d’illustrations de cette position dans les aventures æsthétiques que je relate dans mon livre : "Argile vivante" [8].
  5. L’ouverture, enfin, d’un espace analytique destiné à permettre aux participants d’explorer les incidences de l’expérience vécue de leur engagement dans le travail de création . Clarification des éprouvés actuels, des résonances émotionnelles, des retentissements psychiques...Il s’agit là d’une modalité d’analyse processuelle plutôt que de décryptage interprétatif des productions, sauf lorsque la personne s’engage spontanément elle-même dans cette aire d’exploration de son implication. Par “analyse processuelle”, j’entends une certaine façon de nommer ce-qui-est-là, une façon de description littérale, dans le langage des zones érogènes du corps (pour reprendre les termes de Françoise Dolto) tel qu’évoqué par le sujet; de rendre compte de l’itinéraire associatif formellement inscrit dans l’objet et des composants affectifs, émotionnels et psychiques lisibles “ à vue “, qui ont présidé (déterminé et accompagné) l’élaboration de l’œuvre.

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C’est la mise en synergie de ces cinq dispositions qui définit pour moi l’attribution d’une garantie minimale d’authenticité vis-à-vis du vocable expression utilisé dans ce mode d’expérience centré sur les médiations créatrices quelle qu’en soit la visée : éducative, artistique/culturelle, thérapeutique ou de formation professionnelle à la fonction d’animateur/analyste. De plus, l’utilisation du terme expression, dans tout autre orientation de l’action où l’animateur se pose, d’une façon ou d’une autre, en directeur de la formulation subjective doit être refusée sans ambiguïté.

L’application de ces dispositions qui requièrent une réelle ascèse de la part de l’animateur / analyste, engage très rapidement les participants dans un champ de projections transférentielles à de nombreux niveaux, dont les productions constituent les formulations et les traces.

Ainsi se trouve résumée l'essentiel du cadre de mon expérience professionnelle de psychologue et de l'élaboration théorique qui en soutient le développement. La conviction qui m'anime s'est formée au point de rencontre de mon expérience de créateur, de mon métier d’analyste et de thérapeute, de ma pratique quotidienne de la formation, dans celle du travail analytique individuel avec des personnes en grande souffrance affective que j'ai accompagnées, et de la rencontre intellectuelle de marqueurs idéographiques puissants : Carl ROGER'S et son passeur français Max PAGÈS, Arno STERN, WINNICOTT, Harold SEARLES, Mélanie KLEIN, Daniel STERN, l'Antipsychiatrie, l'Analyse Institutionnelle, le Théâtre du Corps et les recherches électro-acoustiques d'avant garde des années 70, le théâtre BUTO, l’ Expressionisme, DUBUFFET et l’Art BRUT

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J’interviens donc aujourd’hui à titre phantôme dans ce colloque consacré à la pratique et la théorie de la psychologie à l’hôpital comme acteur et témoin d’un événement fossile - le travail d'une analyse thérapeutique conduite dans mon Atelier il y a trente ans - d’un événement " qui a eu lieu", et, pour parodier Winnicott, "qui trouve ici et maintenant son lieu de représentation".

Cette expérience s’oppose de façon radicale au normativisme contagieux du DSM-5 (Manuel mondial américain de diagnostique et statistique des troubles mentaux) appliqué au fantasme d’une fonction du psychologue auxiliaire de la molécule et de ceux des discours psychiatriques exterminateurs de la subjectivité et de l’identité. Il y en a d’autres, dont je ne perds pas la mémoire : François Tosquelles, Jean Oury, Ronald Laing, Harold Searles, Madeleine Sechehaye Françoise Dolto, Mélanie Klein, Frances Tustin).

C'est au croisement de ces traces épistémologiques que je vais maintenant rapporter quelques fragments de l'aventure antipsychiatrique que j'ai soutenue pendant quelques années avec une jeune femme hospitalisée dans le service du Docteur BLANC à l'hôpital psychiatrique Charles Perrens qui a instinctivement adopté le cadre que j'avais mis en place dans mon Atelier "CORPS ET PAROLE", sous la supervision du DR Jean BROUSTRA.

NATHAÄLIE DES LIMBES

Expérience créatrice
Relation analytique
Institution de soin

Je vais vous présenter une vignette clinique exposant le travail concrètement accompli dans le cadre de mon Atelier. sous la responsabilité médicale du Professeur Marc BLANC, en supervision avec le Dr Jean BROUSTRA. J’ai nommée NATHALIE DES LIMBES. L’histoire de ce lien analytique symbiotique commence deux mois après la création de mon Atelier “Corps et Parole”, ouvert en synergie avec trois autres ateliers thérapeutiques d’expression : un Atelier d’expression picturale, un Atelier de modelage de l’argile et une Atelier de théâtre.

J’avais aménagé mon Atelier au fond de la cafétéria de l'unité de soin "Carreire", dans une salle en rez-de-chaussée lumineuse, suffisamment spacieuse pour y installer des “praticables” d’expression organisés autour de plusieurs langages (le précurseur de l'Atelier d'Expression polyvalent) : grands cubes en bois mobiles, miroir mural, coin écriture, espace pour l’expression corporelle. Sur la porte était écrit en grosses lettres le nom de l’Atelier et son affectation institutionnelle :

“CORPS ET PAROLE”
“Inconscient : secrétariat”.

corps parole inconscient secretariat

A l'âge de seize ans, après une scolarité campagnarde normale en lycée technique, Nathaälie fait un premier accident affectif qui la conduit à l’HP des Pyrénées où elle s’enfonce rapidement dans un cycle d’exclusion psychiatrique sévère (rétorsion, isolement, surneuroleptisation). Après six années d’internement et de régression brutale, un jeune interne, Philippe GREIG, remarquera Nathaälie, prendra un soin particulier d’elle et obtiendra son transfert vers le Château PICON à Bordeaux. Il la soutiendra psychothérapiquement jusqu’à ce que je prenne le relais de façon radicale dans mon Atelier. Jusqu’à son arrivée dans mon Atelier, les tentatives sporadiques d’accompagnement social dans un foyer “socio-thérapeutique” de jeunes filles et de réinsertion au monde du travail sont régulièrement mis en échec, aboutissant invariablement à une nouvelle hospitalisation. A compter de l’ouverture de son travail avec moi, et jusque vers le 7° mois, elle restera hospitalisée à plein temps.

Dès le début de mon engagement analytique avec Nathaälie, bien soutenu par lʼéquipe soignante, je garderai un dialogue ouvert (et armé) avec / contre les médecins, avec / contre le personnel soignant, contre la neuroleptisation abusive, contre la coercition (attaches, piqûres de crise). A aucun moment de mon travail au sein de l'hôpital, je n'ai déser confrontation dialectique avec l'équipe de soin de Nathaälie qui était à chaque instant nécessaire et fécond. Je vais restituer ici quelques fragments du texte publié dans mon livre “De lʼaffect à la représentation”.

Au moment inaugural de l'engagement du processus thérapeutique, j'ai l'intuition fulgurante de toute l'histoire ultérieure de toute l'histoire ultérieure. Cest ma collègue de lʼAtelier dʼexpression picturale qui me présente Nathaälie. Jʼétais seul dans mon Atelier, assis par terre adossé au mur, en attente. Claude amène Nathaälie par la main, somnambule, vient vers moi, sʼarrête devant moi et dis : “Nathaälie, je te présente Guy dont je tʼai parlé”. Puis Claude lui lâche la main et repart vers son atelier. J'éprouve dans cet instant-là, avec une acuité extrême, que je dois toucher Nathaälie, et que si je le fais, cela va m'entraîner dans une aventure aux contours imprévisibles, dangereuse, sûrement épuisante. En tous cas, vivante. Elle est debout, figée, dure comme du bois, les yeux révulsés. Je suis assis par terre, dos au mur. Au bout dʼun moment, Nathaälie, lentement s'abat, par a-coups, comme un arbre rongé, s'écroule près de moi. Elle est accroupie. Toutes mes fibres affectives sont en alerte. La certitude que j'éprouve est que je dois entrer physiquement en contact avec elle, mettre ma main sur une partie de son corps. Je sais que si je fais cela, je serai pris totalement dans une action irréversible où je jouerai, sans recul possible, mon va-tout sur la relation thérapeutique. Ces quelques secondes d'examen sont pour moi une image de l'éternité.

Mon passage par l'acte m'était évident. Je m'y livrai sans hésitation. Je pose ma main sur la jambe de Nathaälie. Alors, son corps, par saccades, tombe vers moi. Sa tête touche ma poitrine. Je la prends dans mes bras, lʼenveloppe et la serre contre moi. Elle se tasse, aux limites de la rétraction, complètement foetalisée. Son corps est agité de sanglots secs, silencieux. Pas de larmes, pas de bruit. Cette première fois, après un long temps dans cet état, je suis obligé de faire appeler une infirmière pour reconduire Nathaälie dans son pavillon. Le lendemain, Nathaälie revient se placer au même endroit. Je la toucherai de nouveau, et la même scène recommencera. Cette fois, au bout d'un moment, Nathaälie surgit de son état régressé et commence à me parler. Ce sera le début d'un travail fulgurant de symbiose active et de parole autour des médiations créatrices : dessin, écriture, jeux de corps (bagarres, portage…).

nouveau dans la psycho 1

Mon Atelier était ouvert trois jours par semaine. Ma journée était scandée par une succession de communications individuelles et dʼAteliers de groupe (atelier hebdomadaire de grimage, atelier de danse corporelle). Nathaälie lʼavait investi comme aire centrale de jeu dans sa vie quotidienne. Nous y explorions beaucoup le dessin dans la forme du “squiggle" winnicottien.

squiggle en seance

Squiggle en séance

“Ce travail dʼenfantement durera neuf mois au bout desquels Nathaälie gagnera sa sortie définitive de l'hôpital. Pendant toute cette durée abyssale, dans le cadre de lʼAtelier, elle s'est laissée nourrir, bercer, endormir... Elle a inventé des rites et des jeux corporels pour elle et moi, à notre usage exclusif. Je l'ai accompagnée dans les épisodes délirants qui la terrassaient parfois et que j'ai appris à reconnaître comme des crises de croissance. Elle a pillé mon

Squiggle en séance être, ma corporéité, habité mon espace psychique. J'ai été son enveloppe externe. Dʼune certaine façon, nous nous sommes mutuellement enfantés.”

Cette relation symbiotique s'est poursuivie d'une autre manière après sa sortie de l'hôpital. Très rapidement, elle a pu s’abstenir de tout traitement neuroleptique. Elle a appris un métier très valorisant pour elle. Elle vit de façon indépendante, et elle affronte, comme chaque être humain la solitude et sa propre histoire retrouvée. Elle a écrit le récit de sa maladie et de ses hospitalisations : histoire tragique et profondément émouvante. Sa destinée à ce moment là est à peu près entre ses mains. Je suis là, encore dans les moments difficiles qui surgissent au carrefour de sa mémoire et de l'actualité. Pour le reste...

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je nous ceramique de nathaalie

Je/nous - Céramique de Nathäalie

"Nathäalie des Limbes, vient maintenant depuis quelques mois dans mon atelier personnel pour y travailler l'argile. Ce jour-là, elle réalise un modelage assez volumineux qui représente un couple. L'homme et la femme sont reliés au niveau des genoux, leurs jambes étant dans le prolongement l'une de l'autre. L'homme est en position assise, son sexe est en érection, bien droit, bien proportionné. La femme est allongée sur le dos, sa main gauche posée sur le ventre et sa main droite sur le sexe.

A un moment, j'ai dû sortir de l'Atelier pour quelques minutes au moment où Nathaälie commençait le modelage de la main de la femme posée sur le sexe. Lorsque je revins, une dizaine de minutes plus tard, elle avait séparé/tranché les deux corps au niveau des genoux. Elle avait détruit l’homme, et elle était en train de basculer dans un état de crise/transe tétanique auquel j'avais souvent été confronté avec elle, qui se manifestait par une perte de conscience, un affaissement au sol, une rigidification de toute la musculature, les yeux révulsés, des contractures spasmodiques des mains, toutes manifestations que les sémiologues reconnaîtront sans hésitation comme de pures

Je/nous - Céramique de Nathäalie manifestations hystériques à la Charcot. Je savais maintenant

travailler et accompagner ces épisodes avec Nathäalie.

Jusque-là, je n'avais jamais été présent au moment du déclenchement de la crise. Lorsque cet état se produisait dans le magasin où elle avait trouvé un emploi, cela déclenchait toujours un branle-bas de combat et de spectaculaires manœuvres de maîtrise par les ouvriers du rayon boucherie et d'évacuation dans la grande théâtralité des secours urbains.

branle bas halles lagrue

Branle bas aux Halles Lagrue - dessin de Nathäalie

Lorsque cela se produisait chez moi, je prenais Nathäalie dans mes bras, au sol, et je la tenais fermement contre moi, jusqu'à que la crise anæsthésique aille à son terme, que la rigidité cède

d'elle-même et que la conscience revienne.

fin crise anaesthesique

Fin de crise anæsthésique

Elle se réveillait alors, ne se souvenant de rien, généralement épuisée. Je lui parlais, lui expliquais ce qui venait de se passer, et l'installais pour dormir.

Ce jour-là, j'eus la chance d'arriver juste avant qu'elle n'ait franchi le seuil de dissolution de la conscience. Je suis frappé par l'état de sidération dans lequel elle commence à se diluer, je lui parle, lui prends les mains, lui tiens le visage. Et elle reprend progressivement présence. J'attends sans impatience. Revenue à la conscience ordinaire, elle me dit au bout d'un moment que, pendant qu'elle était en train de lisser le sexe d'argile de la femme dont elle avait placé la main droite sur la vulve, elle avait eu un orgasme.

