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Benjamin BERBUDEAU

Benjamin BERBUDEAU

mardi, 05 mars 2024 19:31

Calendrier 2024

Calendrier 2024

Le calendrier de l'année 2024 sera communiqué à partir de l'automne prochain.
Un atelier d'été pourra être programmé en fonction des demandes qui pourraient en être faites.

dimanche, 04 juillet 2021 18:52

Calendrier 2021/2022

Calendrier 2022

Formations initialisantes ateliers

Sur la décision de FRANCE COMPETENCE, l'accréditation de l'école Bordelaise nous a été refusée sur deux années consécutives, pour la raison que nos formulations ne correspondent pas aux normes de Pôle emploi                                                                                                                                                 ( internet : RS2569 https://www.francecompetences.fr/recherche/rs/2569/ ).
Devant l'absence d'inscription liée au refus d'attribuer des CPF, l'école Bordelaise a été obligée de fermer ses portes, de licencier la secrétaire administrative et de vendre les locaux de la rue Chantecrit.

 

Lorsqu'un atelier est programmé deux fois dans l'année, nous encourageons les participants à s'inscrire de préférence au premier atelier programmé. Nous rappelons qu'il faut un nombre suffisant de participants inscrits à un atelier pour qu'il ait lieu.

TypeNomDate débutDate fin

Matières / langages

Atelier d'expression polyvalent

 

26 septembre 2022

 

30 septembre 2022

Expression picturale

30 mai 2022

03 Juin 2022

Argile vivante

 17 Octobre 2022

 21 Octobre 2022

 

 

 

Approche thérapeutique du dessin spontané

05 Décembre 2022

09 Décembre 2022

Corps / expression scénique

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

lundi, 06 avril 2020 10:11

Écoute-moi

ÉCOUTE-MOI

Guy LAFARGUE

Séminaire sur l’écoute active non-directive

ecoute moi

Approche active des concepts de Carl ROGERS dans le cadre de la relation d’aide à la résolution des souffrances affectives des personnes et des groupes sociaux

J’ai expérimenté et développé depuis 1966 l’approche rogerienne dans différents contextes professionnels :

  • Dans ma charge d’enseignement de la psycho-sociologie clinique à la faculté de psychologie de l’Université de Bordeaux et à l’IRFTS (de 1968 à 1976)
  • Dans le cadre de ma fonction d'animateurs d'ateliers thérapeutiques d'expression créatrice à l’hôpital psychiatrique Charles Perrens de Bordeaux (de1972 à 1981).
  • Dans la conduite des modules de formation des Ateliers de l'Art CRU, centre de formation continuée que j'ai créé en 1983 et dont je poursuis toujours le développement.

Ce séminaire de formation vise à ouvrir un champ d’expérimentation et de réflexion active sur la nature et la physiologie de la communication verbale dans toute forme de relation analytique ; et en particulier sur le florilège des mouvements subjectifs dont elle est traversée lorsque nous sommes dans la position d’écoutants. Elle vise à expérimenter et à élaborer les processus affectifs, émotionnels et psychiques qui trament cette relation langagière centrée sur la dynamique du dialogue analytique en situations thérapeutique, pédagogique ou formatrice.

Ces écheveaux de communications s’instaurent lors de situations professionnelles de consultations duelles, au moment d’entretiens spontanés ou provoqués dans le cours des situations éducatives ou pédagogiques ; ou contractualisés dans le cadre des analyses thérapeutiques.

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L'écoute active non-directive

L'apport singulier de CARL ROGERS dans la dynamique de l’écoute analytique/thérapeutique est d'avoir fondamentalement déporté l'attention des praticiens plutôt vers les processus de la communication verbale opérant en psychothérapie et dans toute relation d'aide ; vers les attitudes profondes de l'écoutant manifestées dans sa parole ; à sa capacité d'authenticité, d'empathie, de congruence, d'attention positive inconditionnelle, plutôt que vers les contenus et interprétations de la vie psychique joués dans la relation intertransférentielle comme cela est le cas dans la position psycho-analytique

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Méthodologie de l’expérience proposée

Le séminaire de formation est conçu comme un temps privilégié d’exploration de la qualité des dialogues ayant pour visée l’ouverture de la perception aux facteurs opérants dans le processus de facilitation de la parole, ainsi que des facteurs perturbant le travail de co-élaboration de la personne et de l’écoutant dans leur tentative commune de permettre de clarifier les représentations que le sujet se fait de son expérience vécue ; d’explorer les tendances spontanées que nous mettons en jeu dans notre façon d’écouter et de réagir verbalement aux propos de l’autre et de percevoir leurs effets sur la recherche de sens dont ces entretiens sont le lieu privilégié.

Le cadre du séminaire est construit pour favoriser le déploiement de ce jeu d’expression/écoute.
Le dispositif technique proposé à l’expérimentation est divisé en trois phases :

a) Mise en place de Praticables d’expression créatrice et d’analyse des expériences vécues :
Le séminaire est découpé en séquences alternées mettant en travail :
  1. Des aspects expérientiels traversés dans des mini-Ateliers d'Expression Créatrice, dont le but est de fournir dans l'ici et maintenant des sujets d'entretiens, favorisant l'expression verbale spontanée, qui ne soient pas de l'ordre de la simulation et du faire-semblant, ou relevant de thèmes arbitrairement imposés déconnectés de l'expérience immédiate.
    L'analyse de l'expérience vécue constituera l'enjeu de chaque entretien.
  1. Le séminaire fera appel à des mises en situation d'entretiens individuels "centrés sur l'expression de la personne" ("client centered thérapie") sous la forme de jeux de rôles alternant les positions d' "écoutant" et de "client" (entretien duels, entretiens duels avec observateur, entretien enregistré en vidéo), donnant ensuite lieu à un travail d'élaboration dont les matériaux seront mis en commun en séance plénière.
  1. Des temps de co-élaboration conceptuelle et lexicale procédant à la mise en perspective des observations et analyses dégagées de l'expérience , en regard des concepts opératoires de la praxis de l'écoute compréhensive active (centrée sur la personne), d'inspiration Rogerienne.
  1. Ponctuations didactiques : Le formateur introduira ou accompagnera les passages de l'élaboration de l'expérience vécue vers la référence aux travaux de Carl Rogers et à leur questionnement.

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L’Atelier est animé par Guy Lafargue
psychosociologue clinicien
psychothérapeute

Lectures

Carl Rogers : Le développement de la personne » Dunod
Max Pagès : L’orientation non-directive en psychothérapie et en psychologie sociale » Art CRU éditeur (en vente au secrétariat)
Dr Axline : Dibs (pocket)
Guy Lafargue : 3 articles publiés sur le site internet www.art-cru.com - Des théoriciens pour travailler :

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jeudi, 19 janvier 2017 13:15

HERNIOU Sophie

Art Cru Muséum

HERNIOU Sophie

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lundi, 14 septembre 2015 16:48

Le conte nu

Le conte nu

Du Conte résiduel au Conte actuel

Festival du Conte et des Arts de la Parole
Bordeaux Saint Michel
Le 16 Juin 2000

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Conférence nuisible de
Guy LAFARGUE
Psychologue
Docteur en Sciences de l'Éducation
Directeur des Ateliers de l'Art CRU

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Il était une fois un loup qui allait de Centre Social en Maison de quartier, et qui racontait des histoires vraies d'hommes et de femmes remplies de passions, de haines, de meurtres, d'accidents de la route, de prises d'otages, de camps de concentration, de purification ethnique assistée par ordinateur, d'assassinats de populations civiles par les États, de pandémie sidaïque incontrôlable, de détresse alimentaire et de toutes sortes d'horreurs bien réelles.

C'est dire qu'aujourd'hui, ce qui était autrefois le monde f(ph)antasmatique des Contes merveilleux est devenu l'ordinaire de la réalité servi chaque jour sur les écrans de télévision avec les hors d'œuvres au moment du repas. Le réel affectif de tout bébé venu au monde, les problèmes inhérents à la croissance du jeune enfant dans sa construction de la réalité et dans la formation de son identité, perdu dans la jungle de ses angoisses primitives , ce Réel est devenu la réalité.

Une des conquêtes importante que la psycho-analyse nous a apportée concerne la découverte des tendances affectives infantiles à la destructivité, qui ont, chez le petit enfant et tout au long de notre vie, une fonction structurante lorsqu'elle s'expriment dans la zone affectée à leur usage et dans les langages érogènes appropriés.

Il semble que ces tendances innées, dont l'expression participe de la venue au monde du petit humain, ont fait irruption hors de leur champ sensible naturel dans une utilisation perverse du langage ; qu'elles ont fait effraction dans la réalité, qu'elles dirigent la vie du monde d'aujourd'hui et les pratiques de l'information. Iici on égorge à ciel ouvert femmes et nouveaux-nés, là on prostitue les enfants, ailleurs, on viole et on tue en bandes pédérastiques des fillettes de quatre ans et on découpe leur cadavre en morceaux qu'on jette dans des poubelles en plastique aseptisées, un peu partout on inceste avec les honneurs de la télé. La corruption, qui est aux praticiens du pouvoir ce que l'éthique est aux criminels, est pratiquée aux plus hauts niveaux de la société.

L'écran domestique a supplanté les genoux et la confidence au creux de l'oreille. Les Ogres sont à la maison et aux leviers de commande des États ; les Sorcières travaillent dans les laboratoires transgéniques ; les Fées pointent à la DDASS et à la Commission Locale d'Insertion. Il n' y a plus d' écart entre le Réel et la Réalité où se fondait et se déployait la fécondité imaginaire du Conte Merveilleux. Il n'y a plus de différence familière entre la sexualité et l'amour. Il n'y a plus rien.

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Le Réel est, si l'on admet cette idée baroque de Jacques Lacan, le monde brut des affect originaires, des sentiments primitifs, des émotions archaïques, des pulsions vitales et des angoisses de mort tel que les éprouvent le nouveau-né et le très jeune enfant. C'est un monde de haute densité, semé d'épreuves affectives que le jeune enfant va affronter en développant une compétence créatrice innée : la création d'images, la construction laborieuse d'un univers psychique, qui sert à l'homme à se constituer un capital d'images mentales qui lui permettront de se représenter son expérience intérieure et de s'expliquer à lui-même le fonctionnement du monde et de la Réalité, cela même que l'on appelle "donner du sens" fonction purement humaine.

La compétence de création psychique des êtres humains leur sert essentiellement à cela : à construire un équilibre satisfaisant entre le Réel et la Réalité. Entre le monde interne et le monde extérieur des phénomènes. La vie psychique de l'être humain se développe pour lui permettre de rendre homogène à sa propre expérience ce qui lui est hétérogène (pour reprendre les termes de Piéra Aulagnier), et qui construit ou menace son intégrité et son potentiel de développement. C'est dans ce processus du travail créateur liant le monde des excitations et des pulsions et le monde des événements extérieurs que vient s'insérer le monde du Merveilleux et des Contes de Fées .

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Le problème, c'est que nous sommes immergés, les jeunes enfants d'aujourd'hui sont immergés, dans un magma médiatique de régression éthique et culturelle. dans lequel le monde d'horreur de Barbe Bleue, de l'Ogre de Poucet et du Loup, censés être le miroir pacifiant des états d'angoisse des jeunes enfants est devenu ce qui se passe dans la réalité. Les jeunes enfants sont engobés[1] dans l'imaginaire environnemental. Englués dans un monde d'Images toutes faîtes, d'une extrême violence, qui abolit le travail normal d'intégration du Réel, de l'Imaginaire et du Symbolique par le jeu de la création psychique, lui substituant une psyché de synthèse qui aliène toute possibilité de

différenciation du Soi et de l'Objet. Images télévisuelles, certes, mais images événementielles ayant franchi les limites de l'horreur : les enfants irlandais de C.P attaqués collectivement par une communauté religieuse de cinglés[2], les enfants algériens victimes et témoins des assassinats à l'arme blanche, les enfants roumains de l'ère Ceaucescu, les enfants des zones urbaines hors la loi, les enfants gavés d'informations sur les meurtres d'enfants, sur les pratiques infanticides sur des bébés placés dans des congélateurs, sur les violences sexuelles de parents sur leurs enfants, sur les décapitations religieuses...La liste est terrifiante. Qu'est ce qui peut bien se construire dans une tête d'enfant soumise à ces terreurs inassimilables, impensables, dans la réalité ou sur l'écran de télévision ?

Le refoulé, ce que les psychanalystes appellent ainsi, c'est selon moi, ce que le jeune enfant doit abandonner des modes de jouissance originels et se séparer des terreurs archaïques , pour grandir et mûrir à de nouvelles expériences libidinales. Le renoncement à la possession exclusive de la jouissance charnelle primitive censé en élargir le champ et les qualités, fait perpétuellement retour dans la réalité et vient se constituer en réalité psychique étrangère ou familière dans l'Imaginaire de l'enfant, formant une sorte d'exo-psyché coalescente à sa propre production psychique. Le refoulement est refoulement des pulsions et non celui des représentations, toujours en aval des investissements affectifs.

L'enfant d'aujourd'hui n'a pas le même paquetage psychique que l'enfant d'il y a trente ans. En tous cas, pas le même que le mien.

La révolution technologique, la généralisation de la contraception féminine, la diversion opérée sur les tabous sexuels, l'éclatement de la structure du couple, la mutation violente des structures parentales, la désagrégation de l'autorité et du sentiment de la personne, l'explosion du monde de l'image de synthèse et de la marchandise ont radicalement modifié la nature des messages que le jeune enfant d'aujourd'hui doit assimiler pour grandir, et probablement modifié aussi la structure de l'Imaginaire de l'enfance telle qu'elle existe aujourd'hui.

Dans le monde où j'ai grandi, les choses étaient beaucoup plus rondes. Bien sûr, il y avait d'autres systèmes, la religion par exemple, mais cela se négociait encore dans l'enceinte familiale et dans une culture de proximité et de convivialité. Les croyances étaient ce qui organisait la culture. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Il n'y a plus de croyances, il n'y a que des masses d'images.

Dans l'imaginaire des adultes, il n'y a plus beaucoup de merveilleux, c’est-à-dire de mondes secrets retranchés du commerce sociologique. Il n'y a plus que des histoires nouvelles empruntées aux containers culturels de masse.

L'espace mental de ce monde-ci est rempli d'images fabriquées pour maintenir un état d'excitation morbide élevé.

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Le Merveilleux était le mode de penser syncrétique d'une culture pour laquelle il n'y avait pas de différence entre la projection poétique du monde, les croyances et la Réalité. Les gens adhéraient de façon plus ou moins distraite aux explications religieuses, philosophiques et poétiques du monde

Aujourd'hui, me semble-t-il, il n'y a plus que la Réalité dans sa brutalité, sa violence paroxystique quotidiennement distillée à la manière d'une drogue, une violence addictive cultivée par les médias pour maintenir l'état d'excitation dépressive des consommateurs dont se nourrissent les médias.

L'enfant d'aujourd'hui est équipé très tôt de cette exo-psyché de synthèse gavée des images des journaux télévisés, des pubs, des dessins animés japonais et des jeux vidéo. Je ne saurais dire si cette super-structure psychique, cette exo- psyché de synthèse laisse une place à l'autre, à la vie psychique créatrice et au jeu, où si elle occupe la totalité de l'espace interne.

Il était une fois, il y a bien longtemps, le Merveilleux...

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Contradictoirement à cette régression éthique en regard d'une culture marquée à la fois par la dimension communautaire et solidaire des groupes humains et par un mode de connaissance largement poétique du monde, la nouvelle donne culturelle a promu par la conquête scientifique (éthologie, neuro-psychologie, sciences cognitives) l'avènement d'une vision positive et constructive du bébé humain et de ses potentialités de développement. Nous sommes tranquillement passés d'une conception misérabiliste, chrétienne et psychanalytique du bébé, à une conception positive, potentialiste et créatrice.

C'en est bien fini de la conception culturelle comme quoi les bébés. sont des êtres végétatifs à remplir et à vider, sans passions autres que la tétée et la défécation.

Cette histoire-là peut paraître difficile à avaler, mais la mythologie du bébé mignon, passif, stupide et amorphe est passée à la trappe. Il faut se faire une raison. Merci à Leboyer, à Françoise Dolto, à Donald Winnicott et à Jean-Jacques Rousseau leur maître.

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La psycho-analyse des jeunes enfants, la psychothérapie des adultes qu'on appelle psychotiques, nous ont révélé que la vie psychique du bébé et du jeune enfant était l'empreinte de leurs peurs profondes, qu'elle était construite, dominée par des pulsions destructives intenses et par de méchants phantasmes de cannibalisme, de meurtre, de possession sexuelle, de toute-puissance, qui, si ces pulsions phantasmatiques ne trouvent pas chez la mère un accueil serein, si la mère n'y a pas de disponibilité instinctive , vont se développer en souffrances irréductibles et menacer dangereusement la santé affective et émotionnelle du bébé.

Je ne partage pas du tout le point de vue de la métapsychologie freudienne comme quoi la psyché serait un appareil qui serait structuré/orienté par le plaisir. La vie psychique n'est pas une structure mais un effet de structure. Elle n'est pas assimilable à un appareil. Il n'y a d'appareil psychique que dans la tête des psychanalystes. Ces mots-là pour désigner les produits de l'activité corticale sont une pure fiction.

L'expérience psychique est un processus émergent, destiné à traiter des états-d'être problématiques. L'activité psychique est une compétence innée de l'organisme par où, justement, il se spécifie en tant qu' humain. Le freudisme a transformé la créativité psychique en une machine à plaisir, en une bauge.

Les formations psychiques n'ont pas pour but premier de décharger des tensions, mais de les révéler à la perception et de préparer ainsi l'organisme (maître souverain) à la résolution des tensions dans l'action. Pas dans la sublimation, cet article du catéchisme freudien.

Chez l'être humain, la production psychique naît de l'impuissance à résoudre une tension biologique ou affective. Elle travaille à informer le sujet des carences de sa vie émotionnelle, instinctuelle, relationnelle, intellectuelle. Elle est seulement un effet de Sens, l' inscription du Réel en un tracé narratif, un indicateur de l'état d'altération de l'expérience instinctuelle du sujet, de l'état du lien intersubjectif nécessaire à sa survie en tant que sujet.

Et si l'on en croit les experts, tous unanimes sur la question, le monde des Contes Merveilleux traite exactement de la chose et constitue une grande médication poétique pour résoudre ces souffrances émotionnelles et apporter au jeune enfant pne nourriture affective dont il a besoin pour grandir.

Si on enlève le c du mot médi(c)ation ("Des contes pour guérir") on obtient ceci : Le Conte Merveilleux est une médiation psychique pour contribuer à résoudre les angoisses affectives et émotionnelles liées à la croissance, à la nécessité créatrice de grandir, pour affronter de nouvelles réalités, pour aider à renoncer à certains modes de jouissance exclusifs et pour ouvrir la libido à de nouvelles zones de jouissance.

Le Conte est fondé sur des scénarii prototypiques qui donnent corps et organisent les principales tendances affectives et émotionnelles inconscientes du jeune enfant. Le Conte Merveilleux est une voie d'accès au sens (à l'esthésie) de l'existence.

Comme l'a très clairement expliqué Bruno Bettleheim, en participant à la constitution émergente de l'espace psychique, le Conte permet au jeune enfant de sentir que les épreuves affectives émotionnelles et psychiques qu'il traverse ont un sens, une issue, une orientation positive dans le cours du travail de l'humanisation.