Tout d'un coup, j'ai compris, de manière fulgurante, plusieurs choses tout à fait extraordinaires pour moi : d'une part, je découvrais qu'une représentation concrète (un modelage en argile) pouvait être affectivement investie aussi puissamment qu'un être réel. C'est à dire qu'un objet affectif/psychique pouvait acquérir une densité hallucinatoire et déclencher un processus orgastique généralisé. Je découvrais dans la foulée que la crise hystérique faisait fonction d'expression orgastique généralisée : un Objet affectif devenait un Objet æsthésique, une hallucination, c'est à dire que, dans le transfert, cet Objet était pris par le "je" comme un Objet de la réalité. A un moment donné, l'intensité de l'affect sexuel franchit un seuil de douleur érogène à partir duquel la réalité affective/psychique ne joue plus comme forme mais comme fond. Le "je" confuse la réalité au Réel.

Je découvrais que dans le processus hystérique, quelque chose de la pulsion originaire n'avait pas pu se constituer dans l'Imaginaire, malgré le développement normal dans le jeu des mots ; que le sujet maîtrisait les mots mais ne maîtrisait pas les signifiants des mots qui prenaient l'entier contrôle des éprouvés.

Je découvrais que la culpabilité et la honte constituaient le verrou de la structure hystérique, et que pour pouvoir travailler dans ce plan il fallait accepter de rencontrer les motions pulsionnelles dans le champ corporel ; traiter des émois sexuels interdits de représentation par leur possible mise en représentation dans la création.

Enfin, je découvrais que la fonction du retrait hystérique dans la transe opérait comme défense corporelle contre les émois sexuels dont je pouvais être investi dans le transfert. L'internement psychiatrique de Nathäalie à l'âge de 16 ans s'était inauguralement inscrit de cette façon comme rupture radicale d'avec une ordinaire violence incestueuse paternelle.

A la suite de ces événements, j'expliquais à Nathaälie que son lien avec moi représentait pour elle la dangereuse situation d'amour sexuel incestueux avec son père, et que ses crises avaient pour fonction de la protéger - et de nous protéger tous les deux - de ces désirs mortels. Et que le même mécanisme jouait chaque fois que dans sa vie quotidienne elle rencontrait des hommes qui éveillaient en elle une émotion sexuelle. A partir de ce jour, Nathaälie n'eut pratiquement plus de crise de ce type. La puissance destructive/constructive des émois sexuels dans la relation intertransférentielle chez Nathaälie me semble avoir constitué le cœur du drame analytique tout au long de son développement comme celui des processus de maturation dans l'espace de séance, et le lieu princeps du travail de changement.”

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"Maintenant, le bébé, il peut sortir ou bien rester dedans"

Cette évocation clinique est traitée avec dʼautres dans mes différents ouvrages

Bibliographie de Guy LAFARGUE :

EXPRESSION CRÉATRICE ANALYTIQUE ©
Tome 1 : De lʼaffect à la représentation
Tome 2 : Les promesses du désordre
Tome 3 : CRITURE (Écriture et soin analytique)
Tome 4 : Argile vivante (création et soin analytique)

Ces ouvrages peuvent être commandés en ligne
sur le site internet art-cru.com :

Achevé le 9 Décembre 2010
Revisité le 10 Août 2014
Guy LAFARGUE
art-cru.com
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[1] Le texte publié dans les actes du Colloque ayant été resserré pour des raisons de place que j'ai acceptées, je le restitue ici dans son intégralité.

[2] Château PICON est l’authentique nom de l’hôpital Charles PERRENS, baptisé, après Mai 68, “Centre psychothérapique Charles PERRENS, puis…

[3] “Le Mésolithique (ère post glaciaire) est caractérisé par un certain nombre de changements comportementaux et de bouleversements dans les représentations artistiques et symboliques, liés aux dynamiques internes d'évolution des groupes humains ”. (Wilkipédia)

[4] Cette orthographie du mot “ f(ph)antasmatiques” réunit les deux références de la théorie freudienne : l’écriture orthodoxe du “fantasme” et celle de Susan ISAAC, élève de Mélanie KLEIN “phantasme”, qui désigne les fantasmes originaires constituant de l’expérience non consciente.

[5] Piéra AULAGNIER "La violence del'interprétation".

[6] Daniel STERN : “Les matrices prénarratives”, Colloque de Monaco, "Journal de psychanalyse de l'enfant" N° 14) : Ce que l'on appelle "flux mental constant" e st constitué des engrammes neurologiques d'une masse d'images sensorielles/sensuelles originaires résiduelles, non affectées et non organisées, formées par les expériences de contact avec l'environnement. C'est dans cette masse "insignifiante" que l'organisme puise pour former ses scénari psychiques. (Note de G.L.)

[7] La parallaxe est l’incidence du changement de position de l’observateur sur l’observation d’un objet. En d'autres termes, la parallaxe est l'impact (ou l'effet) du changement de position de l'observateur sur un objet observé. (Wilkipédia)

[8] Guy LAFARGUE, "Argile vivante", Ateliers d'Expression Créatrice Analytique. (Art CRU Éd - art-cru.com)

Art CRU : Histoire du concept et de l’institution (Sandrine Rouillon)

MÉMOIRE UNIVERSITAIRE DE SANDRINE ROUILLON
Praticienne certifiée Art CRU

Entretien avec Guy LAFARGUE,
fondateur des Ateliers de l’Art CRU

Sandrine Rouillon : Pouvez vous me parler de la création de l’association elle même, mais également de ses membres fondateurs, ainsi que celle des concepts et des théories sur lesquels vous vous êtes appuyé pour fonder les Ateliers d’Expression Créatrice de l'Art CRU ?

Guy Lafargue : Ceci est une longue histoire qui remonte à 1975, cela fait bientôt 30 ans que j’ai commencé à mettre en forme l’institution dont j’ai progressivement construit la structure et qui a développé son implantation idéologique et praxique dans le champ social .

En tant que concept, l’Art CRU est né d’une crise institutionnelle.

En 1975 j’ai été l’instituant inaugural d’ une première association qui s’est appelé I.R.A.E. ( Institut de Recherche/Animation Expression) avec 2 ou 3 personnes que j’avais cooptées dont le Dr Jean Broustra. Dans ce concept de Recherche/Animation étaient déjà incarné les ferments psycho-sociologiques de la recherche-action Lewinienne. Ma formation de base, c’est la psycho sociologie. Et dans la psycho sociologie, j’ai travaillé avec le professeur Max PAGES, dans la mouvance Rogérienne des années 70. Un courant libertaire, pour donner des indications idéologiques, c’est à dire un courant Rogérien créatif et offensif vécu dans ses débuts comme assez provocateur et iconoclaste envers les hégémonismes marxistes et psychanalytiques qui tenaient à l’époque le haut du pavé.

Pour moi, cette formation de base englobait ce que l’on appelait la « dynamique de groupe », « groupes de diagnostic », « analyse institutionnelle », et puis la question de « la relation d’aide » d’inspiration rogerienne.

Donc j’ai été initié en 1965, 1966, 1967 par le professeur ABRIBAT à ce qui s’appelait alors «la non directivité». Puis en 70 et 71 par les psycho-sociologues de l’ARIP (Association pour la recherche et l’intervention psycho-sociologique) MaiSonneuve, Lévy, Palmade, Henriquez. A l’époque c’etait un mouvement idéologique très puissant que cette non directivité maniée comme mode d’accès à la création de la connaissance.

Rogers a été une des icônes de mai 68, ici à Bordeaux. En mai 68, j’étais objecteur de conscience et je travaillais à Rouen dans une communauté d’EMMAÜS. C’est dans ce cadre que j’ai commencé mes premières expériences de formateur, d’analyste institutionnel, dans des équipes de prévention de la délinquance des adolescents, a Rouen. Et puis Mai 68 est arrivé. Je suis redescendu dans les amphis à Bordeaux. J’étais tout frais moulu de mon diplôme de psycho- pathologie, et je me suis tout de suite engagé dans une recherche de travail à l’automne. J’ai eu la chance de pouvoir commencer a travailler en faculté de psychologie/sociologie ainsi qu’à l’École d’éducateurs spécialisés ici a Bordeaux, pour enseigner la psychologie sociale et en particulier dans les domaines de la relation d’aide et de la dynamique des groupes restreints.

Cela a été pour moi une école généreuse et vigoureuse. J’y ai fait mes premiers tâtonnements comme professeur. Et la même année, j’ai découvert l’atelier d’Éducation Créatrice chez une élève du pédagogue Arno STERN. Ce rapport à la création allait devenir volcanique.

J’y avais déjà goûté avec l’écriture. J’ai eu une longue histoire avec l’écriture qui a été le déclencheur inaugural de ma naissance à l’expérience créatrice. Une véritable maïeutique. Pour moi l’écriture surréaliste a été un accouchement de mon être-au-monde, une construction de ma propre identité.

La sortie de ma longue adolescence s’est faite par la rencontre du Surréalisme et d’un bouquin de Nietszche « Ainsi parlait ZARATHOUSTRA ». Voilà, c’est ça qui a été l’événement accoucheur : la rencontre du manifeste du Surréalisme d’André BRETON, le Zarathoustra de NIETZSCHE et de façon décisive « le Développement de la personne » de Carl ROGERS, de sa pensée humaniste, de son inquiétude existentielle puissante et généreuse.

Leurs écritures ont ouvert la voie à la mienne, qui a constitué le point de départ d’une révolution intérieure et d’une éruption psychique créatrice qui ont été explosives, extraordinaires, que je n’ai pas abandonné depuis. Mon dernier écrit sur la relation intertransférentielle, dans le fond, procède d’une application de l’automatisme psychique à l’élaboration de la pensée théorique.

Entre le moment ou j’ai commencé la pratique de l’écriture automatique et le moment ou j’ai pu la manier comme ça, dans cette verve et dans cette qualité à la fois poétique et idéologique, pour moi ç’est devenu le centre de mon existence.

Après j’ai découvert l’atelier d'expression picturale d'Arno STERN, j’ai travaillé dans un atelier conduit d’après cette approche. Et là, j’ai vécu à nouveau une expérience intérieure bouleversante. Cela s’est passé par strates, par paliers, c’est comme des couches géologiques ou des poussées volcaniques. Comme les étages successifs d’une fusée.

J’ai travaillé dans cet atelier STERN, et j’ai ouvert un deuxième pallier de liberté, cette possibilité de décrocher de l’abrutissante normalité culturelle. Dans un premier temps je me suis dégagé de la norme éducative, de mon éducation religieuse. Avec la peinture j’ai découvert tout un monde, tout un espace interne inconnu de moi , un monde qui m’était étranger, très inquiétant. Moi, les feuilles sur les murs, je les peignais du plafond jusqu’au sol, avec des trucs assez monstrueux, des personnages complètement émaciés, des scènes d’apocalypses… c’etait superbe ! Ma jubilation, c'était superbe. Cela se passait dans un atelier avec des enfants. J’avais un copain, un petit garçon de 5/6 ans qui m’interrogeait beaucoup sur mes personnages. Il regardait « mes trucs ». Il etait très préoccupé de ce que je faisais, il etait très en communication avec moi et avec mes personnages. Et moi, dans cet atelier, j’ai métabolisé une foule de choses sans m’en rendre compte.

Dans ma première expérience avec l’écriture, et dans cette expérience-là avec la peinture, j’ai expulsé une foule de « trucs » inconscients. J’ai assisté éberlué au dépliement d’un image de souffrance affective qui était bien la mienne. jusqu’au jour où il m’est arrivé quelque chose de définitif, une espèce de condensation assez violente. A cette époque, l’animatrice de l’Atelier était enceinte de huit mois. J’avais peint une énorme bonne femme, qui occupait toute la surface du mur. J’etais monté sur une échelle et j’etais entrain de peindre le mamelon gauche. J’etais avec mon pinceau, très concentré, très très près de l’Objet, et tout d’un coup j’ai eu le flash ! J’ai accroché le signifiant si on peut dire, ou plutôt c’est le signifiant qui m’a accroché. J’ai instantanément compris que j’avais recrée dans l’espace le rapport du nourrisson et du sein maternel. Je me suis vécu à ce moment là dans la position du nourrisson, d’une bouche et d’un sein incarnés au bout de mon pinceau, littéralement en symbiose, là. (c’est ça que j’appelle la pulsion métamorphique). Et ça a fait en moi une espèce de décharge affective, d’émotion innommable. Une espèce de plénitude comme on en rencontre rarement. Peu de temps après cette expérience, j’ai arrêté d’aller dans cet atelier. Je n’avais plus besoin de peindre.

Peu de temps après, j’ai découvert à coté de chez moi un atelier d’argile, tenu par un vieux monsieur qui laissait son atelier ouvert aux gens, aux itinérants de passage. Et donc, après quelque hésitation, je suis entré, j’ai observé un certain temps, et je me suis laissé aller. Je me suis précipité dans l’argile. Et je reprenais exactement ma création à l’endroit où je l’avais laissée avec la peinture. C’est comme si je bénéficiais d’un transfert affectif immédiat d’apprentissage du langage précédent sur celui-ci. Ce phénomène s’est reproduit par la suite avec d’autres médiations, avec le collage, avec la théâtre, à nouveau avec l’écriture, et aujourd’hui avec l’écriture théorique…

De l’écriture et de la peinture j’ai transféré sur l’argile une liberté, une capacité a supporter le monstre, à débusquer le monstrueux en moi. J’ai poursuivi avec l’argile le travail de révélation dans des intensités qui ont été assez violentes pour moi, violente dans tout ce travail de construction du soi, de quelque chose qui prend corps, d’une constitution d’un corps, le mien, d’une incarnation, en particulier dans l’expérience que je vivais de ma sexualité.

Tout ce déferlement affectif s’est mis en représentation dans la vie fantasmatique, dans la vie imaginaire, et dans la création. Et je trouvais que ces lieux etaient fabuleux parce que, sans qu’il y ait eu d’intentionnalités, ni de cadre, ni de dispositif conçu pour ça, il se produisait en moi : d’un coté un travail d’évolution, de transformation de ma propre expérience, de mon identité, du sentiment de moi-même, du début d’une estime de moi-même ; et puis de l’autre côté je ressentais que dans cet espace du faire il me manquait quelque chose, il n’y avait pas de place pour une parole. Rien ne se disait de ce qui se bousculait en moi. Je voyais sur les autres personnes ce que mon travail déclenchait. Comme ça, sans s’en rendre compte, nous sommes passés d’un atelier de poterie à un atelier d’expression. Cette expérience-là a été la clé de beaucoup de choses qui allaient devenir ma vie professionnelle.

Parallèlement, nous étions à l’automne 1968, je commençais mes premiers groupes à la faculté de psychologie. J’animais des groupes d’analyse de la dynamique des groupe restreints. C’étaient mes premières prises de risques professionnelles. Il y avait là 10/12 étudiants autour d’une table, 8 heures par jour, 2 jours et demi en suivant, qui avaient pour tâche d’analyser les phénomènes affectifs, psychiques, relationnels qui se développaient dans le groupe singulier que nous formions, et moi, je conduisais un travail d’élaboration avec eux sur le vécu très perturbant de cette situation fabriquée et artificielle. C’est cela que j’avais appris à faire dans ma formation. et c’est que je faisais. Je pensais que ce que moi j’avais vécu comme client dans ces groupes, que les bouleversements puissants dont j’avais été saisi comme naissance à ma parole de sujet, comme une mise en marche irrépressible du travail de la pensée… C’est-à-dire que j’ai pu commencer à parler dans ces dynamiques de groupe, avec une parole à moi, à dire moi, à dire“je“, à ne plus être assigné dans le discours social, catholique, scolaire.

C’est de la collision de ces deux espaces dans ma tête, d’un lieu d’expression où l’on parle mais ou on ne fait rien, et de l’autre d’un lieu où l’on fait mais où on ne dit rien, que m’est venue le désir de créer un outil dans lequel j’allais intégrer l’expérience créatrice, à l’époque je disais « expression », et le travail analytique de la parole. Et c’est a ce moment là que j’ai rencontré le professeur Max PAGES.

J’ai eu une belle chance que cet homme ait été impressionné par ma façon d’être, par mon mode de présence personnel, par mon trafic avec les médiations créatrices. Après un séminaire sur la relation d'aide auquel je participais, dont il était animateur, il m’a demandé de venir travailler avec lui et avec une équipe de jeunes psycho-sociologues européens qu’il avait réunis autour de lui.

C’est dans ce « Laboratoire de changement social » que j’ai ai commencé à élaborer ce qui est devenu à ce moment là de notre histoire « Ateliers d’expression de la personne dans une situation de groupe ». Nous l’avions appelé ainsi à l’époque. C’ était exactement une prèmaquette de ce qui deviendra l ’Atelier d’expression polyvalent" qui en a été la concrétion professionnelle. Les premières fois que nous avons travaillés ensemble sur ces bases où j’introduisais la dimension créatrice, c’étaient des expériences assez sauvages , initiatiques. J’introduisais dans l’univers analytique de PAGÈS la dimension de la création, des médiations créatrices. Lui, il apportait toute sa capacité analytique, ainsi que son travail avec le corps très gouverné à l'époque par ses identifications conflictuelles aux têtes de série de la psychanalyse (Freud/Reich) .

Il était pas mal fasciné par REICH, par le côté bioénergie. Et à tous les deux nous avancions chacun pour soi dans une synthèse dialectique de nos deux modes de relation au groupe, à la médiation et au travail analytique.

Ce travail de coçndensation interfleuente entre nos deux approches est devenu cet atelier que j’ai mis en travail pour la première fois dans l’ histoire des institutions psychiatriques, dans l’hôpital de jour créé par le Dr Michel Demangeat (Lacanien de première main) et Jean Broustra qui était alors un jeune psychiatre soixanthuitard, en alerte vers le monde de l’Art et de ses ressources. C’est pour ça qu’ils sont venu me chercher. Broustra était encore allongé sur le divan. C’est sous sa supervision en 72/73 que j’ai commencé à mettre en œuvre mon atelier thérapeutique d’expression qui ne s’appelait pas encore un atelier polyvalent et que j'ai ensuite j’ai baptisé « corps et paroles ».

Voilà toute l’histoire de la construction des fondations du modèle qui plus tard (en 1984) a enfanté l’idéogramme « Art CRU » et la praxis que j’y ai engagée de façon résolue etsoutenue depuis.

En 1976, je travaillais ensuite à l’hôpital psychiatrique Chateau PICON de Bordeaux, dans le service que Broustra avait quitté pour diriger le service de Libourne. C’est lui qui m’a initié à la rencontre avec la psychose, avec ce mode de défense contre l’angoisse de mort, et à travailler avec ces personnes massivement instrumentalisées en psychotiques.

Je me sentais complètement à l’aise dans ce travail. Et ils étaient très heureux les toubibs que quelqu’un prenne ce type de risque. C’est cette équipe que nous formions avec mes collègues d’obédience Sternienne de « l’Association girondine d’éducation créatrice » dont je constituais le centre nerveux idéologique qui a commencé à ouvrir des ateliers d’expression dans les hôpitaux de jour.

J’étais cette année-là président de ce groupe, c’est tombé à ce moment là, et j’ai dis « d’accord je viens animer des ateliers », et d’entrée de jeu j’ai proposé des ateliers à médiations multiples pour ces personnes labellisées psychotiques. Et cela fonctionnait très bien, c’étais un lieu extraordinaire. Un lie d'asile dans l’asile.

Par la suite, j'ai noué une véritable vocation vers la formation que j'explorais parallèlement avec Max PAGÈS dans le cadre du Laboratoire de Changement Social. J’ai fait une proposition à Jean BROUSTRA et à un autre ami Jean-Marie ROBINE (créateur en germe de l’Institut Bordelais de Gestalt), de créer une association qui allait s’appellera I.R.A.E : Institut de Recherche/Animation Expression, avec cette idée de la recherche-action, c’est à dire qu’on engageait expérimentalement des pratiques pour travailler intellectuellement et pour produire du changement, dans la continuité de mon travail avec le laboratoire de changement social, avec PAGES. Et là on a commencé à construire et élaborer ensemble des modèles de formation, dont l’axe pédagogique a été dès le début celui que j'avais transféré de ma formation psychosociologique et que l’on a adopté dans nos formations d'animateur dans le partage des séances entre Atelkier Expérientiel et Temps de Parole, dispositif que je reforgeais pour notre propre compte.

C’est autour de ce noyau idéologique fondé sur une" dynamique de groupe" ouverte aux médiations créatrices, articulant l’expérience créatrice et l’élaboration de l'expérience vécue dans la parole que s’est condensé le concept d’Art CRU.

Et puis l’histoire s’est ensuite développée de manière un peu tumultueuse dès l’instant où, dans cette association l I.R.A.E., j’ai demandé à ce que cela devienne un centre de formation professionnalisé. Je désirais que cette association se transforme en organe de formation, et que je puisse y développer mon emploi. Je l’avais créée dans cette visée, mais mes partenaires, Robine et Broustra, ont refusé tout net de s’engager dans cette aventure, car cela aurait impliqués une disponibilité qu’ils ne pouvaient pas accorder, car ils avaient tous des engagements de cadre dans leurs propres institutions de travail. Ma demande a ouvert une crise violente dont l’institution a fait les frais. J’ai donc démissionné, je suis parti et j’ai crée les Ateliers de l’Art CRU.

Dans le processus de construction de cette première institution, les Ateliers de l’Art CRU sont nés directement de cette expérience de déchirement institutionnel et de séparation féconde.

Donc cet ART CRU, a été pour moi un authentique moment d’inspiration, un acte poétique qui a formé un centre nucléaire organisateur de la totalité de mon existence. Ça a constitué le noyau dur de toute une mise en symbolisation complexe de l'ensemble du champ dans lequel je me trouvais engagé.

Donc il y avait l’ART CRU dans son versant thérapeutique, l’ART CRU dans son versant formation et potentiellement l’ART CRU inscrit dans le champ culturel et artistique, puisque très tôt et simultanément sous ce signifiant d'Art CRU j'ai ouvert une Galerie d'Art, donné naissance à l'ART CRU MUSEUM, créé le centre de formation des Ateliers de l'(Art CRU, et j’ai commencé à accompagner une ou deux personnes en analyse individuelle, Je n’ai jamais cessé depuis lors mon engagement dans ces trois espaces de création.

L’Art CRU ça n’a rien à faire avec un mouvement artistique. L’Art CRU ça désigne un cadre pour travailler, pour ouvrir ce processus de connexion entre l’inconscient et le langage. C’est un peu comme ça que je le définis. Création d’un cadre et d’un dispositif qui vont déclencher chez les personnes qui acceptent d'investir profondément ce cadre le désir de créer, dans un contexte tel que ce désir de créer va être utilisé comme moteur de recherche au service du travail analytique de la personne.

SR : Pour vous et d’après ce que j’ai pu en vivre au cours de ma formation, chaque médiateur plastique agit à différents niveaux sur la personne, pourriez vous m’en dire un peu plus ?

GL : Cette pensée est pour moi le fruit d’une longue observation qui a jalonné mon parcours dans la rencontre des médiations.

J’ai commencé mon propre processus avec l’écriture, puis avec la peinture et ensuite avec l’argile ( les médiations langagières basiques), et cela m’était évident que chacun de ces langages n’a pas eu les mêmes effets sur moi. A partir de ces observations ( observation est la traduction étymologique du mot d'origine grecque « théorie »), j’ai développé effectivement une théorie selon laquelle dans ce jeu de la création, dans ce processus d’expression affective médiatisé, chaque médiateur n’atteint pas les mêmes zones de l’expérience affective (l'inconscient des psychanalystes).

Pour moi, l’expérience inconsciente c’est très différent de ce qu’en dit la psychanalyse académique. L’expérience inconsciente ça désigne au fond la structure basique de notre mode d’être-à-l’autre et au monde, à la façon dont cela s’est mis en place au moment des premières relations du nourrisson avec la mère (les relations "objectales"). Dans tout ces processus de construction originaire de l’identité jusqu’à l’acquisition de la pensée, c’est comme des zones géologiques intriquées. Il y a des zones affectives, des strates affectives qui se superposent s’enchevêtrent au fur et à mesure du développement du nourrisson, du petit enfant, qui forment la structure des liens du sujet au monde interne et externe. Ces structures deviennent des invariants, quelque chose qui se met en place une fois pour toutes. C’est quelque chose sur lequel on va pouvoir avoir une emprise plus tard, mais la totalité de notre mode de rencontre aux autres dans la suite de notre existence est fondamentalement surdéterminé par cette base structurale. C’est ça pour moi l’affectivité, c’est la structure du lien au monde, du lien à l’autre tel qu’il s’est mis en place dans les deux ou trois premières année de vie de l’enfant, jusqu’au moment au fond, ou il va se séparer complètement de la mère en partant à l’école, c’est à dire du passage de la symbiose à la socialité.

Dans tout ce processus, dans tout ce parcours, l’enfant construit des modes de rencontre dans des plans différents. Au début ça va suivre les classiques stades élaborés par la psychanalyse. Mais cette notion de « stade » apporte autant de confusion qu’elle n’en résout, car elles donne à entendre qu’il existerait des sortes de strates établies, identifiables, isolables les unes des autres dans la maçonnerie psycho-affective là où l’expérience elle-même est fondamentalement homogène. La croissance procède par recrutement et intégration de nouveaux modes d’expérience liés à la maturation et à l’élargissement du champ expérientiel du sujet. Ce concept de stade empêche de penser la complexité. Toute une première partie de l’expérience vécue, qui n’est pas présente dans les premières élaborations de la psychanalyse Freudienne, a trait au rapport à la somesthésie, à la peau, au fait d’avoir traversé l’expérience intra-utérine, de s’en être séparé (Dolto l’aborde beaucoup), le traumatisme de la naissance et puis après l’oralité, le développement des zones érogènes, tout cela, c’est ça les « strates ». Mais ces choses là, ces objets théoriques ne sont stratifiés que dans la théorie, pas dans l'expérience.

Il y a cet érogène, cet archaïque de la peau, cet érogène inaugural de la bouche et du sein en particulier au travers de la théorie Kleinienne, à partir de quoi la pulsion vitale irradie dans toutes les directions et agrège le mode d’être au monde, d’être à l'autre…Tout part de cette expérience que le sein et la bouche sont la même chose, et puis de la séparation, du rapport à la satisfaction et des processus d’individuation, de l’émergence et du recrutement progressif de l’érogénéité vers les zones génitales… c’est ça les strates qui vont être la cible de la pulsion créatrice dans son rapport aux langages de la création.