S'interroger sur le Conte Merveilleux, c'est donc s'interroger sur la croissance émotionnelle et affective.

S'interroger sur le Conte Merveilleux, c'est tenter de comprendre les processus psychiques eux-mêmes et leur fonction dans l'économie du développement et de l'humanisation du bébé humain, et de la personne aliénée qui n'a pas réussie à construire une représentation du monde suffisamment confortable pour y prendre appui confiant et nourricier.

La prime enfance consiste en ce travail de construction de sa propre humanité, de conquête de son identité d'être humain qui n'est pas du tout donnée au point de départ ; travail de passage de l'état de mammifère à l'état d'humain. Cette humanisation procède d'un travail de construction, instinctif pourvu que le jeu instinctuel s'y développe à minima dans la relation émotionnelle entre le bébé et la mère, entre le bébé et son environnement, entre le jeune enfant et le monde.

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Comment le contage et l'inventivité imaginaire dans le monde des Contes opèrent-t-ils ce passage du non-humain à l'humain, de l'enfance dominée par l'affect, à la maturité dominée par la représentation ?

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Histoire de la brouette mythomane. Il était une fois une brouette mythomane qui dansait au milieu des bois pour séduire les ombres des arbres. Elle tournait lentement sur elle-même, avec d'infinies précautions, repue de vent et de carcasses d'oiseaux. Soudain, elle fut prise de nausées violentes. Elle se roulait par terre en criant des injures, tendue à l'extrême, soumise à la violence des paroles tues que tout le monde redoutait d'entendre, secouant l'arbre des souvenirs, des brûlures, des pierres tombales effondrées et fendues. Elle avait pris l'habitude de jouer avec les monstres qui ne sont dangereux, tout le monde sait cela, seulement lorsqu'on les prend pour une denrée alimentaire soumise aux radiations nucléaires. Alors, toutes les choses sont prises dans un tremblement néfaste qui déborde dans la chambre, envahit les murs qui se mettent à vibrer pour aboutir à la destruction finale de l'édifice dont les issues ont été murées. Mais elle avait confiance. Elle était affairée à traquer le calice des fleurs, à en mettre plein la vue aux oiseaux de proie. Elle fut emportée par un fleuve d'éclats de rire qui lui coulaient sur les flancs. Elle explosa une tranche de fruit sur la roche nue, se mit à danser, enveloppa la pulpe éblouie du fruit avec ses mains, y caressa lentement ses lèvres, les enfonça dans le sol spongieux où mûrissent des fleurs noires dont la sève est si précieuse au sommeil. C'était assez terrifiant de la voir ainsi entre ciel et terre, aux prises avec la sombre fascination du vide. Pour finir, elle s'allongea à même le sol, brûlante et saturée. Elle s'endormit et ne se réveilla plus jamais.
Guy Lafargue : Les contes d'Ordeboue Décembre 2000

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Les atavismes culturels

le mythe de l'Imagination populaire

Je vais prendre le risque de dire que ce qu'on appelle et que l'on célèbre sous les termes d'imagination populaire est un mythe, une rumeur, une construction médiatique, un résidu nostalgique de l'époque où il existait encore une communauté

humaine vivante en tant que communauté et des valeurs de convivialité, de respect transgénérationnel et de transmission abrupte des traditions.

Certainement, dans quelques régions de notre vieille Europe, une tradition conviviale communautaire reste enracinée, mais le phénomène de l'urbanisation massive, de la désertification des campagnes, de leur industrialisation sournoise, ont détruit le tissu imaginaire de la culture à l'ancienne (en Bretagne, il n'y a pas que les nappes phréatiques qui sont polluées, il y a les sources du Merveilleux).

Une époque est révolue où existait une harmonie, une synergie, entre la réalité et les croyances. Les croyances étaient ce qui fondait la communauté sociale, le code du lien social. Le monde du Merveilleux se développait naturellement comme inscription du Réel dans l'espace des Objets psychiques. Aujourd'hui, avant de consulter leur arthrite pour prédire le temps qu'il fera demain, les vieux consultent la météo sur TF1. Quant aux mômes de la France profonde, pendant que leurs papasmamans sirotent les cassettes pornopédos sur l'écran, ils sont scotchés à leur playstation et ils surfent sur Internet.

Nous, enfin moi, mon disque dur biologique est saturé. Je souffle en queue du peloton, mais je suis toujours dans la course. Et je pense. Je ne suis pas pensé par le discours. Je suis vigilant, et je crée.

Le mythe des textes
sacrés du répertoire

L'idée, largement développée chez les exégètes du conte merveilleux, selon laquelle les contes culturels se sont affinés au long du temps pour ne contenir que les éléments essentiels de la phantasmatique psycho-affective est peut-être bien une explication hâtive. Peut-être bien, au contraire, que les Contes Merveilleux se sont dégradés et ont paradoxalement régressé par rapport à leur situation native, par rapport aux Contes Bruts, par rapport à ce moment magique où pour la première fois un homme, une femme, aimants ont commencé à dire à un enfant les images inventées de leur lien avec cet enfant et avec cette communauté humaine prise dans la difficile nécessité d'exister. C'est le moment émergent du symbole, de la métaphore, dans le lien d'amour, c'est le processus de leur actualisation dans une narration vive qui constitue selon moi le cœur de la vitalité du Conte et de sa contagion orale.

L'acculturation mimétique procède au rabotage, au nivelage de la situation singulière où est placé le Conteur vis à vis de sa tâche de médium pour aider l'enfant dans la régulation de sa vie émotionnelle et affective, et dans l'apaisement des tensions communautaires, au moment de cette réconciliation qui se fait autour de l'enveloppe maternelle tissée par le conteur.

Selon moi, tout processus de rétention et de fixation opéré par un individu et étendu au fonctionnement social procède d'une altération culturelle plutôt que d'un affinement. Il introduit une normalisation, une standardisation des codifications, une machinisation, une instrumentalisation de la pensée du Merveilleux, au détriment de la fonction médiumnique, inventive et créatrice du conteur.

Que l'on m'entende bien : je ne dénigre pas l'idée muséographique qui préside au comptage, au dé-compte culturel (j'ai découvert avec intérêt que les deux mots "Contes" et "Comptes" avaient la même origine sémantique). J'ai beaucoup de respect et d'estime pour le passionnant travail conservatoire de Pierre La Forgue que j'ai eu la chance de fréquenter dans les années 1975, et dont j'ai goûté les récits des travaux de collecte dans les Landes de Garonne, et pour les mises en scène publiques de son travail qu'il a conduites à Bordeaux, mais je ne suis pas d'accord avec la façon dont les autres s'en servent : sur le mode de l'instrumentalisation. Le conte ne soigne pas. La psychanalyse appliquée n’est pas un truc cascher

Pour moi, ce qui est fondamental dans la situation de contage entre le conteur et l'écoutant, c'est la fonction médiumnique et créatrice, inventive et émergente de l'IMAGINAIRE EN ACTE. Le résiduel ne m'intéresse pas en tant que tel, sinon comme trace, comme vertu didactique, mais certainement pas comme ensilage, ni comme collection. La pulsion de collection est hétérogène à la pulsion créatrice où s'origine le Conte Merveilleux. Selon le point de vue auquel j'invite, le Merveilleux a subi le même type d'érosion que celui qu'a subi au travers de l'histoire de l'art le processus pictural devenu académisme formaliste, dès l'instant où un individu à pris conscience de l'espace dans l'à-plat, et où il a inventé la perspective, puis tout à sa jouissance, s'est mis à l'enseigner. Dès l'instant où le processus expressif (émergent) devient un Objet culturel (récurrent), une grande part de sa charge poétique et subversive est neutralisée. Ce qui est opérant dans le racontar ne se réduit pas au contenu symbolique du Conte.

La métapsychologie freudienne

 

En dehors des conteurs eux-mêmes, des troubadours de la poésie fantasmatique, et des entomologistes collecteurs, le Conte Merveilleux a vivement mobilisé les psychanalystes. Freud lui-même, Jung et les autres, et ceux d'aujourd'hui, à commencer par le psychanalyste bordelais Pierre Lafforgue créateur de l'Institut psychothérapique de la Pomme Bleue (auteur du livre "Petit Poucet deviendra grand" Mollat Ed.), René Kaès et Jacques Hochman (" Contes et divans" Dunod Ed.).

L'intérêt des psychanalystes pour le Conte Merveilleux s'inscrit dans une triple préoccupation :

  • d' appropriation épistémologique d'un champ qui est hétérogène à sa pratique fondamentale qui est la psycho-analyse, ce que l'on appelle la psychanalyse appliquée (à l'analyse littéraire, à l'analyse de l'Art...) dans le mouvement perpétuel de réélaboration et de conquête de nouveaux objets identificatoires.
  • d' utilisation à des fins psycho-analytiques notamment dans le travail avec les enfants psychotiques.
  • d'étude structurale du conte comme une des modalités du rêve avec les partis-pris métapsychologiques contestables qui sous-tendent le point de vue freudien et post-freudien sur toute manifestation concernant les processus de pensée.

Les méfaits de la psychanalyse appliquée

A l'origine, la psycho-analyse se présente comme un art : l'exercice d' un mode de communication exploratoire de la vie inconsciente de personnes en souffrance, invalidées dans leur vie quotidienne par une difficulté profonde à satisfaire leurs besoins humains dans leurs échanges avec leurs partenaires de vie, dans les plans de leurs liens affectifs et émotionnels familiaux, dans l'expression de

leur sexualité, dans leur réalisation sociale. Freud, pour la première fois dans l'histoire de la médecine, décentrait le regard du symptôme somatique ou psychique et de leur traitement médicalisé, pour le tourner vers la reconstruction de l'histoire affective et émotionnelle du sujet.

L'histoire de cette discipline, la psycho-analyse comme praxis du travail de changement est certainement l' un des événements culturels majeurs du 20° siècle. Le contre-point culturel de cette formidable conquête idéo-praxique, réside dans le développement, de la psychanalyse spéculative elle-même, systématisée sous le nom de métapsychologie, parallèlement à l'élaboration de la doctrine de l'action et des processus psycho-affectifs qui s'y jouent et s'y expriment.

A l'origine, si la métapsychologie s'est développée en appui sur les observations de la cure psycho-analytique, elle s'est ensuite et très rapidement dévoyée en un système clos de représentations auto-alimenté, visant à expliquer rationnellement la totalité des phénomènes qui traversent le champ, passant d'une logique théorique fondée sur l'observation, à une logique spéculative fondée sur le fonctionnement de la pensée des théoriciens suridentifiés à la doctrine fondatrice du maître.

La métapsychologie est devenue une superstructure de la pensée des psychanalystes en dehors de laquelle rien ne pourrait se penser de la pensée. Les grands théoriciens de la psychanalyse, les grandes constructions explicatives psychanalytiques fonctionnent comme corpus de pensées immuables

sur un mode hégémonique, récusant toute tentative de rappeler que cette pensée théorique à prétention universelle, est elle-même le produit subjectif d' un processus de pensée. Avec la généralisation de la métapsychologie comme doctrine, les psychanalystes ont cessé de penser le Réel pour l'interpréter. La psychanalyse s'est mise à fonctionner comme une religion. Le mode de sortie de cette impasse épistémologique réside dans une fuite en avant appelée "psychanalyse appliquée".

L'un de ces travers incurables de la psychanalyse appliquée consiste à prendre possession de territoires convoités de l'exercice de la pensée, connexes à son territoire originel (le process psychique comme médiation langagière dans la relation de transfert) et d' appliquer à ces nouveaux champs - l'Art, la Religion, les Mythes, les Contes, le CRU - un isomorphe de la méthode princeps mise au point pour la cure-type : la dérive associative et son interprétation dans le filtre du métapsychologiquement correct.

Ce processus de type colonial consiste à trouver dans l'interprétation de ses Objets les confirmations de la théorie qui les interprète. Les signes d'or du langage religieux des Incas deviennent le Trésor de la couronne espagnole. Quant au processus poétique, constituant des signifiants langagiers par où le discours métaphorique est opérant (métamorphique) il est purement et simplement éradiqué. En introduisant dans les Objets originaires les propriétés anamorphiques de la théorie, les adeptes du freudisme s'assurent une légitimité de façade. Mais au terme de l'opération, le signifiant langagier va devenir ornement, prothèse, signe extérieur de pouvoir et de richesse.

Freud, en transe métapsychologique, ouvre la voie à ce type de spoliation avec son travail de psycho-analyse appliquée à "La Gradiva" œuvre très ennuyeuse tirée du texte d'un dénommé Jensen. Le processus en est au fond très simple : il consiste en l'arraisonnement du texte (dans la psycho-analyse littéraire), ou des récits (dans la psycho-analyse des Contes de Fées) et d'y appliquer la théorie Freudienne de l'interprétation du Rêve et ses extensions.

L'a-priori fondateur de la psychanalyse comme prétendue science, c'est qu'il existe un inconscient psychique ; qu' il existe des représentations psychiques inconscientes, des représentations clivées de la perception, inaccessibles à la perception. Et que la preuve de l'existence de ce fond de représentations psychiques nous est apportée par le rêve, les lapsus, les actes manqués les mots d'esprits. En particuliers le rêve, où plus exactement l'interprétation des rêves qui est la voie royale qui mène à l'inconscient. Et dans les contes de fées qu'on va détourner de leur cours imaginaires pour en cananalyser les berges

Ainsi, chaque fois que nous rêvons, ou commettons un lapsus ou posons un acte manqué, il s'agirait d'une sorte de processus d'effraction des barrières du refoulement (lui-même conçu comme un processus psychique) par des formes psychiques, laissant échapper à la surface des contenus psychiques refoulés…une sorte de fuite dans les soutes.

Cette croyance est tellement enkystée dans la corporation, dans la conscience collective, dans la psyché culturelle, tellement colportée comme un allant-de-soi, elle fait tellement partie du tronc commun des croyances de l'homme cultivé du 20° siècle, et des chroniques de Marie-Claire, qu'il ne vient à l'idée de personne de mettre à jour et de dénoncer cette supercherie. L'idée d'un Inconscient (nominatif) est devenue une protopensée culturelle dont la fonction occulte est de protéger le système de la théorie psychanalytique fondé sur ce postulat religieux. L'Inconscient est l'Hostie des psychanalystes, le Corps et le Sang de Freud : "Allongez-les en mémoire de moi".

Cette représentation substanciale d'une banque psychique, cette transsubstanciation des Objets psychiques en un Inconscient tangible au travers des failles du refoulement est le subterfuge fondateur de la psychanalyse comme prétendue Science alors qu'elle n'est qu'un des systèmes de représentation poétique de la vie psychique.

Il suffit de peu de choses pour faire sauter le verrou du refoulement culturel : restaurer le mot inconscient dans sa fonction adjective. L'adjectif par définition qualificatif est ce qui marque la qualité attachée au nom, ce qui dans l'indéterminé du nom introduit de la différence, de la singularité. L'adjectif précise les caractéristiques et les attributs constituants du nom qui spécifient le nominatif. Il est tout à fait fondé de parler d'une vie inconsciente. La quasi totalité de la vie organique est inconsciente, c’est-à-dire que la perception ne peut pas en rendre compte directement. Mais ce n'est pas du tout le cas de la vie psychique elle-même.

La vie psychique est une fonction de l'organisme humain qui, fondamentalement, est coalescente à la perception du sujet, au Je. C'est une fonction émergente.

La psychanalyse ne considère pas les produits psychiques comme liés à une fonction émergente, mais comme inclusion dans une fonction conteneur. La théorie psychanalytique fait la confusion entre la Mémoire et la fonction psychique poétique. Entre le stockage d'images et le processus de création d'images. Entre ce qui est devenu une banque d'objets psychiques résiduels réutilisés par le sujet dans le transfert, et le travail de création psychique lui-même, circonstanciel, répondant à des situations existentielles actuelles comme dans le rêve et dans l'expérience créatrice.

Il y a selon moi deux plans distincts des phénomènes de représentation :

  • Les phénomènes de pur rappel d'objets mentaux engrammés dans le tissu neurologique par apprentissage (dépourvus d'affects) ou en raison du coefficient traumatique ou de survie qui est attaché à ces événements psychiques, mémorisés pour le rôle qu'ils ont joué dans l'économie du sujet à un moment subjectif de son histoire (par exemple on va se rappeler toute sa vie un rêve que l'on a fait au cours de son adolescence). Il s'agit bien d'une représentation psychique, mais ces représentations sont des matériaux inertes, sans véritable fonction actuelle autre que leur possible utilisation créatrice par le sujet dans la formation de représentations actuelles, et seulement dans cette dynamique-là.
  • Les phénomènes de formation d'images mentales utilisant des combinatoires nouvelles d'informations actuelles (restes diurnes) et résiduelles (Objets psychiques anciens) sélectionnés dans le transfert (ici et maintenant) pour la valeur opératoire qu'ils ont eue à une période structuralement perçue par le sujet comme analogique à la situation actuelle). C'est cette vie de représentation-là qui m'intéresse, qui constitue le terreau de l'expérience créatrice et de cette nouvelle disciplineanalytique dont j'essaie d'élaborer la théorie.

La psychanalyse a développé le mythe de l'Inconscient psychique résiduel comme unique ligne d'horizon de l'activité de ce vieux couple obsessionnel psychanalysant/psychanalyste alors que paradoxalement elle utilise pour ce faire le processus créateur de l'Association Libre. Elle utilise ce qui est l'élément psychique créateur actuel, cathartique, opérateur du changement, simplement comme excavateur pour déterrer les déchets, les résidus de l'expérience. Elle instrumentalise la fonction créatrice.

D'une certaine façon la démarche psychanalytique pure est coprophilique. Elle donne pour tâche au sujet la réincorporation des matériaux morts de l'expérience résiduelle. Elle mise sur le processus archéologique plutôt que sur l' expérience créatrice et constructive, sur le culte des événements morts plutôt que sur leur destruction définitive dans l'acte créateur. Sur le métaphorique plutôt que sur le métamorphique. Sur le résiduel plutôt que sur l'actuel. C'est exactement sur ce point que je me sépare de cet avatar de la psycho-analyse inventive et créatrice (germinale dit Lacan) élaborée par Freud, transformée par sa postérité en un système religieux. Tout le reste se déduit de ce changement de posture à l'égard de la vie psychique.

Pour moi, la vie psychique est tournée vers l'expérience immédiate en vue du développement des potentialités du sujet, de ses capacités génétiques à choisir parmi les comportements possibles ceux qui mobilisent son dynamisme et lui ouvrent les meilleures chances de développement des potentialités qui composent son capital émotionnel/ affectif/intellectuel.

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Ce détour était indispensable pour comprendre ce qui dans le Conte Merveilleux - par excellence territoire de l'expérience psychique - s'affirme fondamentalement pour moi comme lieu de l'expérience créatrice actuelle par où il tire son efficience et non d'abord comme lieu de la mémoire culturelle par où il s'aliène. Le procédé de la psychanalyse appliqué au Conte Merveilleux est une démarche pernicieuse.

La psychanalyse comme système explicatif est dominée par la structure anale. Elle est fixée sur les contenus latents en vue de leur interprétation. C'est une procédure de l'aval. C'est toujours du bol fécal dont il est question dans ce traitement analytique du résiduel.