Globalement ça regroupe ce que FREUD en a dit et ce que la psychanalyse en a développé… Alors mon idée avec le processus œdipien, le père, la fratrie, ces stades successifs sont reliés entre eux non dans un rapport de contiguïté mais dans un rapport de coalescence. Ils sont toujours coexistants, permanents…toujours de l’ordre du déjà là. Il y a une donne affective qui est permanente, invariante, qui englobe toute l’expérience au sein de cette espèce de continuum qui n’est stratifié que dans le langage, dans la pensée. C’est dans cette matière phénoménale que l’identité se forme, que la séparation s’opère, que l’individualité se construit et que le sujet commence à exister en tant que sujet séparé, différencié de la mère, dans le jeu des processus d’identification. Et bien chaque médiateur opère comme une sorte de forage dans l’une ou l’autre de ces formations affectives, l’ irrigue, autour et à partir de ce point d’accroche. C’est ainsi qu’opère l’affinité élective d’une médiation qui va être privilégié par les participants de l’atelier et d’une aire de symbolisation potentielle.

Pour relier tout ça en définitive, il faut refaire le parcours en sens inverse, c’est à dire déclencher un travail de régression, et à partir de cette régression repartir dans un autre mode de construction narcissique, dans un autre rapport à soi, dans un autre rapport au monde.

Voilà un peu mon idée, c’est une représentation théorique du processus de la construction de soi.

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C’est très intéressant en particulier quand on travaille avec des gens qui sont complètement abîmés du côté de la socialité, de la relation émotionnelle et affective à l’autre. Les ateliers d’expression créatrice sont des modes d’entrées qui permettent au gens de manière quasi immédiate, quasi instantanément, d’aller sur leur point de plus juste présence affective. C’est le centre du mystère de l’expérience créatrice. Quand on se place dans cette position - la question du cadre est très importante - quand on accepte ce cadre, quand on accepte de rentrer dans ce cadre, d’adopter le dispositif et les médiateurs qui sont là, et bien il se produit quasi instantanément un mouvement profond et irrépressible de régression. Ce n’est pas nécessairement une régression affective . En tous cas il se produit un processus immédiat de connection entre le langage, la capacité langagière propre à la médiation et la vie affective de la personne à l’endroit ou cela a été mal fait, là ou quelque chose c’est mal passé . « Quelque chose a eu lieu, qui n’a pas trouvé son lieu de représentation » dit Winnicott, et l’Atelier est là comme lieu pour créer cette possibilité de représentation.

Offrir à la personne ce lieu d’être que constitue l’atelier et le rapport à la médiation qui y est instauré, et c’est cela qui se passe.

Il y a un mode de régression æ sthétique qui n’implique pas de facto une régression affective/émotionnelle., c’est à dire que le sujet l’expérimente dans le plan langagier, dans le jeu de la représentation. Il se « branche » directement a l’ombilic affectif complètement à son insu. C’est un processus complètement inconscient.

SR : C’est vrai j’ai constaté tout cela, et c’est pourquoi j’ai envie de comprendre, J’ai conscience de na pas avoir travaillé la même chose avec l’argile, la peinture et l’écriture.

Qu’est-ce qui fait la différence des émotions ressenties, par exemple un certain blocage en peinture et une réparation en argile ?

GL : Exactement !

SR : Et ce blocage, a permis une réparation ensuite et ainsi de suite.

GL : Oui, oui, tout à fait. Il n’y a pas de hiérarchie dans ce rapport aux médiations. Il y a des zones affectives, des matières qui mobilisent de façon privilégié ces zones affectives…par exemple, si on travaille avec l’argile, c’est clair que les zones affectives qui sont mobilisées sont celles de la somesthésie, de la sensualité. Cela va travailler directement dans l’espace interne, dans la représentation des contenus internes du corps, des images fantasmatiques du corps, des images inconscientes du corps, pas au sens ou on se les représente culturellement. Ce sont des traces des premières expériences émotionnelles qu’a vécues le bébé dans la rencontre avec le corps de la mère et qui va mettre en place ensuite tout son dispositif de communication à l’autre et donc dans certaine médiation, comme par exemple l’écriture ne peut pas fonctionner comme l’argile et n’empêche que pour certaines personnes l’écriture va pouvoir fonctionner comme ce petit missile souterrain qui va aller directement du côté de ce rapport au symbolique mais qui va constituer un rapport au réel, il y a des gens avec l’écriture, ils atteignent directement la matière des objets internes.

Donc, il n’y a pas une hiérarchie, chacun utilise les médiations sûrement en fonction d’enjeux de nature différente, c’est à dire que dans l’espace de l’atelier, il n’y a pas que la médiation de l’argile ou de la peinture, il y a aussi le groupe. La dimension groupale est très importante (au niveau de nos hypothèses de travail). La dynamique groupale fonctionne aussi pour la personne, pour toutes les personnes d’un groupe comme un phantasme inconscient, c’est à dire que le groupe, en tant qu’entité, réanime chez chacun sa relation à l’espace interne du corps maternel, le groupe représente un phantasme intra-utérin.

Le groupe existe aussi en tant qu’entité phantasmatique qui peut-être vécu par certains comme extrêmement persécuteur, pour d’autres dans une dimension beaucoup plus régressive et fusionnelle. Le groupe va être un lieu de développement de l’activité phantasmatique individuelle à partir de cette entité là – groupale - constituée comme telle dans l’expérience inconsciente.

C’est à dire que quand on est animateur tout seul dans un groupe, en réalité, pour les participants, on est deux. On est plusieurs à constituer cette surface symboligène. Il y a deux ou trois entités fantasmatiques susceptibles d’être utilisés par les participants : il y a la médiation, il y a l’animateur (avec toute la capacité d’utiliser l’animateur comme imago parentale, comme figure fantasmatique parentale), et puis il y a le groupe.

Il peut également y avoir le lieu comme surface projective, , comme par exemple le clos lieu de STERN. Là aussi ça va aller renforcer l’imaginaire du coté de l’espace interne.

SD : Lors d’une plénière vous aviez parlé d’une triangulaire «participant /matière /animateur »

GL : Une triangulation, oui.

SD : Comment l’articulez-vous ?

GL : L’idée que je défend là fait référence différentielle avec la situation psychanalytique, comme différentiel par rapport à la situation psychanalytique duelle lorsque l’on est dans le cadre de la cure type. Ou dans la situation d’entretien psychologique de psychothérapie, ou de psychothérapie psychanalytique, où on est en rapport de face à face duel, et la médiation c’est l’activité psychique et la parole articulée au process associatif.

Ce qui s’échange avec la parole dans l’atelier, n’est pas dans cette position duelle. Il y a une aire intermédiaire de jeu entre l’animateur et la personne, qui exempte le sujet d’être en communication frontale avec l’analyste, ou avec toute personne qui travaille l’élaboration du sens avec un client.

Donc la triangulation c’est : le sujet /l’animateur/la médiation ainsi que l’aire intermédiaire de jeu par ou le champs de l’inconscient est d’une certaine façon dérivé et où le sujet est exempté de cette astreinte à la communication duelle qui pour un certain nombre de personne peut-être très difficile, très angoissante et très inhibante. Il y a des psychanalyses qui peuvent durer des siècles, 10,15 ans, il y a des gens qui sont en psychanalyse toute leur vie.

Donc l’histoire de la triangulation pour moi fonctionne comme différentiel et offre un avantage considérable parce que le sujet se sent dans un possible rapport de maîtrise avec les objets, il exerce un contrôle plus direct, la fonction de l’animateur du même coup devient différente, elle est latérale, c’est comme une position d’accompagnement, d’accueil et puis pour finir, on rejoint tout de même un espace de parole avec des Objets concrets à se mettre sous la langue.

On va se retrouver dans l’ouverture à un en-dire de ce qui c’est passé dans l’espace, dans cet espace-là à ce moment-là, dans cette aire de jeu, avec des traces sensibles. Cela change considérablement les choses.

Cela a un autre avantage cette situation d’atelier, en particulier au moment du temps de parole, c’est que ça permet à la personne d’avoir un objet de pensée, qui est l’expérience vécue qu’il vient de vivre, l’expérience de création qui constitue un objet immédiat ou sont présents – présentifiés - tous les objets de son expérience vécue consciente et inconsciente.

Tout est là de ce qui est d’un possible à dire, tout est présent sans que l’on ait à se nourrir de sa propre substance psychique, c’est encore un différentiel par rapport a la psychanalyse, c'est que dans la psychanalyse la médiation, c’est la médiation psychique autrement ça s’appellerait pas psycho-analyse, où la seule médiation réellement consommable, autorisée, c’est la médiation associative, psychique et verbale. C’est un espace très volatile, au demeurant, autophagique.

Dans le travail de création il y a une expérience essentiellement corporelle…créer c’est faire, créer c’est engager du corps et engager du corps c’est vivre des expériences émotionnelles, c’est vivre des mouvements affectifs incarnés qu’on va pouvoir prendre comme objet d’élaboration et les objets d’élaboration sont complètement chargé de l’histoire de la personne, ici et maintenant. On en revient la aussi à ROGERS, c’est que c’est l’ici et maintenant élargi à ce temps immédiatement antérieur, tout frais, directement en miroir de traces infaillibles, qu’a été le temps de l’atelier qui constitue la matière du travail d’élaboration.

SD : Et pour revenir justement au concept fondateur, on a beaucoup parlé effectivement de Carl ROGERS, d’Arno STERN, de Mélanie KLEIN, de D.W WINNICOTT, de Françoise DOLTO, donc par rapport à l’art cru c’est quand même sur les théories de ces chercheurs que vous vous appuyé ?

GL : Oui, j’ai été pour beaucoup dans le choix, le développement des recherches

d’un certain nombre de personnes qui pour moi sont convergentes chacune dans un plan différent.

Fondamentalement il y a le cadre de la relation centrée sur la personne, Rogérien donc, non directif, qui a été inaugural dans le processus instituant que j’ai fondé. Ensuite WINNICOTT. Pourquoi WINNICOTT ? Parce que c’est une personne qui a réfléchi à la question de la créativité de manière fondamentale et qui a subvertit la psychanalyse académique parisienne et allemande, qui a introduit du jeu dans les discours , il a desserré les signifiants de la psychanalyse, il a fait preuve d’originalité, il a développé un courant assez libertaire, ouvert à la mise en tension idéologique et clinique. Ce qui m’intéressait chez lui, c’est sa théorie du jeu et sa théorie de la « transitionalité ».

C’est quelque chose de tout à fait remarquable cette théorie des objets transitionnels et cette lecture particulière du processus d’individuation, c’est à dire comment on passe de la position du sujet symbiotique d’adhésivité, de collage à la matière placentaire et au sein, à la position d’individu séparé. WINNICOTT a dit des choses définitives là-dessus et c’est la raison pour laquelle il est là. Et en plus, son cabinet de psychanalyste(tel qu’il est décrit dans « la petite Piggle » est vraiment conçu comme un atelier d’expression.

Mélanie KLEIN, elle m’intéresse parce que c’est elle qui a le plus exploré la problématique affective avec toute la question de la vie fantasmatique archaïque. Chez elle et chez les post-Kleinien, Piera AULAGNIER, Geneviève HAAG… il y a un certain nombre de gens qui ont pris appui sur sa pensée pour développer toute cette réflexion sur les objets phantasmatiques et la vie affective, la problématique de l’amour et de la haine tellement reliée a la construction affective originaire.

Donc Mélanie KLEIN, c’est un incontournable . Aussi et beaucoup plus récemment Françoise DOLTO, pour sa dimension personnaliste, c’est à dire que ces gens là s’entendent bien sur le fond affectif de la situation analytique, surtout WINNICOTT et DOLTO d’ailleurs, pour dire que ce qui est opérant dans un travail de transformation de la personne, c’est le fait de se sentir considéré comme une personne.

Voilà donc les piliers du référentiel théorique de ma praxis.

Carl ROGERS, c’est sur la question de la communication : qu’est-ce qui dans la communication non directive est opérateur de changement ? Il s’intéressait essentiellement à la question de l’opérativité de l’écoute, de l’écoute active de la personne, la non influence, l’accueil , la positivité de la personne, il y a une philosophie derrière cela, une représentation de la personne très positive.

WINNICOTT, c’est la théorie du jeu et la théorie de la transitionalité, comment se forme la pensée chez le petit enfant, ce n’est pas rien cette question et personne n’a dit des choses nouvelles depuis à ce sujet.

Mélanie KLEIN, c’est l’univers de l’image, des images fondamentales avec tout le travail autour du monstrueux.

Françoise DOLTO : le client est une personne et s’il arrive à ressentir ça de la part du thérapeute ou de son analyste, ça le fait grandir.

Alors dans l’atelier, tous ces référents, c’est des épices pour la cuisine du CRU…Il y a cet ensemble de choses qui se repèrent dans la façon dont on travaille avec vous dans votre formation, on essaye que vous vous construisiez en vous faisant découvrir des raccourcis.

Moi, j’ai fait des centaines de kilomètres à pieds, mais vous, on vous amène plus près du camp de base, au pied de la montagne. Vous avez une chance extraordinaire !

Vous n’intégrer pas tout, vous ne comprenez pas tout non plus, mais ces points de repère, comme par exemple si vous arrivez à vous rappeler que les images picturales qui sont produites en atelier, ce ne sont pas les images du corps, que ce sont des représentations des traces émotionnelles des expériences primordiales, après vous pourrez naviguer à vue dans un atelier… si on a compris que ce qui vient se mettre en représentation provient de cette origine-là, de ces traces incrustés dans l’expérience inconsciente, qui restera à tout jamais inconsciente, sauf justement à travers ce langage par lequel cette expérience devient pensable, quand ça travaille ça, et bien il y a des effets de transformation du sujet absolument extraordinaires, et d’autant plus si les gens sont mal, sont déstructurés, sont complètement invalidés dans la construction narcissique d’eux-mêmes…et bien cette mise en situation d’atelier est un opérateur très important, très efficace.

SD : Les personnes qui ne connaissent pas l’Art Cru, font souvent un parallèle avec l’Art thérapie, quel est votre avis sur cette question ?

GL : Alors ça, pour moi c’est une question un peu…je suis assez ambivalent pour répondre. J’ai un point de vue assez tranché sur la question !

Je considère le concept d’Art thérapie comme une hérésie, c’est une alliance de mots intellectuellement insoutenable. Pour moi l’Art est un métier, la thérapie est un autre métier et ces métiers sont absolument inconciliables, incompatibles l’un avec l’autre.

J’ai beaucoup de respect pour les artistes et beaucoup de compassion aussi, parce que c’est un peuple très vulnérable, un chemin dangereux vers la déchéance, la souffrance et l’aliénation.

La démarche artistique est une tentative de sortie de sa propre aliénation, alors proposer l’Art comme mode identificatoire de carrière à des gens qui sont justement dans la souffrance…

L’art fonctionne et il réussit quand justement le processus vient d’une motion individuelle ; et l’Art c’est une motion individuelle qui s’exprime contre l’institution, qui vise à le subvertir et à le détruire. Et l’expérience artistique marche quand ce processus de subversion et de destruction réussit à créer une sidération dans le monde inanimé de l’Autre, c’est a dire quand le sujet bouleverse par sa singularité et par sa capacité à avoir créér son propre code et avoir forcé l’estime et l’admiration des gens, par sa capacité à affronter la solitude et la mort à mains nues, grâce à cette obstination à avoir travaillé comme un fou sur le langage, mais ça c’est exceptionnel. Donc voilà, pour moi l’Art thérapie c’est coca et cola …

Je dis cela sans arrière pensée, ç’est extraordinaire comme un atelier d’artiste dans un hôpital psychiatrique, ça peut-être passionnant.

Par exemple « l’atelier du non-faire », ce film que je vous ai montré, et bien c’est une entreprise remarquable. Le garçon qui l’a lancé, c’est un infirmier, il ne se dit pas thérapeute, il est musicien et peintre, maintenant il ne fait plus du tout de travail d’infirmier. Il dirige à temps plein l’atelier. Les gens viennent, ils peignent, ils improvisent, il leur fait faire des choses assez extraordinaires.

Il est dans une institution de soins mais il ne se pose pas comme un thérapeute, ni comme un Art thérapeute d’ailleurs. Il se pose comme un infirmier défroqué, possédé par la question de la création, prenant beaucoup de satisfaction et de jouissance a gagner sa vie en faisant ce qu’il a envie et en étant reconnu par l’institution. Il arrive à dire à voix haute les discours anti-psychiatriques des années 70, hauts en couleur. Il dit dans ce film ce que chacun sait à oreille basse, que ce qu’il y a de plus dangereux dans la psychiatrie ce sont les psychiatres .

Donc être artiste et modèle d’identification pour des gens dans un atelier, même en hôpital psychiatrique, en tant qu’artiste avec des méthodes d’Art, cela peut tout à fait être intéressant et structurant pour des personnes, mais en aucun cas cela ne constitue un soin, une thérapie. C’est un espace d’évolution personnelle, ce n’est pas un espace analytique. Et puis d’un autre côté, si on construit un cadre thérapeutique, comment peut-on concevoir un cadre thérapeutique autour de cette notion d’activité des personnes autour des méthodes artistiques ou de l’intentionnalité artistique, c’est à dire de la représentation sociale. Cela demanderait des développements mieux soutenus

Voilà, j’espère avoir répondu aux questions principales, et pour toutes celle que nous n’avons pas abordé, je vous renvoie à mes livres ou j’explique tout cela et bien d’autres choses.

SD : Merci.

mardi, 18 août 2015 17:10

Arno Stern : un créateur

Arno Stern : un créateur

 

arno stern 1

Guy Lafargue

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Malgré quelques bourrasques idéologiques sporadiques que j’ai pu déclencher auprès de lui ou de quelques unes de ses adeptes, mon estime profonde pour cet homme singulier - Arno STERN - s’est enracinée dès les années 1970 :

  • Dans sa pensée éducatrice révoltée contre une pratique de l’éducation et de l’enseignement officiels soumise à l’impérialisme de la culture artistique ex-contemporaine.
  • Contre ses perversions répandues dans l'Éducationationale et dans l’univers psy.
  • Dans sa création pédagogique résolument innovante de l'Académie du Jeudi, devenue par la suite l'Atelier du Closlieu. dans la conduite de ses travaux de chercheur sur le processus de la “formulation” et dans sa philosophie de l'éducation créatrice. L’ensemble de ses réalisations et de son travail de pensée est pleinement actuel, incontournables, toujours neufs et vivants.

Lorsque j’ai rencontré en 1969 les premiers écrits d’Arno STERN [1], j’étais déjà profondément engagé au plan universitaire dans une filiation psychosociologique et analytique/thérapeutique d’orientation Rogerienne [2]. Mon travail de création pédagogique et de réflexion sur l’expérience créatrice et sur la relation analytique était déjà profondément nourri aux travaux de Carl ROGERS. J’avais déjà en partie forgé mes premiers outils de pédagogie non directive dans ce qui se pratiquait à l’époque sous le nom de “dynamique de groupe” (encore nommée “ groupes de diagnostic”), auprès des étudiants de psychologie et de sociologie de l’Université de Bordeaux et auprès des étudiants de l’Institut de formation des éducateurs spécialisés. Pour ce qu’il en était de l’accompagnement du sujet dans un processus de développement respectueux de la personne, Carl ROGERS et Arno STERN constituaient un tandem terriblement excitant et efficace : l’un dans le domaine de l’écoute et de la parole, l’autre dans le domaine de l’invitation æsthétique. Chacun des deux dans son territoire spécifique m’apportait une satisfaction profonde, aussi bien que dans la complémentarité de leur approche de l'homme, et par l’harmonie de leur représentation philosophique du monde de la création de Soi.

Ma vie entière, aussi bien personnelle que professionnelle, a été précipitée dans l'aventure créatrice à partir de ma rencontre avec les premiers livres, d’Arno STERN et de l'entrevue qu’il m’avait accordée à Paris, il y a quarante ans aujourd'hui quasiment jour pour jour, dans son Atelier encore connu sous le nom d’Académie du jeudi [3]; et de la qualité de l'expérience de deux années vécue dans l'Atelier de son élève de Bordeaux, Marie-Annick MORIER ; et du rôle que j'ai moi-même ensuite joué dans son Association Girondine d'Éducation Créatrice (dont j'ai été pour courte une période le président) qui a été le tremplin de mon engagement comme thérapeute en psychiatrie à l’automne 1972.

Depuis 1975, année de naissance de mes premiers Ateliers d’Expression dans le champ de la formation permanente, j'ai été, auprès de mon public, un passeur fidèle et exigeant de sa pensée pédagogique, de sa conception du processus de l'expression créatrice qui ont été, dans mon propre parcours, un point de départ et une référence intangible, consistante, et qui le demeurent aujourd’hui.

Dans mon travail de formateur, j'ai toujours profondément respecté ses travaux et concouru de façon positive à le faire connaître dans les groupes de formation, tout en précisant ce qu'il en était de mes choix praxiques, en tension dialectique avec ceux d’Arno STERN. Comme on le dit des alpinistes, j'ai ouvert une nouvelle voie, m'appuyant sur un certain nombre de ses principes éprouvés, mais visant un autre sommet, encore inexploré. Notre point commun fondamental étant avant tout une conception du sujet humain et de son développement heureux dans le jeu de la Création.

J'ai expérimenté, tout au long de mes quarante années d’aventure professionnelle, le bien-fondé de sa théorie dynamique de l'Éducation Créatrice lorsqu’elle était appliquée au domaine du soin analytique. Comme nous le verrons dans son exposé et dans le débat qui suit, la problématique de la sémiologie de la formulation [4] (qui aujourd’hui préoccupe de façon centrale et exclusive sa pensée, au détriment selon moi de la dimension éducatrice qui le préoccupait au début de sa carrière, éducatrice qu'il a indéniablement créée), n’était pas encore au point de maturité où elle se trouve aujourd’hui.

Je n’ai personnellement aucun attachement à ce contrefort sémiologique de sa pédagogie (on trouve ça aussi aujourd'hui chez les ecclésiastiques de l'art-thérapie). Je ne m'occupe pas des signes, je m'occupe des signifiants. Je ne m'occupe pas de la trace langagière (qui passionne tellement Arno STERN , je m'occupe de l'émergence des mnésies[5] affectives. Ma tension heuristique à moi, en tant que praticien du soin et que chercheur, est entièrement occupée des rapports entre l’expérience créatrice et la relation analytique :

  • comme analyste / thérapeute capitalisant l’expérience d’un engagement totalement atypique dans les domaines de la relation analytique/thérapeutique et dans celui de la formation ;
  • comme théoricien “expériencialiste” en travail de transmission des connaissances que j’ai acquises dans ces domaines depuis 1966 ;
  • et comme créateur engagé aujourd’hui dans un projet artistique.

A partir de mon implication dans la problématique du soin analytique (à partir de 1972) et dans celle de la formation, j'ai construit un autre modèle, inspiré de son dispositif, puissamment opérant auprès de personnes en grande détresse affective, pour lesquelles j'ai mis en chantier ma propre institution que j’ai nommée “Art CRU”.

Pour ces personnes en souffrance profonde et en réelle demande de soin analytique, j'ai choisi d'ouvrir le cadre de l'Atelier à la dimension de la Parole, qui n'est en aucune façon assimilable : ni à du commentaire de texte, ni à de l'interprétation des productions, comme Arno STERN en prête encore systématiquement l'intention à ses interlocuteurs. La pratique de la Parole dont je parle, à laquelle Arno STERN oppose une fin de non recevoir catégorique, porte sur l’élaboration de l'expérience vécue par chacun dans le cours du jeu de création aux plans affectifs, émotionnel, psychique et mnésique, dans le mouvement même de leur émergence.

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JOURNÉES PROFESSIONNELLES DE RENCONTRE DES
ANIMATEURS D'ATELIERS D'EXPRESSION CRÉATRICE

 "Joupros" convoquées par les Ateliers de l'Art CRU

Meschers - Septembre 2009

Fragments du débat publiés
dans les Cahiers de l'Art CRU N° 36

arno stern 2

Guy Lafargue introduit le débat consécutif à la présentation du film d'Arno STERN sur la formulation. Le texte ci-dessous est composé de quelques fragments dont le lecteur pourra reconstituer la totalité en se reportant au Cahier de l'Art CRU N° 36 présenté dans la "Librairie" du site.

Guy Lafargue :

"Nous venons de découvrir en direct votre représentation du monde de la formulation, que nous avons, pour la plupart d'entre nous, déjà abordée de manière un peu théorique. C’est quelque chose de très vivant pour nous de rencontrer cette source.

J’ai bien envie que les personnes qui sont ici - vous êtes en terrain conquis, même s’il subsiste peut-être des ambiguïtés, des conflits de représentations - que l’on puisse vous poser librement des questions et que vous puissiez y répondre."

"Question d'une participante : Pourquoi dire que c’est programmé "organiquement"?

Arno : L’erreur commise depuis qu’on s’intéresse à la trace de l’enfant a été de penser que l’enfant restitue ce qu’il a regardé, autrement dit ce qu’on appelle l’expression serait la conséquence de l’impression, ça c’est l’erreur initiale. Il faut naturellement se débarrasser d’une telle idée. Donc l’origine de la trace, ce n’est pas ce que l’enfant a reçu, ce n’est pas ce qu’il a vu mais c’est quelque chose qui est en lui, et qui est contenu dans sa mémoire organique. Il faut savoir qu’il existe une telle mémoire qui est en relation avec le programme génétique, c’est ça l’origine de la plus grande partie de la formulation, pas seulement."

Guy Lafargue

"J’aimerais ouvrir ce débat sur une question qui est exclue dans votre élaboration théorique de l’expression, de façon sûrement délibérée de votre part, qui est la question de l’absence de l’expérience affective actuelle de la vie de l’enfant dans le jeu de création ; et de voir comment l’atelier n’est pas seulement un lieu d’actualisation de quelque chose qui est de l’ordre de la mémoire organique, mais qu’il y a aussi une mémoire historique. Il demeure une question qui est celle de l’histoire affective de la construction de la personnalité de ces enfants, de ces adultes qui viennent dans l’atelier. Quand vous rencontrez ce mouvement d’émergence des formes, vous observez seulement la formulation . Alors ma question reste de savoir comment vous, concrètement, vous observez aussi la présence de l’expérience affective. C omment cela se traduit, l'expérience singulière, historique, subjective, qui n’a rien à voir avec la génétique ? Comment, dans l’atelier, sont accompagnés ces mouvements affectifs ? Comment transparaissent-ils à vos yeux dans la formulation et dans la relation singulière, affective, de vous, Arno, avec chaque enfant dans le cadre de l’atelier, et avec le groupe des enfants de l’atelier ?