Pas plus que toute autre forme de création, le rêve ou le Conte Merveilleux ne valent d'abord par leur contenu latent, n'ont de contenu latent. L'idée de contenu latent est un anachronisme imaginaire, pure argutie idéologique, une fabulation des psychanalystes. Le rêve, comme le Conte Merveilleux, comme le lapsus valent par le processus de leur formation et par la qualité de décharge affective qu'ils opèrent ou procurent dans l'instant de leur production, par la force subversive qu'ils manifestent à l'encontre de l'ordre intérieur établi. Le supposé contenu latent est confondu, dans la théorie psychanalytique, avec la matrice affective où s'origine le jeu de la représentation, avec le travail de la formation des formes psychiques par où l'affect devient accessible au Je, par où il devient objet pensable.

Le Conte Merveilleux, comme le rêve, valent par le processus de leur formation que ce soit dans l'expérience solitaire, intrasubjective, du dormeur; que ce soit dans l'expérience intersubjective du conteur.

C'est l'Acte relationnel de contage qui est l'opération princeps, pas d'abord l'histoire qui ne constitue qu'une somme de stimulii affectifs propices à l'activité onirique de l'auditeur. C'est la matrice psycho-affective et le bain émotionnel créés par le conteur qui constituent les facteurs opérants et structurants de l'expérience de l'enchantement, de cette activité onirique subjective et narcissisante opérée par le Conte Merveilleux, de ce mouvement par où l'affect prend pied dans l'imaginaire.

Lorsqu'on a admis cette prévalence de l'affect sur la représentation, alors on peut avancer en confiance vers les signifiants engagés dans le Conte. En prenant bien soin de toujours avoir présent à l'esprit que le signifiant n'est pas psychique, que le signifiant est l'histoire réelle, est le Réel, et non ses représentationsmétaphoriques par où la psychanalyse les arraisonne et les réduit au mimétique.

C'est le contage qui est l'opérat princeps de l'enchantement et ce sont les qualités médiumniques (empathiques et créatrices) du conteur qui sont la condition nécessaire et suffisante de son influence structurante comme starter de l'activité psychique du sujet, et de la communauté de sujets à laquelle il s'adresse. C'est la passion narcissique commune au conteur et aux auditeurs qui assure la fécondité du Conte Merveilleux. Le bricolage psychanalytique qui viserait au travers du conte à mimer intentionnellement cette relation passionnelle ne serait que le pantin de cette addiction par où la complicité du conteur et de l'enfant se referme sur le monde secret des passions originaires.

La psychanalyse des Contes de Fées ne sert à rien. Sinon, bien entendu a la connaissance des processus de transformation des signifiants en signes langagiers, ce qui est l'objet de la sémiologie où la psycho-analyse apporte une contribution fondamentale. Cela offre un réel intérêt dans cette dimension-là, mais certainement pas dans celui de l'action. Comme tout ce à quoi a touché la psychologie appliquée, cela se retourne invariablement en procédés. La psychologie moderne aliénée à la marchandise, privée d'éthique, fonctionne comme instrument de dépistage, de dressage et de normalisation comportementale (les cellules psychologiques dont on nous confiture quotidiennement la tartine télévisuelle).

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La démarche intuitive/créatrice est ce qui a produit le monde du Merveilleux dont la fonction est abolie dès l'instant où l'on tente de la fixer et d'en décortiquer la structure, en vue de l'appliquer à la rééducation, voire à la thérapie : "Des contes pour guérir", quel contre-sens! Comme je l'évoquais déjà tout à l'heure, l'expérience créatrice dans la création picturale, s' est aliénée en un académisme lorsqu' un individu a soudain pris conscience de la Perspective et que, tout à la jubilation narcissique de sa découverte, s'est attaché à en décrire les lois, et à les transmettre à des élèves, engagés dès cet instant comme lui-même sans doute dans une activité mimétique de sa propre méthode de formalisation. C'est à ce moment-là que la peinture a cessé d'être expressive pour devenir mimétique.

Le processus créateur - la Gestaltung - s'aliène bientôt en une méthode, en un comportement standardisé, refermant la faille créatrice par où les signifiants étaient justement susceptibles d'être piégés, effractés et dévoilés. Tout processus de ce type peut être considéré comme le fruit d'une résistance à la mise à jour des signifiants dans le jeu de l'Expression.

Ce qui est opérant dans le travail de l'analyse, c'est évidemment le processus de l'Expression, quelle qu'en soit la modalité : émotionnelle, affective, æsthétique, psychique .

En devenant objet de connaissance le rêve est devenu objet de culte. Dès cet instant où le rêve est utilisé comme matériau d'analyse et non comme lieu d'expression, une dynamique de la complaisance et de la résistance se substitue à la dynamique expressive : le client se met à rêver pour son psychanalyste qui conforte à son tour la résistance par le travail de l'interprétation. Ainsi les deux complices peuvent entretenir un certain temps la clôture narcissique de leurs mythologies anecdotiques respectives au détriment de la subversion onirique.

Une fausse histoire de fées. Des fées musclées se promènent en se tenant par la main sur un méchant petit chemin de caprices de fumée. Un boulet de charbon incandescent tombe sur le drap malicieux en proie aux tourments psychiques d'une femme boursouflée de songes qui poussent en place des dents sur ses gencives, où, depuis bien longtemps, aucun amour n'a daigné incruster ses libéralités. Fétiche en os de princesses des mille et une colères, profiteuse de rêve acclamée au visage par des sondeurs d'opinion creux, me diras-tu, un jour, ce que tu as fait avec moi? Me diras- tu, un jour, comment les bulbes éclatent dans ton ventre ? Me diras-tu, un jour, si je peux recueillir l'écume de tes rêves pour purger les sermons noirs des vidanges de Dieu, et pour me débarrasser une fois pour toutes de la plus-value exorbitante des mots menteurs ? Les mouches se dandinent verticalement, pour le plaisir, sur de douces éponges calcinées.
Guy Lafargue : Les contes d'Ordeboue Décembre 2000

 

La médiumnité

empathie créatrice du conteur

Créateur de contes et/ou conteurs ont en partage une faculté commune : la médiumnité, et des dispositions charismatiques variables pour en donner formulation sensible (æsthétique/poétique) et communication.

Il s'agit d'une disposition psycho-plastique qui réunit trois atouts majeurs :

  • l'empathie comme capacité de saisie directe, non-médiate des états d'affects de l'autre, telle qu'elle a été analysée et mise en valeur par le psychologue américain Carl Rogers.
  • la capacité poétique, métamorphique, c'est à dire le travail de formulation créatrice, psychique ou æsthétique, des états ou des effets d'affects.
  • la capacité de liaison intersubjective du conteur, qui constitue l'aire de contage elle-même toujours composée de deux partenaires : le conteur et le ou les auditeurs. Je ne dis pas les écoutants, car on n' écoute pas un conte, on l'entend.

C'est ce travail de conversion de l'affect, des signifiants, en formes poétiques, produits de l'alchimie symbolique, qui constitue l'univers du Conte Merveilleux. Et c'est son récit qui constitue le travail de l'enchantement comme "effet de la Parole sur le sujet en tant que le sujet est constitué des effets du signifiant" pour reprendre la superbe formule de Jacques Lacan. Le conteur est le miroir des signifiants. Il transforme les éléments ß impensables de l'expérience affective en éléments poétiques assimilables.

Ce que l'on appelle les effets de sens, ce sont justement les répercussions sensibles, articulant le Réel des sensations et émotions originaires au Symbolique des mots via l'Imaginaire. Cela n'a bien évidemment rien à voir avec la signification, avec la traque des significations que psychanalyste et psychanalysant se donnent comme visée du colloque analytique. C'est dans le processus de la formulation lui- même que réside l'opérat de la décharge, de la détente affective, et non dans sa mise sur écoute.

La détoxication des phantasmes originaires

J' adhère de façon inconditionnelle aux propos de Bruno Bettleheim lorsqu'il dit que les Contes Merveilleux traitent de façon structurante les problèmes affectifs originaires du jeune enfant. Qu' ils contribuent à sa croissance émotionnelle en donnant un sens (une existence sensible) aux convulsions affectives dont il est le siège et aux angoisses de mort qui s'y attachent. Je pense que nous devons tirer toutes les conséquences de ce point de vue et comprendre, redire peut-être sur quels processus se fonde ce travail de la détoxication des affects et de leur intégration dynamique dans un sentiment de confiance dans le monde tel qu'il est et dans les ressources de maîtrise du vivant dont dispose le sujet.

Parmi les théoriciens de la psychanalyse, c'est certainement Mélanie Klein et les néo-kleiniens (et Dolto et d'autres de cette trempe) qui ont contribué de façon décisive à accorder à la vie phantasmatique originaire toutes ses intensités, toute sa portée dramatique et dynamique dans la construction du sujet : destructivité, envie, avidité, omnipotence en constituent les fondations universelles, supra-culturelles, génétiquement constituées.

C'est cet univers paroxystique inaugural, fondateur des premières formations et objets psychiques, dites de ce fait proto-psychiques (génératrices des premiers objets psychiques), qui a secrété comme antidote le monde du Merveilleux. Belle et exemplaire leçon d'humanité par où le meilleur procède du pire. Car c'est bien du pire dont il est en permanence question dans les Contes Merveilleux : les angoisses d'abandon, la haine envers la mauvaise mère, la dévoration avide, l'anéantissement du soi, l'intense culpabilité liée aux pulsions envieuses, la destruction phantasmatique des indispensables Objets d'amour, la pulsion de meurtre, et plus tard le désir incestueux …tout ce monde d'émois aigus et d'affects explosifs qui traverse l'expérience du jeune enfant, qui n'a d'autre garde-fou pour construire son sentiment du monde que l'adaptation aimante et contenante de la mère, qui lui permet en règle générale de vivre ces mouvements sans rétorsion, bien au contraire, dans un renforcement momentané du lien symbiotique par où se restaure à chaque fois l'image de base du corps organique/relationnel jusqu'à sa complète autonomie.

Et c'est par là à mon sens, qu'opère le contage : par transfert et déplacement au sein de la relation intime de régression narcissique créée par le conteur, par la généralisation de l'univers phantasmatique qui perd ainsi son statut initial intra- subjectif. L'enfant éprouve concrètement dans l'espace de la narration que les angoisses dont il est le siège sont partagées et assumées par la communauté culturelle, y compris lorsque cette communauté se réduit à la mère ou à l'un des parents qui fait récit dans un lien d'amour dont le contage est une marque éminente.

Dans son livre "La violence de l'interprétation", Piéra Aulagnier résume à sa façon ce dont il est question dans le Conte. Elle écrit ceci :

"Si le regard désinvestissait la scène extérieure pour se tourner exclusivement vers la scène originaire, il ne pourrait qu'y contempler, sidéré, ces images de la chose corporelle, cette force engendrant une image du monde devenue reflet d'un espace corporel déchiré par des affects qui sont à chaque instant, et totalement amour ou haine, action fusionnelle ou action destructive".

L'alchimie du Merveilleux

Par quelle alchimie le Merveilleux des Contes opère-t-il ce travail de détoxication affective des pulsions destructives et des phantasmes originaires qui s'y enracinent ? Comment l'inventivité narrative à l'œuvre dans le contage contribue-t- elle à favoriser, à étayer ce passage de l'état d'enfance à l'état mature ?

Dans son livre "Petit Poucet deviendra grand", Pierre Lafforgue nous dit ceci: "Le conte porte en germe, grâce aux représentations présentes, ce qui pourra devenir une élaboration conceptuelle des contenus psychiques inconscients" (p 39). Toute la psychanalyse repose dans cette formule "les contenus psychiques inconscients".

De mon point de vue, ce que le conte propose, c'est d'engager une élaboration psychique des complexes affectifs (inconscients) vécus par l'enfant . L'enfant y a passion par ce qu'il comprend instantanément, de façon non- médiate, qu'on est en train de parler de ce qu'il éprouve sans pouvoir le nommer. Là réside la fascination enfantine et adulte pour le Conte Merveilleux. Le conte nous fournit une matrice pour penser, pour rêver, c’est-à-dire pour insinuer dans notre expérience affective actuelle une structure narrative qui fait immédiatement jouissance par ce qu'elle constitue la reconnaissance et l'objectivation d'une angoisse latente liée aux éprouvés affectifs dominés par les phantasmes archaïques.

Le Conte permet la transformation des phantasmes archaïques (eux-mêmes représentations/représentants des pulsions marquées par les affects et les défenses originaires érigées contre eux) en représentations narratives sur. lesquelles va progressivement pouvoir se développer la scénarisation psychique subjective de l'enfant.

Au cœur du lien tissé par la narration, l'enfant est rassuré quant au sens des épreuves affectives impensables. C'est l'activité de penser elle-même qui se met en mouvement, par où l'enfant a jouissance, et par où il se dégage de l'adhésivité inhérente au phantasme. C'est la mise en mouvement du processus créateur imaginaire qui est l'enjeu et le but, et non les contenus psychiques introjectés comme l'affirment les psychanalystes (les greffes de symbolique).

Avant d'être ce "conteneur de possibilités de penser" comme l'imagine Lafforgue, le Conte est avant tout cristallisation de la fonction créatrice émergente de l'Imaginaire et de l'activité de pensée elle-même, par essence créatrice, matrice de la pensée créatrice. C'est le terme "conteneur" que je remets en cause en tant qu'il n'a pour autre visée inconsciente que de conforter le mode de représentation topique freudien des "contenus" psychiques refoulés.

Le mythe de l'Inconscient Collectif

Nos certitudes ne sont bien souvent que des lieux communs
entérinés par la sottise sociologique.

Le principe de base qui soutient le point de vue selon lequel il y aurait un inconscient collectif venu du fond des temps, qui se transmettrait au sujet individuel par une voie phylogénétique, comme l'a bricolimaginé Freud, s'appuie sur cette observation selon laquelle au travers de leurs différences culturelles, les mythes de l'humanité sont fondés sur des fantasmes communs, relativement stables, et invariants. L'explication du Même par l'existence d'une sorte de tronc commun phylogénétique de ce qu'ils appellent les contenus psychiques, par l'existence d'une surdétermination structurale collective inconsciente, cela procède tout bonnement de la pensée syncrétique. Comme si la biologie avait besoin de ces chromosomes psychiques, de ces gènes culturels pour produire du Même.

La fonction psychique est une fonction émergente et non fondamentalement une fonction récurrente. Ce qui est commun à l'espèce humaine dans son ensemble, ce sont les modalités structurales/structurantes de la codification affective et du processus de formation des représentations imaginaires. Le processus de la subjectivité est singulier et non collectif. Il part de l'expérience intime et est producteur d'images subjectives, émergentes, sur lesquelles le conteur prend appui pour son propre travail jubilatoire de fédérateur des processii individuels, par où cela justement fait jouissance et forme ensuite culture, c’est-à-dire lien au travers du langage. Le processus culturel est centrifuge et non centripète comme la notion d'Inconscient collectif le suggère.

L'Inconscient collectif est un concept-écran. L'analogie entre les productions f(ph)antasmatiques des individus ne procède pas d'une force collective mythique qui emprendrait le sujet, mais bien l'élaboration émergente du processus subjectif lui- même au sein de "matrices prénarratives" stables (Daniel Stern).

Le processus du Conte Merveilleux n'est pas, comme l'exprime Pierre Lafforgue "un producteur de pensée issu de l'inconscient collectif des groupes humains", ni fondamentalement "un stimulant de pensée" mais il est la pensée native elle-même, la forme elle-même de la pensée originaire que des créateurs médiumniques vont fédérer en un culture. La culture est seconde par rapport à la pensée émergente, créatrice et non l'inverse.

Ce point de vue modifie radicalement les choses quand à la façon de se servir du Conte Merveilleux soit comme espace du lien affectif constructif (dans sa dimension créatrice) où comme prothèse, comme cela est le cas dans nombre de manifestations culturelles où pédagogiques (voire, aujourd'hui "thérapeutiques") autour du conte devenu espace de consommation d'imageries exotiques et sédatif.

Dans la convocation du récit adressée à l'enfant et le plus souvent par l'enfant dans la relation intime, ou au sein de la communauté familiale ou sociale, ce qui vient faire jouissance, ce qui fait "contentement" (enchantement), tient à la possible mise en commun du fond phantasmatique singulier de tous les sujets. Cela tient à l'autorisation contenante de leur exposition au sein d'une relation enveloppante, dans laquelle ce qui est énoncé des phantasmes originaires et des fantaisies psychiques est reconnu comme fondation commune à tous les membres du groupe, comme patrimoine communal . L'horrible affectif y perd sa toxicité. Le groupe y éprouve soulagement, contentement.

Le mot "content" et le verbe "contenir" ont la même racine étymologique. Être content, c'est être contenu. L'enchantement lié aux Contes Merveilleux remplis de telles horreurs, de telles invraisemblances, de telles turpitudes tient exactement à ce qu'ils sont contents, contenants et détoxicants des expériences affectives angoissantes traversées par le jeune enfant et toujours vivantes chez l'adulte humain à l'état de trace.

Ce que font le Conteur et l'enfant, c'est se rassurer ensemble sur le destin de ces Objets internes destructeurs. Le contentement tient au desserrement de la commune culpabilité, à la solidarité affective rétablie entre l'adulte et l'enfant, et à la dissolution fusionnelle des codes surmoïques …espace d'endormissement? L'endormissement est bien le signe de ces effets de relâchement des pressions affectives.

Le Conte comme prothèse
la théorie des implants psychiques

Raconter des contes de fées pour palier au manque-à-la-symbolisation, est à mon sens un contre-sens. Fournir des greffons psychiques à ceux qui sont supposés dépourvus d'espace psychique est une tâche impossible. Si quelque chose opère de cette intentionnalité, ce n'est certainement pas dans la dimension de la greffe de symboles que cela opère, mais ailleurs, essentiellement dans le mode de communication, dans l'échange affectif et dans le lien intertransférentiel qui s'y exprime et qui s'y développe, et dans les forces narcissisantes qui s'y épanouissent.

L'idée d'utiliser le Conte Merveilleux comme moyen thérapeutique est une idée généreuse et passionnante. Mais aussi une tentation et un piège. Comme dans les autres domaines de la création, la fascination de l'expérience créatrice y exerce ses mirages, notamment celui qui, de la même façon que dans le monde de l'art-thérapie, de l'arthopédie, considère la médiation comme possédant des vertus thérapeutiques intrinsèques. L'Art serait thérapeutique. Il n'y a rien de plus faux que cette attitude qui fait faire à ses adeptes l'économie de l'expérience créatrice. Elle accrédite auprès du public surmédiatisé l'idée que des procédés abusivement appelés créatifs, des trucs de foire, pourraient exercer une influence organisatrice de la psyché inconsciente du sujet. J'interroge vigoureusement cet à priori.

Il y a une dérive réductrice du Contage qui fait la promotion d'un Merveilleux orthopédique. Cette intentionnalité, n'aurait pas pour but immédiat la gratification narcissique mutuelle du conteur et de l'enfant; elle n'aurait pas pour but immédiat la jouissance liée à l'expérience créatrice par où le Conte est justement opérant, mais l'encodage métapsychologiquement correct des enfants. Un conte qui fixerait la normalisation psychique comme visée.

Pour moi, c'est essentiellement dans le lien affectif, dans l'accroche transférentielle où se développe le récit que réside la puissance cathartique et intégratrice du Conte.