Arno : Il n’y en a pas. Il n’y a pas de relation affective ! C’est tout à fait autre chose. Il faut savoir que, bien sûr, l’être a des sentiments, des sensations, des aventures, tout ce qui fait partie de la vie d’une personne peut être traduit par la formulation. Mais ça c’est, je dirais, l’aspect extérieur, l’aspect banal ; tandis qu’il y a quelque chose de beaucoup plus originel, de beaucoup plus important, qui peut être formulé par la formulation et ça c’est absolument unique.

On peut parler de ses problèmes, de ses déboires, de ses déceptions ou de ses plaisirs, on peut en parler avec des mots, mais ce que la formulation permet de manifester échappe au discours, échappe à la réflexion, échappe au raisonnement et c’est ça qui le rend précieux. Alors évidemment si un enfant a un malheur dans sa vie : il avait un poisson rouge et puis le poisson est mort, il en est attristé, s’il fait un dessin peut-être qu’il va représenter le poisson mais ça, ça n’a pas grande importance, ça c’est de l’ordre anecdotique. Ce qui est beaucoup plus important c’est ce qu’il y a en dessous ou en deça de cette représentation.

De toute manière moi je ne m’intéresse qu’à la généralité, jamais au cas particulier. Moi je ne m’intéresse pas à l’histoire d’une personne. Ce qui m’intéresse moi c’est ce qui est universel, ce qui est commun à tous les êtres humains. Et lorsque je vous parle d’un phénomène, ce n’est pas un phénomène qui s’est produit chez une personne, mais c’est quelque chose qui est généralisable.

Ce que je reproche aux gens qui analysent des dessins, c’est qu’ils s’intéressent à un seul cas et ils argumentent là-dessus et ils le présentent comme une vérité absolue, c’est pour ça que je vous ai cité les interprétations de Balbeau[6] par exemple. Et les personnes qui interprètent généralement les dessins ignorent l’existence de la formulation, ils ne savent pas ce qui est la généralité. Alors bien sûr ils s’étonnent de ce qui se produit dans un dessin, il n’y a rien d’étonnant, c’est tout à fait ordinaire, tout à fait courant. Il est important de connaître la formulation pour ne jamais être étonné de ce que trace une personne, pour ne jamais penser que ça contient un message et que nous pouvons être le récepteur d’un message. Je ne reçois rien, je ne reçois jamais un message, je ne suis jamais curieux, je constate tout simplement que ce que trace une personne, c’est ce que trace chaque personne, alors; ça ne m’étonne pas.

Et je sais aussi, et il faut l’ajouter, que ce que trace une personne et que ce qui appartient à la formulation est définitif, n’est pas perfectible, donc l’idée de pouvoir corriger ou d’amener la personne à faire autrement, à faire mieux comme pensent les enseignants, et bien c’est une idée qu’il faut absolument abandonner lorsqu’il s’agit de la formulation. L’artiste élabore une œuvre, l’œuvre est perfectible, il y a des retouches, il y a des reprises. Les artistes ont des repentirs, ils peuvent modifier une œuvre en la contemplant, en méditant sur ce qu’ils ont tracé, il n’en va pas de même dans la formulation, la formulation se produit et telle qu’elle se produit, elle est définitive.

Donc il faut savoir tout cela et ça détermine bien sûr la relation du praticien que je suis avec la personne qui trace.

Guy Lafargue : Il n’y a pas de parole par exemple dans vos ateliers ?

Arno : Sur la trace non, jamais bien sûr.

Guy Lafargue : Je me demandais si pour vous, finalement, la formulation serait carrément empêchée par le fait qu’on laisse une place à l’expression de la vie affective ?

Arno : Absolument. Dès l’instant qu’il y a parole, il y a raisonnement, il y a réflexion. Et justement ce qui est spontané échappe à la réflexion. Ce que le Closlieu permet et que seul le Closlieu permet c’est d’aller au-delà du raisonnable. C’est d’être déraisonnable durant la séance bien sûr, pas dans toute sa vie, mais durant le laps de temps que la personne passe dans cet endroit abrité et en présence du praticien servant que je suis, qui est toujours lucide bien sûr et bien en présence, dans ces conditions là, la personne peut se laisser aller à un acte qui n’est plus raisonné. Donc si on parlait de cette trace, on ramènerait cette manifestation au raisonnable. C’est ce que bien sûr, ce qu’il ne peut jamais se produire dans le jeu de peindre dans le Closlieu. Ce qui est manifesté dans la formulation c’est justement l’indicible. C’est ce qui échappe aux mots, mais c’est ce qui le rend si précieux, ce qui le rend si exceptionnel aussi et qui le rend vital pour la personne."

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"Je suis le servant du jeu de peindre et la relation entre celui qui peint et moi, elle passe par ce service-là. La relation ne passe pas par ce que l’enfant a représenté et ce qu’il voudrait me montrer, elle passe par les punaises, et c’est très simple. Je voudrais vous raconter une anecdote qui s’est produite un jour. Pendant un stage où je faisais une démonstration du jeu de peindre, on m’a amené un enfant autiste, et donc il a mis sa feuille au mur, j’ai mis les punaises en haut, il en a ajouté, il y en avait six dans la feuille. Il a pris un pinceau, il a commencé à tracer, j’ai enlevé la punaise pour qu’il soit à l’aise. Il est arrivé au coin opposé, j’ai enlevé la punaise, il a peint, il est descendu. Il a fait un encadrement. Il est descendu et arrivé à la punaise suivante il s’est arrêté, j’ai attendu un petit moment, je me suis approché, j’ai enlevé la punaise. Il a peint, il est descendu, il s’est arrêté et puis comme je ne venais pas, il s’est tourné vers moi, mais j’ai trouvé ça très important, ça montrait l’importance de ce jeu entre nous. En se retournant vers moi il cherchait la relation bien sûr, cette relation était concrétisée par ce jeu avec les punaises.

Vous voyez que ce n’est pas quelque chose de banal. L’enfant pourrait enlever la punaise lui-même. C’est un peu compliqué, mais il pourrait le faire mais il ne le fait pas, il veut que je lui enlève la punaise et très souvent je devance le désir de la personne. Elle voudrait m’appeler et puis au moment où elle veut m’appeler, j’ai déjà enlevé la punaise. Ça lui fait plaisir, ça lui montre que j’étais attentif à elle parce que servir dans le jeu de peindre c’est donner à chacun une aisance, un confort, un agrément qu’on ne peut même pas imaginer, qu’il faut avoir vécu pour le mesurer. Donc la relation passe par ces actes-là, c’est pourquoi personne n’a besoin de m’appeler pour que je regarde son tableau. Et entre les enfants c’est la même chose, il n’y a jamais de réflexion, il n’y a jamais de parole sur ce qui est tracé. On parle pendant le jeu de peindre, les gens racontent des choses parce que ça les préoccupe, parce qu’il y a les élections, on parle des élections, parce qu’il y a un évènement sportif, on n’est pas muet, mais on ne parle jamais de la trace sur la feuille, ni de la sienne, ni de celle d’un autre, ça fait partie des habitudes.

Guy Lafargue : J’aimerais poursuivre et essayer d’entraîner une dynamique de dialogue à ce sujet. Pour la plupart des personnes qui sont ici elles ont appris avec plus ou moins de difficultés ce que vous êtes en train d’expliquer, c’est-à-dire à agir dans une rigueur de service de la personne, d’être servant de chaque participant à l’atelier.

Nous avons appris aussi à de ne pas commenter les productions, à ne pas parler sur les traces. C’est quelque chose qui est acquis parmi nous, avec plus ou moins de difficultés, mais c’est quand même quelque chose qui fait partie de ce que les personnes qui sont ici ont appris.

Par contre, nous travaillons un plan que vous n’évoquez pas, qui ne semble pas se manifester dans votre atelier - en tout cas c’est ce que vous dites - donc il y a une partie de votre action qui fait que ça ne se produit pas.

Dans nos ateliers, dans certains ateliers il y a quelque chose qui se produit parfois, par exemple qu’un enfant qui a sa maman qui est partie à la clinique, qui a mis au monde un petit enfant qui est mort: et cet enfant revient dans l’atelier avec un énorme chagrin, une énorme agressivité…c’est ça pour moi la présence d’événements affectifs que l’enfant va pouvoir travailler dans la formulation.

L’affectivité n’est jamais absente. Elle n'est jamais anecdotique. Et il y a des enfants chez nous, dans mes ateliers à moi, il y a des adultes qui sont ici qui ont vécu l’atelier dans le cadre de mon animation où j’ai joué cette fonction…mais quelque chose ici est autorisé : c’est la manifestation de l'expérience affective au travers de la formulation, et la possibilité de parler non pas de la trace , mais d’évoquer ces manifestations, ces résurgences affectives, dans un temps et un lieu différents au sein de l'Atelier que nous instituons. C’est-à-dire qu' après la séance d’atelier , il y a un moment où chaque personne a la possibilité de dire, non pas ce qu’elle a peint, ni comment s’est organisée sa peinture mais qu’est-ce que c’est cette émotion, cette intense détresse parfois, ces émergences de souvenirs, souvenirs par exemple d’avortements qui ont eu lieu 15 ans, 20 ans auparavant et qui viennent faire retour dans la formulation.

Donc ce sont des évènements comme ça qui n’ont pas grand-chose à voir avec la naïveté, cet état natif de la formulation, mais qui est une utilisation de la formulation dans laquelle la personne vient inscrire de l’histoire actuelle, de la douleur, de l’histoire de la détresse, des chagrins…Et c’est vrai que chez nous, dans nos ateliers qui sont construits sur la même base d’accompagnement et de service de la personne , il y a de

vraies manifestations affectives. Il y a des gens qui éclatent en sanglots pendant qu’ils sont en train de peindre, que l’animateur va accompagner dans cette expérience très particulière d’une communication de portage par la parole, qui n’est pas du tout occupée de la trace, qui ne porte pas sur la formulation mais sur la résurgence d’émotions intolérables dans l’instant présent , dont l’animateur va être un écoutant. Donc on ne va pas seulement écouter les signes, on va écouter aussi ce que, dans nos métiers, on appelle les signifiants qui ne s’inscrivent pas dans l’histoire de l’humanité, dans la génétique, mais qui s’inscrivent dans l’histoire subjective, dans l’actualité de la personne et dans sa traversée humaine, singulière.

Arno : Je sais que vous faites ça, je le sais très bien, je sais que c’est quelque chose de très courant.

Guy Lafargue : Mais ça n’a rien à voir avec le type d’interprétation psychanalytique aberrante que vous nous avez présentée tout à l’heure.

Question : Ça dit bien que dans un cadre tel que le définit Arno Stern c’est comme ça et ça se passe en fonction du cadre que vous avez défini. Et dans le cadre défini par Guy Lafargue ça se passe autrement et c’est autorisé. Je pense que ça dépend beaucoup du cadre qu’on pose. Comment se termine la peinture pour l’enfant ? Vous dites qu’il peut travailler pendant des semaines, voire des mois voire faire une seule peinture où il y aura des dizaines et des dizaines de feuilles comme c’est possible qu’il fasse quatre productions dans la séance, quels sont les mots que met l’enfant, est-ce qu’il vous appelle, comment se termine le dessin, est-ce que c’est lui qui décide que cette production est terminée, comment ça se passe ?

Arno : Ça se passe beaucoup plus simplement. Ça se passe pour chacun de la même manière : quand la séance est finie on s’en va, et on laisse sa trace derrière soi, et on n’emporte rien bien sûr, et on ne jette pas un dernier regard à ce qu’on a fait, on ne raisonne pas.

La personne qui se laisse aller à un acte irraisonné ne va pas contempler ce qu’elle a fait, elle laisse c’est tout, elle s’en va c’est une évidence pour elle, c’est une habitude qu’on a prise dans ce lieu mais tout est différent dans ce lieu d’un autre cadre et c’est inimaginable si on ne l’a pas vécu soit même. On ne peut pas imaginer ce qu’est une séance du jeu de peindre quand on ne l’a pas vécue car on a tendance à la comparer à quelque chose qui est en apparence semblable mais qui est radicalement différente parce que l’intention n’est pas la même. Il est évident qu’une personne qui vient chez moi n’attend pas une thérapie, elle n’attend rien. Il ne faut pas qu’elle attende quelque chose, elle ne va pas atteindre un but, il n’y a pas d’échéance, elle va au contraire se laisser aller tout simplement.

Moi je ne promets rien à la personne. Et j’ai un entretien avec chaque personne qui s’inscrit ou qui veut inscrire un enfant chez moi et j’explique pour que ça soit bien précis qu’on n’a rien d’autre à attendre que du plaisir. Et il est évident que ce jeu donne du plaisir et moi je pense que c’est essentiel d’offrir ce plaisir à chaque personne.

Alors quel est le souvenir d’un avortement malheureux ou d’une personne qu’elle a perdus dans sa vie, je trouve que ça n’a pas une grande importance en l’occurrence. Ici elle trouve du plaisir, je dis un plaisir mais c’est beaucoup plus que ça, c’est un accomplissement. Je vais vous dire pourquoi, c’est parce que si vous réfléchissez bien sur votre passé, pas sur les évènements du passé, mais effectivement sur votre passé, vos souvenirs vous ramènent à la petite enfance, mais vous ramènent à une certaine époque de votre enfance, pas à votre naissance par exemple. Personne ne se souvient de ses premières années de vie, personne ne se souvient de sa naissance et personne ne se souvient de ce qui a précédé la naissance, donc nous sommes des êtres qui n’avons pas de commencement. Ce commencement, nous l’avons perdu, nous ne le connaissons même pas et par la formulation nous retrouvons ce commencement, c’est pour ça que je parle d’un accomplissement et ça c’est beaucoup plus important que tous les accidents de la vie, que tous les évènements qui ont pu se produire dans la vie d’une personne. Ça ne m’intéresse pas et la personne sait que ça ne fait pas partie du jeu de peindre.