Le processus de constitution
des contes merveilleux

Ce qui m'intéresse à moi, c'est le Conte Merveilleux à l'état natif, le Conte comme Création, celui qui est ensuite constitué en mémoire culturelle. Le Conte des créateurs de Contes. Ce sont les processus d'élaboration imaginaire et de relation intersubjective qui l'ont rendu possible qui me fascinent.

Contrairement à l'idée dominante en la matière, le processus de collectage et sa consignation dans une culture du livre a peut-être involontairement participé à la destruction du ferment, du processus d'ensemencement qui caractérisait l'ancienne

culture. De médiation symbolique dans l'histoire subjective d'une communauté

humaine constituée, la culture du livre a produit de l'édulcoration, du rétrécissement de l'Imaginaire, de l'anémie du potentiel imaginaire. Toute généralisation instrumentalisante produit une perte irréversible.

Le contage comme processus intersubjectif
et comme médiumnité

Le contage prend toute sa portée et sa fécondité dans l'expérience affective actuelle de l'enfant, de par l'acte de communication qui relie le conteur et l'enfant au sein d'une matrice symbolique, langagière, dont le récit constitue le liant L'effet majeur du Conte Merveilleux et de tout récit donné dans ce mode de rencontre tire son succès de la jouissance commune prise par l'adulte et l'enfant. C'est par là que le contenu du Conte opère, par l'ouverture d'une aire de satisfaction affective mutuelle dans laquelle les signifiants affectifs sont pris en charge par l'adulte conteur, dans une solidarité émotionnelle qui permet au jeune enfant de se

sentir compris dans les tourments qui l'assaillent. L'érogène dont il est question dans le lien nourri entre le conteur et l'enfant est l'érogène symbiotique venant se structurer dans l'imaginaire de l'enfant, par où se restaure l' "image de base" de l'enfant (concept Dolto), par où se résout le dilemme de la séparation et de l'ouverture de la subjectivité à de nouvelles expériences de satisfaction.

Dans le fond, le Conte Merveilleux agit comme subversion érotisée du discours éducatif et de la normalité culturelle. Dans le lien de contage, se produit instantanément un travail de libre régression mutuellement consentie par le conteur, l'enfant et la communauté humaine solidaire, par où se produit un desserrement des signifiants affectifs et un déploiement de l'activité de rêverie éveillée et structurante pour l'enfant. Le contage favorise le libre fonctionnement créatif de la fonction psychique qui permet l'élaboration imaginaire, (propriété émergente), de l'affect inconscient (des signifiants angoissants).

Le Conte merveilleux
comme rite transitionnel de passage
de l'Imaginaire au Symbolique

Winnicott a développé un concept particulièrement fécond - le concept d'Objet transitionnel - pour désigner un processus de passage de l'univers du Réel vers le monde de l'Imaginaire. L'Objet transitionnel, le doudou, est ce vecteur physique/affectif qui introduit le petit mammifère humain dans le monde de l'enfance et de la représentation. Le Doudou, c'est une image concrète, chargée des propriétés affectives/sensuelles du lien charnel à la mère qui va permettre au petit enfant d'avoir une preuve sensible, æsthétique, de l'existence de la mère en son absence, processus qui inaugure l'avènement de la pensée organisée et du langage. Et Winnicott a bien raison de faire de ce processus la matrice de la créativité humaine

Mais il y a un autre pôle de la transitionnalité qui n'a pas, à ma connaissance, été théorisé, celui qui marque le passage de la vie psychique du monde de l'Imaginaire au monde du Symbolique, c'est à dire au monde des mots et du verbe?

Ce passage précède le développement d'un nouveau stade dans le mouvement progressif de l'abstraction qui conduit le processus psychique à son terme : celui de la parole et du langage verbal qui établissent et entérinent l'utilisation d'un symbole abstrait comme moyen privilégié de communication. Et c'est précisément dans ce registre qu'opèrent pour le jeune enfant le Conte merveilleux et la poésie Ces deux modes langagiers constituent des moyens privilégiés de favoriser ce passage de la représentation imaginaire (intrapsychique) du monde à celui la communication verbale (culturelle).

A travers le Conte Merveilleux, l'enfant reste en prise avec sa vie f(ph)antasmatique et apprend à en maîtriser les soubresauts dans l'exercice du langage. Il reste relié avec ses conflits affectifs inconscients au travers de leur symbolisation imaginaire maîtrisée dans le langage, telle qu'elle se développe au sein de la relation identificatoire . Et c'est la voix du conteur, la mère où un être affectivement proche de l'enfant qui accomplit ce passage initiatique. La voix est le vecteur des signifiants là où la parole est seulement porteuse des significations. Les mots du Conte merveilleux agencent la signification qui n'est opérante de l'enchantement, de l'initiation, que parce que la voix du conteur, initiatique et contenante, est garante de la permanence du lien affectif au-delà des tourments qui traverse le jeune enfant dans son travail de croissance.

Ce qu'il y a de merveilleux dans le conte c'est l'existence d'une narration nostalgique intégrative de la séparation nécessaire au processus de la croissance grâce au jeu du langage. L'enchantement est celui de la découverte du caractère opérant des mots par où dorénavant l'enfant devra traiter de ses conflits affectifs avec le monde de ses pulsions, de ses affects et de ses émotions.

Le lien de contage est un lien de régression libre, mutuellement consentie entre le conteur, l'enfant et la communauté humaine, lien imaginaire puissant qui établit justement cette communauté comme solidaire des épreuves affectives difficile que l'enfant à résoudre pour devenir membre à part entière de cette communauté.

A l'articulation de l'Image de la Chose (évoquée par Piéra Aulagnier) et de sa représentation abstraite dans les mots, le Conte Merveilleux facilite le dégagement des affects. Le Conte opère en tant que l'enfant y a la possibilité de se représenter son affect dans l'énonciation de son symbole. Le récit constitue l'image f(ph)antasmatique collée à l' affect en une rêverie psychique dégagée de l'affect grâce au lien contenant établit par le conteur où se manifeste la solidarité émotionnelle . Et le Conte, les mots du Conte, referment définitivement cette césure avec l'adhésivité affective dans le jeu du symbolique, dans le jeu des mots. L'espace psychique devient alors une aire scénique, une sorte de théâtre intime où la narration commune vient donner spectacle des processus de séparation du Sujet et de l'Objet et des défenses qu'ils engendrent, à l'abri de la rétorsionémotionnelle et de la culpabilité. C'est la présence paradoxale de la donne phantasmatique et du lien d'amour symbolique établi par le conteur qui opère le charme et qui permet à l'enfant de dédramatiser les angoisses affectives qui l'habitent en permanence, et d'y entendre que ces angoisses ont une issue constructive et un Sens pour reprendre ce que dit Bruno Bettleheim.

La petite charrette du printemps. Il y avait autrefois, dans une grande mauvaise ville, un homme et une femme qui chaque nuit au moment des sèves de printemps sillonnaient les rues de la ville. Ils ouvraient les couvercles des poubelles pleines de bébés animaux, et en retiraient les chatons, les perroquets, les singes et les chiots dont les gens se débarrassaient parce qu'ils voulaient bien des bêtes de compagnie mais pas de leurs petits. La femme, une grande négresse aux yeux brillants et rieurs s'occupait surtout des plus petits. Elle les calait sur sa poitrine avec ses bretelles blanches et elle leur donnait un biberon. L'homme tirait une petite charrette de marchande de quatre saisons dont il avait rehaussé les montants. Lorsque la charrette était pleine, ils sortaient de la ville jusqu'à leur cabane et ils disposaient les chatons et autres bêtes sur le sable tiède de l'étang où ils reprenaient vie.

Guy Lafargue : Les contes d'Ordeboue - Décembre 2000


[1] L'engobe est un enduit d'argile liquide et d'oxyde métalliques dans lequel on trempe les poteries à cru avant cuisson pour leur donner un épiderme coloré parfaitement incarné au biscuit

[2] C'était l'actualité au moment où j'ai écrit cet article.

PETIT MANUEL
DE SABOTAGE
DE L’APPAREIL
A PENSER

Communication pour les journées d'études de l'ARAET
Genève, Novembre 1998
Matières, Matériaux, Expression, et Pensée

Guy LAFARGUE
Psychologue plasticien
Directeur des Ateliers de l'Art CRU

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Je dois dire que j' éprouve une grande satisfaction à pouvoir exprimer quelques pensées personnelles. Être invité à penser librement n'est pas chose si courante qu'on ne s'en puisse réjouir avec insistance. Bien souvent, vous le reconnaitrez je l'espère avec moi, les pensées qui se donnent en spectacle dans les livres ou dans les conférences ne sont pas toujours des pensées très libres. Ce sont beaucoup des pensées préconstruites, bien rangées dans des discours, qui s'adressent à des cortex auditifs bien élevés, dans des codes immuables, si bien que tout le monde est content et que les choses peuvent rester en l'état.

Je crois que je pense sur la pensée des choses pas très convenables. Enfin, ce n'est pas sûr. Vous me le direz.

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Pour répondre à l'invitation qui m'était faite, j'avais fait le projet de me placer dans la position de penser avace ma main, c'est à dire d'écrire selon la formule consacrée d'André BRETON "en l'absence de tout contrôle exercé par la raison", ce que je sais faire et que j'ai déjà pratiqué dans un certain nombre de mes articles cliniques et théoriques. L'obstacle appro­chant, j'ai provisoirement renoncé à me placer dans cette attitude et j'ai pris le parti, pour cette fois de glisser ma pensée dans les chaussons de la bienséance. Et pour une fois, je vais m'auto­riser à être un spectateur anonyme de ma propre pensée, incrustée sur le film que j'ai construit pour vous, dont je répondrai ensuite.

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Je commen­cerai ce court voyage à partir du précepte sur­réa­liste selon lequel il y a un en deça de la pensée qui vaut le dépla­cement, et à partir de la méthode surréa­liste de l'auto­ma­tisme psychique pratiqué inten­tion­nel­lement.

L'auto­ma­tisme psychique pur prescrit sur ordon­nance n'est pas, en effet, une position très habituelle pour des personnes civilisées. C'était pourtant la trouvaille commune et simultanée de FREUD et des SURRÉALISTES via la plume d'André BRETON que de proposer l'expérimentation d'une situation paradoxale où ça puisse penser avant que d'être pensé.

Pour FREUD l'injonction paradoxale était "Dites tout ce qui vous vient à l'esprit". Ce faisant, il trans­formait avec son maître BREUER un moment de grâce passé en compagnie d'une femme intel­li­gente en une technique qui connaîtra le succés que l'on sait : la psycho-analyse.

Pour André BRETON c'était "Écrivez tout ce qui vous vient à la main ". Pour les deux, l'esprit ou la main, la psyché ou les muscles comme vecteurs corporels obligés de l'expression des motions les plus profondes, il s'agissait de créer une situation interhumaine construite, un cadre pour déjouer la répression morale et esthé­tique sur l'expérience de l' énonciation pressentie par les deux hommes comme potentialité de trans­for­mation : du sujet pour l'un, et comme subversion sociale pour l'autre. Il s'agissait en quelque sorte d'instituer le processus de la régression comme écluse vers le signi­fiant, dans la perspective, pour l'un et l'autre de la réorga­ni­sation du système socio-mental (concept emprunté à Max PAGES).

Donner sa revanche à la Parole sur la connerie, ce qui n'était pas une mince affaire, et cela allait réserver des surprises tragiques : TAUSK, CREVEL, pour ne citer que les têtes de série.

Processus associatif pour l'un, automatisme psychique pour l'autre, il s'agissait de provoquer chez le sujet l' intention de laisser la motion pulsion­nelle la plus profonde prendre les commandes de la formu­lation expressive contre quoi elle est justement puissamment défendue. Peu importait l'organe, de la bouche ou de la main. Et ce ne sera pas une mince contra­diction, sûrement l'une des plus poétiques de FREUD, que d'avoir misé la totalité de sa fortune et de sa confiance dans l'exercice du processus associatif, et d'avoir ensuite inventé de toutes pièces la pulsion de mort pour justifier les limites du pouvoir du jeu paradoxal de la prescription du symbo­lique : Pensez librement! Comme celle d'André BRETON aura été pour finir l'enlisement du Surréalisme dans la littérature et dans l'art.

Dans les deux cas, la méthode devient la visée du sujet, se substitue à la substance de l'acte créateur fonda­men­ta­lement irréduc­tible à toute prescription. Le fonction­nement psycho­tique ne se décrète pas. Si pulsion de mort il y a, ç'en est alors le niveau où elle se repré­sente avec le plus d'éclat. Car c'est bien de cela qu'il s'agit dans l'invite du divan : de la fasci­nation d'un mode de fonction­nement psycho­tique proposé au client comme mirage d'un possible bonheur.

La leçon de l'épuisement surréaliste en littérature et en suicide et de l'enfermement psychanalytique en analyses inter­mi­nables ou parfois en acting suici­daires est peut-être à rechercher dans le processus narcissique lui-même sur lequel ils se fondent, processus autophagique, inhérent à la prescription du Désir.

Dans les deux situations, le psychique et l'esthétique sont sommés de fonctionner sur un mode que l'on pourrait qualifier de psychotique, c'est à dire sur un mode où les mots sont abolis en tant que message, en tant que forme et deviennent à eux-mêmes leur propre matière, leur propre objet d'inves­tis­sement… un espace/temps où les mots sont les signifiants et les signifiants les mots, où "Je" est invité à se saborder… où la différenciation entre la pensée et la psyché est abolie, et où ce qu'il y a préci­sément d'humain chez le sujet se dissout.

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Pourquoi la pratique dadaïste qui était une pratique insur­rec­tion­nelle en passant de la Suisse en France, de Zurich à Paris, est elle devenue une pratique de salon (Zurich où l'on a détruit il n'y a guerre le bistrot où Tristan TZARA est venu au monde de l'expé­rience analytique - la Dadanalyse - qui s'ouvrait comme mode d' analyse esthé­tique et politique révolu­tion­naire de la société) pour finalement se dévoyer en idéologie Stali­nienne puis en litté­rature sous la férule d'André BRETON couronné Pape du Surréa­lisme ?

Paradoxale, l' injonction associative…

Paradoxale, l' injonction de l'automatisme psychique…

Parce que dans les deux cas la prescription du désir passe outre à l'expérience du manque dans un acte délié de toute altérité. Tension délibérée vers un Désir qui ne serait pas désir du Désir de l'Autre. Qui abolit l'Autre en tant que lieu du Désir qui nous constitue comme autre. La prescription du désir détruit tout bonnement ce qui en est sa condition d'éveil et de développement : l'absence de l'autre, ou au contraire sa présence exacerbée comme fantasme.

Bien entendu, il en va de même de la prescription artis­tique, pratique e­xem­plaire de double-langage qui interdit au sujet, au moment même de la prescription, l'accès à ce qui lui est désigné comme idéalité à atteindre, accom­pagné par la solli­citude de l'arthé­ra­peute :

J'ai une fascination pour cette inter­ro­gation sur le pro­cessus d'articulation de la pensée et de la matière dans l' aventure expressive. Elle a totalement habité mon engagement dans l'expérience créatrice. Dès l'origine.

Mon propre espace de pensée est tendu en permanence par cette question de la création d'une structure pour l'expression esthétique, qui ouvre la personne à un mode d'expérience créatrice où la pensée vienne en aval de la rencontre esthésique avec la matière. Mon premier Atelier, mon premier livre portent le même nom : "Argile vivante"…matière vivante. J'ai toujours instinctivement choisi de laisser la matière dicter la forme. J'ai appelé le deuxième volet de mon Atelier d'Écriture: "Écriture/matière". Dès l'origine de mon ouverture profes­sion­nelle j'étais animé par ce parti-pris.

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La pensée qui me vient à la psyché à l'énoncé de celle de mes hôtes "Matiere, Matériau, Expression et Pensée" est donc pour moi de savoir comment résoudre dialec­ti­quement cette épineuse question du croisement de l'expé­rience créatrice dans l'invi­tation expres­sion­nelle où je me situe, et celle de son alié­nation dans l'art. Autrement dit, au niveau où nous jouons ici : comment créer de l'institution sans verser dans de la prothése ?

Je ne suis pas du tout, dans ce débat, sur les positions œcumé­niques de Jacques STITELMANN. Je comprends cet effort de concilier des positions inconci­liables, mais je n'y souscris pas. Il y a pour moi dans la question majeure de l'expé­rience créatrice des conflits irréduc­tibles entre la position analy­tique, qui est le lieu commun de notre rencontre, et la position artis­tique où tentent de la fixer un certain nombre de pratiques artho­pé­diques. C'est bien de la position de la pensée prise dans la matière ou prenant les matériaux dont il est question, c'est à dire du contrôle de l'acting créateur : par les signi­fiants ? ou par la pensée qui les occulte ? Pour ce qui me concerne, j'ai fait un choix. J'ai choisi le silence de la pensée, la renon­ciation au projet et à l'intention.

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Pensée/matière, matière première - comme on dit - pour l'appel au corps comme pensée organique - qui est poésie - contre matériau qui est matière pour la pensée et non fonda­men­ta­lement pour le corps qui est le lieu de l'expé­rience créatrice elle-même, pensée surdé­ter­minée/surdé­ter­mi­nante par les codes de la construction. Dans le thème proposé à notre réflexion, j'ai fait comme on dit chez nous, l'impasse sur les matériaux. Les matériaux, c'est déja des affec­ta­tions de la matière - "LEROY-MERLIN, magasin de Matériaux"- c'est déja de la matière déjouée par la pensée. C'est de la matière domes­tique. C'est de la matière prostituée à la pensée dominante. Les matériaux, c'est les ingré­dients de la recette : une pelle de ciment, deux pelles de sable, un demi seau d'eau, dix-sept parpaings... le projet est déjà inscrit dans les matériaux. Après, la confection dépend de l'art, du métier dans ses savoirs-faire. L'expé­rience créatrice y est canalisée dans les pré-requis de l'ani­mateur qui dirige, oriente, canalise la pulsion créatrice vers les modes de formu­la­tions qui ne risquent pas trop d'envahir la scène consciente par des matériaux incons­cients, ce qui a toujours des effets redou­tables.

Les matières, je le sais par expérience profonde depuis trente ans, sont des toboggans vers les signi­fiants à la condition de les laisser exercer leur pouvoir projectif sans aucune restriction. Ce sont les matières qui vont diriger l'acting créateur. Contrai­rement aux fantasmes et aux fabula­tions diffusés par des détrac­teurs qui n'ont jamais mis les pieds dans des Ateliers d'Expression Créatrice, la scène n'est pas envahie mais occupée par les signi­fiants qui vont y repré­senter leur propre scénario, élabo­ration créatrice où l'ani­mateur devra jouer le rôle de l'Autre, de celui en lequel se réflé­chissent les inten­sités de désir et les violences affec­tives dont il procède, sans en être détruit.

Qu'en est-il dans l'Atelier d'Expression Créatrice version Art CRU ?

L' énoncé inaugural de l' animateur pour intro­duire à l'Atelier est le suivant :

- "Vous êtes invités à vous exprimer ici, et dans les périodes fixées pour le faire, avec la matière et avec les outils qui sont mis à votre dispo­sition pour dire ce que vous avez à dire dans ce cadre. C'est ce langage-là qui est institué comme moyen privilégié pour vous exprimer. Chaque séance d'Atelier comprend un temps consacré au jeu avec la matière et un temps consacré à évoquer les effets de cette rencontre entre la matière et le désir".

Autrement dit : un temps sans restric­tions pour le faire, et un temps pour l'éla­bo­ration de la pensée de ce qui surgit des signi­fiants dans le temps du faire. Et le tour est joué.

Voilà dans sa nudité le contrat que je propose dans mon Atelier. C'est simple. Élémen­taire. Tellement élémen­taire qu'il semble que c'en est provocant, et pour certains intolé­rable, que l'ani­mateur soit tenu de ne rien faire, et le sujet tout. Tout ce qu' il peut en tout cas. Pas de consignes, pas de propo­si­tions de jeu communes à tous, pas de propo­si­tions de jeu de groupe.

Et moi, dans cette cosmo­graphie groupale, je ne suis là que pour constituer un pôle émetteur/récepteur des charges inter-trans­fé­ren­tielles déclen­chées par cet ensemble archi­tec­tural composé du cadre, des matières/langages, de ma personne et du groupe comme supports fantas­ma­tiques d'une intense activité æsthé­sique dont l'issue obligée est : plutôt la matière ou plutôt le transfert, ou bien le transfert sur la matière, ou bien des va-et-vient entre matière et transfert selon les degrés de la menace exercée par la pulsion métamor­phique sur l'écla­tement des conflic­tua­lités qui accom­pa­gnent toujours l'émer­gence des repré­sen­ta­tions d'affect, des repré­sen­tants de signi­fiants dans le champ de la perception du sujet.

En fait, comme dans une psycha­nalyse qui est créatrice, la matière de l'expé­rience, ce n'est pas la matière, c'est le jeu affectif, et ses effets de transfert. C'est ce qui des signi­fiants est appelé par l'inten­si­fi­cation æsthé­sique du jeu. C'est l' expe­rience créatrice qui est le jeu, c'est le processus et non l'objet créé, ou les aléas de sa circu­lation dans le circuit de la commu­ni­cation sociale, comme l'y inscrit symbo­li­quement le préfixe art dans l'expression "art-thérapie" et dans les pratiques qui s'y réfèrent. Et mon travail d'ani­mateur, multiple, fondé sur une absti­nence de toute forme de direction d'éva­lua­tions ou de propo­si­tions d'exer­cices, consiste à être le témoin attentif des effets de sens qui surgissent à profusion, des effets de parole sur le sujet, comme "Il" disait , "en tant que le sujet est constitué des effets du signi­fiant"); d'avoir la capacité de les sur­ligner au moment opportun, aux moments des dialogues spontanés ou institués; à être la personne privi­légiée pour que ce qui se mobilise de l'affect, ce qui du non-humain est puissamment réactivé, puisse s'expé­ri­menter sans danger dans le jeu de la symbo­li­sation créatrice et intro­duire le sujet au symbo­lique, qui est ce par quoi l'expé­rience affective, avec sa sauva­gerie et ses violences poten­tielles, s'humanise, est intro­duite justement au monde de la êrception et de la pensée.

Assomption vers le symbo­lique, donc, et humani­sation, comme le dit si bien Fran­çoise DOLTO. J'adhère.

Le mouvement va donc de l'acte vers la pensée, et non l'inverse. L'acte précède tout projet. L'Acte, c'est celui de l 'énon­ciation de la parole du sujet dans l'agir créateur, saturé des affects dont il est l'expression, et l'accueil de ses effets de sens. Et la Pensée, c'est le moment de l'abou­tis­sement de l'acte créateur, de l'acte de la formu­lation de l'affect en une repré­sen­tation créatrice, quelle qu'en soit la matière, et même si cette matière est les mots, les mots dans la bouche ou les mots dans les doigts. C'est ce par quoi une psycho-analyse est opérante lorsqu'elle réalise ses visées, quand elle est créatrice dans sa relation à l'expression psychique (qui est la circon­scription où la psycha­nalyse assigne le sujet) .

La matière du processus d'expression créatrice, c'est le sujet ; et les matières sont les langages, les médiums de la formu­lation, de la symbo­li­sation par où l'affect se détoxique et peut revenir vers la personne comme matériau pour sa construction en tant que sujet.

Voilà.

J'espère que je n'ai pas été hors-sujet.

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mardi, 18 août 2015 21:09

Miroir dis-moi ton nom

Miroir dis-moi ton nom

Spéculaire/Spectaculaire

Exposé réactualisé
au 17 Novembre 2005

Guy Lafargue

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Je me propose d’examiner dans cet article la question de l'expérience créatrice comme lieu de constitution de l'expérience subjective dans cette dimension particulière désignée comme le "Soi" et "l'Autre".

La conception que j'expose ici est importante en ce sens qu'elle tente d'établir le partage entre deux orientations de la pratique expressionnelle commune à tous les courants de recherche occupés des médiations créatrices: l'une centrée sur le développement de la personne, l'autre centrée sur l'Art (la littérature). Et à voir dans quelle mesure l'antinomie entre les deux mondes peut être ou non résolue.

Cette question fait partie des points sensibles du travail d'élaboration théorique de la discipline nommée "Expression Créatrice Analytique" dont nous transmettons ici la pratique et les concepts opératoires en particulier autour de cette tension permanente que nous avons avec des disciplines connexes dans le débat entre :

  • la visée de l'Art, centrée sur le "donner à voir", le "donné à entendre" et sur les institutions commerciales et culturelles qui en gouvernent le cours;
  • et la visée de développement de la personne radicalement marquée par le jeu ouvert et vivant de l'Analyse, occupée de l'expérience des processus affectifs, émotionnels, mnésiques, æsthétiques, psychiques qui gouvernent l'expérience créatrice et le jeu avec les langages/matières.

Le spectacle est l'institution qui surdétermine le jeu des acteurs de la situation artistique. L'exposition (la représentation scénique) en est le vecteur central.

La parole signifiante (représentation de l'éprouvé dans les mots) est l'institution qui surdétermine les acteurs de la situation expérientielle créatrice. Le regard et l'écoute analytiques en sont le vecteur central.

Le concept de "spectacularité" nous servira à désigner les phénomènes liés à l'institution du champ artistique et des médiations scéniques.

Le concept de spécularité nous servira à désigner les phénomènes et processus occupés de la formation du Soi (et des images de soi et du corps, conscientes et inconscientes) tels qu'on les appréhende dans l'expérience créatrice centrée sur l'expression de la personne.

Le point d'orgue de nos interrogations au sujet de ces deux directions de pratique porte sur l'expérience du regard dans sa double dimension :

  • Du "regarder" et du "voir" (mais aussi du "toucher" comme connaissance);
  • Du regard de l'autre sur soi (réel et supposé) et de l'"être-vu".
  • De l'intentionnalité qui gouverne ces échanges affectifs/émotionnels où le regard et le contact définissent un espace intermédiaire de jeu entre les protagonistes.
  • De la façon dont, en dernier ressort, notre rapport à l'autre et notre sentiment d'existence se fondent et s'articulent au sein de ce jeu du regard, de l'écoute et du contact. Ils sont co-extensifs (extensions du même).

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Le narcissisme

Cette réflexion s’aventure sur des sentiers exotiques. assiette impalpable, subtile, où se joue le destin de la formation de la personne comme "sujet" (le "je" comme forme manifeste du Soi), et du narcissisme comme espace interne où se tisse le sentiment de soi consubstantiel au sentiment de l'Autre.

Le narcissisme est le concept, le mot choisi pour désigner ce mouvement particulier de l'expérience subjective occupée du sentiment actuel de "l'être" (" being") qui est le point focal d'un certain nombre d'enjeux affectifs et imaginaires obligés de soi et de l'autre en miroir, tous investissements nécessaires à la constitution de l’espace scénique où Ça se représente, et à la constitution du Sujet. C'est bien de l'histoire du lien originaire comme scène d'élaboration de notre identité et de notre humanité qu'il s'agit, et de nos modes de présence au monde tels qu'ils se sont engagés : Dans la synergie ? Dans la conflictualité ? Dans une dialectique créatrice ouverte ?…

Et donc, dans mon propos, il s’agit bien ici de tenter d’éclairer cette dynamique particulière créée parla médiation scénique instaurée comme langage pour le travail de l'Expression Créatrice. Placer sous le projecteur de la pensée ce qu’il en est du rapport entre le processus spéculaire : regard de soi sur soi, et la construction spectaculaire comme mise-en-représentation sous/pour le regard de l'Autre sur soi dans la construction de l'image de soi ; et pour finir du sentiment d'exister.

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Expérience du corps
Conscience de soi
Sentiment d'exister

La conviction inaugurale qui sous tend ma réflexion est que pour conserver un lien au monde vivant et satisfaisant, il est nécessaire à chaque être humain d'éprouver de façon significative le sentiment d'exister, le sentiment d'être, d'être soi et d'être relié de façon réelle aux autres. L'avers de ce sentiment est le sentiment de la solitude ou le sentiment de la mort.

Mon autre conviction est que l'expérience créatrice est par excellence le lieu pour donner corps à ce sentiment et à lui donner les conditions de ce que Rogers appelle une "vie pleine".

Ce sentiment vital et ses avatars s'instaure dans les tous premiers mois de l'existence néo-natale, dans la qualité subjectivement éprouvée que les soins maternels apportent au nouveau-né ce dont il a impérieuse nécessité : satisfaction, des besoins organiques, affectifs et émotionnels, soutien inconditionnel des pulsions vitales à la croissance et à l'autonomie.

Dans ce travail d'échange les facteurs les plus structurants résident dans la confluence des trois modalités du lien symbiotique originaire :

  • la qualité du portage et du contact dans la satisfaction orale et les soins corporels
  • le contact visuel de regard à regard par où le nouveau-né déchiffre les signes génétiques de la communication affective et émotionnelle et par où il est introduit au monde du langage scopique,
  • l'enveloppement sonore de la voix maternelle qui introduit le nouveau-né au monde des signifiants, et l'ouvre au monde symbolique des mots et de la signification.

Comment se construit ce sentiment de nous-même comme existant (qui est le narcissisme originaire où il n'y a pas encore de sujet) dont nous faisons parfois l'expérience, dans des moments singuliers de l'expérience créatrice ?

Comment s'établit de manière sûre cet éprouvé particulier de la densité, de la consistance et de la permanence de l'être qu 'on appelle le Soi ?

Ces prémisses une fois posés nous allons venir maintenant aux Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques et à la question des médiations scéniques comme espace "métamorphique".

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Comment s'emboîtent les strates successives constituantes de l'image de Soi dans les éprouvés somatiques/affectifs/émotionnels liés aux soins corporels premiers, dans l'échange de regards entre la mère et le bébé et dans les premières rencontres du jeune enfant avec son image dans le miroir ? (relire Winnicott et Dolto)

Quels jeux et quels écarts s'instaurent entre le voir et le regarder ?

Entre le regarder et l'être-vu ?

Entre le jouer pour soi , qui se développe dans le champ du narcissisme primaire, et le jouer pour l'autre qui est au fondement de la compulsion artistique ?

Toutes ces questions sont importantes pour comprendre comment, dans l'expérience créatrice telle qu’elle est instituée dans le cadre des Ateliers d’Expression Créatrice Analytiques (Art CRU), opère la formation de la forme comme représentation du Soi et comment y joue la fonction du regard :

  • regard du sujet sur sa production et sur soi en relation avec sa production,
  • regard de l'Autre sur la production du sujet et sur le lien du sujet avec sa production,
  • regard du sujet du regard de l'Autre sur lui et sur sa production.

Dans ces trois directions du spéculaire et du spectaculaire, où il est question du reflet, de la réflection des signifiants dans le jeu de la formation des formes et de leur mise en situation scopique sous le regard, le sien propre, et celui (réel et fantasmé) du regard et de la parole réfléchis en miroir par l'Autre, se développent tous effets attendus ou subis qui marquent l'expérience créatrice aussi bien dans son inscription analytique/thérapeutique que dans son inscription artistique.

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L'expérience créatrice :
Le spéculaire et la fonction miroir
dans la construction de l'image du corps

Dans l'expérience ouverte par les “Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques", nous rencontrons une large palette de modes de regards :

  • regard du sujet sur ses objets
  • regard du sujet sur lui-même en élaboration de sa propre production,
  • regard de l'animateur sur la production et sur le sujet, et sur la façon dont cette attention est reçue/attendue/fantasmée,
  • regard sur l'objet créé comme représentation/reflet d'un fragment de son expérience affective,
  • regard virtuel des tiers...

Au centre de cette structure particulière créée par la présence du/des regards se joue une partie de la problématique des processus de construction de l'identité dans le jeu avec/du miroir.

L'image spéculaire est le fruit imaginaire de la liaison qui s'établit dans l'expérience subjective entre l'éprouvé affectif impensable et la perception de la forme "objective" que le sujet rencontre dans un miroir, que ce miroir soit constitué de verre, d'argile ou du regard inaugural de l' Autre/la mère et de ses métamorphes.

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Sur la valeur structurante de cet événement, quatre théoriciens ont évoqué l'importance de cette question: Henry WALLON, Jacques LACAN, Françoise DOLTO et Donald WINNICOTT.

En 1931 WALLON, découvre que, contrairement aux singes que leur image dans le miroir rend furieux, les bébés ne réagissent pas à la leur, en tout cas jusqu'au quatrième mois de leur existence. Après ça, ils commencent à se prendre pour un autre bébé, puis à se sourire, puis à pressentir quelque chose de bizarre dans la présence simultanée de leur génitrice sur le miroir et derrière/autour/à coté d'eux, et leur parlant de ce qui se passe ou d’autre chose.

Entre apparence (le perçu visuel/somatique) et expérience (l'éprouvé somato/affectif) il y a pour le bébé un conflit d'images à résoudre. Les deux plans de représentation (virtuelle et réelle) n'appartiennent pas encore à une perception intégrée des effets de temps et d'espace. Pour le bébé, il y a tout à coup deux là où dans l'expérience subjective il y a un. Un des éléments de la dyade subjective se scinde, se dédouble, apparaît comme un duplicata, immédiatement reconnu : la mère, dans le même temps où l'autre/soi va progressivement se dégager comme image de Soi externalisée, comme représentation corporelle externalisée...comme “Moi“, c'est à dire comme la somme des éléments figurables de ce corps-là (représentation mentale objective) qui vont s'inscrire dans ma mémoire en une image spéculaire, c’est à dire comme image scopique du corps et comme objet, décontextualisés des éprouvés inconscients, des affects.

Vers 10 mois, bébé se reconnaît dans le miroir, mais quand on prononce son prénom, il se montre avec le doigts pointé sur l'image dans le miroir, et pas sur son nombril comme toi et moi. Et il travaille à résoudre ce dilemme de l'existence d'un sentiment affectif du soi corporéisé, incarné, éprouvant, inscrit dans l'espace/temps du lien physique à la mère ; et d'une trace mnésique, une image construite de son propre corps, mémorisée en une représentation formée à partir de l'image renvoyée par le miroir, image virtuelle/réelle qui échappe à toute prise, qui va dfoànner une' superfricie au Moi, un espace de développement de cette entité d'éléments figurables qu'on appelle le Moi.

Ce travail va aboutir à la formation d'une image issue du contact avec le miroir une image spéculaire, comme on dit, qui va recouvrir/remanier l'expérience du Moi. WALLON appelle ça "l'épreuve du miroir", et il va en faire le pilier de la théorie du passage du spéculaire à l'imaginaire . WALLON décrit la façon dont se constituent les images psychiques du corps comme connotant la mise en place du Moi. Formation du Moi et image spéculaire du corps sont co-extensifs l'un à l'autre.

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Quelques années plus tard, en 1936, Jacques LACAN qui connaissait les travaux de Wallon les reprendra (sans citer ses sources). Il remanie la théorie du miroir dont il va faire le centre de son système d'étagères psychiques fondé sur les trois catégories du Réel (le monde des sensations originaires), de l'Imaginaire (le monde des images de sensations) et du Symbolique (le monde des images de mots).

Treize ans plus tard, en 1949, le même LACAN comprend "le stade du miroir" comme le moment déterminant de la condensation de l'instance qu'il appellera le "Je" comme effet d'une identification du sujet à l'image spéculaire (prendre l'image pour le soi), phénomène de "transformation produite chez le sujet quand il assume une image". Lacan nous dit ensuite que " l' assomption jubilatoire de son image spéculaire" va constituer "la matrice symbolique où le "je" se précipite en une forme primordiale" ( Ecrits 1, p 94). Cette image spéculaire d'un autre/soi va constituer "la souche des identifications secondaires": "Le point important est que cette forme situe l'instance du Moi, dès avant sa détermination sociale, dans une ligne de fiction à jamais irréductible pour le seul individu ". Cette forme totale du corps qui lui est donnée dans une extériorité symbolise la permanence mentale du "je" (pour le Soi ?).

Pour résumer, les choses se passent comme si dans sa rencontre avec l'autre/spéculaire (externe à soi à assimiler comme "moi"), le bébé se construisait une image de son corps, en quelque sorte une figuration corporéisée de soi, à la fois indemne d' introjects (étranger, vide) et saturée des émois liés à la mise en place progressive de sa position de sujet, c'est à dire de centre de sa propre expérience.

Cette entité corporelle/virtuelle narcissique, le "je" est ce par quoi le sujet va décoller de l'adhérence au Réel (oralité/analité), et le Symbolique, ce qui va constituer le mode de représentation privilégié de l'être-sujet, la condition de la formation du désir et de l'accès à la parole et à la génitalité . C'est au cours de ce travail avec l'image réfléchie dans le miroir, baptisé par LACAN "stade du miroir", que le bébé devient un enfant doué d'une capacité d'articuler son désir et celui de l'autre, sa "désirance" comme le dira plus tard Françoise DOLTO.

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Pour Françoise Dolto, le stade du miroir, c'est une sorte de luxe psychique qui se déclenche au moment de l'autonomisation motrice progressive du bébé (que Dolto appelle la "castration anale" comme réalisation de l'autonomie motrice) et qui renvoie à la construction narcissique primaire (amour de Soi) grâce à l'intégration subjective d'une image visuelle d'un corps entier réfléchi dans le miroir, qui donne au bébé, entre trois et dix mois une perception de son propre corps tel qu'il serait vu par un autre, sauf que cet autre c'est lui, internalisant l'image de ce regard à lui extérieur sur ce corps/sien comme regard de l'Autre/la-mère sur lui, c'est à dire de l'image de Soi en tant qu'autre réfléchie dans son propre regard, processus complexe, si tu vois ce que je veux dire, dont étaient exemptés les bébés quand y'avait pas de miroirs dans les chaumière.

Donc, DOLTO, reprend à son compte le stade du miroir, en y ajoutant des bémols de clinicienne plus préoccupée de la thérapie des enfants que des méandres narcissiques secondaires (amour du Moi) de la théorie lacanienne. Elle dit en particulier qu'on a un peu exagéré la question du spéculaire. Dans "L'image inconsciente du corps", elle écrit ceci : " Il ne suffit pas qu'il y ait réellement un miroir plan. A rien ne sert si le sujet est confronté en fait au manque de miroir de son être dans l'autre. C'est cela qui est important " (p148). Ce qui veut dire en clair que l'Image de Soi ( le narcissisme primordial de DOLTO) se construit dans l'ensemble des communications fonctionnelles érotisées depuis la naissance et même avant probablement : "L'image du corps s'est donc élaborée comme un réseau de sécurité langagière avec la mère". En ceci, elle est beaucoup plus proche de Winnicott que de Lacan.