Guy Lafargue : Je ne sais pas si vous allez vous reconnaître dans ce que je vais vous dire, mais je vous ai entendu dire, il y a quelques années que vous étiez très déçu par la possibilité de créativité des enfants d’aujourd’hui ? Qu’ils étaient pollués par la publicité, la télévision ?

Arno : Non j’ai pas dit ça : par l’éducation artistique. La cause est bien précise naturellement. Mais là aussi c’est une question d’évolution. Lorsque j’ai rencontré les enfants sans préjugé, j’ajoute, donc je n’attendais rien, lorsque j’ai rencontré les enfants juste après la dernière guerre, j’ai fait peindre les enfants, beaucoup d’enfants venaient chez moi, il en est venu 150 chaque semaine au début dans le Closlieu qui ne s’appelait donc pas ainsi mais l’académie du jeudi, et ces enfants allaient à l’école pour la plupart. Et qu’est-ce qu’on faisait à l’école ? Et bien on dessinait de temps en temps, nous avons tous dessiné à l’école la feuille morte en automne, le brin de muguet au printemps et puis le broc ou le seau ou la boîte à craies, et puis c’était tout, c’était à peine noté, c’était quelque chose qui remplissait les heures creuses. C’était quelque chose qui n’était peut-être pas amusant pour les enfants, ça n’était pas très dangereux le dessin qu’on faisait à ce moment-là. Mais ça n’est pas resté comme ça.

Lorsque ces enfants sont venus dans le Closlieu, il ne faisait aucune relation entre le dessin scolaire et le jeu de peindre, c’était deux choses différentes et ils étaient beaucoup plus spontanés à l’époque qu’aujourd’hui. Mais et c’est ça qui est le grand tournant : on a institué l’éducation artistique prolongée par les séances dans les musées, on a voulu cultiver les enfants, on leur enseigne aujourd’hui toutes les lois de l’art, la composition, l’harmonie des couleurs…, on leur montre en exemple des tableaux qu’on leur fait même copier, ce sont des parodies le plus souvent, donc on remplit leur tête de toutes sortes de notions. Comment voulez-vous qu’un enfant qui est devant une feuille et qui se demande si le bleu va s’accorder avec le vert ou si cette courbe va s’accorder avec une droite, mais il n’est plus spontané, il est bourré d’idées encombrantes et inutiles puisqu’il ne sait même a pas de quoi il s’agit. On se demande pourquoi on remplit sa tête avec des notions pareilles.

Mais c’est une réalité, ce qui fait que les enfants d’aujourd’hui ne savent plus jouer, ne sont plus spontanés, mais ils restituent les règles qu’on leur a imposées, ils font des devoirs. Et quand un enfant venait dans le Closlieu, il y a 50 ans il lui fallait une semaine pour que la formulation soit une évidence pour lui et pour moi aussi qui l’ai découverte à ce moment-là, parce que ça se produisait chez chacun en abondance. Tandis qu’un enfant aujourd’hui il lui faut des mois et des mois pour se libérer de toutes ces notions encombrantes et faire refleurir un petit peu la formulation. Il lui faut quelques fois des années pour retrouver un accès à la spontanéité.

Si je n’avais pas découvert la formulation, il y a 50 ans, si je n’avais pas été le témoin de ces manifestations à cette époque-là, ce n’est pas aujourd’hui que je la rencontrerais puisqu’elle est devenue quelque chose de rare, en voie de disparition, qu’il faut mettre au programme de l’écologie. Il faut sauver quelque chose à l’intérieur des humains comme on se préoccupe de l’environnement de chacun, c’est devenu un vrai problème : le sauvetage de la formulation qui est menacé par l’éducation artistique. C’est ça ma pensée. La télévision, la publicité, oui ça s’ajoute éventuellement, mais ça n’est pas si grave, ça existait déjà plus ou moins il y a 30 ans ou 40 ans, ça n’avait pas une influence déterminante sur l’enfant. Aujourd’hui il faut absolument faire savoir combien cette éducation artistique qui se veut être un enrichissement culturel, ce qui n’est pas du tout vrai, ce n’est pas un enrichissement, c’est inutile, complètement inutile. Il faut savoir que c’est quelque chose de très dangereux et que ce que l’enfant perd par l’éducation artistique c’est quelque chose de vital et je vous incite beaucoup à le faire savoir autour de vous car il y va de la survie quand même de quelque chose de très important pour l’être humain."

"Question : J’avais une question sur votre fonction de servant : c’est quelque chose qu’ici on a beaucoup travaillé, parce que Jeannine Chauvin est passée ici, elle a eu une place importante, elle a été porteuse de ce positionnement-là autour du "servant". Mais il y a aussi pour nous je crois, l’histoire d’une position de passeur, c’est-à-dire par rapport à ce que disait Guy tout à l’heure sur l’histoire des émergences affectives. Donc j’ai bien compris que pour vous c’est quelque chose qui serait comme un artéfact , qui vient encombrer ou empêcher cet état naturel.

Donc, au fond ce n’est pas l’histoire individuelle qui vous intéresse mais l’histoire universelle, ça j’ai bien compris. Il n’empêche que, à un moment donné, la question n’est pas que ça surgisse ou que ça ne surgisse pas, la dimension affective… Si elle est là, comment est-ce que vous vous passez de la position de servant à la position de passeur…, parce qu’à un moment donné des personnes peuvent ne plus pouvoir peindre…

Arno : Non ça n’existe pas, au contraire, plus on vient dans le Closlieu, plus on en a envie, parce qu’on développe quelque chose qui est très agréable quand même et dont on a envie de toute manière. Non, je ne suis pas un passeur, pas du tout même parce que être un passeur, ça veut dire établir un lien. Non, mon rôle je l’ai dit, mon rôle c’est d’enlever des punaises, vous pouvez le résumer à ça et c’est très important, vous ne pouvez pas en mesurer l’importance mais sachez que c’est ça. Et pas autre chose, je n’ai pas d’arrière pensée, je suis absolument libre d’arrière pensée. Quand je vois se faire la trace sur la feuille, je pense que dans quatre secondes la personne va m’appeler pour enlever la punaise, je ne pense rien d’autre, je ne pense pas qu’elle va maintenant avec cette couleur ou cette figure qu’elle est en train de tracer exprimer ceci ou cela. C’est une idée qui m’est absolument étrangère, non pas que je m’abstienne, mais ça ne m’est pas naturel, je n’ai pas cette curiosité et je n’ai pas avoir de curiosité sachant qu’il n’y a pas de message donc je n’ai rien à recevoir. Je ne dis pas qu’il n’y a pas un contenu, la personne a du plaisir donc ce plaisir il est là, il est présent, il se passe quelque chose entre la personne et la feuille qui est en face d’elle, donc il y a tout un échange d’ondes qui se fait mais la personne ne reçoit pas son œuvre, car ce n’est pas une œuvre donc il n’y a jamais de dialogue non plus avec sa trace, ça se passe sur un autre plan."

Question : Moi je vais essayer de tracer une idée et ce n’est pas simple. Elle va où cette trace de la mémoire organique ? Et quelle est cette nécessité à s’exprimer ? D’où elle vient ? Et pourquoi ?

Arno : La trace chez la personne ? D’où elle vient ? Et bien elle vient de la mémoire organique. C’est l’expression des enregistrements qui ont accompagné la formation de l’organisme. C’est très simple, c’est comme ça.

Question : Et le Closlieu ça permet l’élaboration ?

Arno : Le Closlieu met la personne à l’abri de toutes sollicitations, et de toutes intrusions. Et c’est dans ce climat de quiétude que la personne et par la répétition bien sûr, parce qu’il n’y a pas de récepteur, parce qu’il n’y a pas d’interlocuteur, c’est pour ces raisons-là que la personne peut arriver à faire s’exprimer cette mémoire organique. Ce sont les conditions nécessaires, il faut que ce soit hors du raisonnement parce qu’on ne peut pas raisonnablement atteindre cette mémoire organique, elle se dérobe à la réflexion. Donc il faut être dans une certaine attitude, un certain état d’esprit pour pouvoir accéder à cette mémoire. C’est ce que seul le Closlieu permet, c’est pour ça que évidemment il est spécifique, c’est pour ça qu’il ne peut pas être différent.

Question : Ce que je voulais dire là, maintenant à vous entendre et puis à voir dans votre lieu, dans lequel vous êtes ancré, et à travers lequel vous avez cheminé, moi ça fait écho en moi. En fait quoiqu’il arrive, c’est vivant, avec tout ce que contient le vivant, et il y a aussi de la création de vivant, mais le vivant depuis comme vous dites les origines. Cependant dans les ateliers que nous avons ici, que j’ai moi , il y a effectivement de l’actualité, il y a ce que j’appelle moi de la marchandise, de la matière, du sentiment, des émotions, les histoires des personnes qui sont accueillies. Mais en même temps je peux , moi, être à même d’entendre ce que vous pouvez développer dans ces ateliers, le Closlieu où quoiqu’il arrive c’est le vivant qui est là.

Arno : Oui bien sûr ! bien sûr qu’il s’agit du vivant ! et du combien vivant ! du vivant originel. Un vivant qui ne peut pas se produire hors de ces conditions. J’insiste beaucoup là-dessus. Ce qui se passe dans le Closlieu, ce que le Closlieu permet de se produire ne le pourrait pas dans d’autres conditions.

Question : En fait dans votre (entre guillemet) "relation" par votre présence dans l’atelier vous faites complètement, totalement et irrémédiablement confiance en la personne, l’enfant qui peint, c’est-à-dire confiance dans le fait qu'il est vivant, dans la ressource qu’il a à trouver , même à trouver plein de formes d’expressions ancrées dans sa matière, je pense au rapport à la mort, au rapport à la souffrance, au rapport à exister, vous faites complètement confiance dans l’enfant accueilli qu'il est vivant.

Arno : Oui absolument et sachant aussi que c’est quelque chose de très facile. Rien n’est aussi facile que de laisser se faire une trace. Tout autre activité suppose un certain apprentissage, un certain perfectionnement, de métier je veux dire, pratique, mais là c’est très facile, c’est à la portée de n’importe qui, c’est pour ça qu’il n’y a pas d’handicapé non plus, c’est une notion que je ne connais même pas. Est-ce qu’il y a des gens qui ne sont pas capables ? Bien sûr que oui, tout le monde est capable ! C’est pour ça que je disais que chacun a en soi cette nécessité et cette capacité. Qu’est-ce que fait le Closlieu ? Il les met en connexion et c’est ça qui est nécessaire, rien de plus. Il faut créer les conditions qui permettent l’émergence de cette trace. C’est aussi simple que ça.

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Propos sur Arno STERN extraits de “L’Expression Créatrice”

éditions Morisset (1995)

A ce débat ouvert, je me propose d'apporter au lecteur un autre texte extrait du livre que nous avons publié avec le Dr Jean BROUSTRA, psychiatre, médecin chef à l’hôpital Garderose de Libourne, à une période où il pratiquait son art en synergie profonde avec le modèle des Ateliers de l'Art CRU. Voici la partie du texte que j’avais écrit dans ce livre à propos de ma dette envers Arno STERN.

" Dans mon parcours de création de l’expérience Art CRU et du modèle praxique des Ateliers de l’Art CRU, je dois beaucoup à l’expérience pédagogique d’Arno STERN et à la structure de son atelier d'éducation créatrice. Le renforcement italique du terme "éducation" marque clairement la ligne de partage entre les choix méthodologiques d’Arno Stern dans la conduite de son Atelier, et ceux qui présideront à l'institutionnalisation progressive des pratiques originelles des Ateliers d'art CRU, sous les termes d' ateliers thérapeutiques d'expression créatrice et ceux d'animateurs/thérapeutes dont j'ai créé l'usage à partir de 1975, usage qui s'est ensuite répandu chez nos amis proches.

Les idées fondamentales d’Arno Stem sur les conditions de développement du processus expressif dans l'espace de l'éducation créatrice se sont avérées particulièrement fécondes dans le champ analytique. Elles sont en syntonie profonde avec les conceptions Rogeriennes de la conduite du développement de la personne :

  • centration sur l'acte créateur et non sur l'œuvre,
  • non-directivité vis-à-vis du processus d'énonciation æsthétique tel qu’il se développe spontanément dans l’atelier,
  • abstinence d'évaluation morale ou de jugement esthétique sur la production,
  • abstinence de toute interprétation des contenus explicites ou latents de la création,
  • clôture physique protectrice de l'atelier par rapport au monde extérieur.
  • clôture symbolique contre l'inquisition institutionnelle.

A partir de 1972, dans mon "transfert" de ce modèle à la situation de travail analytique dans le champ du soin à la personne et dans celui de la formation qualifiante des animateurs/analystes, j’ai fait immédiatement l'expérience d'un recouvrement harmonieux de cette structure avec les règles fondamentales propres au cadre thérapeutique. L'intégration simultanée de ces deux modalités, æsthétique et thérapeutique constituante du cadre analytique, m’a très rapidement conduit à percevoir que les structures propres à ces deux espaces étaient porteuses d'une belle promesse de synergie entre l'influence Rogerienne et l'outil esthétique Sternien.