DOLTO souligne que cette image est constituée en quelque sorte de morceaux épars, de fragments d'expérience, qui vont, dans la rencontre avec le reflet dans le miroir, trouver l'occasion de se constituer en un ensemble homogène, "l'image du corps" justement.

Cette rencontre remplit une double fonction :

  • de vecteur à la communication sur le visible qui relie les corps entre eux dans l'imaginaire,
  • et de blessure, "le trou symbolique" dit DOLTO, où l'image, en quelque sorte finie, vient occuper le devant de la scène du Moi au détriment du sentiment du Soi, de l'autre image, inconsciente justement, encore engluée dans les adhérences archaïques fœtales/orales/anales.

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Les choses sont plus simples avec WINNICOTT qui, sur ce sujet, ramonait volontiers les moustaches à LACAN. WINNICOTT disait à qui voulait bien l'entendre que le stade du miroir de Monsieur LACAN prenait ses racines dans le lien de regard originaire entre le bébé et la mère, étendant à la communication visuelle les autres modalités d'expérience affective et sensuelles originaires, comme le fait d'ailleurs après lui Françoise DOLTO.

Donc, avec l'unification du Moi, symbolisée plus que produite à mon sens, par la rencontre avec l'Image virtuelle dans le miroir, l'important c'est qu'au moment où l'enfant abandonne l'exclusive de l’érotisme oral/anal (l'érotisme prégénital) il est déjà prêt pour s'aventurer dans l'univers de l'autre et du sexe, le sien, le pénis présent/absent.

Le spectaculaire

Je ne m'intéresserai ici au spectaculaire, ni du point de vue de la socialité (qui est le point de vue du versus comportementaliste des théories de l’arthérapie, ni du point de vue du producteur/spectateur culturel, ni du point de vue de l'objet scénarisé, mais bien du point de vue du sujet créateur de la scène, de la fonction active, initiatrice, du donner-à-voir, qui est celle qui nous concerne en tant qu'animateurs d'Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques confrontés et associés concrètement et ph(f)antasmatiquement au travail de la narcissisation primaire et de la formation de l’être-sujet.Le spectaculaire et l'Art

C'est une question très importante pour nous que de comprendre et de définir ce qu'est l' œuvre artistique par rapport à l'objet créé dans une visée d'expression de soi. Mon point de vue est que l' objet artistique n'est pas défini par les caractéristiques formelles de l'objet, mais essentiellement par le besoin/désir du regard de l'autre à soutenir le sujet (l'artiste) dans le sentiment de l'être (où il est défaillant), dont il attend qu’il le constitue en un objet pour le regard de l'autre. C'est le regard du spectateur qui confère son statut artistique à un objet créé quelles qu'en soient les qualités : que ce regard virtuel attendu soit celui des tiers futurs spectateurs, ou ce même regard virtuel internalisé dans l'espace psycho-affectif du créateur. L'Art ne définit pas les qualités esthétiques de l'objet mais bien son statut affectif pour le sujet projeté dans la pensée de l'Autre.

Coalescence et distance à l'objet
dans le processus expressif créateur

Que se passe-t-il dans cette intime relation qui s'engage entre le sujet et la matière dans l'Atelier d'Expression Créatrice Analytique, dont l'aboutissement est l'affermissement, voire la constitution du sujet au travers du jeu de la création de l'objet

La surface de projection créatrice
comme miroir

La condition fondamentale de déclenchement du processus créateur expressif est la confrontation du sujet à une convocation du désir dans un espace vide où la seule activité instituée possible soit celle du libre jeu avec un ou plusieurs langages/matières de création .

La condition fondamentale pour que l'espace vide soit opérant non d'une répétition mimétique mais d'un processus créateur est que cet espace soit inscrit dans un cadre construit favorisant l'investissement affectif des matières/langages et leur désintrication des adhérences narcissiques dans une métacommunication (une parole réfléchissante sur les processus). Cette méta-communication au sein du groupe prend comme objet d’analyse les effets subjectifs (affectifs, psychiques et émotionnels et mnésiques) de l'engagement du sujet dans un travail de parole prise dans sa double fonction d'évocation des expériences vécues dans le temps de la création et de prolongement de l'expression dans la représentation de mots.

C'est dans ce libre jeu de la parole entre matière et verbe qu'opère le desserrement des signifiants et le possible surgissement de pans entiers de l'histoire du sujet et leur intégration progressive au champ de la conscience. S'il y a écart interlangagier c'est justement entre les mouvements incontrôlés de la production ph(f)antasmatique dans les matières/langages, et le temps de l'énonciation des effets sensibles qui l'accompagnent, qui en surgissent, qui s'y expérimentent, que se condensent les effets de sens : ab-réaction, insight, remémoration. Et, pour certains, comme pour les personnes dites psychotiques, qui sont restées fixées dans un espace d’occlusion narcissique, s'ouvrent des voies de passage du Réel vers l'Imaginaire et, dans le meilleur des cas, lorsque l’échange intertransférentiel est bien arrimé, vers le Symbolique.

mardi, 18 août 2015 20:49

Médiations / Formation

Médiations / Formation

Du tout cru au pas tout cuit

Guy Lafargue

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La formation des soignants
au maniement des médiations créatrices

dans l'exercice du soin

Article paru dans la revue SANTÉ MENTALE

Guy Lafargue a une formation initiale de psychologue clinicien et de psycho-sociologue. Il est titulaire du certificat français et européen de psychothérapie. De 1973 à 1982, il a été l'élève et le collaborateur du Professeur Max PAGÈS dans le cadre du Laboratoire de Changement Social de l'Université Paris 7. Dans le même temps, il a travaillé dans l'Atelier Thérapeutique d'Expression du CHS Charles Perrens à Bordeaux. Il a créé et dirige depuis 1984 les Ateliers de l'Art CRU, Institut de formation permanente consacré aux médiations créatrices dans les pratiques du soin psycho-affectif, de l'éducation et de la lutte contre les exclusions. Il est lui-même créateur et artiste et il a développé une importante collection d'œuvres d'Art d'urgence regroupée dans sa collection de L' ART CRU MUSEUM.

Soins psychiatriques
médiations créatrices
et formation

Paradoxe ou contradiction : l’expérience créatrice est largement reconnue comme médiation thérapeutique privilégiée auprès des personnes faisant l’objet de mesures de soin spécialisé en psychiatrie, en pédopsychiatrie, addictologie, suicidologie, et toutes institutions travaillant dans la lutte contre la ségrégation des personnes en rupture provisoire ou prolongée de lien social.  Paradoxalement elle est de moins en moins représentée, voire totalement ignorée ou invalidée dans le fonctionnement concret de nombreux services de soin. Le renforcement des thérapies comportementales et de la chimiothérapie y est pour quelque chose. Mais aussi la réforme en cours de la formation permanente où se joue le théâtre idéologique et les luttes de pouvoir institutionnelles pour le contrôle de ses finalités, de ses contenus et des conditions de son organisation.

Clarification des enjeux de la formation

Toute réflexion sur les perspectives et sur les méthodes de formation des praticiens du soin psycho-affectif à la pratique des thérapies médiatisées en établissement psychiatrique suppose la clarification préalable du champ et de la terminologie que nous employons. Notamment par rapport à ce qui, en miroir de la médiation, est défini comme la finalité et le lieu focal de l'acte thérapeutique, c'est à dire le processus de désaliénation de la personne.

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Dominique Roriguez - Collection de l'Art Cru Museum

La nature et la qualité de la formation convoquée dépendent :

  • des orientations théorico-techniques de l'Institut de formation ;
  • de la valence qualitative et du niveau d'exigence que le formateur attribue au terme thérapeutique ;
  • de la façon dont chacun situe et se représente la (les) médiation(s) les matières, langages, création, expérience créatrice, expression, art, culture en regard de l'acte thérapeutique ;
  • de la place que le formateur et les utilisateurs accordent, dans ce cadre là, à la formation au dialogue analytique qui constitue l'essence de tout projet authentiquement thérapeutique ;
  • du degré de motivation et de la liberté de choix de leur formation par les utilisateurs (en majorité des infirmiers, des psychologues, des animateurs et des artistes pour la plupart autodidactes).

Institution et représentation
idéologique du soin

L'orientation idéologique des prescripteurs de la formation conditionne donc en grande partie le choix de l'organisme de formation par les DRH. L'opérativité d'un programme de formation pour les futurs praticiens dépendra largement de la cohérence existant entre la demande théorico-technique des prescripteurs de la formation et l'offre technique et théorique du centre de formation, selon qu'ils se situent dans une vision humaniste (centrée sur le développement du sujet) ou dans un projet plus ou moins étroitement adaptatif associé à une chimiothérapie prévalente.

Dans les pratiques actuelles du soin psychia-trique, on peut distinguer quelques grandes initiatives et modèles de pratiques profilées ou présumées "thérapeutiques" utilisant les médiations créatrices et, partant, les orientations pédagogiques des instituts de formation cohérents avec ces orientations.

La cerise culturelle

Les premières grandes expériences de mobilisation de l'art dans les établissements psychiatriques datent de la deuxième moitié du vingtième siècle. Elles sont essentiellement dues à quelques psychiatres éclairés fascinés par les productions créatrices des aliénés (Réja, Ferdière, Prinzhorn), puis, par contagion, à la traque gourmande des surréalistes, aux adeptes de la psychopathologie de l'expression, de l’Art Brut, Elles ont donné lieu à la création d'institutions : la Maison des artistes de Gugging, la superbe Association Aloïse de Roger Gentis, les Ateliers Thérapeutiques d'Expression Créatrice dans le service du Docteur Broustra à Libourne, l’extrraordinaire Atelier du Non-Faire de Christian Sabas à Maison Blanche…entreprises qui ont accompagné la réforme de la psychiatrie de secteur.

C'est surtout dans le cours des bouleversements introduits après Mai 1968 que quelques jeunes psychiatres comme Roger Gentis, Jean Broustra, Jean Pierre Klein, commenceront à penser le soin en prenant en considération l'expérience artistique comme possible outil thérapeutique ou comme faire-valoir culturel. C'est dans ce mouvement qualitatif que l'idée d'organiser les soins en misant à part entière sur l'expérience créatrice comme espace/temps thérapeutique s'est ancrée chez ces psychiatres marqués par la psychothérapie institutionnelle, l'anti-psychiatrie anglaise et par la psychanalyse lacanienne (même s’ils s’en défendent).

Le courant institutionnel

Cette orientation historique se réfère explicitement à la théorie et à la pratique de la psychothérapie institutionnelle créée par François Tosquelles et Jean Oury.   La formation en est essentiellement clinique et elle est dispensée par les psychiatres et les équipes de soin qui s’y réfèrent. Dans cette dynamique, les “activités” d’expression créatrice ou les clubs artistiques sont considérés en eux-mêmes comme des facteurs structurants de la communication interhumaine et peuvent donner lieu à un travail analytique institutionnel.

Le courant psychanalytique

s'inscrit dans ce qu'il convient d'appeler à la suite de Freud la psychanalyse appliquée, qui, comme son nom l'indique vise à appliquer la pensée et la doctrine psychanalytiques à un domaine de la culture - en l'occurrence celui de l'art (hétérogène à sa pratique spécifique qui est la dialectique entre parole et travail psychique associatif) - les éléments des théories et des règles de la cure psychanalytique. Les instituts de formation qui travaillent selon cette conception sont en général des Instituts d'Université au sein desquels la représentation de la doctrine psychanalytique est prévalente. Les enseignements théoriques et pratiques y sont donnés par des psychanalystes et des psychothérapeutes.

Le courant comportementaliste

Un certain nombre de pratiques arthopédiques sont fondées sur la prescription artistique.  Elles reposent sur la gestion instrumentale de l’injonction et de la communication artistiques, sur les effets attendus/induits de socialisation des "patients", de réparation narcissique des “ malades mentaux” artistes désignés. Elles donnent parfois lieu à exploitation des productions (devenues œuvres) en séance de synthèse.

Cette orientation repose sur une certaine esthétique du Beau, sur les concepts de comportement créatif, de créativité, sur la lénifiante théorie de la sublimation et sur la présomption spectaculaire et artistique : apprentissage assimilation de techniques artistiques, affichage domestique, exposition de groupes de patients, participation à des manifestations culturelles "spécialisées", vente des œuvres…tous aménagements qui dépouillent l'acte artistique de ses dimensions de subversion et d'authenticité.

Ce mode de pratique d'ateliers d'art en psychiatrie instrumentalise largement le rapport entre l'intervenant (auto-proclamé ou certifié art-thérapeute lorsqu'il est détenteur d’un diplôme privé ou d’un D.U.), et le sujet, dans un rapport de guidance artistique. Généralement, parce que ce n'est pas la plupart du temps leur formation de base, ces animateurs d’activité artistique refusent toute pratique analytique en prise sur l'expérience créatrice telle qu'elle est subjectivement vécue par le patient, renvoyé, en cas de difficultés affectives importantes apparues dans l’atelier, au psychiatre ou à des psychothérapeutes professionnels.

Globalement, cette orientation est souvent représentée par des psychiatres suridentifiés à l’art, rebelles à l’institution et par des artistes confirmés ou présumés qui trouvent à valoriser dans le cadre des institutions psychiatriques une quête artistique personnelle éconduite dans le monde artistique ; ou par des soignants autodidactes ou formés dans des instituts de formation à l'art-thérapie versus artistique.

Les instituts de formation qui pratiquent ces orientations comportementales, créés et dirigés par psychiatres excentriques ou par des artistes sous allégeance psychiatrique, exigent généralement en premier lieu comme condition de recrutement des candidats à la formation un dossier artistique personnel. Ils considèrent l’art comme bagage obligé à l'exercice du métier thérapeutique et dispensent en conséquence des connaissances en psychiatrie et en psychopathologie, des cours d'histoire de l'art, procédures de classification, quantification, question-naires de validation. Certains instituts demandent explicitement que les candidats fassent une psychothérapie personnelle, quelque fois une art-thérapie, avec des praticiens diplômés de leur institut..

Les "Ateliers Thérapeutiques
d'Expression Créatrice "

Ce courant , dont j'ai créé le modèle, est référé aux recherches contemporaines sur la dynamique des groupes, la psychothérapie existentielle " centrée sur la personne" de Carl Rogers et à la lecture psycho-analytique des travaux de Winnicott, Harold Searles, Daniel Stern, Françoise Dolto, Mélanie Klein, Frances Tustin et des néo-kleiniens.

J'ai été le créateur de cette appellation et de cette pratique vers 1975. C'est à ce titre que j'ai été convoqué par les docteurs Michel Demangeat et Jean Broustra, instituants du premier hôpital psychiatrique de jour de la région Aquitaine. Ce type d'Atelier que j'avais inventé dans le cadre de ma collaboration avec le Professeur Max Pagès, et introduit à la faculté de psychologie de Bordeaux a été pour la première fois institutionnalisé en 1972 dans le cadre de cet hôpital de jour où je l’ai développé en synergie avec le Dr Jean Broustra.

Cette création institutionnelle d'unités coordonnées d'Ateliers Thérapeutiques d'Expression Créatrice s'est ensuite développée à son initiative au CHS Charles Perrens de Bordeaux, dans le service du Pr Marc Blanc. J'ai moi-même été instituant inaugural et animateur/thérapeute dans ces services sous sa direction entre 1972 et 1982, jusqu'au départ de Jean Broustra dans l'unité psychiatrique de l'hôpital Garderose de Libourne dont il a été nommé médecin-chef.

Dynamique de la formation qualifiante
aux Ateliers d'Art CRU

Cette création institutionnelle ouverte par notre Institut de formation a été élaborée dans un va et vient entre nos recherches cliniques au sein de l'hôpital et notre expérimentation de la formation au sein de notre institut. Notre tension idéologique était dès le départ ouverte à la psychothérapie existentielle, à la psychanalyse, à la dynamique analytique de groupe, à l'esthétique du pédagogue Arno Stern , au psychodrame morénien et aux recherches avancées du théâtre d'avant garde des années 1970.

Nous sommes partis de cette considération que les personnels qui veulent légitimement se former à la discipline expressionnelle pour pouvoir ensuite la mettre en œuvre auprès des utilisateurs du soin doivent accepter de traverser pour eux-mêmes les expériences d'implication personnelle dans l’expérience créatrice dont ils auront ensuite à construire le cadre pour les usagers. Ils doivent nécessairement les expérimenter de façon significative dans les dispositifs modélisés de leur formation.

MANIFESTE POUR UNE ÉTHIQUE
PARTAGÉE DE LA FORMATION

Le changement significatif des stratégies de formation des établissements est contemporain de la nouvelle loi sur la formation permanente. Depuis la mise en œuvre de la réforme, le volume d'inscriptions des personnels des établissements de santé mentale aux formations qualifiantes à l'animation d'ateliers thérapeutiques médiatisés a diminué chez nous de 8O%. Parallèlement, le nombre des inscriptions aux ateliers expérientiels de sensibilisation aux médiations créatrices (qui ne sont pas des formations qualifiantes) restent à peu près stables. La consultation d'instituts beaucoup mieux "placés" que le notre vis à vis des secteurs psychiatriques fait état du même mouvement. Les raisons de cette désaffection sont lisibles à même les appels d'offres rédigés et adressés par les directions des ressources humaines des établissements aux instituts de formation.

Les appels d'offre :
une pratique de la double contrainte

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Dominique Rodriguez - Collection de l’Art Cru Muséum

La pratique des appels d'offre tend à se généraliser. Elle remplace progressivement l'ancien système de formation fondé sur la demande des salariés en réponse aux propositions des instituts. Il apparaît à l'usage que les appels d’offre sont construits selon un modèle standardisé. Désormais, après enquête globale sur les besoins et les demandes de formation, les acteurs du soin sont convoqués à des sessions internes à l'établissement. Ces sessions sont entièrement formatées par les directions des ressources humaines (DRH) sur des critères essentiellement économiques et idéologiques. Elles sont construites sans aucune consultation du formateur sur l'opérativité des modèles décidés et des propositions faîtes. Nous ignorons dans quelle mesure le choix des orientations théorico-techniques des acteurs du soin est pris en compte. La DRH fixe un objectif apparemment ouvert, proposant la mise en place d'une formation attendue comme qualifiante aux activités de médiations; ou, dans le meilleur des cas, à la mise en place d'ateliers thérapeutiques. Et dans le même temps, elle obture les finalités et les méthodes des formations proposées.

Les causes économiques de cette politique d'obturation sont clairement nommées dans un certain nombre d'appels d'offre de la façon suivante (je cite l'un d'entre eux à titre d'exemple) :

" Contexte de l'action de formation :
La mise en place d'un nombre important d'ateliers thérapeutiques demande aux soignants de se former à de nouvelles techniques. Le nombre de demandes de formation est en constante augmentation au niveau de l'enquête sur les besoins. Les formations sont souvent réalisées à titre individuel avec un organisme extérieur et génèrent un coût de formation ne permettant pas à tous les agents qui le demandent de pouvoir en bénéficier. Il paraît important de prendre en compte ces demandes et de les proposer en formation collective au sein de l'établissement, générant ainsi un coût moindre. "

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Yseult Houssais - Collection de l'Art Cru Museum

Les causes idéologiques de cette désaffection programmée sont lisibles dans la partie des offres de formation consacrée à la rubrique "objectifs de la formation". Ce chapitre fixe les "objectifs spécifiques de l'action de formation" qui sont circonscrits aux opérations suivantes : "apporter des éléments d'informations sur les médiations", "acquérir des éléments d'informations sur les différents supports", "élaborer des stratégies de mise en place d'un atelier dans un dispositif existant ", "partager un discours théorique et clinique". C'est à dire que dans de nombreux projets, les objectifs assignés aux formateurs sont essentiellement d'ordre cognitif/didactique et rarement d'ordre expérientiel et analytique, objectifs qui constituent le véritable vecteur d'un processus de formation.

Vient ensuite le chapitre des "contraintes pédagogiques et organisationnelles" qui définit unilatéralement ce que le formateur doit enseigner et la façon dont il doit l'enseigner (" Méthode pédagogique : Exploiter le vécu professionnel des soignants pour définir une méthode d'élaboration des activités prenant en compte le projet thérapeutique", "alternance d'apports théoriques, de réflexions à partir de cas cliniques, mise en œuvre du projet collectif", "se mettre en situation de création à travers des séances de dessin et de peinture sur un thème") . Il impose également le nombre de personnes à former (jusqu'à 15), le cadre temporel de l'action (uniformément fixé à 5 jours : 2x 2 jours + un jour consacré à l'évaluation, répartis sur deux années budgétaires. Les espaces proposés pour conduire les actions sont ceux du centre de formation de l’établissement, qui ne sont ni prévus ni équipés pour la création du cadre des ateliers, chaque atelier expérientiel étant construit en fonction des médiations proposées.

Enfin, dans la plupart des appels d'offre, le paiement des actes de formation est défini unilatéralement ou cadré dans une fourchette qui dépasse rarement 50% du prix de journée des Instituts de formation. Pour finir, quel que soit le projet proposé, une demande de rémunération normale calculée sur le prix de journée de l’Institut, aboutit régulièrement au rejet de l’offre.

Au terme de ce processus essentiellement défini par des contraintes et des restrictions, vaporisé dans la durée, dispensé dans des équipements standardisées pour des cours infirmiers, sans aucun marqueur théorique ni

technique identifiable autre que celui des "activités artistiques", pour "apprendre à faire des dessins sur un thème" avec des formateurs qui acceptent de telles conditions…il est explicitement attendu des personnels soignants qu'ils puissent “animer des ateliers thérapeutiques dans le cadre des services". Ceci est un non-sens. Comment peut-on penser qu'en une semaine, une qualification de thérapeute utilisant les médiations créatrices puisse être acquise, assimilée et transférée ? Rien de leur formation de base n’a préparé des infirmiers D.E. à exercer un tel rôle de thérapeute. Au cours de leurs études, les psychologues, n’ont pas davantage été initiés au travail analytique au sein d’Ateliers thérapeutiques. Même les cursus artistiques homologués demandent cinq années de formation. La formation d'animateurs thérapeutes est aussi exigeante que la formation d'un infirmier, d'un psychologue ou d'un artiste. Le soin affectif et psychologique serait-il si anecdotique et insignifiant que l'on puisse imaginer que des soignants pourront y être initiés en une semaine ? L’effet pervers direct de ce système de double contrainte est d’invalider toute formation des compétences thérapeutiques des soignants à la mise en place d’ateliers thérapeutiques médiatisés.

En outre, la généralisation de la prescription de formations en intra, lorsqu'elle n'est pas l'émanation directe du groupe professionnel concerné, génère de puissants mécanismes de défense, de déni, de résistance à la formation et de forclusion des résistances institutionnelles au changement, développés par les soignants dans le cadre de leur communauté professionnelle. La convivialité professionnelle invalide par avance tout processus de formation impliquant profondément le sujet, la personne; elle aliène par avance le potentiel de remise en cause naturellement engagé par toute expérience vivante de la formation.

Lorsqu’il est ainsi posé sous la forme d’un diktat, sans possible dialogue avec les instituts, l’appel d’offre a pour évidente fonction d’assurer et de renforcer le contrôle idéologique de la direction sur les orientations idéologiques des prestataires de formation. Invoquer les lois du marché et miser sur la concurrence pour organiser la politique de formation du personnel psychiatrique aux activités de soin psychologique et affectif est une conduite indigente. La généralisation de cette pratique conduit à la disqualification et à la disparition des formations qualifiantes garanties par une éthique professionnelle des Instituts de formation, et, à plus ou moins brève échéance, à la disparition d'un certain nombre d'entre eux.

En fixant unilatéralement le cadre technique, les contenus méthodologiques et les finalités de la formation, les DRH modifient sans état d'âme les règles éthiques régissant le cadre et les principes opératoires des processus de formation . Elles privent ainsi les soignants d'une possibilité d'accéder à une réelle compétence personnelle dans la pratique thérapeutique médiatisée et privent les usagers d’une réelle qualité de soin.

Tout projet de formation qui organise une sous-qualification des soignants à l’animation d’ateliers thérapeutiques médiatisés discrédite par avance le potentiel réellement thérapeutique des ateliers d'expression créatrice pour les usagers du soin, et disqualifie à court terme leur développement au sein des établissements.

Les personnels concernés doivent offrir aux bénéficiaires du soin des garanties de compétence éprouvée dans la discipline à laquelle ils se forment. Sans cette garantie, le projet thérapeutique sera inopérant, voire toxique.

Tout processus de qualification présente des exigences auxquelles seuls des professionnels de la formation peuvent répondre. Bien évidemment, la contrepartie pour les formateurs est d’avoir une connaissance significative de la réalité du soin psychiatrique et de la dynamique institutionnelle des institutions thérapeutiques et des processus thérapeutiques. Ils devront en outre pouvoir justifier pour eux mêmes d’une

formation approfondie à la conduite de groupes analytiques.

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Chris Besser - Collection art cru museum

Charte de qualité et
éthique de
la formation
dans le cadre des formations
internes aux établissements

A chaque appel d'offre reçu par notre institut de formation, nous adressons une charte définissant ce que nous estimons être les conditions de possibilité de la réalisation d'une formation au sein de l'établissement. Cette charte pourrait constituer une base professionnelle de réflexion pour les instituts de formation et pour l’ensemble des acteurs de la formation. Ce document a pour mission d’éclairer les DRH des établissements demandeurs de programmes de formation interne sur les conditions requises pour préparer leurs personnels à exercer de façon compétente et responsable des fonctions d’animation d’Ateliers Thérapeutiques Médiatisés auxquelles leurs formations initiales ne les ont pas préparés.

Afin que les soignants en formation au sein de l'établissement puissent offrir aux

bénéficiaires du soin des garanties de compétence éprouvée dans la pratique à laquelle ils se forment, l'établissement demandeur s'engage à prendre en considération un certain nombre de règles méthodologiques et déontologiques, et à mettre à la disposition des formateurs délégués par le centre de formation les conditions matérielles requises pour la réalisation des objectifs fixés.

Règles déontologiques
Conception et mise en œuvre
des cadres et dispositifs

La formation est pensée de manière à permettre aux soignants de pouvoir construire des cadres et des dispositifs favorisant l'expression créatrice de la personne en situation groupale, de pouvoir en assumer les lois et les règles dans la durée de leur mission, et de pouvoir en accompagner et travailler les effets structurants pour les bénéficiaires du soin.

Création et soin apporté aux personnes
en grande souffrance affective

La procédure de recrutement des personnes engagées dans la formation devra en présenter les pré-requis aux personnes intéressées. La pratique de l'animation d'Ateliers Thérapeutiques Médiatisés suppose en effet :

  • Une rencontre significative des principaux modules d'expression créatrice (argile, peinture, écriture, danse, marionnettes, théâtre).
  • Une formation pratique à la dynamique de groupe d’expression créatrice.
  • Une formation à l'écoute active non-directive inspirée des travaux de Carl Rogers;
  • Un enseignement de la psychanalyse dynamique sur la thérapie et le jeu (Winnicott, Mélanie Klein)
  • Une formation culturelle centrée sur l'art singulier (Art Brut, psychopathologie de l’expression).

Une formation expérientielle

Les personnels qui veulent légitimement se former à ces disciplines doivent accepter de traverser pour eux-mêmes des expériences significatives d'implication personnelle dans l’expérience créatrice dont ils mettront en œuvre les cadres avec les usagers du soin. et de les expérimenter au préalable dans les dispositifs de formation.

Une formation didactique

Le Centre de formation est compétent en matière de choix des stratégies pédagogiques et des outils expérientiels et didactiques mis en œuvre auprès des personnes en formation.

Fonctionnalité des lieux de formation

L' établissement demandeur s'engage à mettre en place des dispositifs d'espace et d'organisation technique d'Ateliers modélisables qui soient construits selon des règles rigoureuses liées à la nature des langages de création. Le centre de formation communique son évaluation technique des plans aux responsables du service de formation de l'établissement, en particuliers pour les Ateliers d'Expression Picturale, d'Argile, pour l'Atelier d'Expression Polyvalent (Contage, Papier, Tissu, Écriture). Les lieux choisis pour la pratique institutionnelle de ces espaces de soin doivent être finalisés autour de ces modes d'utilisation. Des espaces de réservation et de protection des productions des patients (des stagiaires en formation) doivent être prévus.

Règle de la temporalité
de la formation

L'engagement d'un processus significatif de formation fiable dans le domaine de l'animation d'activités de thérapies médiatisées (Ateliers d'Expression Créatrice à visée thérapeutique) demande un minimum d'engagement expérientiel et didactique dont la durée, (un minimum de 250h), les rythmes et la fréquence doivent être décidés en accord avec le centre de formation qui a en ce domaine compétence d'expertise.

Audit préalable
La maîtrise des "dommages" collatéraux
au plan institutionnel

Notre expérience dans le domaine des interventions intra-établissement nous a enseigné que tout dispositif de formation sérieux engagé par des personnels d'un même établissement avait des effets secondaires prévisibles qui devaient être analysés au moment de la demande de formation.

Le fait de vivre un processus de formation entre collègues d'un même établissement met en conflit le désir d'authenticité et de liberté intérieure minimale nécessaire pour profiter de façon optimale du processus formateur. La formation interne suppose donc que cette décision soit prise à la suite d'un audit mutuel du centre de formation et des personnes et/ou services concernés, et non de façon unilatérale (ou autoritairement) par les responsables administratifs de l'établissement ou du service. Le non respect de cette règle déontologique expose les lieux institutionnels à des effets collatéraux de mise à jour des conflictualités latentes déplacées au sein du groupe de formation.

Règle de constitution
des groupes de formation

Enfin, dans le cadre d'une décision d'engagement d'un processus de formation sera également prise en considération la règle de la création de groupes de même niveau hiérarchique, pouvant réunir des praticiens de plusieurs disciplines (infirmiers, psychologues, psycho-motriciens, orthophonistes, éducateurs spécialisés...).

Règle de confidentialité

Les membres du groupe de formation aussi bien que les instances administratives ou médicales de l'établissement s'obligent au stricte respect de la confidentialité des événements survenus et propos tenus au sein du groupe de formation.

Article publié par la revue SANTÉ MENTALE N°111
Octobre 2006 "Des médiations pour quoi faire ?"

Procédures de validation

Le Centre de formation est seul compétent des procédures d'évaluation et de validation interne de la formation dont les actes restent confidentiels.

Toute procédure externe de contrôle à l’initiative de l’établissement sera précisée préalablement dans ses buts et dans sa forme. Elle ne pourra porter sur les éléments de l’expérience personnelle des participants soumis à une confidentialité rigoureuse. Les conclusions de ces contrôles seront communiquées au responsable du centre de formation, et seront susceptible de donner lieu à une clarification avec l’ensemble des intéressés.

philippe aini 1

Philippe Aïni - collection privée

Une certaine idée du thérapeutique

Au terme de cette courte réflexion, c’est sur ce que représente le mot thérapeutique pour les acteurs du soin et pour les décideurs institutionnels qu’il faut se déterminer. Soit, ils l’entendent comme activités occupationnelles, soient ils le pensent réellement comme un espace de soin psychologique et affectif. 

L’expérience créatrice n’est pas une médiation, mais le cœur d’un processus de tranformation de l’expérience immédiate du lien au monde vivant. L’expérience créatrice est lieu d’être.

Guy Lafargue

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Catherine Laporte - Collection de l'Art Cru Muséum

mardi, 18 août 2015 20:29

Le thérapeutique

Les Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques (ATECA)
et la question du thérapeutique

Éléments de réflexion

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Guy Lafargue

Psychologue clinicien, psychosociologue
Dr en Sciences de l'Éducation
Psychothérapeute CFEP

ATELIERS D' EXPRESSION
CRÉATRICE ANALYTIQUES

34 Rue Chantecrit - 33300 Bordeaux - France
Tel :0033/ (0)5.56.39.34.21 ou 0033/ (0)9.60 46 11 46
Courriel : Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
Site internet : www.art-cru.com

Au sortir de cette session sur l'écoute active non-directive, j'aimerais vous entretenir d'un sujet particulièrement sensible, habituellement posé et culturellement installé autour de la question du "thérapeutique", question posées par l’inscription du signifiant « thérapeutique » dans la dynamique "métamorphique" des Ateliers d'Expression Créatrice.

Personnellement j'ai définitivement renoncé au mot "thérapie" pour désigner mon accompagnement de l'expérience créatrice dans ma pratique du soin analytique.

Le mot "thérapeutique" est devenu un mot-valise où l'on rencontre tous les syncrétismes imaginables, entre le biologisme agressif (le psychisme est soluble dans la molécule) et les dérives comportementales (rééducation des comportements inappropriés). Il est ici nécessaire de rappeler que ce terme appartient foncièrement à la terminologie médicale. Il recouvre des représentations très marquées par le discours culturel de la psychiatrie et par celui des psychothérapies et de la psychanalyse.

Pour ce qui nous concerne, à l'entrée dans cette arène, nous retiendrons que le mot et l'action thérapeutiques consistent à soigner (au sens médical de ce terme) quelque chose chez le sujet qui est désigné comme une maladie, comme de la pathologie, avec les moyens de la médecine ; en particulier ceux de la médecine psychiatrique qui accorde de moins en moins de place au soin analytique apporté à la personne en grande souffrance affective, au profit des traitement biologiques et comportementaux.

Or les Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques ne sont ni des structures inféodées au médical, ni ne relèvent à proprement parler des pratiques de psychothérapie.

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Nous allons pendant ces prochains mois clarifier ensemble ce qui, dans la mise en place d'Ateliers d'Expression Créatrice, spécifie le cadre du soin analytique apporté à la personne par rapport à d'autres espaces comme celui de l'éducation créatrice (Arno Stern), ou comme celui du développement de la personne tels que nous les pratiquons ordinairement ici, ou dans le cadre de la formation de praticiens d'Ateliers d'Expression Créatrice Analytiques qui est le cas de figure où nous nous trouvons ensemble.

Vous remarquerez que ces orientations de l'action : éducation, développement personnel, formation ou thérapie sont ce qui définit les finalités et le cadre de notre action.

Quel que soit le cas de figure, de toutes façons, le territoire de notre engagement comme praticiens d'AECA n'est pas inscrit dans le champ de la maladie (à plus forte raison de la maladie présumée mentale), mais de la dynamique des processus de création en situation de groupe, dans un cadre et dans des dispositifs construits dans cette intention.

En adoptant les termes de "soin analytique donné à la personne," de "prendre soin de la personne", notre problématique change fondamentalement d'axe. Nous ne sommes pas préoccupés des signes cliniques, des symptômes, ni d'un savoir universitaire estampillé, ni de trouver des stratégies curatives, mais bien de créer des conditions qui favorisent chez la personne en souffrance la mise en mouvement de dynamismes psycho-affectifs potentiels dont elle est porteuse au travers du jeu de création. Nous sommes préoccupés de savoir utiliser de façoncréatrice les mouvements affectifs tels qu'ils se condensent et se développent dans le jeu créateur, dans le langage.

L'idée et la praxis du soin analytique impliquent deux choses :

La première procède de l'assomption du mot "soin" pour désigner une forme d'acte centré sur la croissance affective et émotionnelle de la personne dans le jeu avec les langages, quelque que soient les contextes institutionnels où nous mettrons en place un cadre d'Ateliers. Cet acte consiste dans la conduite d'une institution qui est l'Atelier, et dans un acte de présence (de co-pésence) c'est à dire d'accompagnement latéral du jeu de l'expérience créatrice et de soutien du travail d'élaboration des raisonnances de l'expérience traversée.

Cependant, nous ne sommes pas dispensés de réfléchir et de nous préparer à travailler dans des situations d'Atelier avec des personnes en état de grande souffrance affective, souvent invalidant, au point où certaines d'entre elles nécessitent un accompagnement institutionnel dans des structures conçues pour répondre à cette demande : de psychothérapie individuelle ou de groupe. C'est dans cette perspective que certains d'entre vous seront peut-être amenés à travailler dans des structures dont la vocation est réellement thérapeutique et à savoir comment inscrire dans ce cadre-là des Ateliers d'Expression Créatrice "à visée thérapeutique".

Nous serons donc amenés à clarifier dans cette deuxième partie de notre parcours de formation :

  • ce que thérapeutique signifie en termes de contrats passés avec les clients de l'institution,
  • de comprendre ce qui, dans la conduite du travail de l'Atelier et des temps de parole inscrit le thérapeutique au centre du lien.
  • A clarifier enfin les modalités de création d'un Atelier dans un tel contexte selon que nous privilégierons l'optique développementale ou l'optique analytique/thérapeutique.

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Dans un groupe de développement personnel, ce sont les personnes elles-mêmes qui conduisent le travail analytique d'élaboration de l'expérience vécue. L'animateur y joue un rôle de soutien de l'élaboration spontanée.

Dans la perspective que j'ouvre, l'inscription du thérapeutique se signifie fondamentalement dans le contrat qui nous lie au sujet. Elle se marque par l'engagement d'un travail de co-élaboration entre le client et le thérapeute dans lequel l'analyste/thérapeute apporte une contribution personnelle "analytique" à la clarification des signifiants apportés par le sujet et de ses propres signifiants.

Dans un groupe de personnes inscrites dans la visée thérapeutique, l'animateur apporte des matériaux de sa propre perception des événements affectifs survenus dans le cadre des séances, en particulier de ce qui émerge dans le champ intertransférentiel concernant ses propres investissements affectifs de la relation entre lui et le sujet. Dans ce cas de figure, la relation intersubjective entre les deux protagonistes devient l'objet du travail de co-élaboration.

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mardi, 18 août 2015 20:09

L'archaïque, la régression

L'archaïque, la régression

Cet article a été écrit dans le cadre des journées d’étude
et de confrontation clinique des Ateliers de l’Art CRU

Guy Lafargue

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Dès mon entrée dans la lice analytique, je me suis immédiatement engagé dans la création de cadres et dans des modes de communication qui favorisaient à l'évidence un travail structurant de la régression de la part des participants à mes Ateliers. L'inauguration de ces Ateliers par le module "Argile vivante" m'y a introduit de plain-pied.

Dans mon travail d'animateur/thérapeute en psychiatrie, c'est la rencontre elle-même avec la psychose qui a été le révélateur de ma compétence symbiotique dans le jeu de l'expression.