A l' espace de la communication analytique, placé sous le primat de la parole et de la communication verbale propre à la discipline Rogerienne, la perspective Sternienne confère à la formulation picturale à l'œuvre dans l'expérience créatrice, le plein statut d'une parole. Elle venait à mes yeux inscrire dans le champ des savoirs constitués, des modes de pensée fondamentaux que la psychanalyse, en particulier dans ses dérives les plus intellectualisantes, avait bannis du commerce thérapeutique.

A l' espace de la formulation plastique Stemienne, fonctionnant sur un mode "circulaire" (narcissique [7] et close sur elle-même), la perspective Rogerienne apporte l'ouverture de l'expérience créatrice à une possible mise-en-parole comme travail intime du sujet dans l’énonciation/révélation des processus psycho-affectifs qui constituent la matrice de l'acte créateur. Cette modalité de la parole analytique, lorsqu’elle est rigoureuse, réduit totalement l'écueil de l' interprétation réductrice des œuvres à juste titre dénoncée par Stern. Elle desserre les mailles inhérentes à la visée éducative qui empêchent toute mise en contact entre perception et signifiants originaires. La mise en parole de l'expérience vécue favorise la connexion entre les strates affectives, le jeu langagier, la métacommunication et les puissants effets d'expression émotionnelle à l'œuvre dans toute expérience créatrice authentique.

Le discours d'Arno Stem sur le cadre et la conduite de l’Atelier est réfractaire à ce point de vue synergétique. Dans ses ouvrages, comme dans ses conférences, il fait de la clôture narcissique une véritable idéologie. Il défend, souvent avec une certaine virulence, une pureté doctrinaire inflexible à l'encontre de tous ceux qui sont engagés dans une recherche comme celle que nous conduisons. Pour Arno Stern, il semble définitivement exclu que des psychothérapeutes, des artistes et des enseignants, du fait même de leur "marquage" social et de leurs rôles, puissent comprendre quoi que ce soit au maniement de l'expérience créatrice à des fins de soin et de croissance de Ia personne. Il y a là une position de suspicion insoutenable, qui rend difficile une véritable co-élaboration.

Je me trouve donc vis à vis d'Arno Stern, dans une position assez paradoxale de filiation méthodologique clairement affirmée, respectueux de l' œuvre d'un maître, et de dissidence avérée. Je suis porteur fidèle d'une transmission exigeante de sa pensée et des principes de sa pratique, mais je conduis avec détermination un examen critique de son idéologie ; je récuse la fermeture de son système de justifications de l'exclusion radicale des dimensions affectives du travail de l’expérience créatrice.

Il y a, dans l'œuvre écrite de Stern des années 70 et dans ses exposés publics, absence de toute considération pour cette thèse fondamentale selon laquelle, à l'origine de l'expérience créatrice, il y a les empreintes affectives, mnésiques, toujours agissantes, contemporaines de la construction subjective de sa personnalité. Il y a chez lui un déni vigoureux de la dimension affective et des contrecoups émotionnels et psychiques dont l'expression est porteuse généreuse, qui n'existent pas, affirme t-il de façon péremptoire, dans ses ateliers. Cela est bien naturel, puisque dans la structure elle-même en sont abolies par avance les possibles manifestations. Pour Arno Stern, l'acte expressif est la traduction de pures sensations, indemnes d’affects, inscrites dans une mémoire organique. Il invoque aujourd'hui une programmation génétique de la formulation sans qualité historique et sans singularité, concepts dont il célèbre la pureté archétypale immuable au détriment de la prise en compte des forces affectives à l’œuvre dans le processus de la formulation, celles précisément avec lesquelles nous travaillons en tant qu’analystes/thérapeutes, et qui se déploient de façon luxuriante dans nos espaces, parce que le cadre les y autorise.

Pour Stern, on pourrait affirmer que la pulsion métamorphique n’existe pas. Selon lui, la représentation picturale ne se soutiendrait que d’une pure mécanique génétique - la formulation - qui aurait pour seule fonction l’obéissance aux déterminations génétiquement programmées du tracé, qui seule fait jouissance dans sa perpétuation éternelle du même dans le jeu immuable du tracé. Là où moi-même je soutiens la prévalence dans l'acte créateur, de la transformation des affects en représentations comme fonction majeure du développement harmonieux de la personne. Métamorphisme rendu possible par le jeu du tracé dont Stern a forgé une sémiologie rigoureuse.

J’ai donc pris le parti :

  • De me servir de la structure/atelier et des règles fondamentales inventées par Stern, parce qu'elles sont opératoires dans notre propre espace de travail.
  • D'assurer, avec une fidélité optimale, la transmission à mes étudiants de la construction du cadre et du dispositif de l’Atelier d’Éducation Créatrice selon les principes pédagogiques essentiels élaborés par Arno Stern.
  • D'expliquer pourquoi j’accorde à deux des règles de son Atelier une valeur opératoire relative, de mon point de vue :
  • celle, optionnelle, du lieu hermétiquement fermé sur l’extérieur (pas de fenêtre), car l'a priori de la fermeture totale a, selon moi, un fondement fantasmatique autant que fonctionnel ;
  • et celle de la propriété effective des productions par les personnes pour laquelle je considère que c'est au sujet lui-même de fixer, à la fin du contrat qui le lie à l'Atelier, s'il emporte ou laisse son classeur.

En outre, j’ai introduis une innovation analytique fondamentale dans son protocole, totalement exclue de l’univers sternien, avec l'ouverture d'un temps d’élaboration de l’expérience vécue en deuxième partie de chaque séance d'Atelier, consacré à la formulation verbale de tout ce que la personne éprouve le besoin de communiquer de l'expérience subjective qui est la sienne dans le temps de l'expérience créatrice - affective, émotionnelle, psychique, mnésique - liée aux émergence inéluctables que son engagement dans le jeu créateur provoque, créateur de ce fait même . "

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De la mémoire organique
et de l'horreur du vide

À moins que ce ne fut ARISTOTE, DESCARTES, qui n'était pas un plaisantin, à qui l'on demandait comment il expliquait la chute des objets, répondait que c'était à cause de ce que les objets avaient horreur du vide. En clair, c'est parce que c'est inhérent à la nature même des objets de tomber qu'ils tombent.

"La trace chez la personne ? D’où vient-elle" ? Eh bien - dit Arno STERN - "elle vient de la mémoire organique" .…"C’est l’expression des enregistrements qui ont accompagné la formation de l’organisme. C’est quelque chose qui est en lui, et qui est contenu dans sa mémoire organique "

Le propos d'Arno STERN est on ne peut plus explicite : " une telle mémoire est en relation avec le programme génétique, c’est ça l’origine de la plus grande partie de la formulation".

Il me paraît évident que nous sommes ici dans une formulation de pensée légèrement solipsiste, visant à apporter une caution d'allure scientifique à un prédicat qui ne l'est absolument pas. Le "solipsisme" définit un mode de pensée dans lequel on prend pour prédicat générique un concept idéologique (un élément non expliqué de la réalité), au travers duquel, ensuite, on regarde la réalité du point de vue de ce concept. On prend une conception subjective - ici celle de "mémoire organique" - comme fondement de l'analyse de la chose observée : la formulation. "C’est ça l’origine de la plus grande partie de la formulation". Ce mode de pensée permet d'exclure à priori toute autre explication du travail affectif à l'œuvre dans le processus de la création. Le processus de la formulation est valorisé au détriment du processus de l'expérience créatrice.

Pour moi, (et pour dautres) ce qui est d'ordre "génétique", c'est la structure langagière. Par essence, cette structure n'a pas de "contenus" (par où elle est, justement, au fondement de la création d'un inconscient affectif inaccessible par nature à la perception). Elle est organisatrice à la fois du processus de la formulation, et de la façon dont elle "formule" les mnésies affectives dans le langage, par où elles se constituent dans la perception.

Je soutiens ici de façon ferme que les contenus du langage sont totalement et essentiellement dictés par l'histoire subjective, c'est à dire par tous les mouvements affectifs qui les tissent au long court des événements heureux et traumatiques qui jalonnent le cours de notre vie.

C'est vraiment clair : Arno STERN choisit un mode d'action qui relève essentiellement de l'Art pédagogique, et qui ne peut en aucune se justifier d'une démarche scientifiquement fondée sur la génétique. La notion de mémoire organique est un concept élastique totalement inadéquat pour fonder les choix pédagogiques et les justifications théoriques qu'il se donne. Ceci dit, son travail de sémiologue de la formulation dans le champ de la peinture spontanée est absolument remarquable. Mais son œuvre de contestataire des institutions aberrantes de l'éducationationale en matière d'éveil et de développement des capacités créatrices des enfants n'a pas besoin de cette armature idéologique. Elle se soutient parfaitement du témoignage, des témoignages, de cinquante générations de personnes qui ont vécu cette expérience primordiale de peindre dans le Clolieu, de tremper leur désir dans la Sternette. Et de ceux qui continuent de la vivre dans des cadres construits sur cette base, sans pour autant nécessairement être pure reproduction du même. Ce qui est le cas de mon institution d'es Ateliers d'Art CRU

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"De toute manière - dit Arno - moi je ne m’intéresse qu’à la généralité, jamais au cas particulier. Moi je ne m’intéresse pas à l’histoire d’une personne. Ce qui m’intéresse moi, c’est ce qui est universel, ce qui est commun à tous les êtres humains."

Moi, Guy Lafargue, je m'intéresse à la personne singulière, à ce qui la constitue de façon unique comme sujet. Je ne m'intéresse pas à l'histoire de la personne par curiosité morbide comme le laisse à entendre Arno. Je m'intéresse à l'avènement d'une nouvelle histoire du sujet dans l'expérience subjective immédiate qu'il fait dans son jeu créateur. Je m'intéresse aux processus de condensation affective dans les langages de la création qu'il a la pleine capacité d'accueillir et d'utiliser dynamiquement dans le travail de sa construction personnelle .

Je ne m'intéresse pas à la trace mais à l'expérience créatrice.

Je ne m'intéresse pas au plaisir mais au processus de travail dont le plaisir est quelque fois le dividende bouleversant, mais aussi à la douleur. Tout plaisir profond vient de la résolution des tensions affectives dans le langage.

La formulation n'est pas un but. Elle est le moyen de l'émergence résolutoire des affects et de leur manifestation dans l'aire intermédiaire du Jeu créateur. Il en va de même pour le plaisir : le plaisir est un artéfact de la jouissance procurée par la délivrance de l'affect, quelle que soit sa couleur affective.

Je ne m'intéresse pas au processus de la formulation mais au processus métamorphique.

Je ne m'intéresse pas à ce que "trace" une personne mais à ce qu'elle exprime de son être actuel dans la complexité et l'ambivalence de ses impulsions affectives mises en tension par l'expérience créatrice vers une possible résolution.

La conception formaliste - sémiologique - d'Arno STERN fait selon moi l'économie d'une conception dynamique du processus créateur qui travaille en profondeur l'expérience des peignants dans son Atelier.

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J'adresse à Arno STERN la même critique que j'adressais naguère à la conception de Hans PRINZHORN [8] qui a conçu un remarquable travail sur le processus de la formation des formes - de la Gestaltung - très proche dans le fond de celui de la formulation sternienne, toutes deux occupées du formalisme au détriment de la dynamique créatrice.

L'Atelier d'Art CRU - Atelier d'Expression Créatrice Analytique - est un cadre dont la finalité est de mettre en connexion l'expérience affective et le langage, qui est à proprement parler la visée de la pulsion métamorphique qui irrigue la totalité des impulsions créatrices.

Toute méthodologie analytique, toute technologie, aussi subtiles soient-elles, interposées entre le Désir, l'Acte et le Langage fait faire au sujet l'économie de l'émergence de la structure qui est ce sur quoi travaille la visée analytique.

L'enjeu est d'établir ce qui de la formulation langagière ou de la manifestation de l'expérience affective/émotionnelle dans le jeu expressif est posé comme signifiant-maître.

Le débat que je propose est donc de savoir si l'on opte pour une vision métaphorique (qui est celle de la psycho-analyse ) ou pour une vision métamorphique qui est celle que j'introduis dans l'espace de la pensée analytique.


[1] 1956 : Aspects et Technique de la peinture d’enfants, (Ed. Delachaux et Niestlé)

1966 : Une grammaire de l’art enfantin

1967 : Réflexions entre éducateurs

1970 : Initiation à l’éducation créatrice

[2] Carl ROGERS : Le développement de la personne" Dunod Éd.

Max PAGÈS : La non-directivité en psychothérapie et en psychologie sociale". ART CRU Éditeur.

[3] Aujourd'hui magasin de vente du matériel d'atelier et des produits dérivés sous le label Arno Stern)

[4] Le lecteur non encore initié pourra avantageusement visiter son site officiel :

http://www.arnostern.com/fr/biographie.htm et son excellent article publié par "Pivot culturel" :

http://pivotculturel.free.fr/IMG/pdf/colloque_arno_stern.pdf

[5] J'ai créé le concept de "mnésie" pour désigner les traces affectives d'événements originaires n'ayant pas donné lieu à une formation de représentation psychique, cette fonction n'existant pas dans l'expérience pré et post-natale. Elle constituent à proprement parler ce que les psycho-analystes appellent l'inconscient.

[6] Voir le Cahier de l'Art CRU N° 36

[7] Le terme "narcissique" signifie ici cet état affectif particulier de retrait dans la jouissance primaire telle que STERN en donne une description indirecte en parlant du plaisir inhérent à l'acte de peindre.

[8] "Expressions de la folie"

mardi, 17 mars 2015 18:43

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