Enfin, dans les relations analytiques/thérapeutiques individuelles que j'ai engagées au cours de mon existence, consécutivement à notre engagement intertransférentiel mutuel au sein des Ateliers, cette dimension du travail dans la régression révélait chez moi un charisme évident qui allait avoir sur le destin de ma pensée et de mon élaboration théorique un impact direct,

Voici comment Jean Broustra, qui a été le témoin privilégié de mon initiation à ce mode de mise en tension de l'expérience inconsciente, présente la chose dans sa pré­face à mon livre "De l'affect à la représentation : l'art CRU". Il écrit ceci :

" La pas­sion per­son­nelle de l'au­teur vise ce qui se­rait la meilleure élu­ci­da­tion pos­sible de l'ar­chaï­que infantile. C'est-à-dire les traces (po­sons pro­vi­soi­re­ment ce terme va­gue) lais­sées au pro­fond de nous-même par nos pre­miers in­ves­tis­se­ments, dès le mo­ment où nous sommes bio­lo­gi­que­ment vi­vants. Guy LA­FAR­GUE est à l'af­fût de tout ce qui a sus­ci­té des re­cherches dans cette pé­riode nom­mée pé­ri na­tale. Cet in­té­rêt s'ap­puie évi­dem­ment sur l'­hy­po­thèse qu'il s'a­git d'une zone à haut ris­que qui se­rait la ma­trice, soit de la créa­tion (et de ses ris­ques), soit de la mal­a­die men­tale " .

Je com­prends pas très bien ce que ça dit, mais j'en ai une in­tui­tion globale. Pour moi, ça veut dire que si, dans ta pra­ti­que de thé­ra­peute, tu optes pour le libre Jeu de la ré­gres­sion (moi j'ap­pelle ça "théra­pie sym­bio­ti­que"), si tu prends le par­ti du su­jet contre ce­lui de l'Eglise, alors, tu t' en­gages dans des ma­ré­cages fer­tiles et dan­ge­reux. Tu peux plus fonc­tion­ner comme un tech­no. T'es obli­gé d'im­pro­vi­ser à CRU. Et là, tu croises tous les mou­ve­ments, tous les mor­ceaux de fo­lie que t'as pas pur­gés. Et c'est ton client qui conduit la marche. Et je peux te dire qu'à cer­tains mo­ments, il est étroit le rai­dillon qui sé­pare la pa­roi de la créa­tion de l'a­bîme de la folie. Il te faut une sa­cré dose de confiance dans les éner­gies du dés­es­poir pour pas­ser.

Jean Broustra met le doigt sur un truc sen­sible. Je pense même, après-coup, que c'est ce tropisme pour l'expérience affective et ma capacité empathique à jouer avec qui a attiré et fixé Jean Broustra dans mes eaux territoriales.

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La ré­gres­sion ne dois pas être appréhendée comme un état, comme cela est souvent le cas mais comme un mou­ve­ment et une quali­té de l'ex­pé­rience es­sen­tiel­le­ment mar­qués par l'ouverture au surgissement d'une zone de l'ex­pé­rience, vécue jus­que là voi­lée au Su­jet, par des sur­struc­tures opaci­fiantes (des pré­ser­va­tifs, si tu vois c'que j'­veux dire), et par une ex­ten­sion de la perception directe, non-médiate à ce plan jusque là dérobé à la conscience du sujet.

Le terme de ré­gres­sion sert à dé­sig­ner ce mo­ment du dé­voi­le­ment ma­ni­feste de l'ar­chaï­que dans l'ex­pé­rience actuelle du su­jet, et secondairement dans la perception qu'en ont les autres su­jets.

Ce mou­ve­ment, ce pas­sage, ce glis­se­ment d'un plan à un autre de l'ex­pé­rience, se pro­duit lors­que sont ré­u­nies deux condi­tions :

  • d'une part l'ac­ti­va­tion li­bi­di­nale des champs d'ex­pé­rience sou­mis à l'in­hi­bi­tion ou à l'a­nes­thé­sie
  • et d'autre part le desserrement des si­gni­fiants ori­gi­naires dont le Moi est le mi­rage.

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Mon ex­pé­rience de la créa­tion, de la thé­ra­pie et de l'a­ni­ma­tion, me montre de ma­nière ir­ré­fu­table qu'il existe des gens adap­tés qui vivent ré­el­le­ment dans la sphère ar­chaï­que, qui n'ont pas rom­pu les amarres avec leur ex­pé­rience ori­gi­naire, et qui n'en sont pas pour autant psy­cho­ti­ques. Et que pour ceux qui le sont, la psy­chose est suscep­tible de se ré­soudre de l'ap­pri­voi­se­ment de l'o­ri­gi­naire et de son in­tro­duc­tion créa­trice dans le cir­cuit des échanges hu­mains, au tra­vers de l'art par exemple. Il y a un conti­nuum (la plu­part du temps dé­truit) que l'on peut ré­ta­blir entre l'o­ri­gi­naire et le Soi. C'est lors­que ce continuum est rom­pu que se dé­ve­loppe la souf­france af­fec­tive et que s'or­ga­ni­sent les dé­fenses né­vro­ti­ques ou psy­cho­ti­ques dres­sées contre elle.

Lors­que l'ex­pres­sion de ce conti­nuum entre l'ex­pé­rience ori­gi­naire et le Soi qui l'en­globe est en­tra­vée, l'o­ri­gi­naire se met en ten­sion ré­so­lu­toire. L'Ar­chaï­que cherche de fa­çon per­ma­nente à éli­mi­ner les stases dou­lou­reuses nées de son im­mo­bi­li­sa­tion, et à retro­u­ver un libre fonc­tion­ne­ment; qui n'est pas re­tour au re­pos, mais mou­ve­ment fluent vers le libre Jeu des fonc­tions in­stinc­tuelles.

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Mon ob­ser­va­tion cli­ni­que me conduit à dé­fi­nir deux mo­da­li­tés de la ré­gres­sion

  • l'une qui s'ouvre comme une po­ten­tia­li­té "es­thé­si­que", dy­na­mi­que et struc­tu­rante de ren­contre et d'ap­pro­pria­tion par le su­jet des zones de son ex­pé­rience ori­gi­naire dont il se trou­vait cou­pé, et de l'im­mense ré­ser­voir éner­gé­ti­que qui y fer­mente.
  • l'autre qui se dé­ve­loppe comme une dé­fense af­fec­tive.

La Ré­gres­sion Af­fec­tive

La ré­gres­sion af­fec­tive doit être cons­i­dé­rée comme une dé­fense ou­verte par le su­jet pour lut­ter contre l'an­goisse dé­pres­sive ou pa­ra­noïde. Elle se ma­ni­feste par des ré­ac­tions vi­sant à morceler et à disper­ser les af­fects (dé­fenses sky­zoïdes et auto­des­truc­tives dé­fi­nies par Mé­la­nie Klein) qui per­met­tent au su­jet de ne pas res­sen­tir consciemment ce qu'il éprouve affectivement.

Le pro­ces­sus psy­cho-af­fec­tif qui sup­porte un tel tra­vail d'"an-es­thé­sie" cons­iste en un ef­fon­dre­ment des in­ves­tis­se­ments objec­taux com­pen­sa­toires et leur re­trait sur des po­si­tions ar­chaï­ques ayant joué une fonc­tion pro­tec­trice ef­fi­cace. Le trans­fert af­fec­tif en cons­ti­tue le pro­to­type. Dans ce cas de fi­gure, le su­jet se re­plie sur des po­si­tions dites "nar­cis­si­ques", dans un en deçà des points de fi­xa­tion de la li­bi­do à par­tir des­quels le su­jet a été mis en dif­fi­cul­té si­gni­fi­ca­tive.

L'é­cla­te­ment bru­tal des formes com­pen­sa­toires et le tra­vail de dis­per­sion schy­zoïde des af­fects sont par­ti­cu­liè­re­ment éprou­vants et angois­sants pour le thé­ra­peute, ou pour l'a­ni­ma­teur, en par­ti­cu­lier lorsqu'ils se dé­clen­chent chez une per­sonne bien so­cia­li­sée.

La Ré­gres­sion Cri­ti­que

Cette mo­da­li­té de la ré­gres­sion se pro­duit gé­né­ra­le­ment lors­que le su­jet a at­teint un ni­veau de souf­france af­fec­tive in­sup­por­table, et qu'il est af­fron­té de ma­nière si­gni­fi­ca­tive aux an­goisses les plus archaïques, no­tam­ment à l'an­goisse de mort, qui est, à mon avis, le véri­table ca­ta­ly­seur d'une de­mande de soin et de tra­vail ana­ly­ti­que (ce qui est pré­ci­sé­ment et vio­lem­ment dé­nié dans la ré­gres­sion af­fec­tive où le su­jet n'ac­cepte pas le face à face avec la mort, ce qui le met beaucoup plus sû­re­ment en dan­ger).

Dans le tra­vail de la ré­gres­sion "cri­ti­que" (cri­si­que), le su­jet ac­cepte, gé­né­ra­le­ment grâce au concours d'un tiers, ami ou thé­ra­peute, de ren­trer plei­ne­ment dans une ex­pé­rience de res­sen­ti des éprou­vés in­cons­cients, ce que j'ap­pelle, dans la pleine si­gni­fi­ca­tion de ce terme, "es­thé­tie"(pro­non­cer: ès­tés­sie). L'es­thé­tie, c'est l'ou­ver­ture de la percep­tion à l'ex­pé­rience an­té­rieu­re­ment inter­dite de re­pré­sen­ta­tion. Tu peux très bien te fi­gu­rer ce­ci si tu ac­ceptes de com­prendre que ce que l'on dé­signe ha­bi­tuel­le­ment par "res­sen­ti" (le sen­ti­ment) c'est le libre jeu de la per­cep­tion des éprou­vés af­fec­tifs ori­gi­naires qui en­tra­vent le libre fonc­tion­ne­ment de ton in­tel­li­gence; aus­si bien, d'ailleurs, les éprou­vés de jouis­sance que ceux qui sont do­mi­nés par l'ex­pé­rience de la souf­france.

Une des ca­rac­té­ris­ti­ques ma­jeures qui te per­met de dis­cer­ner le cas de fi­gure où tu te trouves entre dé­fense et ou­ver­ture, c'est que la ré­gres­sion cri­ti­que ne s'ac­com­pagne pas d'un ré­trécis­se­ment ou d'une abo­li­tion du Moi, mais au contraire de sa pleine ex­pan­sion vers les zones ob­scures de l'ex­pé­rience. Le Moi se dé­centre des leurres, et tu peux y ap­puyer ta pa­role ana­ly­ti­que de fa­çon confiante. L'es­pace thé­ra­peu­ti­que ap­pa­raît alors comme le lieu où le dé­ploie­ment de l'o­ri­gi­naire est auto­ri­sé, conte­nu et éla­bo­ra­teur de sens. Si tu peux of­frir cet ap­pui en t'ai­gui­sant du co­té de la Pa­role, c'est tant mieux; mais si les in­ten­si­tés af­fec­tives réé­vo­quées dans le trans­fert l'e­xi­gent, il te fau­dra alors al­ler du co­té du corps et du "main­tien cor­po­rel", sous peine de dé­clen­cher une over­dose d'an­goisse que le Moi de ton client ne se­ra pas en me­sure de conte­nir et qui le pré­ci­pi­te­ra dans la Fo­lie. C'est comme ça que l'on doit com­prendre cer­tains échecs du trai­te­ment ana­ly­ti­que qui en­voient val­din­guer les clients parce que l'a­na­lyste, in­hi­bé dans ses mou­ve­ments d'a­mour et de haine, a été in­ca­pable à un mo­ment fé­cond du travail analytique de dé­vis­ser les fesses de son trône. On ap­pel­le­ra ça "psy­chose de trans­fert". Ces psy­choses là, sont des ef­fets de la ré­sis­tance de l'analyste à sor­tir de sa po­si­tion de toute puis­sance et à al­ler exer­cer son non-sa­voir du co­té du corps.

La Régres­sion æsthétique

Je vou­drais te cau­ser main­te­nant d'un truc très par­ti­cu­lier qui se pro­duit quel­ques fois dans mes Ate­liers d'Ex­pres­sion Créa­trice, et qui af­fecte aus­si le do­maine de l'Art. Il s'a­git d'une ex­pé­rience pa­ra­do­xale de plon­gée dans un état de ré­gres­sion pro­fonde, non an­gois­sé, au cours du­quel le su­jet tra­verse, dans un état de pleine cons­cience in­connu de lui, une ex­pé­rience nar­cis­si­que qu'il a du mal à quit­ter lorsque vient le terme de la séance ou de la ses­sion.

Le libre accès à ces " états de ré­a­li­té non ordinaire" (pour re­prendre les termes de Carlos CASTANE­DA) se pro­duit lors­que le su­jet a fait l'ex­pé­rience signi­fi­ca­tive de l'im­mer­sion to­tale dans le jeu de la for­mu­la­tion. Cette qua­li­té d'ex­pé­rience ré­gres­sive se ma­ni­feste sous la forme d'une intense jouis­sance as­so­ciée à une ex­pé­rience d'indifféren­cia­tion de nature sym­bio­ti­que entre le Soi et la forme hallucinée dans l'œuvre, qui vient faire mé­ta­phore du corps ma­ter­nel.

Ces sortes d'ex­pé­riences bou­le­ver­sent la per­sonne et in­au­gu­rent en elle une trans­for­ma­tion ra­di­cale de sa re­la­tion au Ré­el. Elles cons­ti­tuent gé­né­ra­le­ment le point de dé­part d'une re­con­struc­tion pro­fonde de la per­son­na­li­té qui né­ces­site bien en­ten­du l'ex­ten­sion du cadre de l'A­te­lier vers un cadre thé­ra­peu­ti­que et ana­ly­ti­que. La di­men­sion pa­ra­do­xale tient dans ce qui se dé­plie alors comme libre accès au sentiment des souf­frances af­fec­tives in­hi­bées. Celles-ci se dé­ploient à peu prés sans res­tric­tion, et elles pro­vo­quent, dans l'es­pace/temps de la thé­ra­pie, des tur­bu­lences émo­tion­nelles et cor­po­relles aux­quelles le thé­ra­peute doit faire face si­mul­ta­né­ment : en en per­met­tant l'ex­pres­sion; et en pro­té­geant le su­jet et lui même de la vio­lence que ce­la déclenche de fa­çon in­coer­cible. Les écrits cli­ni­ques de psy­cha­na­lystes font peu état de ces sortes d'é­vè­ne­ments qui se produisent nécessairement dans leurs séances, ni de leurs at­ti­tudes en réponse.

Ce type de ré­gres­sion nar­cis­si­que où le su­jet et l'ob­jet vien­nent se re-­é­prou­ver dans l'es­pace ori­gi­naire, se pro­duit soit par l'é­ta­blis­se­ment d'un trans­fert sym­bio­ti­que mu­tuel entre le client et le thé­ra­peute, soit entre le su­jet et son œuvre. Je pense que la quête ar­tis­ti­que, sou­vent af­fron­tée à la ten­ta­tion du re­trait des in­ves­tis­se­ments d'Ob­jet, s'oriente vers l'in­ves­tis­se­ment ima­gi­naire de l'œuvre ou du sys­tème social de l'art, et vers la sub­li­ma­tion, qui cou­pent l'ar­tiste de toute possi­bi­li­té ré­el­le­ment créa­trice pour l'as­si­gner à ré­si­dence dans la répé­ti­tion du même. Ce que l'ar­tiste re­doute par des­sus tout, c'est le pres­sen­ti­ment de la perte ir­ré­mé­diable où le plon­ge­rait une authentique tra­ver­sée de l'ex­pé­rience créa­trice et de la ré­gres­sion que ce­la sup­pose.

L'art an­ta­go­niste à la créa­tion?

Je pense qu'il en va de même avec la quête où est en­ga­gée le thé­ra­peute, et peut-être plus en­core le thé­ra­peute/théo­ri­cien. Si tu prends la no­tion de sub­li­ma­tion au pied de la lettre freu­dienne, comme dé­tour­ne­ment des pul­sions se­xuelles sur des ob­jets non sexuels, tu peux te de­man­der à la lec­ture des textes sa­crés s'ils ne pren­nent pas leur propre ap­pa­reil psy­chi­que pour un sub­sti­tut de gon­zesse. Quand tu en­tends Pa­pi Lacan s'as­tur­ber sur son au­di­toire qua­tri­pat­tant et démon­trer ses cons­truc­tions, t'es parfois sai­si de ver­tige.

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En fait, on retro­uve la même aber­ra­tion mé­tho­do­lo­gi­que gé­niale chez André Breton et chez Pé­pé Freud sous la forme d'une in­jonc­tion contra­dic­toire:

  • dans l'in­vi­ta­tion sur­réa­liste, on te pro­pose exac­te­ment de li­bé­rer ton é­cri­ture, ou tout autre mode lan­ga­gier, du contrôle de ta pen­sée, comme pro­cé­dé ré­gres­sif des­ti­né à pro­duire de la tex­ture ar­tis­ti­que. Tu ob­tiens ça par bran­che­ment idéal d'un tuyau entre le Dé­sir et l'organe langagier ad hoc, d'où se­rait idéalement ab­sente toute dictature de ton Moi;
  • Dans l'in­jonc­tion psy­cha­na­ly­ti­que, il te dit de dire li­bre­ment tout ce qui te tra­verse la tronche pen­dant le temps de la séance, de faire re­lache du co­té de la cen­sure et de rê­ver cons­cien­cieu­se­ment.

L'in­jonc­tion, dans l'un et l'autre cas est pa­ra­do­xale. Elle t'in­vite ou­ver­te­ment à la ré­gres­sion. On as­signe à la vo­lon­té le pro­jet de se dis­soudre dans un pur agir lan­ga­gier, idéa­le­ment dé­bran­ché de la mai­trise du cons­cient, ou plu­tot di­rec­te­ment bran­ché sur le Dé­sir.

Au­tre­ment dit on te de­mande d'être hal­lu­ci­né, psy­cho­ti­que, pen­dant une de­mi-heure (c'est la dose de mon ana­lyste... LA­CAN, il pous­sait le vice pa­raît-il jus­qu'à faire des séances de 10 mi­nutes, ou de rien du tout...et tou­jours au prix fort. On est bien loin de Pé­pé qui se col­ti­nait six séances d'une heure et de­mie par se­maine avec cha­que patient). Et bien le pa­ra­doxe, c'est que ça marche. Mais à mon avis, ça marche seu­le­ment si le tra­vail de la ré­gres­sion pré­lude l'en­trée en séance. Ça n'est pos­sible que si ton client a lais­sé son Moi dans l'antichambre. Ce sur quoi ni le thé­ra­peute, ni l'i­ni­tia­teur ne peu­vent rien, c'est sur la cris­tal­li­sa­tion d'un trans­fert dy­na­mi­que entre toi et ton client.

C'est ça le grand truc: le trans­fert est le mou­ve­ment lui-même de la ré­gres­sion. Et quand ce­lui-ci est en­ga­gé, ton client est prêt à pas­ser au micro-onde.

Au fond, dans l'ex­pé­rience psy­cha­na­ly­ti­que comme dans l'ex­pé­rience sur­réa­liste de l'é­cri­ture auto­ma­ti­que, ça marche seu­le­ment si l'in­jonc­tion est re­çue comme une cor­res­pon­dance du Dé­sir. Mais il y faut du Dé­sir, et donc du trans­fert, et donc de la ré­gres­sion…préalables. Ça marche si le dé­sir de l'ex­pres­sion y est pris dans un champ émo­tion­nel et affectif puis­sant.

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